Mercredi 25 janvier 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, Albéric de Montgolfier nous présente ce matin le rapport, réalisé avec Jean-François Husson qui ne peut être parmi nous aujourd'hui, sur la proposition de loi n° 586 (2021-2022) tendant à renforcer la protection des épargnants.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je m'exprimerai également au nom de Jean-François Husson.

Nous poursuivons notre « marathon » engagé en 2020 sur le thème de la protection des épargnants. Les dispositions de la présente proposition de loi (PPL) sont en effet directement tirées des douze recommandations de niveau législatif de notre rapport d'information du mois d'octobre 2021.

Vous vous rappelez sans doute les constats que nous avions énoncés lors de sa présentation. Le marché de l'épargne français est certes dynamique, mais il se distingue aussi par la prédominance du modèle historique de la « bancassurance », ce qui nuit à la concurrence, et par des frais dans la moyenne haute européenne. Ces constats sont d'autant plus d'actualité que l'inflation a atteint 5,2 % en moyenne en 2022, devenant un facteur supplémentaire d'érosion de l'épargne des Français. J'ajoute qu'il existe également de nouveaux canaux de distribution, par internet, et que de nouveaux acteurs apparaissent. Ces derniers pourraient être amenés à remettre en cause le modèle français de la bancassurance.

Comment faire, dès lors, pour mieux protéger les épargnants ? La proposition de loi répond à cet objectif au travers de douze articles, regroupés dans quatre chapitres. Le premier porte sur l'encadrement plus strict de certaines catégories de commissions, avec même la suppression des commissions de mouvement. Le deuxième chapitre entend permettre aux épargnants de pouvoir faire un choix plus éclairé dans la sélection de leurs produits. Le troisième chapitre comprend cinq dispositions destinées à lever les contraintes sur les produits d'épargne et à stimuler la concurrence, tandis que le dernier regroupe les dispositifs de nature à permettre de mieux encadrer les acteurs du marché de l'épargne.

Je vous propose de parcourir ces dispositions, en vous présentant au fur et à mesure nos amendements. Vous avez dû voir que nous en proposons un certain nombre sur les articles initiaux, qui seraient tous modifiés sauf un, ainsi que des dispositifs complémentaires. Ces aménagements résultent des importants travaux que nous avons menés depuis le début de l'année, avec quatorze auditions et trois contributions écrites reçues.

Je commencerai par les frais. Sans revenir sur l'ensemble des calculs et simulations que nous avions réalisés dans le cadre du rapport d'information, rappelons simplement que la part de la performance captée par les frais est de plus en plus élevée à long terme, au détriment des épargnants. Je citerai un chiffre : à dix ans 17 % de la performance est captée par les frais et à quarante ans 57 %.

Le niveau, la composition et la transparence des frais ont donc constitué l'une de nos principales préoccupations. Même si beaucoup de règles sont fixées au niveau européen, deux articles de la PPL viennent soutenir un meilleur encadrement des frais.

L'article 1er interdit ainsi les commissions de mouvement. Les épargnants doivent en effet s'en acquitter, en plus des frais de transaction, et subissent ainsi une double charge. Elles portent également un risque inhérent de conflits d'intérêts : les gestionnaires sont incités à faire tourner le portefeuille, sans que cela soit uniquement pour le bénéfice de l'épargnant. Elles sont surtout une incongruité française et nous nous félicitons que l'Autorité des marchés financiers (AMF) ait modifié son règlement général pour les interdire à compter du 1er janvier 2026 depuis le dépôt de notre texte, qui a indubitablement servi de levier de négociation supplémentaire.

Nous vous proposons un amendement qui vise simplement à aligner les dispositions de l'article 1er avec celles du règlement de l'AMF. Deux exceptions sont prévues, pour les véhicules immobiliers et de capital-investissement, les portefeuilles étant beaucoup plus stables. Nous avons fait le choix de laisser le dispositif dans la proposition de loi à ce stade.

L'article 2 prévoit quant à lui d'introduire une définition de l'arbitrage et du mandat d'arbitrage dans le code des assurances. Pourquoi prévoir cet article d'apparence si technique ? Deux justifications très simples : il faut opérer un rapprochement réglementaire entre les produits assurantiels et les produits financiers, d'une part, et mettre un terme aux pratiques professionnelles hétérogènes, d'autre part.

Nous vous proposons une réécriture globale de l'article pour nous assurer de sa conformité au droit européen et pour supprimer, là aussi, la perception de commissions de mouvement par les mandataires. Pour laisser le temps aux acteurs de se conformer à ces nouvelles exigences, nous proposons aussi de différer d'un an l'entrée en vigueur de l'article 2.

Sur les frais, nous avons deux moyens d'agir. Le premier, nous venons d'en parler, c'est celui d'interdire ceux qui nous paraissent inopportuns ou redondants. Si c'est possible sur les commissions de mouvement, qui constituent une spécificité française, c'est plus difficile sur d'autres - il nous faut respecter le cadre européen et la liberté économique des acteurs. Le deuxième moyen d'action, indirect, mais aussi très efficace, c'est de garantir les conditions d'un choix éclairé pour les épargnants.

En assurant une transparence accrue sur la performance nette des produits, en tenant compte de tous les frais, les épargnants seront en mesure de choisir les produits les plus rentables et adaptés à leurs besoins. L'affichage de leur coût complet doit conduire à stimuler la concurrence entre les acteurs et exercer une pression à la baisse sur les frais. Il existe certes aujourd'hui un certain nombre de comparateurs, mais il reste néanmoins très difficile de parvenir à une réelle transparence en ce qui concerne l'ensemble des frais : à la souscription, à la sortie, en cours de vie du produit, etc.

L'article 3 impose tout d'abord aux distributeurs d'assurance vie et aux gestionnaires de plans d'épargne retraite (PER) de présenter, lors de la souscription d'un contrat ou d'un plan, les fonds indiciels cotés disponibles. Pourquoi ces produits en particulier ? Parce que ces fonds, le plus souvent en gestion passive, présentent un niveau de frais généralement inférieur aux fonds en gestion active, pour une performance nette en moyenne égale ou supérieure. Or, d'après les informations que nous avons recueillies, ces fonds ne sont quasiment jamais proposés à la souscription, trop peu rentables pour les distributeurs et les conseillers.

Leur présentation pourrait donc entretenir une saine compétition et il est vraiment temps que les distributeurs se saisissent du sujet. Ils prennent le risque sinon d'être dépassés par les nouveaux acteurs qui proposent des fonds indiciels cotés avec une souscription sur internet. S'ils ne sont pas capables de s'adapter, ces acteurs risquent de prendre une part significative du marché. Je ne suis pas sûr que ce soit mieux pour les épargnants et je préférerais que les distributeurs « traditionnels », qui ont la confiance des épargnants, s'emparent du sujet.

Toutefois, pour laisser le temps aux intermédiaires de s'adapter à cette obligation de présentation et pour encourager au développement de fonds indiciels, nous proposons de décaler l'entrée en vigueur de l'article, ainsi que des ajustements techniques.

L'article 4, pour lequel nous proposons également un certain nombre d'améliorations par l'amendement que nous présentons, porte quant à lui une importante avancée dont nous pouvons tous nous féliciter. Il permet de remédier à un obstacle connu de longue date, à savoir l'impossibilité de disposer d'une information claire sur les frais totaux des produits. Ce sera désormais possible, sous l'égide du comité consultatif du secteur financier (CCSF).

Dans un format qui rappelle celui de l'Observatoire des tarifs bancaires, le CCSF sera chargé de suivre les pratiques tarifaires de l'assurance vie et des plans d'épargne en actions (PEA). Par ailleurs, les informations transmises ne se baseront plus seulement sur la performance annuelle, mais sur la performance pluriannuelle des produits. Cet article constitue une véritable avancée, avec un classement des unités de compte par ordre décroissant de performance nette.

Au sein du chapitre III de la PPL, relatif au développement et à l'adaptation des produits d'épargne, des articles lèvent les contraintes pesant sur certains produits d'épargne tandis que d'autres tendent à encourager une véritable concurrence sur le marché de l'épargne.

Concernant les premiers, l'article 5 propose un « droit à l'erreur » sur le PEA, avec la possibilité pour l'épargnant de ne pas perdre l'avantage fiscal s'il corrige son erreur, par exemple l'achat de titres inéligibles au PEA. Je précise tout de suite que si nous proposons un ajustement technique, ce dispositif peut encore être amélioré pour être encore plus performant et éviter tout risque d'optimisation fiscale.

En complément, l'amendement COM-15 vise à introduire un article additionnel permettant de légèrement assouplir le champ des titres éligibles au PEA pour favoriser l'accessibilité des produits du capital-risque, encore trop méconnus.

Sur le développement du capital-investissement, il vous est en revanche proposé de supprimer l'article 6. Cet article porte sur le dispositif Madelin, dont nous avons eu l'occasion de débattre très récemment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Nous préférons attendre les résultats de l'évaluation de cette dépense fiscale avant de nous prononcer, d'autant que ce ne serait finalement, d'après nos derniers travaux, pas nécessairement le canal à privilégier pour favoriser l'accessibilité du capital-investissement aux particuliers.

Concernant l'encouragement de la concurrence sur le marché de l'épargne, j'en viens au sujet le plus épineux, celui qui nous a valu d'intenses échanges et débats avec l'ensemble des personnes auditionnées, l'article 7 et la transférabilité des contrats d'assurance vie. Il comporte deux volets : la transférabilité interne, d'une part, et à la transférabilité externe, d'autre part.

Il s'agit d'abord de lever les obstacles au développement de la transférabilité interne, que l'assuré pourra demander à tout moment à l'assureur ou à l'intermédiaire, lequel sera tenu de réaliser le transfert dans les deux mois. Un amendement sur cet article consacre un droit au transfert interne, sans possibilité pour les assureurs de s'y opposer, tout en limitant les frais pouvant être imposés lors de cette opération.

S'agissant du second volet, l'article 7 autorise le transfert externe des contrats d'assurance vie avec portabilité de l'antériorité fiscale. Des situations aberrantes ont été évoquées lors de l'examen du projet de loi de finances ; je pense à la fermeture des comptes clients d'ING et à leur transfert chez Boursorama, sans que le souscripteur ait eu son mot à dire. Le transfert externe est possible en matière d'assurance dommages, d'assurance emprunteur, d'assurance véhicule, on peut même changer de banque, mais curieusement on ne peut pas changer de contrats d'assurance vie sans devoir procéder à un rachat, alors même que l'on a respecté huit ans d'engagement.

Sans nier les risques évoqués par plusieurs acteurs, il convient d'avoir une vision nuancée des effets attendus de cette mesure : elle ne porterait que sur les contrats de plus de huit ans et elle pourrait améliorer la qualité des conseils prodigués aux épargnants, qui auraient d'autant moins de raisons de quitter leur assureur. Les assureurs pourraient également trouver des moyens de fidéliser leurs clients via la mise en place de bonus, par exemple. Notre objectif, ici, est simple : éviter aux épargnants d'être captifs et susciter une plus grande concurrence, ce qui encouragerait, en amont, des pratiques de conseil plus actives et plus adaptées aux besoins des épargnants de la part des assureurs. Il vous sera d'ailleurs proposé de préciser qu'en cas de rachat du contrat, l'assureur peut proposer à l'assuré des options de transfert interne.

Pour conclure, sans renforcement de la transférabilité externe, nous n'aboutirions qu'à une transférabilité interne boiteuse et, si vous me permettez de filer la métaphore, je dirai que seule leur conjonction permettra à la liberté de choix de l'épargnant de s'exercer pleinement et de « marcher sur ses deux jambes ».

Par ailleurs, nous proposons deux amendements portant articles additionnels après l'article 7. L'amendement COM-19 institue un devoir de conseil dans la durée pour les intermédiaires et les assureurs, qui devront à chaque opération significative de l'épargnant, refaire un point détaillé avec lui. L'amendement COM-20 prévoit expressément une obligation de respect des engagements contractuels en cours d'exécution du contrat.

Pour les deux derniers articles de ce chapitre III, nous abordons le sujet des plans d'épargne retraite, d'autant plus sensible dans le contexte de la réforme présentée par le Gouvernement.

L'article 8 proroge jusqu'en 2026 l'incitation fiscale mise en place pour encourager le transfert de l'épargne investie dans un contrat d'assurance vie vers un PER.

L'article 9 confie à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) la gestion d'un fonds de fonds indiciels cotés, qui serait ensuite distribué dans les PER. Il s'agit de proposer un produit peu chargé en frais au bénéfice des épargnants cherchant à préparer leur retraite. Appuyée sur l'obligation de présentation prévue à l'article 3, la création de ce fonds - que nous vous proposons de reporter à 2025 - stimulerait le déploiement d'une réelle offre de supports d'investissement reposant sur la gestion passive.

J'en termine par le chapitre IV, qui contient les dispositions visant à mieux encadrer les acteurs et les intermédiaires sur le marché de l'épargne.

L'article 10 visait initialement à confier à 'l'organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias) le contrôle de l'honorabilité des dirigeants et des salariés des intermédiaires immatriculés auprès de ce registre. Certains d'entre vous s'en souviendront, c'est ce que le Sénat avait proposé dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement.

Au final, cette proposition n'avait pas été retenue dans le cadre de la commission mixte paritaire. Depuis le 1er avril 2022, il revient ainsi aux associations professionnelles agréées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de contrôler l'honorabilité des salariés des intermédiaires. Les auditions que nous avons menées nous ont convaincus que nous ne devrions pas tout de suite envisager de confier ce contrôle à l'Orias, qui ne dispose pas des moyens nécessaires pour assurer sa mission. Nous vous proposons donc de supprimer cet article.

Il n'en reste pas moins que ce modèle, qui s'inspire de la co-régulation mise en place pour les conseillers en investissements financiers, n'est pas optimal et suscite des interrogations, sur un risque de complaisance par exemple. Pour qu'il fonctionne bien, les associations professionnelles doivent être régulièrement contrôlées par l'ACPR.

Sur l'article 11, il nous semble que nous sommes parvenus, après les auditions et par l'amendement que nous vous proposons, à un compromis acceptable sur un sujet majeur, celui de l'encadrement des investissements défiscalisés dans le secteur du logement locatif. Vous avez tous comme moi reçu des offres pas toujours très sérieuses pour investir dans des villes ou des quartiers qui vous sont inconnus, mais avec des promesses de rendement absolument extraordinaires. Ces dispositifs, très coûteux sur le plan fiscal, sont par ailleurs très chargés en frais, les acheteurs étant en quelque sorte aveuglés par l'avantage fiscal. On leur vend en effet d'abord une réduction d'impôt avant de leur vendre un investissement immobilier. Ces frais monstrueux sont désormais encadrés grâce au vote d'un article en loi de finances, inséré à l'initiative de notre commission lorsque j'étais rapporteur général. Il nous faut aller plus loin et réguler également la publicité, parfois quasiment mensongère. Un investissement sans risque, par exemple, est une utopie. Par ailleurs, aucun rendement n'est « garanti », à part le livret A.

Or des ménages peu avertis ne savent pas toujours distinguer les offres frauduleuses ou qui minorent sciemment les risques encourus. Les vendeurs se concentrent en effet sur l'avantage fiscal, sans mentionner ni le risque pour le patrimoine, si le bien n'est pas valorisé, ni le risque fiscal, en cas de reprise de l'avantage par l'administration.

Nous proposons donc un encadrement plus strict de ces offres et du travail des intermédiaires. Tout d'abord, les exigences en matière de publicité seront renforcées pour indiquer l'ensemble des risques de ces investissements. Ensuite, une notice d'information devra obligatoirement être remise à l'épargnant avant qu'il ne signe le contrat. Tout manquement sera sanctionné par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui pourront infliger des amendes administratives allant jusqu'à 375 000 euros pour une personne morale. Aujourd'hui, les contrôles actuels ne se font qu'a posteriori, à la suite de plaintes d'épargnants ayant acheté un logement étudiant là où il n'y a pas ou peu d'étudiants et donc sans avoir été informés de la faible demande locative.

