COM(2025) 553 FINAL
du 17/09/2025
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement COM(2025) 553 final (2025-2026) : voir le dossier legislatif
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n 1308/2013 en ce qui concerne le programme en faveur de la consommation de fruits, de légumes et de lait à l'école (« programme de l'UE à destination des écoles »), les interventions sectorielles, la création d'un secteur des protéagineux, les exigences applicables au chanvre, la possibilité d'instaurer des normes de commercialisation applicables au fromage, aux protéagineux et à la viande, l'application de droits à l'importation additionnels, les règles relatives à la disponibilité des approvisionnements en situation d'urgence et de crise grave, et les garanties - COM(2025) 553 final
Le présent projet de règlement, qui fait partie des propositions concernant la PAC post-2027, révise le règlement relatif aux programmes Fruits et laits à l'école, ainsi que le règlement portant organisation commune des marchés (OCM) ; il s'inscrit, à cet égard, dans la continuité de la modification récente de ce règlement, visant à renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne de valeur.
Destiné à promouvoir des habitudes alimentaires saines chez les enfants, le programme de l'Union à destination des écoles soutient la distribution de fruits et légumes et de lait et produits laitiers aux élèves du primaire et du secondaire dans les établissements scolaires, pour un budget total d'environ 220 millions d'euros par an.
Le règlement OCM vise à fournir un filet de sécurité pour les marchés agricoles au moyen de l'utilisation d'instruments de soutien de marché, de mesures exceptionnelles et de régimes d'aide pour certains secteurs ; il encourage également la coopération des producteurs et établit des normes de commercialisation de certains produits.
La proposition législative n'a pas vocation à modifier en profondeur le règlement OCM, mais plutôt à en améliorer la performance, la priorité étant de soutenir les revenus des agriculteurs, tout en garantissant une flexibilité accrue pour les États membres.
A. Le contenu de la proposition législative de la Commission
Le projet de règlement regroupe en réalité diverses propositions relatives à plusieurs chantiers en suspens.
1. Le programme de l'Union à destination des écoles
Si elle conserve les principales caractéristiques de ce programme, la présente proposition législative prévoit deux évolutions majeures.
D'une part, le programme ne bénéficierait plus d'une allocation financière dédiée, mais serait intégré aux plans de partenariats nationaux et régionaux (PPNR). Les programmes scolaires seraient ainsi financés via le fonds dédié aux PPNR, dans le cadre de fonds « non réservés » à la PAC, tandis que le suivi des dépenses dépendrait du règlement relatif à la performance. En pratique, les États membres bénéficieraient donc d'une plus grande flexibilité pour définir les montants consacrés aux programmes scolaires, de même que les modalités de distribution et la désignation des publics prioritaires. Dans cette perspective, des dispositions transitionnelles sont prévues pour permettre le passage du suivi par année scolaire au suivi par année civile.
D'autre part, si le type des produits concernés par le programme n'est pas modifié, la proposition de règlement que des critères environnementaux (agriculture biologique, emprunte carbone basse) et de durabilité sociale (bien-être animal, chaînes d'approvisionnement courtes, petites exploitations) devront s'appliquer s'agissant des produits distribués, dont la provenance devra être européenne.
2. Les interventions sectorielles
Les interventions sectorielles seraient désormais obligatoires dans certains secteurs (fruits et légumes, protéagineux et olives), dès lors que des organisations de producteurs auront été reconnues ; elles seraient facultatives pour le secteur viticole et les autres secteurs.
Afin de réduire la dépendance aux importations, la Commission propose par ailleurs de soutenir la filière des protéagineux via la création d'une intervention sectorielle dans ce secteur. En pratique, le secteur des protéagineux - qui sera délimité en annexe du règlement OCM - serait intégré à la liste des secteurs pour lesquels les États membres sont tenus de reconnaître et d'enregistrer la création d'organisations de producteurs.
La proposition de la Commission prévoit également que les fonds alloués à ces interventions sectorielles seront compris dans l'enveloppe dédiée à la PAC (les nouvelles aides au revenu des agriculteurs) au sein du PPNR. La proposition prévoit cependant l'introduction d'un cofinancement obligatoire des États membres à hauteur de 30 % de la dépense publique éligible de chaque intervention - cette obligation s'inscrivant dans une logique de limitation du budget dédié à la PAC. Il reviendrait ensuite aux États membres de définir les enveloppes dédiées aux interventions sectorielles, le taux de cofinancement ainsi que les interventions retenues.
