COM(2025) 101 final  du 11/03/2025

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement établissant un système commun en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l'Union (2024-2025) : voir le dossier legislatif


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2025 établissant un système commun pour le retour des ressortissants de pays tiers installés irrégulièrement dans l'Union et abrogeant la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, la directive du Conseil 2001/40/CE and la décision du Conseil 2004/191/CE - COM(2025) 101 final

La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 dite « directive retour » 1(*), est entrée en vigueur en 2010. Texte d'harmonisation minimale, elle précise les procédures et les conditions dans lesquelles un ressortissant étranger en situation irrégulière sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne peut être reconduit dans son pays d'origine ou dans un pays de transit.

En France, la notion de « décisions de retour » recouvre des réalités juridiques différentes. Il faut citer en particulier les obligations de quitter le territoire français (OQTF), prononcées par le préfet en cas de séjour irrégulier en France, et les expulsions, adoptées par le préfet ou le ministre de l'intérieur, à des fins de protection de l'ordre public ou d'atteinte à la sûreté de l'État.

Cette directive doit être appliquée dans le respect des droits fondamentaux, ainsi que de « l'intérêt supérieur de l'enfant »2(*), de la vie familiale3(*) et de l'état de santé du ressortissant de pays tiers devant faire l'objet d'une décision de retour. Elle doit aussi se conformer au principe de non-refoulement posé par la Convention de Genève des Nations-Unies (28 juillet 1951)4(*) pour protéger les réfugiés.

Elle repose sur les principes suivants :

a) L'éloignement d'un migrant irrégulier est soumis à l'adoption d'une décision de retour écrite et prise par une autorité compétente ;

b) Dans les 7 jours de la notification de la décision de retour à la personne intéressée, aucune mesure de retour n'est possible.

Ensuite, un délai de retour volontaire doit être laissé aux ressortissants concernés (entre 7 jours et 30 jours à compter de la notification de la décision).

Enfin, si un tel délai n'a pas été accordé ou si le ressortissant intéressé n'a pas respecté son obligation de retour, les États membres « prennent toutes les mesures nécessaires » pour l'exécution de la décision. Parmi ces mesures, le recours à la coercition est possible, mais les mesures prises doivent alors être « proportionnées ».

En outre, les décisions de retour peuvent être assorties d'une décision d'interdiction d'entrée (dans les États membres de l'Union européenne), d'une durée maximale de 5 ans ;

c) Les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière faisant l'objet d'une décision de retour bénéficient de garanties procédurales (notification de la décision ; droit à un avocat...) et peuvent contester cette dernière devant la justice ;

d) Si la personne concernée présente un risque (de fuite ou d'opposition à l'exécution de la décision), elle peut être placée en rétention administrative, par une autorité administrative ou judiciaire compétente5(*).

Cependant, le taux de retour effectif des ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une décision de retour est faible et a même tendance à diminuer (passant de 45,8 % au niveau de l'Union européenne en 2016 à 24,6 %6(*) en 2024).

En France, ce taux est encore plus faible. En 2024, selon M. Didier Leschi, directeur général de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII)7(*), il y a eu en France 20 000 retours effectifs sur 140 000 décisions de retour prononcées (soit un taux voisin de 14,6%). Dans sa déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier, le Premier ministre François Bayrou a été encore plus alarmiste, évoquant un taux de « 7% ».

En conséquence, à la demande d'une majorité d'États membres, la Commission européenne a, d'une part, développé récemment une politique de « partenariats stratégiques » avec des pays tiers clefs (Tunisie) et, d'autre part, réfléchi à une actualisation du cadre normatif européen afin de faciliter les retours. Cette actualisation est l'objet de la présente proposition.

a) Le contenu de la proposition de règlement COM (2025) 101 final

Les principales modifications de la proposition sont les suivantes :

La Commission européenne propose de remplacer la directive existante par un règlement d'application immédiate et d'effet direct, afin d'uniformiser les procédures de retour en vigueur dans l'Union européenne. À cet égard, l'institution d'une « décision européenne de retour » et la mise en place d'une procédure de reconnaissance mutuelle des décisions de retour entre États membres sont significatives.

La proposition souhaite également faciliter les opérations de retour en définissant précisément les situations dans lesquelles un étranger en situation irrégulière doit faire l'objet d'une décision de retour, en simplifiant les délais de la procédure de retour volontaire (suppression du délai de 7 jours après la notification de la décision dans laquelle aucun départ n'est possible), en prévoyant une décision formelle d'éloignement pour mettre en oeuvre le retour forcé des personnes présentant un risque8(*) et en imposant une obligation de coopération au ressortissant étranger concerné ;

La proposition confirme et renforce les droits procéduraux des ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une décision de retour (création d'un mécanisme d'évaluation indépendant des opérations de retour...) ;

La proposition prévoit la possibilité, pour les États membres, de passer des accords avec des pays tiers pour que ces derniers accueillent des migrants irréguliers ayant fait l'objet d'une décision de retour dans des « centres de retour ».

b) Cette proposition législative est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?

1. La base juridique choisie est-elle correcte ?

Oui. La base juridique du texte semble adaptée. En effet, tout comme la directive de 20089(*) et sa proposition de refonte de 2018, la nouvelle proposition est fondée sur les dispositions de l'article 79, paragraphe 2, point c), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui autorise le Parlement européen et le Conseil à adopter des mesures concernant « l'immigration clandestine et le séjour irrégulier, y compris l'éloignement et le rapatriement des personnes en séjour irrégulier. »

2. La proposition est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

La réponse à cette question est d'abord rendue problématique par l'absence d'analyse d'impact pour accompagner la réforme. En effet, la proposition comprend plusieurs dispositions importantes ayant un impact sur la répartition des compétences entre les États membres et l'Union européenne (choix d'un règlement au lieu d'une directive ; instauration d'une décision européenne de retour...) et seule la publication d'une analyse d'impact aurait permis d'évaluer précisément la nécessité de ces dispositions ainsi que leur conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Malheureusement, comme le soulignait la commission des affaires européennes du Sénat dans son récent rapport sur la « dérive normative de l'Union européenne »10(*), cette absence n'est pas un cas isolé de la part de la Commission européenne, mais une pratique désormais régulière s'agissant de ses réformes les plus importantes.

En deuxième lieu, et à titre accessoire, il faut noter que le titre de la proposition de règlement, en « effaçant » toute référence aux « États membres » au profit de la seule « Union », contrairement à la directive actuelle, peut apparaître contraire au principe de subsidiarité, mais aussi en décalage par rapport au contenu de la proposition.

Ce titre apparaît en effet en contradiction avec la répartition des compétences entre États membres et Union européenne prévue par les traités.

En effet, si l'Union européenne est amenée à développer une politique de l'asile et une politique migratoire au titre des articles 78 et 79 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans le cadre de l'Espace de liberté, de sécurité et de justice, cette politique est mise en oeuvre par les autorités compétentes des États membres avec l'appui de structures européennes comme Frontex ou l'agence européenne de l'asile, pas l'inverse.

Cette réalité est d'ailleurs rappelée dans les principaux articles de la proposition, à l'exemple des articles 6 à 9 sur les décisions de retour, qui soulignent sans cesse ce rôle essentiel des États membres dans la politique de retour. De même, le territoire « de l'Union » pris en considération dans le titre de la proposition est en fait et en droit celui des États membres, comme cela est souligné par l'article 2 de la présente proposition de règlement, qui définit son champ d'application. Enfin, ces politiques ne doivent pas porter atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure (article 72) et la délimitation de leurs frontières (article 77), ainsi qu'à leur droit de fixer des volumes d'entrée de ressortissants de pays tiers sur leur territoire dans le but d'y rechercher un emploi (article 79, paragraphe 5).

En troisième lieu, on peut relever que la Commission européenne a choisi de remplacer la directive actuelle par un règlement, en affirmant que les divergences des législations nationales des États membres étaient la source des difficultés actuelles des procédures de retour, sans pour autant produire d'éléments probants pour illustrer la nécessité et la pertinence d'un tel choix.