Nous maintenons également une demande de rapport au Gouvernement, pour évaluer les moyens nécessaires à la mise en place d'un contrôle systématique des offres d'investissement défiscalisées dans le logement et des documents précontractuels. Ce contrôle constitue une étape supplémentaire, et cruciale, dans le développement d'un véritable contrôle a priori des offres d'investissements défiscalisés. C'est à terme le seul moyen de protéger les épargnants et de leur assurer l'information la plus transparente possible sur ces offres.

Sur un tout autre sujet, celui du financement participatif, l'article 12, tel que nous vous proposons de le modifier, vise à s'assurer que tous les acteurs du financement participatif sont bien soumis aux mêmes obligations déclaratives au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le but est de couvrir les « trous dans la raquette » et ici en particulier les acteurs intervenant dans des projets de financement participatif portant sur des parts sociales.

Enfin, nous vous proposons d'ajouter cinq articles additionnels, qui répondent tous à un même objectif : donner leur pleine effectivité aux décisions, prérogatives et pouvoirs de l'AMF.

L'amendement COM-25 vise à assortir les injonctions du collège des sanctions de l'AMF d'une astreinte. Le but est d'inciter les acteurs à se mettre le plus rapidement possible en conformité avec les injonctions du collège. Les manquements concernés touchent directement les épargnants puisqu'il s'agit des abus de marché, des atteintes aux intérêts des investisseurs et des manquements aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

L'amendement COM-26 clarifie les compétences de l'AMF sur les offres au public de parts sociales de sociétés commerciales. En l'état du droit, l'AMF ne peut sanctionner que les offres des sociétés anonymes. Certains l'ont bien compris et ont contourné ce contrôle en passant par une autre forme de société. Résultat, des offres trompeuses ont été proposées aux épargnants, sans possibilité aucune de les sanctionner.

L'amendement COM-27 vise à faciliter les visites domiciliaires des enquêteurs de l'AMF, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. Concrètement, nous souhaitons mettre fin à quelques absurdités. Par exemple, en l'état du droit, l'officier de police judiciaire (OPJ) qui accompagne les enquêteurs doit être désigné nominativement. En conséquence, si la date est décalée et que l'officier n'est plus disponible, il est impossible de procéder à la visite. De même, le premier juge saisi ne peut pas confier à un autre juge plus proche du lieu visité le soin d'intervenir en cas de difficulté. C'est à lui de se déplacer, même à plusieurs centaines de kilomètres et dans le cas de visites concomitantes.

L'amendement COM-28 tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel, qui a déclaré non conforme à la Constitution le cumul du délit d'entrave et du manquement d'entrave, sanctionné par l'AMF. Or le délit n'est quasiment jamais utilisé, avec seulement deux condamnations depuis 2009. En revanche, le manquement était fréquemment utilisé par le collège de l'AMF, dans le cadre de la lutte contre les abus d'initiés, la diffusion de fausses informations ou encore le non-respect par les prestataires de leurs obligations professionnelles.

Enfin, l'amendement COM-29 renforce le devoir de signalement des commissaires aux comptes (CAC) pour permettre à l'AMF de mieux anticiper les difficultés financières des fonds, et donc les conséquences potentiellement dommageables pour les épargnants. Les CAC ne sont aujourd'hui obligés de signaler que les faits ou les décisions de nature à entraîner l'émission de réserves ou le refus de certification des comptes. L'obligation de signalement serait étendue à l'impossibilité de certifier les comptes.

Pour conclure, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le périmètre que nous vous proposons dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants vous a été distribué.

J'espère que, comme lors de la présentation de notre rapport d'information, vous soutiendrez notre démarche qui ne fait, en protégeant les particuliers, qu'améliorer, développer et soutenir le marché de l'épargne en France.

M. Claude Raynal, président. - Je note que les rapporteurs ont déposé vingt amendements sur leur texte initial...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Oui, nous avons tenu compte des auditions !

Mme Christine Lavarde. - Je me félicite de l'examen de ce texte. Nous discutons depuis quelques années de la question de la transférabilité. Or tous ceux qui s'y opposent ont été jusqu'à présent incapables de prouver qu'il y aurait un vrai risque de déstabilisation du marché.

Le marché de l'épargne est important. Les acteurs potentiellement intéressés par la transférabilité sont plutôt les détenteurs d'une assurance vie en unités de compte. Le marché de la bancassurance évolue considérablement, avec l'émergence récente des fintechs. Ces acteurs, qui cherchent à aller vers des solutions plus novatrices, permettront peut-être à la place financière de Paris de garder son leadership.

Or l'assurance vie est le dernier secteur de notre économie aussi encadré puisque les épargnants sont liés par le premier contrat signé. Quel danger y aurait-il à leur permettre de diriger leur épargne vers de nouveaux acteurs ? Je remercie donc Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson du travail qu'ils ont mené pour essayer de faire avancer un peu cette question.

M. Marc Laménie. - Je salue également de travail de nos deux rapporteurs. Ma question porte sur les frais et les commissions. On a beaucoup cité l'AMF : d'autres instances interviennent-elles ? Par ailleurs, avons-nous une idée du nombre d'intermédiaires dans le secteur financier et assurantiel ?

M. Claude Nougein. - L'assurance vie était un investissement très protecteur jusqu'à présent, mais c'est moins le cas aujourd'hui. De nombreux épargnants souhaitent privilégier la sécurité, notamment en vue de leur retraite. Or les banques refusent les placements à 100 % en fonds euros, arguant que la loi les obligerait à placer une partie de leurs capitaux en unités de compte. Est-ce bien le cas ? En général, l'épargne est alors placée à 60 % en fonds en euros et à 40 % en unités de compte. Compte tenu des droits d'entrée, des frais de gestion - entre 0,60 % et 0,80 % - et des faibles rendements, quid si l'on y ajoute les pertes sur les unités de compte puisque la bourse s'est effondrée de 10 % en 2022 ? Les épargnants modestes qui enregistrent des pertes de capital nous disent qu'ils ont été escroqués. Existe-t-il une solution ?

M. Michel Canévet. - À mon tour de féliciter nos deux rapporteurs, car ce sujet concerne tout le monde, le nombre d'épargnants étant relativement élevé dans notre pays. Force est de constater que le secteur présente effectivement une opacité totale. Je partage donc les objectifs de transparence qui ont été mis avant. Il faudrait même aller plus loin et envisager une information régulière et personnalisée tout au long de la phase d'épargne, comme cela se pratique déjà pour les comptes courants. Le rapporteur a évoqué à juste titre les difficultés de transférabilité. Par ailleurs, ne faudrait-il pas orienter davantage de capitaux vers la finance verte ? Il s'agit d'un enjeu important de transition, soyons donc proactifs !

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Le groupe Les Indépendants - République et Territoires approuve cette proposition de loi, qui, d'ailleurs, a été rédigée avant que l'inflation ne devienne si forte, ce qui en renforce encore l'intérêt.

J'ai déposé un amendement visant à empêcher l'application de frais sur les comptes des personnes défuntes. C'est une question de principe et de logique. Voilà un an, j'ai demandé à la Fédération bancaire française (FBF) ce qui justifiait l'application de frais sur des comptes qui sont, par définition, sans activité ; j'attends toujours une réponse... M. Maurey a déposé un amendement tendant à encadrer ces frais ; selon moi, il faut les interdire.

M. Pascal Savoldelli. - Ce texte est technique, mais il recèle des enjeux énormes, notamment pour le marché de l'assurance. Quels épargnants ciblez-vous au travers de cette proposition de loi ?

Le plus grand gestionnaire d'actifs du monde, BlackRock, parle d'« investissements durables ». Que désigne, selon vous, cette expression ? Ce sujet est d'importance, car BlackRock a l'intention de se substituer aux investisseurs institutionnels...

Par ailleurs, je me réjouis de l'amendement du rapporteur tendant à supprimer l'article 6, qui augmente les taux de la réduction de l'impôt sur le revenu pour la souscription au capital des PME (IR-PME). Le dispositif Madelin, une niche fiscale, a déjà été renforcé dans la loi de finances pour 2023.

Enfin, sur la transférabilité interne, dont les frais demeurent trop élevés, et sur la transférabilité externe, la proposition de loi me semble encore trop timide.

M. Christian Bilhac. - Je reçois périodiquement de ma banque des documents de deux pages m'expliquant en petits caractères les frais qui s'appliquent à mon compte, et ces documents sont loin d'être clairs ; je ne voudrais donc pas que l'on remplace ce recto-verso par un document de quatre pages... On me fournit par exemple, pour mon assurance vie, la « valeur brute en cas de rachat » ou la « plus-value potentielle » ; que m'importe ! L'information doit être personnalisée et compréhensible, en fonction de l'épargnant.

M. Rémi Féraud. - L'amélioration de la protection des épargnants est importante et utile ; elle s'inscrit d'ailleurs dans la suite des travaux réalisés par notre commission sur les frais bancaires, sur la capacité d'emprunt et sur d'autres sujets.

Néanmoins, il y a également, dans la proposition de loi, des aspects fiscaux. Je remercie les rapporteurs de proposer la suppression de l'article 6 ; même si c'est dans l'attente d'un rapport sur le sujet, cela change beaucoup l'appréciation que porte sur le texte le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui, au stade de la commission en tout cas, s'abstiendra. Cela dit, il reste des éléments relevant non de la protection des épargnants, mais de la fiscalité ; je pense aux articles 5, 7 et 8. En particulier, l'article 8 risque de susciter, même si la proposition de loi a été rédigée bien avant la réforme des retraites, certaines interprétations politiques défavorables. Êtes-vous prêts à revenir sur cet article ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Pourrait-on préciser la forme que doit prendre l'information des investisseurs ? Les banquiers ont l'art de fournir beaucoup de documents écrits en caractères microscopiques, que le client doit signer pour indiquer qu'il a été bien informé. Pensant avoir compris, il signe le document sans le lire, mais son information est incomplète. Serait-il possible de normer dans la loi le format de l'information, afin que l'objectif d'une information claire soit atteint ?

M. Vincent Segouin. - Monsieur Bilhac, en général, les documents comptent plutôt quatre à six pages, car il faut déclarer le profil du client, le cadre d'investissement, etc. Mais si les assureurs nous font remplir tous ces documents, c'est pour respecter les normes qui leur sont imposées. Or il y a maintenant tellement d'informations à donner que personne ne les lit plus. Il faut les simplifier.

J'en viens à l'article 7, relatif à la transférabilité des contrats. Le fait de permettre la transférabilité externe des contrats représenterait une révolution. Il faut le savoir, la durée moyenne de placement des fonds euro est de douze ans, ce qui permet aux acteurs de marché de placer les capitaux à long terme. Si l'on pouvait, demain, transférer son contrat après huit ans, les assureurs devraient réviser leurs plans d'investissement afin de fixer les placements sur huit ans. Serait-ce bon pour la dette de l'État ? Je vous laisse juges...

Le PER repose, comme l'assurance vie, sur des fonds euro et des unités de compte, et, c'est vrai, il y a transférabilité entre assureurs, parce que l'on estime qu'un investisseur peut s'être trompé de gestionnaire. L'assurance vie bénéficie d'avantages fiscaux importants à partir de huit ans. Je vais ici dans le sens des rapporteurs : je vois mal pourquoi on ne pourrait pas transférer son contrat d'assurance vie au-delà de huit ou douze ans, car on peut aussi se tromper de gestionnaire d'assurance vie.

M. Arnaud Bazin. - Je partage les propos sur la lisibilité de l'information. Trop d'information tue l'information, c'est connu.

Ma première question porte sur le poids des frais dans la performance de l'épargne : 17 % de performance captée par les frais à dix ans et 57 % à quarante ans ! C'est loin d'être intuitif ! Ces données proviennent-elles de simulations ou d'une analyse rétrospective ? Comment s'expliquent-elles ?

Ma seconde question porte sur les commissions de mouvement. À l'évidence, des conflits d'intérêts peuvent se faire jour. Or, quand on interroge les institutionnels sur leurs conflits d'intérêts et quand on dit vouloir les encadrer, ils mettent en avant leur code de déontologie et leurs procédures internes. Qu'en pensent les rapporteurs ?

M. Daniel Breuiller. - La clarification de l'information et la limitation des frais me semblent indispensables ; j'adhère d'ailleurs aux propos sur les comptes des défunts.

La langue bancaire est absconse et les documents de cinq ou six pages avec de petits caractères sont rebutants. Tout ce qui m'intéresse, comme épargnant, c'est combien la banque va prendre, combien je vais toucher, à quelle échéance et si j'ai la liberté de sortir. Il faudrait une note de synthèse.

Je me réjouis aussi de la suppression de l'article 6 proposée par les rapporteurs. Je m'interroge toutefois sur l'article 8 : dans le contexte actuel, il suscitera des discussions d'une autre nature que ce que les auteurs avaient en tête.

Je suis favorable à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, mais aussi au financement participatif, qui peut financer des projets vertueux. En imposant à ces projets des exigences excessives, n'allons-nous pas complexifier à l'extrême ce type de financement ? Ne faudrait-il pas prévoir des niveaux différenciés d'exigence selon l'ampleur et la nature des projets ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les sujets abordés dans la PPL ne sont pas seulement techniques en effet ; il s'agit de l'épargne des Français. D'ailleurs, je réponds par avance à Pascal Savoldelli, cette proposition de loi vise l'épargne de tous les Français : l'encours de l'assurance vie s'élève à 1 856 milliards d'euros, pour 18 millions d'assurés et 38 millions de bénéficiaires, avec un encours moyen de 44 000 euros en 2018 ; l'encours moyen de l'épargne retraite s'élève, lui, à 12 000 euros.

Christine Lavarde, sans aucun doute, nous ne nous sommes pas faits que des amis parmi les assureurs, car ils ne sont pas favorables à la transférabilité externe des contrats. Cela dit, nous n'avons pas eu d'éléments qui nous ont vraiment convaincus sur le risque de déstabilisation que cette transférabilité représenterait.

Vincent Segouin a rappelé que la transférabilité existe pour les PER, elle existe partout ailleurs. Simplement, chose étrange, l'assurance vie est le seul investissement pour lequel on est pieds et poings liés. Plusieurs d'entre vous ont évoqué la finance verte. Il y a dix ou douze ans, ces produits n'existaient pas et, même si l'on veut orienter aujourd'hui son épargne vers l'assurance verte, on ne peut pas changer d'assureur. Ce n'est pas normal que l'on perde l'avantage fiscal quand on change de compagnie. Cet obstacle à la transférabilité externe est une incongruité, donc les assureurs devront s'adapter, sans que le marché en soit d'ailleurs bouleversé, puisqu'il faudra attendre huit ans ; c'est dans l'intérêt des épargnants.

Marc Laménie demandait qui régule ce marché. Il y a deux acteurs : l'ACPR, qui contrôle les banques et les assurances, et l'AMF pour les produits d'investissements et financiers. Quant aux intermédiaires immatriculés auprès de l'Orias et qui commercialisent les produits, ils étaient au nombre de 71 300 fin 2021.

C'est vrai, la présentation des profils d'investisseur est décourageante ; cela procède de plusieurs exigences européennes, qui obligent à préciser si le client est un investisseur averti ou non, etc. C'est pénible pour les épargnants, je le reconnais, et cela devient illisible. En revanche, Monsieur Nougein, il n'est pas obligatoire d'investir en unités de compte. Les fonds euros sont privilégiés par les épargnants et, pendant longtemps, la performance du marché monétaire étant très faible, les assurances devaient doper leur performance avec leurs réserves, ce qui leur coûtait cher. Ils avaient alors intérêt à proposer des unités de compte, mais l'investisseur a toujours le choix.

Monsieur Canévet, effectivement, sans transférabilité des contrats, l'épargne ancienne ne peut pas vraiment s'orienter vers la finance verte. Permettre les transferts de contrats peut donc favoriser de tels produits.

Vanina Paoli-Gagin a soulevé la question des frais imposés sur les comptes des défunts ; je partage la philosophie de sa proposition, mais il faudra retravailler l'amendement, pour la séance publique.

Monsieur Savoldelli, j'ai répondu sur l'épargne ciblée. Je ne sais pas ce qu'est l'investissement durable, mais je sais en revanche que les fonds américains sont très intéressés par l'épargne française, qui est abondante. Il faudra donc que nos acteurs nationaux et européens se réveillent, sinon ils seront dépassés par les acteurs américains et les fintechs. Ils doivent offrir un panel plus large de produits et autoriser la transférabilité. Sans cela, les acteurs américains prendront le marché français. Dans cette perspective, nous proposons d'encadrer les frais de transfert et d'imposer un délai effectif de deux mois pour la transférabilité interne de l'assurance vie.

Christian Bilhac a souligné l'importance de l'information ; notre philosophie est en effet de rendre celle-ci lisible. On souhaite connaître non sa plus-value potentielle et le détail des frais, mais le montant total de ces derniers et la performance nette. En revanche, madame Vermeillet, le contenu des documents à fournir est d'ordre réglementaire, on ne peut pas aller jusqu'à déterminer le contenu des documents ; cela figurera dans un arrêté.

C'est vrai, monsieur Féraud, notre proposition de loi fait suite à des travaux sénatoriaux portant sur les frais bancaires, les contrats d'assurance vie, les contrats bancaires en déshérence, les questionnaires de santé pour les assurances emprunteur, l'interdiction des publicités pour des placements exotiques, etc. Bref, notre commission est très soucieuse de protéger l'épargnant et ce texte y participe.

Par ailleurs, je ne tiens pas forcément à insérer des dispositions fiscales dans cette proposition de loi. Il serait en effet prématuré de rehausser le dispositif Madelin alors que nous attendons une évaluation pour le mois de septembre 2023.

Je le reconnais, l'article 8 n'est pas nécessairement au coeur du sujet, je ne fais pas de lien entre cette proposition de loi et les retraites, nous verrons avec mon co-rapporteur, le sujet pourrait aussi être traité en loi de finances. Je suis pour ma part ouvert sur cette question, d'autant que l'enjeu est minime, il s'élève à 13 millions d'euros.

Madame Vermeillet, nous voulons un comparateur aussi transparent que possible et diffusé sur internet, avec l'ensemble des frais.

Vincent Segouin a évoqué le risque systémique de la transférabilité ; on nous avait dit aussi que la transférabilité de l'assurance emprunteur entraînerait l'effondrement du marché. Cela ne s'est pas produit. Là encore, les acteurs s'adapteront ; d'ailleurs, ils récupéreront aussi des contrats entrants ! Le risque n'a en tout cas pas été chiffré. Du reste, c'est vrai, la transférabilité existe effectivement sur le PER.

Monsieur Bazin, nos chiffres sont fondés sur des simulations s'appuyant sur les données de l'Autorité européenne des marchés financiers. Par ailleurs, vous avez raison, on nous oppose le code de déontologie, mais l'appât du gain existe aussi. Ce n'est pas forcément dans l'intérêt des épargnants de renouveler leur portefeuille mais cela peut être dans l'intérêt des gestionnaires, en raison des commissions de mouvement qui s'appliquent. Ces commissions sont d'ailleurs une exception française que les acteurs eux-mêmes ont eu du mal à défendre. Leur interdiction pure et simple s'impose donc.

Monsieur Breuiller, sur le financement participatif, nos dispositions sont la transposition de ce que l'ACPR demande déjà aux acteurs du financement participatif couverts par des obligations déclaratives au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Nous ne voulons nullement alourdir le processus. Simplement, nous voulons une harmonisation et éviter les « trous dans la raquette ».

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, les rapporteurs proposent un périmètre indicatif de la proposition de loi n° 586 tendant à renforcer la protection des épargnants. Ce périmètre comprend le niveau, l'encadrement et la transparence des frais imposés aux épargnants pour toutes les opérations réalisées sur des produits financiers, assurantiels et bancaires ; les mesures de nature à encourager le développement des fonds indiciels, des produits financiers publics et du capital investissement ainsi que des investissements défiscalisés dans les fonds propres des sociétés ; la fiscalité, la composition et la transférabilité des produits financiers, assurantiels et d'épargne retraite ; les dispositions visant à renforcer l'encadrement des acteurs et des intermédiaires du marché de l'épargne ; et les mesures de supervision, de contrôle, d'enquête et de sanction mises en oeuvre pour protéger les épargnants ainsi que les pouvoirs conférés à cet effet aux autorités administratives indépendantes et aux administrations compétentes (Autorité des marchés financiers, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement COM-10 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les amendements COM-2 et COM-1 rectifié sont relatifs à l'encadrement des frais appliqués sur les comptes des défunts. C'est un sujet majeur, mais ces amendements ne sont pas opérationnels. Il faut y retravailler d'ici à la séance. Je vous propose de les retirer et que nous travaillions ensemble.

L'amendement COM-2 est retiré, de même que l'amendement COM-1 rectifié.

Article 2

L'amendement COM-11 est adopté.

L'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3

L'amendement COM-12 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'amendement COM-13 est adopté.

L'article 4 est ainsi rédigé.

Après l'article 4

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-3 rectifié me semble satisfait.

M. Michel Canévet. - Il s'agit d'imposer aux organismes de fournir une information personnalisée et non générale, comme cela se fait pour les comptes courants.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Dans ce cas, je vous suggère de le retravailler d'ici à la séance.

M. Michel Canévet. - Je le retire et le redéposerai en séance.

L'amendement COM-3 rectifié est retiré.

Article 5

L'amendement COM-14 est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 5

L'amendement COM-15 est adopté et devient article additionnel.

Article 6

L'amendement de suppression COM-16 est adopté.

L'article 6 est supprimé.

Article 7

L'amendement COM-17 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-7 va dans le même sens que l'amendement COM-18 des rapporteurs, dont la rédaction est plus claire. Nous vous proposons donc de le retirer.

M. Claude Raynal, président. - Je le retire.

L'amendement COM-7 est retiré.

L'amendement COM-18 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 7

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Une partie des dispositions de l'amendement COM-4 rectifié relève du domaine réglementaire. Une autre est satisfaite par le droit existant, puisque l'article 3 de l'arrêté du 7 août 2019 portant application de la réforme de l'épargne retraite prévoit déjà que, « en cas de demande de transfert de droits individuels en cours de constitution sur un plan d'épargne retraite vers un nouveau gestionnaire », un délai de deux mois s'impose.

M. Michel Canévet. - Je le retire et le redéposerai en séance.

L'amendement COM-4 rectifié est retiré.

Les amendements COM-19 et COM-20 sont adoptés et deviennent articles additionnels.

Article 8

L'article 8 est adopté sans modification.

Article 9

L'amendement COM-21 est adopté.

L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 10

L'amendement de suppression COM-22 est adopté.

L'article 10 est supprimé.

Article 11

L'amendement COM-23 est adopté.

L'article 11 est ainsi rédigé.

Article 12

L'amendement COM-24 est adopté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 12

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous proposons le retrait des amendements COM-5 rectifié et COM-6 rectifié.

M. Michel Canévet. - Je les retire et les redéposerai en séance.

L'amendement COM-5 rectifié est retiré, de même que l'amendement COM-6 rectifié.

Les amendements COM-25, COM-26, COM-27, COM-28 et COM-29 sont adoptés et deviennent articles additionnels.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La réunion est close à 11 heures.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Sort de l'amendement

Article 1er

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

10

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 1er

Auteur

Sort de l'amendement

M. MAUREY

2

Retiré

Mme PAOLI-GAGIN

1

Retiré

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

11

Adopté

Article 3

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

12

Adopté

Article 4

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

13

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 4

Auteur

Sort de l'amendement

M. CANÉVET

3

Retiré

Article 5

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER
et HUSSON, rapporteurs

14

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 5

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

15

Adopté

Article 6

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

16

Adopté

Article 7

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

17

Adopté

M. RAYNAL

7

Retiré

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

18

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 7

Auteur

Sort de l'amendement

M. CANÉVET

4

Retiré

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

19

Adopté

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

20

Adopté

Article 9

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

21

Adopté

Article 10

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

22

Adopté

Article 11

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

23

Adopté

Article 12

Auteur

Sort de l'amendement

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

24

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 12

Auteur

Sort de l'amendement

M. CANÉVET

5

Retiré

M. CANÉVET

6

Retiré

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

25

Adopté

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

26

Adopté

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

27

Adopté

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

28

Adopté

MM. de MONTGOLFIER et HUSSON, rapporteurs

29

Adopté

Proposition de loi visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant la proposition de loi visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement, déposée le 19 décembre 2022 par notre collègue Ronan Dantec, présent parmi nous, et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Notre calendrier est resserré, puisque vous m'avez nommé rapporteur il y a deux semaines et que le texte sera examiné en séance le 2 février prochain.

Cette proposition de loi nous alerte sur un phénomène désormais bien connu, que nombre d'entre nous avons constaté dans nos territoires et qui a constitué un sujet important de débat lors de l'examen du dernier projet de loi de finances (PLF) : le développement des résidences secondaires et ses effets sur le marché local de l'immobilier, en particulier sur la possibilité d'accès au logement pour les résidents permanents.

La France comprenait 3,7 millions de résidences secondaires en 2021, pour 30,7 millions de résidences principales. Sur le long terme, le nombre des résidences principales et secondaires évolue de manière comparable, mais, depuis 2010, on constate une accélération du nombre des résidences secondaires, qui a augmenté de 16,5 %, contre moins de 10 % pour les résidences principales. La proportion de résidences secondaires est particulièrement élevée sur le littoral atlantique et en Corse ; leurs propriétaires sont souvent des personnes qui habitent à titre principal dans une autre région et qui ont des revenus plus élevés que les résidents locaux.

Comme le montrent les études de l'Insee, le développement des résidences secondaires accentue les tensions sur le marché du logement, surtout dans les zones où la population augmente. Les prix immobiliers subissent une pression à la hausse, obligeant ceux qui travaillent dans les communes touristiques à résider eux-mêmes de plus en plus loin. Cette situation doit toutefois s'apprécier en fonction des territoires, car les résidences secondaires constituent aussi une source d'attractivité et d'enrichissement pour l'économie locale, en particulier là où la densité de population est moins importante. Il faut donc se garder d'une vision uniforme selon laquelle le développement des résidences secondaires serait systématiquement défavorable aux résidents locaux.

Face à ce phénomène, la fiscalité locale a évolué significativement, au cours des dernières années, en défaveur des résidences secondaires par rapport aux résidences principales. Je distinguerai deux mesures.

En premier lieu, la taxe d'habitation a été supprimée progressivement sur les résidences principales. Depuis le 1er janvier, elle ne s'applique qu'aux résidences secondaires. On ne parle donc plus que de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS).

En second lieu, la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a étendu le périmètre dans lequel s'applique la taxe sur les logements vacants : or, dans le même périmètre, les communes peuvent appliquer une majoration de 5 % à 60 % à la THRS. Ce périmètre se limitait auparavant à des zones tendues de plus de 50 000 habitants ; désormais, la majoration de THRS pourra être décidée dans des communes situées dans des zones d'urbanisation plus petites, spécifiquement dans celles où le taux de résidences secondaires est élevé. Toutefois la liste de ces communes n'est pas connue à l'heure qu'il est, car le décret d'application n'a pas encore été pris.

En 2021, 1 136 communes étaient situées dans le zonage de la taxe sur les logements vacants ; 233 d'entre elles avaient instauré une majoration de THRS et, parmi elles, 43 communes avaient choisi d'appliquer la majoration maximale de 60 %. Lorsque le nouveau zonage sera connu, des milliers de communes recourront probablement à cette possibilité, en particulier dans les principales zones touristiques littorales et de montagne.

Le développement des résidences secondaires est donc un phénomène avéré et qui doit être pris en compte dans les politiques du logement.

Certains pays ont d'abord pris des mesures assez radicales : en Suisse, une loi dite « Lex Weber », adoptée par référendum en 2012, limite à 20 % la proportion des résidences secondaires dans chaque commune, ce qui a freiné un grand nombre de projets. Nous n'avons pas pris de mesure du même type en France, mais la règle de « zéro artificialisation nette » (ZAN) pourrait avoir un effet tout aussi important, aussi bien sur les résidences principales que sur les résidences secondaires.

Cette proposition de loi a un objectif plus mesuré en apparence, puisqu'il s'agit surtout d'apporter à certaines catégories d'acteurs publics - les régions et les établissements publics fonciers locaux - les moyens d'accomplir leur mission en matière de politique du logement et d'aménagement.

Les deux articles sont similaires dans leur dispositif. Ils prévoient la création de deux taxes additionnelles à la THRS : la première serait instituée au profit de la région, sur délibération du conseil régional (article 1er) ; la seconde serait reversée aux établissements publics fonciers (EPF) locaux ou à l'Office foncier de Corse (article 2).

Dans les deux cas, ce n'est pas l'ensemble du territoire qui est visé, mais uniquement les zones dans lesquelles peuvent s'appliquer la taxe sur les logements vacants et la surtaxe de THRS, c'est-à-dire les zones tendues, notamment touristiques. En outre, la taxe de l'article 2 ne s'appliquerait que dans le périmètre des EPF locaux, c'est-à-dire sur une part très limitée du territoire national, car la plupart des territoires sont couverts uniquement par un EPF d'État ou ne sont couverts par aucun EPF. Le taux de chacune de ces taxes pourrait varier de 0 % à 25 % de la valeur locative, en fonction des délibérations du conseil régional ou du conseil d'administration de l'EPF.

Comme pour toute taxe, il convient de se demander si l'objectif est d'influencer les comportements ou de fournir des ressources aux autorités et établissements destinataires.

Comme l'indique l'exposé des motifs, il s'agit d'abord de taxes de rendement, qui visent à apporter des ressources aux régions et aux EPF locaux.

En ce qui concerne l'influence sur les propriétaires de résidences secondaires, il est plus difficile à déterminer a priori. On peut penser que beaucoup d'entre eux ne mettront pas en location de manière permanente leur logement parce que le taux de taxation aura augmenté. Il est possible toutefois que certains fassent le choix d'acquérir une résidence secondaire dans une zone où ces taxes ne seront pas instituées, ce qui pourrait avoir un effet sur la politique locale de logement. Or, l'un des principaux obstacles que je vois à ces dispositions est celui de la cohérence des actions des différentes autorités en matière de logement.

Si l'État conserve une part essentielle dans la définition de la politique du logement, notamment des aides de guichet, la mise en oeuvre locale de la politique du logement relève pour l'essentiel des communes et des intercommunalités, même si la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a attribué aux régions une compétence pour promouvoir « le soutien à l'accès au logement et à l'amélioration de l'habitat, le soutien à la politique de la ville et à la rénovation urbaine ». Quant aux EPF, cette proposition de loi leur conférerait pour la première fois la possibilité de décider sur quelle catégorie de contribuables - en l'occurrence les propriétaires de résidences secondaires - leurs ressources devraient être prélevées.

Ainsi, le taux de ces taxes s'appliquerait de manière indifférenciée sur l'ensemble des zones tendues à l'intérieur d'une même région ou du ressort d'un même EPF, alors que les conditions locales et les stratégies des communes et intercommunalités peuvent varier. Je crains donc qu'il n'y ait un risque d'interférence ou de manque de cohérence dans la mise en oeuvre de la compétence « logement » à l'échelon local.

De surcroit, cette ressource n'est assortie d'aucune obligation d'utilisation : rien ne garantirait donc, surtout dans le cas des régions, qu'elle serait effectivement utilisée pour la production de logements. J'ai d'ailleurs interrogé les régions : elles ne sont en rien demandeuses de cette ressource.

Du point de vue du contribuable, les nouvelles taxes et la hausse brutale de la taxe d'habitation que celles-ci entraîneraient seraient certainement difficiles à comprendre. Un logement taxé aujourd'hui à 30 % ou 40 % pourrait être taxé désormais à 80 % ou 90 %, avec l'ajout de nouvelles lignes sur l'avis d'imposition. C'est beaucoup et le risque d'inconstitutionnalité est très élevé, eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État.