3. L'étiquetage et les normes de commercialisation
En matière d'étiquetage et de normes de commercialisation, la proposition introduit des modifications dans trois secteurs - les protéines, les viandes et les fromages. La Commission propose notamment d'élargir l'étiquetage de l'origine des viandes dans un souci de transparence, ainsi que de protéger les terminologies des produits carnés. La proposition législative établit ainsi une liste de 29 dénominations qui devront, à toutes les étapes de la commercialisation, être réservées aux produits dérivés « exclusivement » de la viande.
4. La gestion des crises et les stocks stratégiques
Dans le prolongement de la publication de la stratégie de l'Union en matière de stockage des produits de première nécessité, présentée le 9 juillet dernier par la Commission, la proposition législative prévoit des mesures pour la constitution et la gestion de réserves de produits agricoles stratégiques.
Chaque État serait ainsi tenu d'élaborer un « plan national et/ou régional de préparation et de réaction en matière de sécurité alimentaire » par lequel il mettrait en place des outils de surveillance des marchés agricoles et de récolte de données sur les stocks de certaines denrées. En cas de crise grave, la Commission pourrait exiger des États membres qu'ils lui communiquent des rapports en temps réel sur les stocks publics ou privés de produits et intrants agroalimentaires.
Les plans de préparation et de réaction, qui devraient être soumis à la Commission tous les trois ans, pourraient être utilisés pour constituer des réserves de produits agricoles mobilisables afin de « garantir la sécurité alimentaire en cas de perturbations majeures de l'approvisionnement ».
Cette possibilité serait néanmoins soumise à certaines conditions (achat des produits au prix du marché, évaluation régulière des stocks...) afin d'éviter que la création de ces réserves n'entraîne des perturbations sur les marchés agricoles. Il est prévu que la Commission coordonne les actions des États membres dans ce domaine, via un mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire, réunissant les autorités compétentes des États membres et les organisations de parties prenantes concernées.
En pratique, la proposition législative prévoit de conférer des compétences d'exécution à la Commission pour :
· préciser le format, les exigences en matière de rapports, la diffusion des parties non confidentielles et les délais de présentation des résumés des « plans de préparation et de réaction » ;
· établir des règles pour la coopération transfrontalière entre les États membres dans le cadre de l'élaboration et de l'application de ces plans ;
· fixer les règles relatives aux actions coordonnées en vue de l'établissement et de la gestion des réserves (recensement des catégories de produits pour la constitution des réserves, élaboration d'évaluations conjointes des risques et de mécanismes d'alerte précoce) ;
· fixer les règles relatives à la mise en oeuvre de mécanismes volontaires de solidarité et d'assistance mutuelle par lesquels les États membres mettent une partie de leurs réserves à la disposition d'un autre État membre confronté à de graves pénuries.
B. Cette proposition est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?
La proposition de règlement se fonde sur en premier lieu sur l'article 43 (paragraphe 3) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, aux termes duquel le Parlement européen et le Conseil établissent l'organisation commune des marchés agricoles, ainsi que les autres dispositions nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique commune de l'agriculture et de la pêche. La Commission s'appuie également sur l'article 42 du TFUE, qui stipule que les produits sont soumis à un régime spécial en matière de concurrence et prévoit que le Conseil puisse autoriser l'octroi d'aides sectorielles.
À cet égard, dans la mesure où la plupart des modifications proposées se bornent à revoir certaines dispositions de l'organisation commune des marchés des produits agricoles existant (programme de l'Union à destination des écoles, normes de commercialisation, étiquetage, interventions sectorielles), la proposition législative semble fondée juridiquement. Pour ces différentes modifications, l'intervention de l'Union semble, en effet, pleinement justifiée, étant donné la dimension européenne de l'organisation commune des marchés, ainsi que l'impossibilité de recourir à des réglementations nationales pour régir la libre circulation des produits agricoles dans le marché intérieur.
Les propositions relatives à la préparation face aux crises se caractérisent, en revanche, par leur caractère particulièrement novateur. En effet, s'il existe déjà des dispositions relatives aux réserves de crise dans le secteur agricole, la mise en place d'une stratégie de stockage de denrées alimentaires en prévision d'une crise grave est inédite.
