Discours du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, à l’occasion de la 50e session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, le 10 juillet 2025, à l'Institut de France

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Chancelier de l’Institut,
Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie française,
Mesdames et Messieurs les Académiciens des différentes Académies,
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie,
Madame la Déléguée générale,
Mesdames et Messieurs les Présidents de Sénats, d’Assemblées, de Parlements,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Chers Amis,

Il était une fois…
Il était une fois l’histoire d’une langue, qui devait beaucoup aux contingences et était promise à un destin exceptionnel.

Plusieurs muses s’étaient donné rendez-vous sur son berceau. Les muses latines, et à travers elles les muses grecques, aux origines mêlées d’Orient et d’Occident, lui avaient offert leurs racines, des mots savants, la façon d’exprimer des idées. Les muses dites « barbares », venues de ce que l’on dénommait alors la Germanie, lui apportèrent une diversité d’origines et de termes qui, acclimatés sur nos terres, devaient eux-mêmes engendrer autant de dialectes et de langages.

Enfin, le génie des hommes fit son œuvre. Il voulut à la fois retrouver la clarté d’un Latin que le temps et la chute de l’Empire avaient appauvri, et forger un nouvel usage, communément partagé, qui ordonnait le chatoiement des dialectes, aux accents parfois rudes.

À la Renaissance, les auteurs de La Pléiade, Ronsard, du Bellay, usèrent du néologisme pour opérer une synthèse inédite, en forgeant une langue susceptible de se substituer au Latin et d’unifier le langage, débarrassé de ses archaïsmes. Une langue qui n’était ni la reprise du Latin ni le seul aboutissement de l’évolution des dialectes. Une langue nouvelle qui devait tout à l’esprit des hommes.

Et j’aime à citer ces vers de Boileau, que les collégiens apprenaient autrefois par cœur :
« Enfin Malherbe vint, et le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis à sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir ».

Ces vers de Boileau, visionnaires, annonçaient l’Académie.
Cette langue, vous l’aurez compris : il s’agit du français.

Si, sous cette auguste coupole, j’ai eu la prétention de rappeler en quelques mots cette genèse bien connue, c’est pour mieux saisir la singularité de ce français qui nous rassemble.

Le français n’est pas un patois. Il n’est pas même un patois qui aurait triomphé d’autres patois. Il n’est pas non plus un « créole », comme certains le déclarent, ou une langue vernaculaire. Ne voyons pas dans cette affirmation un jugement de valeur, mais un constat historique et le refus de l’idéologie : le français est une langue de toute pièce forgée, construite par la volonté humaine, par des règles de syntaxe souvent peu naturelles, des accords difficiles, une grammaire faite de normes et d’exceptions à la norme, le tout dans le cadre d’un État unitaire et d’une École façonnée dans l’exigence républicaine.

Le français, langue foncièrement littéraire, est en ce sens l’anti-anglais ou l’anti-américain, langues où le sens immédiat prime sur le style, devenues une sorte de dialecte global sans façon. Destin peu enviable ! L’anglophonie a pour nom le Commonwealth, la « richesse commune » ! Le français est davantage qu’une langue de communication ou à usage mercantile.

Le français se parle comme il s’écrit. Rien ne lui est plus étranger que l’écriture inclusive, qui nie le tour naturel et la spontanéité. Des salons des Précieuses aux salons des Lumières, tous animés par des femmes, l’histoire du français s’écrit souvent au féminin. Elles l’ont rendu indissociable d’une forme de civilité, construite sur le refus de la brutalité, de mœurs guerrières et sur un art consommé de la conversation. Ces femmes n’avaient pas besoin d’une syntaxe, sans fondement grammatical, pour régner sur les esprits.

Oui, le français est indissociable d’un état d’esprit et d’une civilisation. Plus que tout autre, vous le savez : il serait vain de réduire le français à une langue imposée par la force et la coercition, dans le sillage d’une aventure coloniale. Car la diffusion du français, son triomphe même, précèdent l’aventure coloniale. Quand l’Europe parlait français : dans cet ouvrage, Marc Fumaroli, membre de plusieurs de vos académies, a illustré combien l’attrait du français, consacré dès le XVIIIe siècle, provenait à la fois de ce qu’il était devenu, par excellence, la langue de la diplomatie et de la paix, et des Lumières.


Mesdames et Messieurs,

Si le français fait communauté, si le français fait francophonie, c’est bien parce que cette langue que nous avons en partage est davantage qu’un ensemble de mots et de règles grammaticales. En effet, pourquoi apprendre le français ? Le français n’est pas la langue la plus utile pour se faire comprendre partout dans le monde. Elle n’est pas même la plus utile pour la conduite des affaires ou pour assimiler les nouvelles technologies.

Mais apprendre le français, quand on est Américain ou Canadien, c’est faire entendre sa différence face à des modèles dominants. Apprendre le français quand on est Africain, c’est prendre le dessus et maîtriser une part de son histoire.

Apprendre le français quand on est Européen, c’est déjà adhérer à l’Europe.

Apprendre le français quand on est Libanais, Monsieur le Secrétaire perpétuel, c’est affirmer une identité et s’affranchir des communautés.


Apprendre le français quand on est Iranien, c’est choisir la liberté. Écrire en français, lorsque l’on s’appelle Boualem Sansal, c’est revendiquer le droit de penser sans contrainte.

Écrire et parler le français, partout, c’est une façon d’être libre avec autrui et soi-même, et embrasser un idéal !


Mesdames et Messieurs,

Le français brille de tous ses feux lorsqu’il est parlé au Vietnam, à Haïti, au Canada, en Roumanie, au Congo ou au Sénégal, à Djibouti, en Ukraine, mais jusque dans la plus petite école, la plus éloignée, où l’apprentissage du français est de mise. Leopold Sédar Senghor a écrit “La Francophonie est cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre… une communauté spirituelle”.

Ce soir, grâce à vous, Monsieur le Chancelier, Monsieur le Secrétaire perpétuel, et vous tous, pour cette 50e session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, je vous invite à célébrer à nouveau les épousailles de la langue française et du monde !