Pour autant, je suis d'accord avec les auteurs de la proposition de loi pour affirmer la nécessité de définir un meilleur modèle de financement de la politique du logement, notamment de permettre aux établissements publics fonciers d'assurer leurs missions, qui iront croissant au cours des années à venir. Les EPF participent aux programmes Action Coeur de ville et Petites Villes de demain, à la réhabilitation et à la dépollution de friches ou encore à la constitution de réserves foncières pour les collectivités... Le fonds friches a été fondu dans un fonds vert, dont la mise en oeuvre est désormais aux mains des préfets de région, ce qui laisse peu de visibilité sur les montants qui seront effectivement mis à la disposition des collectivités, alors même que les premières « vagues » de décaissement de ce fonds ont permis de traiter les projets les plus simples ; les projets à venir seront plus coûteux et complexes. De manière générale, la mise en oeuvre du ZAN va entraîner, mécaniquement, une raréfaction de la ressource foncière et il est important que les collectivités locales puissent s'appuyer sur ces établissements.

Or, la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui constituait l'une des assiettes de la taxe spéciale d'équipement destinée aux EPF, a conduit à la création d'une dotation budgétaire de compensation. Faut-il conserver cette dotation, la renforcer ou au contraire envisager une ressource fondée sur une assiette locale et moins soumise aux arbitrages annuels de l'État ? C'est aussi l'une des questions sous-jacentes à cette proposition de loi.

La question est importante, mais la réponse me semble prématurée et la taxation des résidences secondaires doit s'apprécier dans un périmètre plus large : le financement de la politique locale du logement et de l'aménagement.

Ainsi, il faut laisser vivre les évolutions de fiscalité introduites par la loi de finances pour 2023, c'est-à-dire la possibilité de majorer la THRS, qui va être accordée précisément aux territoires visés par cette proposition de loi. En outre, la proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au coeur des territoires, rédigée par une mission conjointe réunissant quatre commissions permanentes, doit être examinée prochainement par le Sénat : elle pourrait modifier les conditions concrètes dans lesquelles s'applique la mise en oeuvre de ce principe, donc son examen devrait être un préalable à la définition des moyens à donner aux collectivités et à leurs établissements pour atteindre cet objectif.

Pour ce qui se rapporte enfin plus spécifiquement aux EPF, j'aborderai justement la question de leur financement au cours des mois à venir, à l'occasion d'un contrôle budgétaire dont la commission m'a confié la charge.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de ne pas adopter les deux articles de la proposition de loi. Cela permettra d'avoir le débat en séance puisque le Sénat l'examinera alors dans sa rédaction initiale.

M. Ronan Dantec, auteur de la proposition de loi. - Je remercie Jean-Baptiste Blanc de son analyse, dont je partage une partie des conclusions.

J'ai une conviction profonde : l'accès au logement est le principal facteur de déstabilisation de la société française, via deux phénomènes : la baisse du reste à vivre, à cause du renchérissement du prix du logement depuis la fin des années 1990, et l'incapacité à vivre dans sa commune de choix ou de naissance. Que les gens riches aient une maison plus grande que les pauvres, c'est dans la nature des choses depuis toujours ; que les ménages modestes ne puissent plus vivre dans leur communauté de vie traditionnelle, c'est plus récent. Nous sommes dans une situation d'urgence. Des communes ont connu une augmentation de 15 % à 20 % des prix du logement en deux ans.

Cette proposition de loi n'est donc pas relative aux résidences secondaires, c'est une proposition de loi sur l'accès au logement et sur les moyens de renforcer notre action dans ce domaine.

Je ne détaille pas les chiffres. Jean-Baptiste Blanc l'a rappelé, le nombre de résidences secondaires augmente plus vite que le nombre de logements produits en France, ce qui réduit d'autant le nombre de logements disponibles pour la résidence principale.

D'abord, depuis la loi NOTRe, les régions ont bien une compétence logement. Vous dites qu'elles ne sont pas demandeuses, monsieur le rapporteur, mais c'est plus compliqué : certaines sont intéressées, d'autres moins. En tout état de cause, les régions se demandent si elles doivent prendre un rôle plus important d'animation de la politique de logement. Le ZAN et l'importance prise par le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) vont amener les régions à s'y intéresser de plus en plus. L'Occitanie, par exemple, finance de plus en plus le logement social. D'où l'article 1er de la proposition de loi, qui donne plus de moyens aux régions, mais de manière optionnelle, dans le respect de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, afin de permettre aux régions volontaires de consacrer plus de moyens au logement social ou à l'ingénierie.

Pour les EPF locaux, qui soutiennent clairement ce texte, les choses sont plus simples. Ils ont déjà des résultats, mais ils ne peuvent plus répondre aux demandes des communes, notamment des petites, pour les réhabilitations de coeur de bourg. Des EPF locaux, comme dans le Pays basque ou en Loire-Atlantique, montrent leur efficacité. Aujourd'hui, quelque 5 millions de Français sont couverts par les établissements publics fonciers locaux (EPFL), dont les besoins de financement sont urgents. Avec 2 millions d'euros issus du fonds friche, l'EPFL de Loire-Atlantique a créé plus de 500 logements.

En instaurant le taux maximal proposé dans cette proposition de loi, qui reprend la proposition de Philippe Bas lors de l'examen du PLF, les fonds propres de l'EPFL de Loire-Atlantique passeraient de 10 millions à 25 millions d'euros, soit une capacité d'action de 100 millions d'euros par an, compte tenu du financement bancaire. C'est significatif. Or, je le rappelle, le nombre de logements disponibles en résidence principale diminue.

Je distingue bien les deux articles. Jean-Baptiste Blanc est réservé sur le premier et indique que la seconde proposition est prématurée, ce qui vaut presque approbation tacite... Il faut augmenter les moyens des EPFL, et il faut le faire d'urgence. La question est la suivante : faut-il les augmenter par la fiscalité ? Cela signifierait que la totalité des biens assujettis à la taxe spéciale d'équipement subirait la hausse des taux ; cela concernerait les entreprises et l'ensemble des ménages. Comme les résidences secondaires contribuent à la déstabilisation de l'accès au logement, centrer ce financement sur celles-ci serait une meilleure solution.

M. Christian Bilhac. - Les zones rurales ne sont pas dans la même situation que le littoral et les stations de ski. Dans le milieu rural, la résidence secondaire est la maison familiale ; cela ne concerne pas des gens riches. D'ailleurs, si ces résidences appartiennent pour un tiers à des ménages aisés, cela signifie que pour deux tiers, elles appartiennent à des ménages modestes. En outre, en milieu rural, les résidences secondaires représentent une source de revenus pour le tissu artisanal et commercial local. Ne tapons donc pas trop dessus...

M. Albéric de Montgolfier. - Toutes les résidences secondaires ne se situent pas sur le même plan : dans les zones rurales, c'est une chance pour l'économie et, dans les zones tendues, notamment urbaines, c'est une source de tension qui érode le marché des résidences principales. Cette proposition de loi apporte-t-elle une réponse spécifique à la question des locations saisonnières de courte durée, qui sont un véritable problème ?

M. Claude Nougein. - Il est proposé une majoration de la THRS, pouvant aller jusqu'à 60 %, dans certaines zones. Qu'en est-il des résidences secondaires qui ne sont pas à proprement parler des résidences secondaires ? Certaines personnes habitent en province, mais doivent travailler dans une métropole et doivent s'y loger trois ou quatre nuits par semaine. La résidence secondaire de ces personnes sera assujettie à cette majoration, c'est une injustice totale ! Chacun travaille là où il peut...

Mme Isabelle Briquet. - Ce texte aborde une véritable problématique pour l'accès au logement. L'idée de doter les collectivités territoriales de ressources complémentaires pour agir dans le domaine du logement est bonne, mais le fléchage régional ne nous semble pas opportun. Le groupe SER déposera donc des amendements sur ce point.

Le dispositif prévu pour les EPF va dans le bon sens, même si la réponse est partielle. Je rejoins les propos du rapporteur : il faut redéfinir le mode de financement des EPF. Par ailleurs, je regrette que cette proposition de loi ne concerne que les zones tendues.

M. Vincent Segouin. - Sur la cible, je rejoins les propos de MM. de Montgolfier et Nougein : il faut distinguer les résidences principales des résidences secondaires et des gîtes ou locations par Airbnb. Dans ma région, les résidences secondaires se sont beaucoup développées, mais elles constituent une ressource pour le territoire. En outre, elles ne deviendront pas une résidence principale, car les propriétaires sont parisiens. Cela étant dit, les locations saisonnières sont un problème. Biarritz a perdu beaucoup d'habitants, car tout y est loué par Airbnb ; on ne peut y être insensible. La cible de ce texte me semble mal définie.

J'en viens à la question de la taxation. Il serait possible d'aller jusqu'à 86 % de la valeur locative. Cela signifierait que l'on deviendrait locataire de l'État pour un logement dont on est propriétaire ; c'est inouï.

M. Claude Raynal, président. - La valeur locative n'est pas le loyer...

M. Philippe Dominati. - La résidence secondaire des Parisiens se situe souvent dans leur région d'origine ; les Parisiens sont tous d'anciens provinciaux. Cette résidence est donc le lieu d'attache sentimentale avec la province d'origine, une charge supplémentaire permettant de garder le patrimoine familial. Je propose de faire un rapprochement avec la notion d'électeur. Les Parisiens continuent de voter dans leur ville d'origine, via leur résidence secondaire. Il faudrait peut-être exonérer de toute taxation ceux qui votent dans leur ville d'origine, car ils font un choix de coeur.

M. Daniel Breuiller. - Je suis co-signataire de cette proposition de loi. Il y a un sujet que l'on ne peut pas évacuer : aujourd'hui, un étudiant ou un jeune couple ne peut plus s'installer en Bretagne, à Paris, en Corse ou à Biarritz. Nous voulons donc donner des moyens aux élus ; libre à eux ensuite de s'en saisir ou non. Le Sénat revendique de donner aux collectivités territoriales la capacité d'agir. Nous n'imposons rien, nous donnons la capacité d'agir, notamment via les EPFL, d'autant que le ZAN va accroître le problème. Nous défendons justement le fait que les gens puissent vivre dans le territoire de leur choix.

Effectivement, la location saisonnière de courte durée est un problème important.

Cette proposition de loi modeste nous semble consensuelle, notamment dans son article 2, qui ne nous semble pas prématuré, car la situation est très tendue et ces tensions nourrissent des idées extrêmes.

M. Pascal Savoldelli. - Il faut respecter l'intitulé de la proposition de loi : ce n'est pas un texte sur les résidences secondaires, c'est une proposition de loi pour renforcer les moyens des collectivités territoriales en matière de politique du logement. La motivation des auteurs de ce texte est tout à fait légitime. C'est un véritable sujet, qui touche à la mixité sociale, à la disponibilité du foncier, à l'accès au logement. Nous soutenons le texte.

Je suis néanmoins dubitatif sur l'article 1er. C'est l'aspect optionnel qui me dérange. Il faut être directif. À la fin du mois de mars prochain, les départements procéderont au relevé triennal de l'application de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et les communes carencées et sanctionnées continueront de l'être, je le crains. La région n'a pas directement de compétence en matière de logement, elle ne peut que soutenir. Or, eu égard à leur taille colossale, elles ne pourront pas agir avec précision. Nous nous abstiendrons donc sur cet article.

En revanche, nous réfléchissons sur l'article 2. Tout ce qui encourage l'accès au logement et la mixité nous paraît bon à prendre.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je serai rapide, mais je reste à la disposition de chacun pour répondre plus précisément aux questions.

Pour résumer, les auteurs du texte posent de véritables questions, mais il y a deux bémols : les régions ne sont pas en demande à ce stade, même si leur renforcement va dans le sens de l'histoire, et le dispositif sur les EPF est prématuré, car nous allons également discuter de la proposition de loi ZAN en mars. Cette séquence sera suivie d'autres travaux sur le financement et la fiscalité du ZAN ainsi que sur les EPF. J'associerai bien sûr nos collègues à ces travaux.

M. Claude Raynal, président. - Conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le rapporteur propose que le périmètre indicatif de la proposition de loi que nous examinons comprenne toutes dispositions fiscales relatives à la taxation des résidences secondaires et toutes ressources fiscales destinées aux régions et aux établissements publics fonciers ayant pour objectif le financement des actions en matière de logement et d'aménagement.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

La réunion est close à 11 heures.

La réunion est ouverte à 11 heures.

Audition de M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables (ANC)

M. Claude Raynal, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République pour être nommé président de l'Autorité des normes comptables (ANC), en remplacement de Patrick de Cambourg, celui-ci ayant été nommé président du conseil sur le reporting de durabilité au sein du groupe consultatif européen sur l'information financière (Efrag).

L'ANC est issue de la fusion en 2009 du Conseil national de la comptabilité et du comité de la règlementation comptable. Elle intervient dans la détermination des règles comptables nationales et représente la France auprès des instances internationales chargées de l'élaboration des normes comptables internationales.

Ainsi, l'autorité donne un avis sur toute disposition législative ou réglementaire contenant des mesures de nature comptable et elle établit, en vue de leur homologation par le ministre chargé de l'économie, les règlements comptables applicables aux entreprises.

Depuis l'année dernière, un comité sur l'information de durabilité des entreprises a été formé au sein de l'ANC, chargé de répondre aux consultations européennes et internationales sur le sujet. Il s'agit à titre principal de se doter d'une formation pour travailler aux réponses à l'Efrag dans le cadre de la définition des informations exigées des entreprises en application de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises.

En application de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette audition sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées. Le dépouillement sera effectué après le vote, votre audition par l'Assemblée nationale s'étant déroulée plus tôt dans la matinée.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables (ANC). - Le Président de la République m'a effectivement pressenti pour présider l'ANC à la suite de Patrick de Cambourg, que votre commission a auditionné il y a deux ans dans le même cadre qui nous réunit aujourd'hui ; ma présidence, si vous la confirmez, s'inscrira dans la continuité de ce que Patrick de Cambourg vous avait alors présenté.

L'ANC, créée en 2009, a trois grandes missions. Elle doit, d'abord, établir, sous forme de règlements, les prescriptions comptables générales et sectorielles que doivent respecter les personnes physiques ou morales soumises à l'obligation légale d'établir des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée et donner un avis sur toute disposition législative ou réglementaire contenant des mesures de nature comptable applicables à ces personnes. Elle peut, ensuite, émettre, de sa propre initiative ou à la demande du ministre chargé de l'économie, des avis et prises de position dans le cadre de la procédure d'élaboration des normes comptables internationales. Elle est chargée, enfin, de coordonner et de faire la synthèse des travaux théoriques et méthodologiques conduits en matière comptable, et de proposer toute mesure dans ces domaines.

La montée en puissance des informations « extra-financières » à fournir et leur normalisation progressive sous l'appellation d'informations de durabilité ont conduit l'ANC à couvrir ce domaine, très complémentaire des informations financières. De même que l'International financial reporting standards (IFRS) a désormais deux jambes, avec l'International Accounting Standards Board (IASB) pour la comptabilité financière et l'International Sustainability Standards Board (ISSB) pour des normes et l'information sur la durabilité, l'Efrag a désormais un Financial Reporting Board et un Sustainability Reporting Board, ce qui a conduit le ministre de l'économie et des finances à demander à l'ANC de créer un Comité sur l'information de durabilité ; la transposition de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité des entreprises, dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), donne l'opportunité d'inscrire cette mission dans la loi.