Il existe, certes, un consensus sur l'opportunité d'une telle proposition, à l'aune des leçons tirées de la crise du Covid-19. La question de la constitution et de la gestion des réserves de produits agricoles stratégiques est parfaitement légitime dans le contexte international actuel. De surcroît, au terme de l'article 39 du TFUE, garantir la sécurité des approvisionnements est l'un des objectifs assignés à la PAC. Il existe donc une base juridique solide pour agir en faveur de la préparation des crises dans le secteur agricole.
Néanmoins, à ce stade, la conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité de ces dispositions paraît discutable, et ce pour plusieurs raisons :
· la préparation et la réaction face aux crises constitue une compétence des États membres, qui peuvent disposer de leur propre système de préparation face aux crises et dont certains détiennent d'ores et déjà des stocks de crise. Il importe donc que la proposition respecte les prérogatives des États membres et ne vienne pas fragiliser les dispositifs déjà mis en place au niveau national. La proposition risque d'interférer avec les dispositifs de défense civile des États membres, il importe donc de clarifier dans quelle mesure elle impose de nouvelles contraintes aux États membres ;
· en France, il n'existe pas de stocks alimentaires dédiés ; la doctrine française est de faire confiance à la disponibilité des flux existants pour répondre aux besoins urgents. Cette situation n'est pas incompatible avec la proposition de règlement, puisque la constitution de stocks alimentaires peut se faire par le biais de partenariats public-privé, mais la mise en oeuvre de ce texte nécessitera de gros efforts de coordination et d'harmonisation.
· la Commission a d'ores et déjà indiqué que sa proposition se traduirait par une charge administrative et de suivi supplémentaire pour les États membres, ces derniers devant notamment produire des plans nationaux de préparation et de réaction en matière de sécurité alimentaire et désigner une autorité nationale comme point de contact privilégié. En cas de crise grave, la Commission pourrait également exiger des États membres qu'ils lui communiquent des rapports en temps réel sur les stocks publics ou privés de produits ou intrants agroalimentaires, ce qui suppose de pouvoir s'appuyer sur des outils adéquats ;
· la proposition vise à disposer d'un maximum de visibilité sur les stocks et les ressources disponibles au sein des États membres dans une logique de mutualisation, puisqu'il est indiqué que la Commission pourrait adopter des actes d'exécution fixant les règles « relatives à la mise en oeuvre de mécanismes volontaires de solidarité et d'assistance mutuelle par lesquels les États membres mettent une partie de leurs réserves à la disposition d'un autre État membre confronté à de graves pénuries ». Ainsi, les stocks nationaux ne seraient pas dédiés uniquement à la demande nationale, ce qui constituerait également une nouveauté ;
· de grandes inconnues subsistent quant à la gouvernance envisagée pour le futur mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire, et notamment sur le rôle dévolu à la Commission européenne. En pratique, ce mécanisme semble s'inspirer du mécanisme européen permanent de préparation et de réactions aux crises de sécurité alimentaire (EFSCM), dispositif sui generis1(*) mis en place dans le cadre du plan d'urgence destiné à garantir l'approvisionnement et la sécurité alimentaires en période de crise, adopté en 2021 à la suite de la pandémie du Covid-19;
· enfin, la Commission n'a pas encore fourni d'explication de texte, notamment sur ces aspects de gouvernance ; il n'y a eu jusqu'à présent qu'un seul groupe de travail sur cette proposition de règlement, et les dispositions relatives à la préparation en cas de crise n'ont pas été abordées. Dans ce contexte, la proposition de règlement est toujours en cours d'analyse par les autorités françaises.
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé d'approfondir l'examen de ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 L'EFSCM, qui s'appuie sur un groupe d'experts réunissant des représentants des États membres et de certains pays tiers, ainsi que des acteurs de tous les maillons de la chaîne alimentaire, a vocation à améliorer la coopération entre les secteurs public et privé et évaluer les risques en cas de crise. Depuis son lancement, la Commission convoque périodiquement ce groupe d'experts pour améliorer les niveaux de préparation. À ce stade, l'EFSCM a adopté trois séries de recommandations (sur la communication de crise, la diversité des sources d'approvisionnement et l'atténuation des risques dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire).