COM(2025) 547 final  du 16/07/2025

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Décision du Parlement européen et du Conseil portant attribution d''une assistance macrofinancière au Royaume hachémite de Jordanie

A. Le contexte : la vulnérabilité économique et financière jordanienne

La situation économique et financière de la Jordanie est très préoccupante : la croissance économique, qui est restée stable ces dernières années, quoique relativement faible (par rapport à celle des homologues régionaux), pâtit de l'instabilité croissante dans la région, due à la guerre à Gaza, au fragile cessez-le-feu au Liban et à la situation en Syrie. L'escalade des tensions entre Israël et l'Iran à la mi-2025 a entraîné des perturbations des transports et des incertitudes accrues, qui ont eu des répercussions directes sur le secteur du tourisme, l'un des moteurs de l'économie jordanienne, ainsi que des effets négatifs sur la confiance des consommateurs et des investisseurs. La conjoncture économique de la Jordanie reste globalement stable, mais l'accroissement de la volatilité et l'imprévisibilité géopolitique constituent une menace grandissante pour sa stabilité économique et sociale future.

En outre, le pays est confronté à de profonds défis structurels.

Le taux de chômage demeure élevé (21,4 %) et atteint un niveau encore plus élevé chez les jeunes, tandis que la participation des femmes au marché du travail est parmi les plus faibles au monde. Ces déficiences du marché du travail continuent de limiter le potentiel de croissance de la Jordanie et d'empêcher de manière plus générale l'inclusion économique et la cohésion sociale. Les tensions budgétaires se sont intensifiées en 2024 en raison des répercussions des conflits régionaux et de la baisse des prix des principaux produits d'exportation. Bien que le gouvernement ait instauré des mesures propres à accroître les recettes et réduit les dépenses en capital, le déficit public s'est creusé à 5,6 % du PIB. La dette publique a légèrement augmenté pour s'établir à 90,4 % du PIB. Le déficit de la balance courante s'est creusé pour s'établir à près de 6 % du PIB en 2024, sous l'effet d'une baisse des exportations et d'une chute des recettes du tourisme.

La dépendance structurelle de la Jordanie à l'égard des importations d'énergie et de denrées alimentaires, conjuguée à la faiblesse de sa base exportatrice, continue de peser sur ses soldes extérieurs.

La Jordanie ayant subi une série de chocs extérieurs et jouant un rôle stratégique dans la promotion de la stabilité régionale, elle a reçu un important soutien international au cours des dix dernières années par l'intermédiaire de divers partenaires internationaux, au premier rang desquels le FMI et l'UE.

B. Le contenu de la proposition législative de la Commission

Les relations entre l'Union européenne et le Royaume hachémite de Jordanie s'inscrivent dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV).

L'UE et la Jordanie ont signé, le 24 novembre 1997, un accord d'association qui est entré en vigueur le 1er mai 2002. En vertu de cet accord, l'UE et la Jordanie ont établi progressivement une zone de libre-échange pendant une période transitoire de 12 ans. Un accord sur la poursuite de la libéralisation des échanges de produits agricoles a ensuite été conclu et est entré en vigueur en 2007. Puis en 2010, l'Union a accordé à la Jordanie le statut de « partenaire avancé », qui élargit encore le périmètre de coopération entre les deux parties. Un protocole relatif aux mécanismes de règlement des différends commerciaux entre l'Union et la Jordanie, paraphé en décembre 2009, est entré en vigueur le 1er juillet 2011. Le dialogue politique bilatéral et la coopération économique ont encore été intensifiés dans le cadre de l'accord d'association et des priorités du partenariat UE-Jordanie adoptées pour la période 2022-2027.

Au total, le pays a bénéficié de quatre programmes consécutifs du FMI depuis 2012, de quatre opérations d'assistance macro-financière (AMF) menées par l'UE depuis 2014, d'une aide importante des États-Unis et d'un soutien ciblé à l'accueil de réfugiés syriens.

Dans le cadre des trois premiers programmes d'AMF (AMF I : 180 millions d'euros; AMF II : 200 millions d'euros; AMF III : 500 millions d'euros, plus une assistance complémentaire de 200 millions d'euros pour faire face à la pandémie de Covid-19), 1,08 milliard d'euros de prêts lui ont été fournis entre 2014 et 2023.

En outre, à la suite d'une demande présentée par les autorités jordaniennes le 8 octobre 2023, l'UE a adopté une nouvelle opération d'AMF (AMF IV) en 2025, d'un montant de 500 millions d'euros, dont le versement est prévu sur la période 2025-2027.

L'AMF IV sera versée sous réserve du respect des conditions convenues dans le protocole d'accord, qui portent sur des mesures dans le domaine de la gestion des finances publiques, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, des politiques sociales et du marché du travail, ainsi que de l'énergie et de l'environnement des entreprises.