L'ANC, c'est donc d'abord le normalisateur comptable français pour les quelque 5 millions d'entités qui suivent les normes nationales pour établir leurs comptes sociaux ; et le dynamisme dans l'exercice de cette mission fonde sa légitimité nationale et internationale. Au-delà du travail courant d'actualisation des normes françaises en fonction des nouveaux instruments et des nouvelles circonstances, la question se pose de poursuivre, de conclure ou d'engager des travaux plus ambitieux. Je pense à certaines approches sectorielles, par exemple dans les secteurs financiers, banques et assurances, pour qui les normes françaises sont anciennes et parfois décalées par rapport aux pratiques actuelles. Je pense également au développement d'une approche plus principielle du « plan comptable général », qui a fait l'objet d'un travail important à règles constantes par l'ANC mais dont on mesure rapidement les limites normatives lorsqu'on le compare aux approches internationales. Les débats autour de la notion de chiffres d'affaires illustrent la difficulté d'une telle démarche, en particulier son articulation avec l'approche fiscale. Le système fiscal français est « moniste » : les comptes sociaux constituent la base de détermination du résultat imposable des entreprises et, en traduisant la réalité économique de l'activité de l'entité, les normes comptables ne devraient pas conduire à des divergences significatives avec l'approche fiscale. Renforcer la connexion fiscalo-comptable doit donc rester un axe de travail majeur de l'ANC. Mais une telle démarche ne peut être fructueuse qu'en réunissant toutes les parties prenantes : l'administration fiscale mais aussi les entreprises, des plus petites, très attachées à une convergence et à une stabilité des normes à des fins de sécurité juridique et de simplification, aux plus grandes entreprises, qui établissent leurs comptes consolidés selon le référentiel comptable international de l'IASB et qui recherchent plutôt une convergence entre les règles applicables à leurs comptes annuels et celles de leurs comptes consolidés à des fins de simplification opérationnelle. La simplification ne veut donc pas dire la même chose selon la taille de l'entreprise.

Cela me conduit naturellement à évoquer ces normes internationales qui s'appliquent aux comptes consolidés des entreprises de l'Union européenne cotées sur un marché réglementé, soit environ 500 entreprises en France, contre 5 millions d'entités soumises aux normes françaises. L'UE a décidé de ne pas développer ses propres normes mais de retenir celles de l'IASB et de les intégrer au cadre réglementaire européen après une procédure d'homologation qui se fait sur avis de l'Efrag et peut, exceptionnellement, se traduire par l'introduction d'options alternatives spécifiquement européennes ; ce fut le cas récemment pour la norme IFRS 17 sur les contrats d'assurance avec la faculté (carve-out) de ne pas retenir pour certains contrats une approche en cohortes annuelles qui met à mal le principe de mutualisation des risques, l'un des fondements de nos dispositifs d'assurance.

Le défi pour l'ANC est donc d'être efficace le plus en amont possible via un dialogue nourri avec l'IASB. Mais notre force de conviction est naturellement d'autant plus forte que nos positions sont partagées par nos partenaires de l'Union puisque l'UE est le principal utilisateur de ces normes internationales. Les débats au sein de l'Efrag sont donc essentiels pour peser sur l'élaboration des normes IASB et éviter d'avoir à s'engager dans la voie toujours délicate du carve-out, de l'exception.

Or, si l'on peut considérer qu'en matière de normes comptables internationales, l'essentiel a été fait ou est clôturé - je pense en particulier à l'amortissement des survaleurs qui a été, une nouvelle fois, écarté - des dossiers sensibles restent en cours. Ainsi, la présentation des états financiers eux-mêmes, va relever d'une norme qui est cours de finalisation ; de même, le renforcement des informations à fournir dans le cadre des tests de dépréciation est à l'étude et fait suite, d'une certaine manière, à l'abandon de l'idée d'introduire un amortissement des survaleurs. Il y a également les revues périodiques à venir sur des normes récemment mises en oeuvre qui, sans contenir de changements majeurs, appellent une attention soutenue, que ce soit la norme sur le chiffre d'affaires (IFRS 15) ou sur les contrats de location (IFRS 16).

Dans tous ces travaux, nous devons bien entendu favoriser la pertinence de l'approche et promouvoir la qualité de l'information donnée aux tiers, mais il faut également mesurer l'incidence de la norme sur la compétitivité de nos acteurs économiques. L'approche de l'IFRS privilégie souvent les investisseurs, les marchés, en leur procurant des informations les plus détaillées possibles. L'approche américaine est paradoxalement plus mesurée. Il peut donc y avoir un déséquilibre concurrentiel avec des niveaux hétérogènes de détail sur les informations concernant la marche des affaires. Il convient donc d'être vigilant pour garder le bon équilibre et éviter de rendre publiques de façon inappropriée des informations commercialement ou juridiquement sensibles.

Nous devons désormais traiter le sujet nouveau et lourd de la normalisation extra-financière dans le cadre de la directive CSRD et des travaux de l'ISSB au niveau international. Les défis sont nombreux dans ce domaine. D'abord finaliser le cadre normatif européen et assurer sa bonne déclinaison en France, ensuite assurer au minimum sa compatibilité avec les normes internationales et avec les normes nationales de nos principaux partenaires.

La France a joué un rôle moteur pour développer une normalisation européenne ambitieuse. La réglementation couvre clairement et de façon homogène en Europe les trois champs de l'environnement, du social et de la gouvernance, là où certains se limitent encore à l'environnement, voire au climat - l'ISSB en est seulement à finaliser ses normes sur le climat pour mars prochain ; la réglementation européenne a une dimension prospective puisqu'il est demandé une description des objectifs, assortis d'échéances, que s'est fixé l'entreprise en matière de durabilité. La réglementation européenne prend en compte, pour l'environnement mais aussi pour le social, le concept de double matérialité - matérialité financière et matérialité d'impact - sur l'ensemble de la chaîne de valeur, donc au-delà du périmètre de la comptabilité financière, et couvre donc les besoins de l'ensemble des parties prenantes et pas seulement celles intéressées sur les risques pesant sur la valeur de l'entreprise. Elle a un périmètre qui va au-delà des entités d'intérêt public - les EIP qui sont en gros les sociétés cotées sur un marché réglementé, les banques et les assurances dès lors qu'elles ont plus de 500 salariés - et couvre l'ensemble des grandes entreprises au sens des définitions européennes, c'est-à-dire celles dont les effectifs moyens annuels sont de plus de 250 personnes, soit environ 8 000 entreprises ; cela permet de couvrir une très large part de nos activités économiques, proche des deux-tiers, et ne constitue pas une incitation supplémentaire pour les sociétés à se retirer des marchés réglementés, puisque les informations à fournir sont les mêmes. La réglementation européenne prévoit un mécanisme d'assurance sur les informations de durabilité ; certes, dans une première étape ce ne sera qu'une assurance limitée, mais l'étape de l'assurance raisonnable est d'ores et déjà prévue et tout cela sera encadré de façon homogène. Enfin, cette réglementation a une dimension extraterritoriale en s'imposant aux entités de pays tiers qui ont une activité significative dans l'UE.

La directive CSRD, qui avait fait l'objet d'un accord en trilogue sous présidence française, a été publiée au Journal Officiel de l'Union Européenne le 16 décembre dernier. Il faut encore, cependant, la transposer dans les 27 ordres juridiques nationaux et prendre des textes d'application au niveau européen, rapidement puisque les obligations pèsent sur les comptes 2024 - et il faut également prendre des dispositions de ce qu'on a coutume d'appeler le niveau 2 de l'ordre juridique de l'Union, pour donner une dimension plus opérationnelle à ces normes. Ces normes techniques sont donc proposées par l'Efrag puis prises par la Commission européenne s'il n'y a pas d'objection ; douze projets de normes ont déjà été proposés par l'Efarg, à mettre en oeuvre avant la mi-2023, c'est important. Il reste à fournir les normes sectorielles, les normes concernant les PME et les normes pour les établissements des pays tiers.

Cet effort de normalisation est considérable et mobilisera les forces vives de la place notamment lorsqu'il s'appliquera à l'ensemble des grandes entreprises, à savoir en 2026 au titre de l'exercice 2025 et qu'il conviendra d'avoir des rapports d'assurance modérée puis raisonnable d'auditeurs externes. Cependant, nombre de nos entreprises ont une activité qui dépasse le périmètre de l'UE ; il importe donc que les normes qu'elles auront à appliquer dans l'Union soient compatibles et proportionnées avec celles que peuvent imposer les autres juridictions pour éviter les approches multiples et assurer une concurrence équilibrée. Cela passe d'abord par la compatibilité et proportionnalité avec les normes internationales en cours d'élaboration à l'ISSB, les premières normes sur le climat étant attendues pour fin mars prochain. Cependant, nous ne savons pas encore quels États adopteront les normes de l'ISSB, tout en sachant d'ores et déjà que les États-Unis ne le feront pas.

Le sujet est d'autant plus sensible que la réciproque ne sera pas vraie entre les normes ISSB, européennes et états-uniennes. Le CSRD prévoit une possible équivalence des régimes de pays tiers en matière de durabilité, à l'image des régimes d'équivalence en matière d'information financière, mais cette équivalence ne peut être reconnue que si ces normes de pays tiers couvrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, et qu'elles respectent le principe de double matérialité. Autant dire que ni les normes ISSB ni les normes envisagées aux États-Unis ne pourront être reconnues.

Comment relever tous ces défis ? La clef me semble être d'abord de bien structurer l'organisation de la place pour élaborer des positions argumentées, mesurer les conséquences des diverses options, mettre en évidence les difficultés d'application, proposer les clarifications utiles ; l'ANC est le lieu d'échange privilégié entre les entreprises et leurs parties prenantes, tout particulièrement les experts comptables et commissaires aux comptes. Il faut également assurer une fluidité de nos échanges avec nos partenaires de l'Union et des pays tiers afin de comprendre leurs approches et mettre en évidence des alignements d'intérêts.

L'ANC ne comptant qu'une vingtaine d'agents, elle doit, pour atteindre ses objectifs, mobiliser toutes les forces vives de la place autour de ses priorités. Sa structure actuelle avec le Collège, les deux commissions des normes privées et des normes internationales, son Forum d'application des normes comptables internationales, son Comité sur l'information de durabilité et ses divers groupes de travail sur des sujets ciblés, sont les outils d'une telle mobilisation et la participation de l'agence aux travaux des autres Autorités - Autorité des marchés financiers (AMF) et Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en particulier - renforcent la cohérence des approches.

Pour poursuivre et amplifier cette dynamique, il nous faut disposer effectivement d'une équipe permanente d'experts de haut niveau, capables d'animer les groupes de travail ; il nous faut dépasser le cercle des très grandes entreprises car, on le voit, s'agissant des normes françaises ou des reporting de durabilité, le périmètre des sociétés concernées est très vaste, des PME pourraient être nombreuses à suivre le mouvement. Il nous faut une coordination très forte avec les diverses autorités nationales, y compris l'administration fiscale pour limiter au maximum les demandes reconventionnelles et les approches parallèles : les informations fournies par les états comptables et le reporting de durabilité doivent permettre de couvrir la quasi-totalité des besoins, n'en ajoutons pas. Nous devons également soutenir la recherche comptable ; c'est une des missions de l'ANC et il faut être ambitieux dans ce domaine car c'est en s'appuyant sur une recherche de qualité qu'on gagne le débat d'idées, en particulier sur le plan international. Nous gagnerions aussi à inscrire dans la loi la mission de l'ANC concernant les normes d'information de durabilité des entreprises, elle relève actuellement d'un courrier du ministre alors que les travaux de l'ANC en la matière concernent tout l'écosystème lié aux normes comptables. Il nous faut, enfin, élaborer un nouveau plan stratégique détaillé sur nos priorités pour les trois prochaines années ; je m'y attacherai avec le nouveau Collège si vous confirmez ma nomination. Je serai prudent aujourd'hui, car un plan stratégique n'est pas celui d'une personne mais celui du collège, qui représente les parties prenantes de la place, il faut amorcer une dynamique.

Permettez-moi d'être bref sur mes qualités pour assumer la présidence de l'ANC et être à la hauteur des enjeux que je viens d'évoquer.

J'ai réalisé l'intégralité de mon parcours professionnel dans le secteur public : j'ai rejoint la Banque de France immédiatement à la fin de mes études en février 1981 et l'ai quittée en août 2017 pour présider l'AMF avec un mandat de cinq ans non renouvelable.

Sans être un professionnel de la comptabilité, j'ai accumulé au cours de ma carrière des connaissances comptables et j'ai eu, au cours de ces dix dernières années, des interactions fréquentes avec l'ANC. J'ai passé huit années au contrôle des institutions financières, composante comptable significative, j'ai également passé une dizaine d'années à la direction financière de la Banque de France, à une époque où nous avons « normalisé » les traitements comptables de l'Institut d'émission, introduit la certification de nos comptes et réformé notre système de retraites en mettant en place un suivi rigoureux de l'engagement de retraites sur la base des normes internationales (norme IAS 19). La normalisation de la comptabilité de la Banque de France est passée par l'élaboration d'une approche comptable commune entre les banques centrales de l'Eurosystème afin de permettre notamment le partage du revenu monétaire. Mes cinq années à la présidence de l'AMF m'ont plongé dans la communication financière des émetteurs de titres, donc essentiellement sur la base des normes IFRS à l'AMF et à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), ainsi que sur la communication extra-financière, dite désormais de durabilité, à l'AMF, à l'ESMA ainsi qu'à l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) qui s'est finalement saisie du sujet en 2019.

J'ajoute que j'assure aujourd'hui la responsabilité du projet français de candidature de Paris pour accueillir la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment, l'AMLA. L'UE change de braquet en créant cette nouvelle autorité dont la vocation sera de garantir une application homogène de la réglementation contre le blanchiment d'argent.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette présentation, qui aurait pu faire l'économie de votre carrière tant nous connaissions déjà bien votre parcours. Nous avons en effet eu plusieurs fois l'occasion de travailler avec vous.

M. Antoine Lefèvre. - La dotation budgétaire de l'ANC, portée par la mission « Économie », est assez limitée : de l'ordre de 2 millions d'euros. Après l'AMF, vous prendriez la tête d'une structure bien moins imposante, que je qualifierais de « plateforme » de travail et d'échange. Considérez-vous nécessaire de renforcer les moyens de l'ANC ou bien l'autorité vous semble-t-elle parvenir de façon satisfaisante à ses objectifs avec les moyens dont elle dispose ?

Alors que la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, dite CSRD, aura des conséquences majeures sur les obligations de publications extra-financières des entreprises, quel est, selon vous, le rôle que doit jouer l'ANC en matière de normalisation extra-financière ?

Considérez-vous que la prise en compte des enjeux sociaux et écologiques doive conduire à des évolutions des normes comptables applicables aux informations financières ? La liaison entre informations financières et informations non financières me semble indispensable - Patrick de Cambourg évoquait à ce sujet une logique de « fertilisation croisée » : qu'en pensez-vous ?

Considérez-vous que l'Union européenne et a fortiori la France, ne sont pas assez représentées au sein de l'IASB et que le cadre international des normes comptables soit encore trop déterminé sur le modèle anglo-saxon ? Quels sont les moyens de renforcer notre influence et le nombre des représentants ?

M. Robert Ophèle. - L'ANC compte une vingtaine d'experts, c'est suffisant pour mettre les différents intérêts autour de la table, sachant que l'autorité n'a pas vocation à se substituer à ces parties, elle n'est pas un superviseur et n'a aucun pouvoir de sanction, comme c'est le cas d'autorités administratives comme l'AMF. L'ANC se cantonne à un rôle de normalisation, ses moyens viennent directement du ministère et à ses côtés, il y a le collège, avec un président indépendant et des moyens abondés par le ministère et par un fonds de concours alimenté par les entreprises et les professionnels du chiffre. Ce fonds de concours devient insuffisant, car les missions augmentent mais aussi parce que des entreprises ne contribuent pas à hauteur de ce qui a été convenu, il faut donc revoir le calibrage, compte tenu des besoins nouveaux - et aussi pour financer la recherche comptable, il faut aller au-delà de ce que nous faisons aujourd'hui en la matière.