La conséquence de ce choix, explicitement assumée par la Commission européenne, est de parvenir à une « uniformisation » des procédures de retour des États membres en imposant à ces derniers, d'une part, un format de décision unique au niveau européen (décision de retour européenne) ainsi que la transmission obligatoire des décisions par un mode de transmission unique (via le système d'information Schengen (SIS) 11(*)) et, d'autre part, de prévoir une procédure de reconnaissance mutuelle entre États membres, d'abord facultative, puis obligatoire au plus tard le 1er juillet 2027, à l'issue d'une phase d'évaluation.

Un tel remplacement aura trois effets directs et immédiatement perceptibles :

· la limitation de la marge d'appréciation des États membres dans la mise en oeuvre du cadre normatif européen, même si, à bon escient, la proposition préserverait la liberté de chaque État membre d'accorder un titre de séjour à une personnes pour motif humanitaire et la possibilité de s'opposer à la reconnaissance d'une décision de retour prise par un autre État membre, pour des raisons de sécurité nationale. Rappelons, par exemple, qu'en France, les mineurs ne peuvent pas faire l'objet d'une décision d'éloignement ;

· la suppression du rôle des parlements nationaux pour adapter le nouveau dispositif de retour aux spécificités de notre pays via la procédure de transposition, un règlement étant d'effet direct et d'application immédiate ;

· des coûts imposés aux États membres et non maîtrisables par eux, liés à la compensation financière qui serait due à un État membre exécutant une décision de retour prise par un autre État membre, par ce dernier.

Il convient de rappeler que le Sénat, dans son rapport précité sur la « dérive normative » de l'Union européenne, a appelé la Commission européenne à privilégier les directives par rapport aux règlements.

En quatrième lieu, deux dispositifs majeurs de la proposition de règlement, à savoir la « décision de retour européenne » et la procédure de reconnaissance mutuelle d'une décision de retour, sont volontairement inachevés, leur contenu définitif étant renvoyé à des actes d'exécution12(*).

Selon l'article 7 de la proposition de règlement, en effet, les décisions de retour devraient respecter un « format » commun appelé « décision de retour européenne », et devraient être établies par le système d'information Schengen (SIS), ce format devant être précisé par un acte d'exécution. Quant à la procédure de reconnaissance mutuelle des décisions de retour, elle est présentée en l'état comme une « possibilité » mais l'article 9 prévoit qu'à l'issue d'une évaluation, cette possibilité pourrait être transformée en obligation à compter du 1er juillet 2027, par un autre acte d'exécution.

Par ailleurs, ce même article 9 de la proposition prévoit qu'un autre acte d'exécution de la Commission européenne doit détailler les compensations financières qui seraient dues par l'État membre émetteur d'une décision de retour à l'État membre qui en assurerait effectivement l'exécution. Or, ces compensations auront inévitablement des conséquences sur le budget des États membres concernés, votés par leurs Parlements nationaux.

Enfin, alors que la proposition de règlement « fait de la réadmission13(*) une partie intégrante du processus de retour »14(*), en établissant une approche procédurale commune pour l'introduction des demandes de réadmission, au moyen d'un formulaire type pour les demandes de réadmission et du suivi systématique des décisions de retour accompagnées de demandes de réadmission, son article 36 prévoit que le formulaire type des demandes de réadmission doit être lui aussi défini par un acte d'exécution.

Certes, ces actes seraient ensuite examinés et adoptés par les États membres à la majorité qualifiée. En revanche, les parlements nationaux des États membres, et donc le Sénat, seraient exclus de l'examen de ce changement essentiel du dispositif de la proposition, ce qui paraît démocratiquement contestable.