Des incertitudes subsistent pour le moment quant au versement de l'appui budgétaire américain en 2025, mais la Jordanie est parvenue à obtenir des financements extérieurs essentiels auprès du FMI et de la Banque mondiale, en particulier.

La présente proposition de décision du Conseil et du Parlement viendra compléter le quatrième programme d'AMF en faveur de la Jordanie, approuvé par le Parlement européen et le Conseil en avril 2025, d'un montant de 500 millions d'euros à verser sur la période 2025-2027.

Ces deux opérations correspondent donc à un montant total d'un milliard d'euros d'AMF en faveur de la Jordanie.

L'aide sera fournie sous la forme de prêts à long terme à des conditions préférentielles. Cette nouvelle opération d'AMF prévoit un versement en trois tranches, le versement de chaque tranche dépendant du respect d'engagements pris par le pays quant aux politiques à mener.

Ces engagements au titre de la nouvelle AMF seront énoncés dans un protocole d'accord entre l'UE et la Jordanie. Ils seront alignés sur les priorités de réforme définies dans le protocole d'accord de la quatrième AMF en cours, qui devrait être signé prochainement. Les deux programmes d'AMF seront versés en parallèle. Leur versement nécessitera en outre que des évaluations positives soient obtenues dans le cadre du programme en faveur de la Jordanie soutenu par le FMI, et que le pays continue d'adhérer à des mécanismes démocratiques effectifs, à l'Etat de droit et au respect des droits de l'homme.

Les conditions relatives aux politiques à mener devraient porter sur la gestion des finances publiques et l'administration fiscale, les politiques sociales et du marché du travail, la lutte contre la corruption et les réformes plus générales de gouvernance, ainsi que les mesures concernant l'énergie et l'environnement des entreprises.

Selon la Commission européenne, au vu de l'appréciation que le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) a faite de la situation politique, les conditions politiques et économiques indispensables à l'octroi de l'AMF proposée seraient remplies.

Au-delà de l'aide à court terme qu'elle représente, cette AMF s'inscrit dans le cadre d'une coopération étroite et suivie entre l'UE et la Jordanie, renforcée par le lancement d'un « partenariat stratégique et global » en janvier 2025.

Ce partenariat définit des domaines clés de collaboration plus approfondie, dont les relations politiques et la coopération régionale, la sécurité et la défense, la résilience économique, le commerce et les investissements, le développement du capital humain, les migrations, ainsi que la protection et le soutien en faveur des réfugiés. Ces piliers sont étroitement alignés sur la « Vision de la modernisation économique » développée par la Jordanie pour la période 2022-2033. Il s'agit bien de soutenir la résilience et la croissance durable et à long terme du pays, et sa capacité à relever les défis régionaux et mondiaux, dans un contexte de tensions et d'instabilité croissantes.

C. Cette proposition est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

La base juridique de la présente proposition est l'article 212 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule que « sans préjudice des autres dispositions des traités, et notamment de celles des articles 208 à 211, l'Union mène des actions de coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement. Ces actions sont cohérentes avec la politique de développement de l'Union et sont menées dans le cadre des principes et objectifs de son action extérieure. Les actions de l'Union et des États membres se complètent et se renforcent mutuellement ».

Le principe de subsidiarité semble respecté, dans la mesure où l'objectif d'assurer la stabilité macro-économique de la Jordanie à court terme ne peut être réalisé de manière satisfaisante par les seuls États membres, qu'ils coopèrent entre eux à cette fin ou via leurs relations bilatérales avec ce pays voisin de la Méditerranée. Un tel soutien peut certainement être mieux coordonné au niveau de l'Union européenne. Cette coordination doit être la plus étroite possible pour maximiser l'ampleur et l'efficacité de l'aide à l'égard de ce pays partenaire de l'Union européenne.

La proposition semble également respecter le principe de proportionnalité, dans la mesure où elle se limite au minimum requis pour atteindre l'objectif de stabilisation macroéconomique à court terme.

En effet, selon la Commission européenne, le montant de la nouvelle assistance macrofinancière proposée correspond à 14,6 % du besoin de financement résiduel estimé pour la période 2025-2027. Ce chiffre est conforme aux pratiques courantes en matière de partage de la charge pour les opérations d'assistance macrofinancière (pour un pays ayant conclu un accord d'association, le plafond est de 60 % selon les conclusions du Conseil ECOFIN du 8 octobre 2002), compte tenu de l'aide promise à la Jordanie par d'autres donateurs bilatéraux et multilatéraux.

Si l'on considère l'ensemble du soutien accordé par l'UE à la Jordanie à travers divers instruments (y compris l'AMF proposée, l'AMF IV, l'appui budgétaire de l'UE et les prêts de la BEI, à l'exclusion du soutien bilatéral apporté par les États membres), le soutien total de l'UE couvrirait environ 35,4 % du besoin de financement extérieur résiduel estimé.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 04/09/2025