La France applique la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, dite CSRD, plutôt qu'une norme nationale, ce choix a au moins deux conséquences : pour peser, il lui faut que la France soit influente sur le sujet au niveau européen, et que l'écosystème français soit pris en compte. Les liens avec l'information financière constituent un enjeu très bien relevé par mon prédécesseur - l'expression de « fertilisation croisée » est heureuse mais il faut bien voir que la réflexion ne fait que commencer en la matière. Les normes de durabilité ont une incidence directe et importante pour évaluer les actifs, par exemple pour savoir s'ils vont perdre ou gagner de la valeur du fait des changements liés à la réglementation ou encore à la tarification ou à la taxation du carbone, tout ceci est désormais financiarisé et nous avons besoin de cohérence. C'est pourquoi il n'est pas illégitime que ceux qui certifient les comptes, donnent aussi les informations sur la durabilité, cela n'avait rien d'évident compte tenu du débat sur le champ de l'audit et la concentration de ce marché - certains estiment qu'il ne faut pas étendre encore le champ d'intervention de l'audit, c'est un débat.

Les normes anglo-saxonnes l'emportent-elles ? Je dirais que l'influence de la France et de l'UE progressent, nous avons des débats avec l'IASB, la France fait partie, avec l'Allemagne, de groupes de travail communs et je crois que l'IASB a compris qu'elle ne pouvait négliger l'UE, qui est le principal acteur à avoir rendu les normes IFRS obligatoires, alors qu'elles sont optionnelles sur les autres continents. Il faut donc continuer ce travail fructueux avec nos alliés européens et dans le reste du monde.

M. Éric Bocquet. - Lors d'une audition devant notre commission il y a dix ans, Jérôme Haas, qui présidait l'ANC, avait marqué la différence qui existait entre les normes comptables des deux côtés de l'Atlantique, et les conséquences des nouvelles normes comptables européennes adoptées en 2002 pour le contrôle des comptes consolidés des groupes internationaux, ces règles étant différentes de celles, plus cartésiennes, que nous appliquions en France.

Je cite le compte rendu de l'audition : « Pour nous, le résultat, c'est la différence entre deux flux, ce que l'on dépense et ce que l'on gagne. C'est simple et sûr. Selon la comptabilité internationale, le résultat réside dans la différence entre deux bilans dans lesquels peuvent se trouver des choses non réalisées. On n'est plus dans un monde où les chiffres sont sûrs, mais dans un monde où ils doivent tout dire. Or, en disant tout, ils disent également des choses fausses. Ce qui n'est pas vrai, c'est ce qui porte sur l'avenir, la seule chose que l'on sache de l'avenir étant qu'on n'en sait rien ! Si on comptabilise l'avenir, on comptabilise des hypothèses. Plus il y a d'hypothèses, moins ce que l'on dit est crédible et tous ceux qui doivent prendre des décisions sur cette base risquent de se tromper. » Jérôme Haas poursuivait « Cette différence entre le réalisé et le non réalisé est un sujet très important. J'ai mis un certain temps avant de trouver que c'est ce qui nous sépare vraiment de nos amis anglo-saxons. Ils affirment que ce qui n'est pas réalisé est très important - engagement, créances etc. Ils n'ont pas tout à fait tort de vouloir tout dire, mais dire est une chose, le comptabiliser comme un résultat en est une autre. Il faut, selon nous, comptabiliser ce qui est effectivement dénoué. C'est le code civil qui le dit. On fait bien la distinction entre ce qui est sûr et ce qui est potentiel. »

Ce propos m'avait d'autant plus frappé que Jérôme Haas faisait un lien entre cette différence de normes comptables et la crise financière que nous avions vécue en 2008. Ce décalage entre les normes prévaut-il encore ? Ou bien a-t-on fait des progrès vers une harmonisation, qui devrait accompagner le fait que l'économie financière, elle, est devenue planétaire ?

M. Marc Laménie. - Merci pour cette présentation pédagogique. L'ANC a peu d'effectifs, avec une vingtaine d'agents : comment, dans ces conditions, travailler avec les territoires ? Comment irriguer, mailler le territoire, y compris avec les experts-comptables, dont notre économie a tant besoin ? Et quid de la simplification des normes ?

M. Didier Rambaud. - Vous évoquez la lutte contre le blanchiment, mais qu'en est-il de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale ? Nous avons bien progressé ces dernières années, avec en particulier la levée du verrou de Bercy, le rapprochement avec la Chancellerie, la convention multilatérale internationale - cependant, il reste beaucoup à faire, on parle de 20 milliards d'euros à récupérer : qu'en pensez-vous ? Quelles pistes pour aller plus loin contre l'évasion fiscale ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Je m'interroge sur l'incidence des écarts de normes comptables sur la concurrence entre les entreprises françaises et américaines. La façon de comptabiliser du crédit-bail, par exemple : nous en faisons un financement à part entière, pas les Américains, le ratio de l'aide sur les capitaux propres s'en trouve mécaniquement changé, au désavantage de nos entreprises. Quelle est la part des normes dans ces désavantages concurrentiels ? Nos normes me paraissent plus logiques, mais quel en est le préjudice pour notre économie ? Et n'avons-nous, finalement, pas d'autre alternative que de courir derrière les normes américaines, pour limiter la distorsion, ou bien peut-on réellement valoriser notre modèle plus prudent et vertueux ?

Mme Christine Lavarde. - Avec l'adoption de la maquette M57 et bientôt la certification des comptes, les collectivités territoriales basculent progressivement vers un système de reporting analogue à celui des entreprises privées. Or, nous savons bien que les collectivités territoriales ont des activités que les commissaires aux comptes ont du mal à retracer, par exemple les subventions d'investissement. Les entreprises doivent faire une fiche pour chaque subvention qu'elles versent - les collectivités territoriales seraient bien en peine de devoir le faire, sauf à recruter des comptables en grand nombre juste pour faire ces fiches. Quel rôle allez-vous jouer pour que les certificateurs prennent en compte ce nouvel acteur que sont les collectivités territoriales ?

M. Robert Ophèle. - Le lien avec les territoires et les collectivités territoriales, avec le tissu économique en général, s'établit à travers des canaux privilégiés : les experts-comptables, bien sûr, et la Banque de France, présente dans les territoires et qui fait des notations, en prenant désormais en compte la durabilité, ce qui coïncide avec les critères européens. Ces indicateurs s'appliquent-ils aux collectivités territoriales ? Quand on parle de double matérialité, on vise l'incidence sur la valeur financière, mais aussi l'impact, lequel ne dépend pas de la structure juridique, donc les collectivités territoriales sont concernées. Est-ce possible, concrètement ? On ne va tout prendre en compte, car le suivi a un coût, le suivi doit donc être proportionné : si l'impact est marginal, on ne va pas le suivre. Il y a une entité spécialisée sur les normes publiques, installée dans le bâtiment voisin de celui de l'ANC, je pense que nous aurons des débats fructueux sur ces questions.

Ensuite, en matière de comptabilité des entreprises, de quelles normes parlons-nous ? Il faut comprendre qu'en Europe, les règles pour établir les comptes sociaux ne sont pas uniformes, les Allemands et les Français, par exemple, n'utilisent pas les mêmes, avec parfois des différences sensibles, dans le calcul du bénéfice social par exemple. L'IASB prend en compte les besoins des investisseurs, donc des marchés, qui s'intéressent aussi au non réalisé, avec un niveau de détails important - les informations sont très loin, alors, du simple cash flow. En France, les comptes consolidés sont établis avec le réalisé, il y a donc des écarts, l'objet n'est pas le même. Après la crise de 2008, on a voulu uniformiser les normes, nous n'y sommes pas parvenus, d'abord parce que les Américains n'en veulent pas, et nous avons constaté que les objectifs ne sont pas les mêmes quand on examine les choses de près. Il y a donc des décalages dans les normes internationales, avec des conséquences sur la concurrence et Jérôme Haas avait raison dans son expression. Les normes sont-elles pro-cycliques ? Certainement, on le voit aussi en matière boursière. C'est ce qui justifie que le président de l'ANC soit membre du conseil de stabilité financière (CSF), car le prix de marché fluctue fortement, et le mouvement va s'accentuer, voyez les titres d'État britannique. L'adhésion à des normes communes reste cependant un trésor, qu'il faut faire prospérer.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le candidat, nous vous remercions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Robert Ophèle aux fonctions de de président de l'Autorité des normes comptables (ANC), simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Le résultat du scrutin est le suivant :

Nombre de votants : 20

Bulletins blancs ou nuls : 1

Suffrages exprimés : 19

Pour : 19

Contre : 0

La réunion est close à 12 h 10.

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Scénarios de financement des collectivités territoriales - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes de M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Mme Mathilde Lignot-Leloup, conseillère maître à la Cour des comptes et M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué finances de la commission administration générale de Régions de France (RF)

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi nos travaux sur l'enquête réalisée par la Cour des comptes, à notre demande, sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

Après la présentation du rapport par son Premier président au début du mois d'octobre dernier, et l'audition, la semaine dernière, de représentants d'élus du bloc communal, nous auditionnons aujourd'hui Régions de France (RF), puis l'Assemblée des départements de France. Il ne s'agit pas de présenter à nouveau dans le détail les travaux de la Cour, dont vous avez déjà pu prendre connaissance. Il convient cependant de souligner que l'une des idées majeures qui se dégagent du rapport de celle-ci est de concentrer la fiscalité locale, ou du moins ce qu'il en reste, sur le seul bloc communal.

De nouvelles sources de financement sont envisagées pour les autres strates de collectivités, comme un partage de l'impôt sur le revenu avec les départements ou de l'impôt sur les sociétés (IS) avec les régions.

Ces auditions sont l'occasion de connaître les observations des représentants des régions et des départements sur ce sujet ainsi que sur les autres propositions et pistes esquissées par la Cour, par exemple en matière de gouvernance des finances locales ou de simplification de la fiscalité transférée.

Notre première audition de l'après-midi est consacrée aux régions. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué Finances de la commission Administration générale de Régions de France. Je remercie également le président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, M. Christian Charpy, et la rapporteure générale de la formation commune qui a préparé cette enquête, Mme Mathilde Lignot-Leloup, de s'être rendus à nouveau disponibles pour participer à nos échanges.

Je tiens par ailleurs à excuser notre rapporteur général.

Monsieur Perrin, nous avons évidemment souhaité prendre une initiative sur le sujet du financement des collectivités territoriales, c'est en effet une litote que de dire que les élus locaux ont du mal à trouver des convergences en la matière. On peut le comprendre : chacun a d'abord en vue de préserver son domaine. Les seuls points sur lesquels nous convergeons tous, c'est, premièrement, la nécessité de tout changer et, deuxièmement, le fait que nous ne savons pas comment nous y prendre.

Le Parlement a jugé utile de poser un acte, un acte courageux, consistant à prendre un « tiers de confiance » pour exposer un certain nombre de points de vue, puis, éventuellement, à mettre sur la table une proposition avec des éléments qui nous paraissent suffisamment intéressants pour que nous poursuivions la réflexion le plus loin possible.

Avec cette audition, nous avons l'objectif de bien comprendre le point de vue de Régions de France sur ce qui s'est déjà passé pour les régions, dont le mode de financement a été très largement chamboulé dans les années passées - nous nous souvenons tous des cris d'orfraie que la peur du changement avait suscités. On a l'impression, peut-être fausse, que la question du financement des régions ne se pose plus dans les mêmes termes désormais, compte tenu du fait que l'on a limité vraiment très fortement leurs capacités d'autonomie fiscale.

Comment les régions relisent-elles cette période aujourd'hui ? Quelles réflexions vous inspirent les propositions de la Cour ?

M. Charles Guené, rapporteur. - Je veux adresser mes remerciements à la Cour, pour la qualité du travail qu'elle nous a fourni, et à vous, monsieur Perrin, pour être venu devant nous aujourd'hui évoquer ces sujets.

Je travaille particulièrement sur la gouvernance des finances locales. Comme l'a souligné la Cour, la question de la nécessité d'une sorte de nouvelle gouvernance systémique se pose, à plus forte raison dans un contexte où le partage d'impôts nationaux a pris une part importante dans le financement des collectivités territoriales.

Le rapport envisage soit la création d'une autorité indépendante, soit une transformation du Comité des finances locales (CFL). Lors de la réunion que nous avons eue avec vos collègues du bloc communal, ces derniers étaient plutôt favorables à une évolution du CFL. Quelle est votre préférence sur ce point ?

Il est vrai que toutes vos ressources n'étaient pas nécessairement en adéquation avec vos compétences. Se profile notamment l'idée d'un transfert de l'impôt sur les sociétés. Comment envisageriez-vous la répartition de cet impôt : territorialisé au niveau des régions ou réparti au plan national en fonction de critères de développement économique du territoire régional ?

M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne, président délégué Finances de la commission Administration générale de Régions de France. - Vous avez utilisé, monsieur le président, l'expression « tiers de confiance ». Nous dialoguons fréquemment avec la Cour - j'étais encore auditionné par elle ce lundi. Le rôle de la Cour, dans ces exercices où il faut commencer par objectiver une situation de départ, nous paraît essentiel. La mobilisation de la disposition de la Lolf que vous avez évoquée me semble donc tout à fait opportune, et j'espère, à titre personnel, qu'elle fera école et que le rôle de la Cour en tant que tiers de confiance sera bien identifié.

Dans ces périodes où il faut tout changer, il faut au moins se mettre d'accord sur les termes du débat. Dans la période récente, sur la situation financière des régions, par exemple, nous avons parfois eu des difficultés à nous mettre d'accord sur les constats de départ, et c'est la Cour qui, finalement, a été le juge de paix. C'est essentiel pour débuter les discussions en projet de loi de finances (PLF) ou de loi de finances rectificative.

Je veux donc saluer le rôle de la Cour ainsi que votre initiative, d'autant plus bienvenue que le modèle de financement des régions est appelé à mourir à court terme. La crise et l'inflation que nous connaissons ont été un puissant accélérateur de cette marche vers la mort du système de recettes des régions. En effet, pour une bonne part, nos recettes sont assises sur de la fiscalité liée à l'automobile : part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et taxe sur la carte grise, qui est notre dernier levier fiscal, à hauteur de 10 % des recettes des régions - c'est donc un tout petit levier fiscal.

Pourquoi ce système est-il mort ? Il était, déjà, absurde. En effet, les mobilités collectives - ferroviaire, trains express régionaux (TER), transport interurbain - sont l'une des compétences majeures des régions. Or, par hypothèse, plus nous allons développer le transport collectif, moins nous allons susciter de besoins en véhicules automobiles et en carburants. Par conséquent, plus nous mènerons des politiques vertueuses, moins nous aurons de recettes.

Nous allons connaître des diminutions très fortes du produit de la taxe sur la carte grise, liées au fait que le marché de l'automobile s'effondre - nos décisions modificatives de fin d'exercice 2022 et la construction des budgets pour l'année 2023 le reflètent. À cela, plusieurs facteurs : augmentation du coût des véhicules, arrêt des aides pour l'achat d'un véhicule... De fait, ce secteur était fortement mobilisateur de crédits publics. Tout cela, que ce soit sur le véhicule neuf ou, par effet de bord, sur le véhicule d'occasion, explique qu'il y ait beaucoup moins de transactions, donc beaucoup de pertes de recettes. S'y ajoute l'ambition européenne de fin du véhicule thermique à l'horizon 2035. L'assiette va donc fondre, puis disparaître complètement. Quelques régions, dont la mienne, vont relever le taux de la taxe sur la carte grise cette année pour compenser les effets de l'inflation, mais c'est une fuite en avant : plus l'assiette va fondre, plus nous allons devoir augmenter le taux. Nous savons très bien que cela ne nous mènera nulle part.

Le modèle de recettes est donc appelé à mourir. Il va falloir en changer à très court terme pour les régions, sans quoi nous serons dans l'incapacité de financer les politiques publiques, que ce soit en fonctionnement ou en investissement.