Il est en fait demandé au Sénat de donner un « blanc-seing » en amont de la présentation du dispositif, sans qu'il puisse l'évaluer a posteriori. Une telle situation peut soulever des difficultés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Le rapport précité sur la « dérive normative » de l'Union européenne a d'ailleurs dénoncé le recours excessif de la Commission européenne aux actes d'exécution et aux actes délégués comme étant de nature à méconnaître les principes de subsidiarité et de proportionnalité, et à limiter le contrôle des parlements nationaux. Ce rapport a donc recommandé de restreindre le recours aux actes d'exécution et les actes délégués devrait aux seuls aspects techniques à l'exclusion de toute considération de nature politique.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé d'approfondir l'examen de ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

* 2 L'article 24 de la Charte européenne des droits fondamentaux souligne que « Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être (...) » et que « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »

* 3 L'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales souligne que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. »

* 4 « Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » (article 33).

* 5 Pour une durée maximale théorique de six mois, de douze mois en cas de retard dans les procédures.

* 6 Selon Eurostat, sur la période visée, 112 335 ressortissants de pays tiers résidant irrégulièrement dans un État membre ont été visés par une décision de retour mais seuls 27 740 sont effectivement retournés dans un pays tiers. Les 5 premières nationalités des migrants irréguliers faisant l'objet d'une décision de retour étaient l'Algérie (10 705), le Maroc (7 995), la Syrie (7 385), la Turquie (6 420) et l'Afghanistan (5 585).

* 7 Interview à France Info en date du 26 février 2025.

* 8 Les cas prévus par l'article 12 de la proposition de règlement pour justifier une telle décision sont les suivants : refus du migrant concerné de coopérer avec les autorités compétentes ; la personne visée par une décision de retour s'est rendue dans un autre État membre sans autorisation ; personnes présentant un risque de sécurité ; personne n'ayant pas quitté le territoire de l'État membre émetteur de la décision de retour qui la concerne dans les délais impartis.

* 9 La référence pertinente de l'article du traité était l'article 63, premier alinéa, point 3) b).

* 10 Rapport d'information n°190 (2024-2025) sur la dérive normative de l'Union européenne du 4 décembre 2024, des sénateurs Jean-François Rapin, Didier Marie et Catherine Morin-Desailly au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.

* 11 Système d'information entre les autorités des États membres et de plusieurs pays associés (Islande ; Liechtenstein ; Norvège ; Suisse) en charge des affaires intérieures et des contrôles aux frontières. Le système contient de nombreux signalements : signalements aux fins des décisions de retour et de non-admission ; personnes recherchées en vue de leur arrestation ; personnes disparues ; personnes vulnérables ; enfants risquant d'être enlevés ; objets recherchés aux fins de saisie (véhicules ; documents d'identité...).

* 12 Aux termes de l'article 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), « Les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en oeuvre des actes juridiquement contraignants de l'Union » et « Lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission... ».

Selon l'article 9 de la proposition de règlement, en effet, les décisions de retour devraient respecter un « format » commun appelé « décision de retour européenne », et devraient être établies par le système d'information Schengen (SIS), ce format devant être précisé par un acte d'exécution. Quant à la procédure de reconnaissance mutuelle des décisions de retour, elle est présentée en l'état comme une « possibilité » mais l'article 9 prévoit qu'à l'issue d'une évaluation, cette possibilité pourrait être transformée en obligation à compter du 1er juillet 2027, par un autre acte d'exécution.

* 13 La réadmission de ses ressortissants par un pays donné est une obligation en vertu du droit international coutumier. La plupart des États membres, dont la France, ont donc signé des accords de réadmission avec des pays tiers clefs afin d'établir un cadre de coopération structuré permettant d'établir des procédures rapides et efficaces visant à identifier, redocumenter et renvoyer des personnes ressortissantes d'une des deux parties, en séjour irrégulier sur le territoire de l'autre partie. Depuis le traité d'Amsterdam (signé en 1997), l'Union européenne peut elle aussi signer des accords de réadmission en lieu et place des États membres. En pratique, les accords bilatéraux de réadmission signés par les États membres continuent de s'appliquer tant qu'ils sont conformes aux accords de réadmission de l'Union européenne.

* 14 Exposé des motifs de la proposition de règlement, p 14.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/04/2025