Vous m'avez appelé, monsieur le président, à faire un retour sur le passé. Il se trouve que j'ai vécu la bascule de la dotation globale de fonctionnement (DGF) vers la TVA pour les régions. Cette bascule nous a offert un bol d'air frais, sa dynamique étant sans commune mesure avec les perspectives d'évolution de la DGF, qui avait beaucoup diminué. Ainsi, si nous parvenons à assumer, pour 2022, les puissants surcoûts liés à l'inflation - factures d'énergie de nos lycées, factures d'électricité sur les mobilités, factures de carburant des mobilités par car -, c'est parce que nous avons eu, cette année-là, une bonne dynamique de TVA. Je le dis de manière très claire : cette bascule a été la bienvenue, quand bien même elle ne nous a pas redonné de l'autonomie fiscale. Cependant, il faut bien dire que la dynamique de la TVA est annulée par l'évolution de la fiscalité sur l'automobile, qui est appelée à diminuer.

Pour l'année 2023, nous anticipons une dégradation de l'épargne des régions, car la dynamique de TVA ne sera pas au niveau de 2022, et encore moins des années précédentes. Dans le même temps, nous aurons toujours cette attrition des recettes sur la fiscalité automobile. Nous anticipons plutôt une dégradation du solde.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Malgré une bonne dynamique d'évolution de la TVA cette année ?

M. Stéphane Perrin. - Je m'en suis ouvert auprès de la Cour pas plus tard que lundi. Pour 2023, nous anticipons, en année pleine, un surcoût lié à l'inflation, en additionnant les lycées, les TER, le transport interurbain et l'effet point d'indice sur la masse salariale, de 977 millions d'euros pour l'ensemble des régions, et un surplus de recettes à hauteur de 786 millions d'euros, que nous calculons pour l'instant uniquement sur le surplus de TVA - nous partons d'une hypothèse de stabilité sur la carte grise et les certificats d'immatriculation, alors que l'on aura vraisemblablement une baisse. Le solde serait donc négatif d'environ 200 millions d'euros. En 2022, la situation était inverse, avec plus de 1,1 milliard d'euros de recettes supplémentaires du fait d'une très bonne dynamique de TVA, contre 957 millions d'euros de surcoût en dépenses, donc un solde globalement positif, même si, comme la Cour l'avait établi - c'est en cela que j'évoquais un rôle de tiers de confiance -, la région était le seul niveau de collectivité à ne pas avoir retrouvé son niveau d'épargne d'avant-covid. De fait, c'est le niveau de collectivité qui a été le moins accompagné au cours de cette crise, hormis les 600 millions d'euros de soutien à l'investissement, qui doivent cependant être mis en regard des 2,4 milliards d'euros de hausse de l'investissement des régions sur la même période, liés à leurs politiques volontaristes.

Comme le modèle de recettes paraît dépérir au fil du temps, nous risquons d'avoir une difficulté à terme, qui se traduira, non par un surendettement des régions, mais par une diminution de l'investissement, alors que nous n'avons pas encore ouvert le volet « mobilité » des contrats de plan État-région (CPER), par exemple, et que les besoins en la matière sont extraordinairement importants.

La période passée nous inspire donc à la fois la satisfaction d'avoir cette recette de TVA et le constat que le modèle de recettes, au global, ne nous permet pas d'assumer les politiques publiques en tendance longue, l'inflation et à la crise économique ayant accéléré les choses.

Il est vrai que nous n'avons quasiment plus d'autonomie fiscale. Nous avons inauguré le modèle, aujourd'hui largement répandu, de l'affectation d'une part d'impôt national. Celui-ci ouvre des questions qui dépassent largement ma condition d'élu régional, pour s'adresser aux représentants de la nation que vous êtes. D'une part, la TVA est un impôt qui présente des inconvénients compte tenu de son caractère régressif. Surtout, le fait que l'État soit aujourd'hui attributaire d'une part minoritaire du produit de la TVA et la généralisation d'un système où les collectivités sont affectataires d'une part d'impôt national interrogent sur la capacité qu'aura l'État à financer ses propres politiques publiques.

On voit bien que les choix de politique fiscale cherchent un peu à faire disparaître l'impôt. On a beaucoup recours aux impôts indirects. On réduit les assiettes. On supprime la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour ne plus avoir d'impôt sur la production. Quoi que l'on pense de ces choix, le système qui consiste à affecter aux collectivités une part d'impôt national sera-t-il tenable dans le temps ? L'État aussi a besoin de financer ses politiques publiques ! Ce sont des choix qui appartiennent au Parlement, puisque c'est lui qui est décisionnaire en dernier ressort sur les lois de finances.

M. Claude Raynal, président, rapporteur spécial. - Quand le « 49.3 » n'est pas déclenché...

M. Stéphane Perrin. - Quoi qu'il en soit, c'est une vraie question. Il faut aussi avoir ces choses à l'esprit quand on choisit un scénario de financement. Pour ma part, je m'interroge sur l'opportunité de réduire les assiettes que l'on souhaite imposer ou de distribuer les produits d'impôts entre plus de bénéficiaires au moment même où la demande d'investissement et les besoins découlant des compétences régaliennes de l'État sont très forts, mais je répète que ces choix appartiennent avant tout aux représentants de la nation, même si nous en supporterons les effets en dernier ressort.

Partant de là, la question se pose du modèle vers lequel nous devons aller. La proposition que fait la Cour a globalement reçu l'assentiment de Régions de France, comme la présidente Carole Delga a eu l'occasion de le dire. En effet, l'impôt sur les sociétés est plus en lien avec nos compétences que les recettes que nous pouvions avoir jusqu'à présent. La Cour a souligné la complexité et la faible lisibilité du système. Il existe des bizarreries, comme la compensation par des parts de TICPE de dépenses relatives à l'apprentissage. Tout cela devient très tortueux. La sédimentation née de la succession de réformes rend le panier de recettes complètement illisible pour les citoyens et parfois même pour les élus. Il est donc probablement temps de passer à autre chose aussi pour des raisons démocratiques.

L'affectation d'une part d'impôt sur les sociétés appelle deux précisions.

Premièrement, avec la TVA et l'impôt sur les sociétés, nos recettes seraient intégralement liées à la conjoncture économique. Autrement dit, dans les périodes de retournement économique, l'ensemble de nos recettes connaîtrait une dépression, puisque nous n'aurions pas de « fiscalité de stock », alors même que les régions ont aujourd'hui des compétences en matière de service à la population - sur les mobilités, sur la formation professionnelle, sur les lycées -, qui, elles, ne sont pas dépendantes du cycle économique.

Comment assure-t-on le financement des politiques en période de vaches maigres ? Une des demandes formulées par Carole Delga, qui n'a pour l'instant pas été suivie en loi de finances, mais qui paraîtrait d'autant plus nécessaire dans un nouveau modèle tel que celui que propose la Cour, est d'avoir a minima la capacité de mettre en réserve la dynamique, comme cela a été fait pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) des départements. Si j'ai bien compris, ces derniers ont activement mobilisé ce système. Nos collègues élus des départements savent bien qu'ils sont dépendants du marché de l'immobilier alors même qu'ils ont des politiques pérennes à financer, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou le revenu de solidarité active (RSA). Un mécanisme prudentiel paraît donc absolument indispensable, au moins pour préserver les capacités d'intervention en période de crise.

Deuxièmement, vous avez posé la question, monsieur le rapporteur Charles Guené, de la gouvernance, de la codécision, de la territorialisation. Il est clair que, dans le modèle proposé, les régions, qui avaient exprimé une demande de codécision dans leur livre blanc, n'auraient pas d'autonomie fiscale. L'organisation territoriale et l'organisation fiscale d'un État sont deux choses distinctes. J'ai l'habitude de citer l'exemple de notre voisin allemand, où les Länder n'ont pas forcément d'autonomie, mais sont dans un dialogue avec l'État fédéral sur l'attribution des parts d'impôt national. Il faudrait, a minima, créer les conditions de ce dialogue, qui, il faut bien le dire, n'existe pas aujourd'hui.

J'ai siégé au CFL le jour de la présentation du projet de loi de finances : les ministres y viennent l'après-midi consacrer une heure à sa présentation, après la réunion du conseil des ministres du matin. Autant dire que l'on a peu de temps pour poser des questions ! Le PLF vit ensuite sa vie parlementaire.

Il faut que nous puissions avoir un espace de discussion, d'échange et de codécision qui n'existe pas aujourd'hui, dans un format à définir. Dans le processus de révision constitutionnelle qui avait été engagé, l'idée a circulé d'une loi de financement des collectivités territoriales, mais votre collègue Françoise Gatel m'avait expliqué que cette solution pouvait être piégeuse, y compris pour les collectivités. Le lieu de discussion que nous appelons de nos voeux peut être un CFL rénové, mais il faudra alors en regarder la composition avec précision : si les collectivités y sont minoritaires, l'exercice s'avérera assez rapidement vain et décevant. Cela ne créerait pas la confiance que nous recherchons, ce qui constituerait une difficulté.

La solution peut passer par la contractualisation, mais évidemment pas sur le modèle des contrats de Cahors - qui n'étaient d'ailleurs pas des contrats - ou du dispositif proposé il y a peu, qui reposait sur une norme de dépenses de fonctionnement à respecter.

En revanche, l'intérêt d'une contractualisation globale, intégrant un volet financier mais pas uniquement, est indéniable. Elle serait envisageable dans le cadre d'expérimentations et selon des mécanismes de différenciation à définir, même si j'ai des doutes sur le fait que l'État y soit prêt.

Je comprends parfaitement que le Gouvernement s'efforce prioritairement de crédibiliser la trajectoire budgétaire de nos finances publiques - après tout, régions et État sont dans le même bateau -, mais je suis convaincu de la nécessité d'une contractualisation plus dense que par le passé. C'est d'autant plus vrai que, si l'on porte un regard rétrospectif sur les contrats de Cahors - cet exercice inutilement vexatoire -, on observe que les régions, qu'elles les aient signés ou non, ont toutes, sans exception, respecté leur trajectoire budgétaire.

Cela étant, une contractualisation plus poussée impliquerait que l'État mette en place les outils nécessaires, y compris à l'échelon local, pour piloter les politiques conduites dans le cadre de ces contrats. Or l'actuel ministre des comptes publics a qualifié de « micro-management » le fonctionnement des contrats de Cahors. Un dialogue entre les présidents de régions et les préfets, ça ne s'appelle pas du « micro-management », ça s'appelle la République. Ces propos m'ont choqué, car une contractualisation efficace suppose un État déconcentré bien « outillé » et ouvert au dialogue.

Réfléchir à la territorialisation du financement des régions nécessite de s'interroger en parallèle sur les mécanismes de péréquation à mettre en oeuvre, même si le panier actuel des recettes des régions rend moins utile un tel travail, même si nous l'avons fait.

La territorialisation est, par ailleurs, très complexe à mettre en place, comme l'a prouvé le transfert d'une part de la CVAE aux régions. Elle peut notamment créer des effets de siège, auxquels on ne pourra échapper qu'en mettant en place une grille de lecture efficace et des critères qui permettent d'éviter des distorsions supplémentaires.

Pour Régions de France, je le redis, le travail engagé par votre commission est d'autant plus opportun que le dossier du financement des régions doit absolument trouver une issue dès l'examen du prochain projet de loi de finances, surtout en raison des graves problèmes de financement de la compétence « mobilité ».

Le fonctionnement de ce volet, qui découle de la coordination et de l'articulation entre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), pose un vrai sujet : nos concitoyens ne comprendraient pas que l'on maintienne l'actuel fractionnement des opérateurs, alors que les déplacements, notamment professionnels, ont très souvent lieu d'un territoire à un autre et que les besoins en termes de mobilité s'accentuent. Ce point mérite qu'une réflexion plus poussée soit menée en urgence.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Je vous remercie pour ce propos clair et structuré.

M. Stéphane Sautarel. - Ma question est simple : si l'on créait un nouveau panier d'impôts dédié aux régions, qui repose sur une fraction des impôts nationaux que sont l'impôt sur les sociétés et la TVA, quel devrait être selon vous le taux de cette part régionalisée ? Une telle hypothèse a-t-elle un sens pour vous ?

Je partage votre avis sur la nécessité d'une contractualisation plus large entre l'État et les régions, ainsi que vos inquiétudes concernant le financement des AOM, d'autant que la contribution des régions aux CPER dépend directement de la capacité d'autofinancement de celles-ci. Notre commission a d'ailleurs décidé de créer une mission d'information sur le sujet.

M. Michel Canévet. - Avez-vous identifié des ressources fiscales qui permettraient d'accroître l'autonomie fiscale ou financière des collectivités, objectif auquel nous sommes tous attachés ici et corollaire indispensable d'une responsabilisation des élus ?

M. Marc Laménie. - Le sujet abordé est essentiel tant les collectivités territoriales investissent dans de nombreux domaines.

Concernant une question qui m'intéresse plus particulièrement, celle de l'intervention des régions dans le secteur ferroviaire, je tiens à rappeler les importants efforts réalisés par les collectivités pour renouveler les matériels, maintenir et gérer les infrastructures de réseaux. Les investissements existent : quid des recettes ? Quelles ressources devraient, selon vous, être perçues par les régions, hormis la TVA et éventuellement l'IS ? Enfin, pensez-vous que la fusion des régions a eu des effets positifs en matière de mobilité ?

M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes. - Tout d'abord, je tiens à dire que nous sommes tout à fait conscients des difficultés financières que pourraient rencontrer à terme les régions du fait d'une fiscalité essentiellement assise sur les hydrocarbures - la TICPE et la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules. C'est du reste l'une des raisons pour lesquelles nous considérons qu'il est préférable que l'État prenne en charge lui-même ces deux taxes, et plus généralement les impôts et taxes dont la part a vocation à diminuer ou qui fluctuent beaucoup, plutôt qu'il les verse directement aux collectivités locales. Nous estimons, en effet, que l'État a des capacités de réaction et d'emprunt plus importantes que ne le sont celles des collectivités.

Ensuite, j'ai eu plaisir à entendre M. Perrin dire que l'impôt national partagé n'était pas nécessairement une abomination. La TVA, pour prendre cet exemple, est un impôt relativement dynamique et très résilient aux crises, puisqu'il repose essentiellement sur la consommation des ménages. Je reconnais que l'on peut émettre davantage de réserves concernant l'IS, dont les fluctuations sont plus significatives.

Il conviendrait peut-être de réfléchir à des mécanismes de « mise en réserve », qui sont certes quelque peu contraires aux principes généraux des finances publiques, mais qui permettraient d'avancer sur un sujet sur lequel il est urgent de trouver des solutions.

S'agissant de la territorialisation de l'IS, je suis moi aussi très attentif aux effets de siège que M. Perrin a mentionnés. En territorialisant complètement cet impôt national, on favoriserait de fait les régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, quand d'autres régions seraient très pénalisées. Une telle réforme conduirait à la mise en place de mécanismes de péréquation très lourds.

Cela étant, je suis conscient qu'il est difficile d'inciter une région à favoriser le développement économique sur son territoire, tout en ne lui permettant pas d'en tirer profit au niveau de ses ressources. C'est pourquoi nous avions imaginé deux hypothèses : la première consiste à chercher des modes de répartition qui poussent à la création d'entreprises - pourquoi ne pas imaginer qu'une part de l'IS soit répartie en fonction du nombre d'entreprises créées ? La seconde repose sur la mise en place d'un taux complémentaire d'IS. La difficulté, dans ce dernier scénario, est que les acteurs économiques sont très mobiles et qu'ils risquent de se déplacer en fonction de l'application ou non d'un tel taux dans les territoires.

Par ailleurs, je souhaite insister sur la question de l'instance de concertation et de dialogue qui, dans notre esprit, doit notamment veiller à ce que l'État respecte les règles du jeu. En effet, le partage du bénéfice des impôts nationaux présente des risques. Je pense à la décision que l'État a prise concernant la CVAE et au fait qu'il pourrait prendre une décision similaire s'agissant de l'IS dans un futur proche. De manière générale, les décisions qui affecteront l'IS au niveau national - par exemple, la baisse progressive du taux de cet impôt jusqu'à 25 % - affecteront aussi les ressources des régions.

L'instance de concertation devra donc veiller à ce que les efforts ou les compensations soient correctement partagés pour éviter tout jeu de dupes. C'est indispensable, pour assurer tant une juste compensation des baisses d'impôts qu'un certain équilibre dans l'élaboration des éventuels outils de péréquation ou l'égalité de répartition des impôts et des dotations entre collectivités en fonction de leurs besoins objectifs.

Le Comité des finances locales peut-il être cette instance ? S'il en est capable, pourquoi pas ? Cela étant, j'ai bien entendu que, selon M. Perrin, ce comité n'est pas pleinement représentatif des différents niveaux de collectivités. Il est, en outre, un peu pénalisé par le rôle de chambre d'enregistrement et de récriminations qu'il a endossé depuis quelques années.

Il est peut-être préférable de réfléchir à la mise en place d'une haute autorité, bien que le Sénat soit par principe assez réticent à la création de ce type de structures. J'observe malgré tout que le Haut Conseil des finances publiques trouve un certain écho lorsqu'il livre ses prévisions. Nous aurons en tout cas besoin d'une autorité ayant suffisamment de poids pour se faire entendre dans le cas où la loi de finances ne respecterait pas le principe de prévisibilité des ressources.

Pour terminer, permettez-moi d'évoquer la question de la contractualisation. J'ai bien noté que M. Perrin estimait que les contrats de Cahors n'étaient pas la panacée. Ce que je constate, de mon côté, c'est que beaucoup d'instruments de contractualisation se superposent aujourd'hui et que l'on a tendance à s'y perdre. Je partage, en outre, l'avis de M. Perrin au sujet des services déconcentrés de l'État : ils doivent absolument disposer des moyens de gérer ces contrats au niveau des territoires, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Stéphane Perrin. - Pour être totalement transparent, il n'existe pas de consensus entre présidents de région sur le sujet de l'autonomie fiscale. Personnellement, j'y suis favorable, car, comme M. Canévet, je considère que l'autonomie fiscale des collectivités et la responsabilité des élus vont de pair. Pour autant, il faut être conscient des effets pervers que cela peut entraîner, à savoir une concurrence fiscale accrue ou des effets anti-péréquateurs, qu'il faut ensuite corriger. Bref, le système parfait n'existe pas. En l'absence de consensus, il faudra a minima une codécision, dans un cadre qui reste à définir.

S'agissant de la compétence « mobilité », les difficultés actuelles résultent du fait que les CPER ont été dévitalisés - les derniers contrats en date ont d'ailleurs été conclus sans volet « transports ». Aujourd'hui, les régions sont dans l'inconnu, puisqu'elles doivent intégrer dans leur plan pluriannuel d'investissement des dépenses qu'elles ne sont pas en mesure d'évaluer.

Avant de parler des recettes, je pense qu'il faut aborder le modèle économique. Le modèle de financement du secteur ferroviaire est extrêmement opaque et défavorable aux collectivités. Prenons le cas des infrastructures de transport : il arrive que SNCF Réseau ne participe à leur financement qu'à hauteur de 8 %, ce qui implique que les collectivités locales investissent des sommes très élevées pour des infrastructures qui, majoritairement, ne leur appartiennent pas. C'est assez injuste d'un point de vue financier, d'autant qu'elles doivent ensuite payer une redevance ferroviaire pour faire rouler leurs TER.

À cela s'ajoute un problème conjoncturel, à savoir que la SNCF répercute, pour une large part, la hausse des tarifs de l'énergie sur les régions, alors même que nous ne savons pas si cette augmentation, que M. Farandou a évaluée à 1,6 milliard d'euros, repose sur des critères objectifs. Avant d'envisager de nouvelles ressources, il faudra donc corriger ce modèle de financement du ferroviaire, au niveau tant des investissements que du fonctionnement.

Aujourd'hui, nous sommes arrivés au bout d'un système. Les régions ne bénéficient pas du versement mobilité, alors qu'elles contribuent aux déplacements de salariés vers des métropoles où ils ne résident pas. Pourquoi ne pas explorer certaines pistes ? Je pense par exemple à la création d'un versement additionnel ou à des mécanismes de mobilité gérés à l'échelon d'aires de vie infrarégionales. Un travail de fond est nécessaire sur ce dossier.

Enfin, je répondrai à M. Laménie que la taille d'une région a une incidence sur le mode d'organisation des transports de la collectivité concernée, et bien évidemment sur la mise en oeuvre des politiques publiques. C'est d'ailleurs pourquoi les mécanismes de contractualisation devront être différenciés à l'avenir. En revanche, j'observe, sur un plan budgétaire plus général, que les économies d'échelle qui devaient découler de la création de grandes régions ne sont pas au rendez-vous.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il faudra nous montrer attentif au décret relatif à la nouvelle répartition de la fraction du produit de la TVA attribuée au bloc communal, consécutive à la suppression de la CVAE, dont une part est fixe, mais dont l'autre part doit découler du niveau de développement économique local. On aurait gagné à ce que la clé de répartition précise soit fixée dans l'article de la loi de finances pour 2023 qui, je le rappelle, n'a fait l'objet d'aucun vote à l'Assemblée nationale et n'a pas été adopté par le Sénat, ce qui est assez inédit pour être souligné s'agissant d'une réforme fiscale de cette ampleur. Les modalités de répartition retenues pourraient être en effet de nature à influencer le choix que nous pourrions faire concernant une éventuelle répartition du produit de l'impôt national qu'est l'IS.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Scénarios de financement des collectivités territoriales- Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes de M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Mmes Mathilde Lignot-Leloup, conseillère maître à la Cour des comptes et Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse et secrétaire adjointe de l'Assemblée des départements de France (ADF)

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse et secrétaire générale adjointe de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Comme cela a été rappelé, l'une des idées majeures qui se dégage du rapport de la Cour des comptes est de concentrer la fiscalité locale sur le seul bloc communal. Une telle évolution aurait notamment pour conséquence de soustraire aux départements le bénéfice des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui constituent leur dernière grande ressource de fiscalité directe. Je ne doute pas que ce sujet complexe donnera lieu à des échanges cordiaux, mais animés.

Cette audition constitue également l'occasion de connaître les observations des départements sur les autres propositions et pistes esquissées par la Cour, par exemple en matière de gouvernance des finances locales ou de simplification de la fiscalité transférée.

M. Charles Guené, rapporteur. - S'agissant de la gouvernance des finances locales, le rapport de la Cour des comptes préconise soit la mise en place d'une autorité indépendante, soit la consolidation du Comité des finances locales (CFL) actuel, afin de garantir la qualité d'arbitrages de plus en plus difficiles à rendre, compte tenu notamment de la part croissante d'impôts nationaux versés aux collectivités. Quelle solution aurait votre préférence, en sachant que l'ensemble des représentants des collectivités que nous avons entendus privilégient la piste d'une évolution du CFL ?

J'aimerais avoir votre sentiment sur une autre préconisation de la Cour, celle de mettre fin à l'affectation des DMTO aux départements, ce qui pose par ailleurs un certain nombre de questions compte tenu du fait que le fonctionnement du système de péréquation des départements repose sur cet impôt, ainsi que sur la piste d'un transfert d'une fraction de l'impôt sur le revenu (IR), qui serait réparti en fonction de critères de ressources et de charges. Il me semble en effet qu'un tel mode de répartition apparenterait davantage cette ressource à une dotation plutôt qu'à une recette fiscale territorialisée. Cependant, comme on l'a rappelé plus tôt, la territorialisation entraîne un besoin de péréquation accru, raison pour laquelle je ne considère pas à titre personnel que le financement par dotations soit nécessairement un mal.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il serait intéressant que vous livriez une analyse rétrospective de l'évolution des ressources des départements dans le temps, ainsi que de l'impact de ces réformes - je pense notamment à celle de la taxe d'habitation - sur leur manière de fonctionner, avant de réagir aux recommandations de la Cour des comptes.

Après avoir attendu un certain nombre d'années que les élus locaux se mettent d'accord sur la question du financement de leurs collectivités, nous, parlementaires, considérons qu'il est temps d'agir. C'est ce que nous avons fait en commandant à la Cour des comptes, que je qualifierai à nouveau de « tiers de confiance », un rapport comportant un certain nombre de propositions. Confrontés au constat d'échec que je viens d'évoquer, nous avons demandé à la Cour de faire part de sa préférence pour un modèle de financement plutôt qu'un autre, bousculant un peu ses habitudes.

Mme Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse, secrétaire générale adjointe de l'Assemblée des départements de France. - Conseillère départementale depuis 2004, j'ai connu un certain nombre de réformes importantes.

Mon département, la Creuse, est très rural : il ne compte que 116 000 habitants. J'estime que la réponse au vieillissement de la population est le grand défi auquel la nation devra répondre. Chez moi, les gens vieillissent très bien.

Je vous remercie pour l'accueil que vous réservez à l'ADF. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de François Sauvadet et de Jean-Léonce Dupont. Je salue également la qualité du travail de la Cour des comptes.

Le Comité des finances locales est un lieu d'échanges, au sein duquel les différentes strates de collectivités territoriales expriment leur point de vue. Jean-Léonce Dupont y a récemment formulé des observations claires : l'ADF considère que le panier de recettes des collectivités doit être repensé. Nous regretterions cependant une la perte des droits de mutation à titre onéreux - après celle de tant d'autres impôts locaux.

Les ressources des départements seraient uniquement issues d'une redistribution de la fiscalité nationale partagée et de dotations. Or le principe constitutionnel d'autonomie financière des collectivités devrait supposer que celles-ci disposent de ressources de fiscalité directe. Nous en sommes loin, comme en témoignent la suppression de la taxe d'habitation et celle de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) départementale. Alors que les bases avaient été revalorisées, l'année 2021 fut une année blanche. Tous les conseils départementaux ont pourtant pris leur part lors de la crise sanitaire.

Depuis la suppression de la TFPB départementale, une fraction de la TVA est versée aux départements en guise de compensation. En 2022, nous avons construit nos budgets en nous fondant sur une hausse de 5,5 % de cette taxe perçue par l'État. Mais les taux ont évolué plusieurs fois au cours de l'année, entraînant autant de décisions modificatives dans nos collectivités : nous sommes ensuite passés d'une hausse des versements mensuels de 2,9 % en début d'année à une hausse de 9,6 %. Cet accroissement compense peu ou prou les nouvelles charges qui nous ont été imposées, notamment la hausse du point d'indice des fonctionnaires, celle du revenu de solidarité active (RSA) ou encore la revalorisation des aides à domicile. Or nous apprenons aujourd'hui que la hausse de TVA s'élèvera finalement à 8,56 % : on nous annonce qu'il nous faudra rendre une partie de l'argent, alors que nos budgets pour 2023 sont votés ou sont en passe de l'être. Il est difficile de bâtir des budgets dans de telles conditions.

Les comptes administratifs pour 2022 ne sont pas encore votés, mais il est clair que la capacité d'autofinancement des conseils départementaux est en baisse. Nous sommes inquiets : serons-nous en mesure de répondre aux grands défis de la transition écologique, de la rénovation du bâti ou de l'attention devant être portée au grand cycle de l'eau ? Les conseils départementaux sont en mesure d'offrir une ingénierie adaptée à nos territoires. Or une suppression des DMTO nous priverait d'un lien avec eux.

Entre 2014 et 2017, la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a représenté une perte de 6 millions d'euros pour ma collectivité. Si nous n'avions pas créé le fonds national de péréquation des DMTO sur la base du volontariat, nous serions très en retard sur nos investissements, notamment sur le développement d'un réseau de très haut débit grâce à la fibre optique. Les intercommunalités sont incapables d'assumer une telle charge.

Chaque année, nous débattons de nos engagements en faveur du fonds au sein du CFL. Lorsque la somme collectée dépasse 1,6 milliard d'euros, nous plaçons l'argent supplémentaire en réserve. Nous décidons d'affecter l'enveloppe en fonction des besoins, surtout pour répondre aux difficultés. Nous assumons nos compétences sociales, mais nous aidons aussi les autres strates de collectivités. La perte d'une nouvelle ressource serait pour nous difficile à admettre : le contrat local est en passe d'être rompu. L'État doit nous faire confiance. La crise sanitaire a montré que nous étions capables de faire face collectivement. Les temps sont difficiles : si l'État ne favorise pas le contrat entre les collectivités, je pense que le Gouvernement rencontrera des difficultés - il en ira de même pour ceux qui lui succéderont. Veillons à pérenniser notre modèle de démocratie locale et favorisons la participation de nos concitoyens à la vie de notre pays.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Vos propos témoignent d'une inquiétude sous-jacente sur l'avenir des conseils départementaux : les débats sur leur remise en cause, sur le millefeuille territorial ou encore sur le conseiller territorial y ont contribué. Aujourd'hui cependant, à l'heure des grandes régions, le conseil départemental est réhabilité et l'État territorial recrée même des sous-préfectures.

Nous n'avons pas la même analyse du rapport de la Cour des comptes. Nous ne croyons pas que ses propositions impliquent une forme de contestation de l'existence des conseils départementaux. L'enjeu est plutôt de mieux organiser les choses afin d'assurer à l'ensemble des strates de collectivités territoriales une visibilité financière suffisante pour exercer leurs compétences et engager les investissements nécessaires.

Bénéficier durant un temps de DMTO élevés n'offre aucune garantie de leur maintien à ce niveau sur le long terme, d'où le mécanisme de mise en réserve institué à la demande de l'ADF pour pouvoir faire face aux situations difficiles dans le futur. Dans son rapport, la Cour des comptes considère que le côté incertain de la recette justifierait sa prise en charge par l'État : j'estime que cette réflexion est plutôt de bon aloi.

Madame Simonet, je me réjouis que ce soit vous qui représentiez aujourd'hui l'ADF, car vous représentez un département pauvre.

Mme Valérie Simonet -. Disons qu'il est peu riche !

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Le mien, la Haute-Garonne, est riche. L'autonomie fiscale est surtout utile pour les collectivités dont les moyens sont importants. Les départements peu riches, mais aussi les petites communes, gagneraient à une répartition nationale plus claire et moins tributaire d'un accord au sein du CFL : il conviendrait d'introduire ces dispositions dans la loi.

À cet égard, il est proposé que les sujets à risque, tels que les DMTO, soient mutualisés. La position négative de l'ADF sur ce point s'explique peut-être par l'accumulation de décisions ayant réduit l'autonomie fiscale des conseils départementaux. En tout état de cause, les DMTO n'y contribuent pas, car leur taux est plafonné par la loi et la très grande majorité des départements applique déjà le taux plafond ...

Je n'ai pas remarqué une grande inquiétude des conseils départementaux sur la hausse de la fraction de TVA. Certes, un coup de rabot a été décidé après que le Gouvernement eut considéré que certains d'entre eux avaient bénéficié d'un effet d'aubaine. Certains départementaux abritant des métropoles très dynamiques ont peut-être reçu un peu moins, mais faut-il s'en émouvoir ?

M. Stéphane Sautarel. - Je rejoins en partie les propos du président Raynal. Je vous félicite, car les conseils départementaux ont été capables de s'entendre afin de créer une péréquation horizontale au titre des DMTO, sans doute aussi pour éviter de subir une péréquation verticale dont le contrôle aurait échappé aux départements.

Plus que pour les autres collectivités, le financement des conseils départementaux est lié à leurs compétences. Les dépenses sociales sont en grande partie subies. La question sera encore plus prégnante si une grande loi relative à l'autonomie est votée demain.

Madame Simonet, vous évoquiez un contrat de confiance : la question de l'exercice des compétences et des charges afférentes est en lien avec les ressources du niveau départemental. À l'inverse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) allouée aux intercommunalités, les DMTO ne sont pas directement liés aux politiques publiques menées par les conseils départementaux.

M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes. - Nous avons organisé de nombreuses auditions en vue de préparer notre rapport. Sans conteste, la plus animée a été celle durant laquelle le président du conseil départemental du Calvados a qualifié l'État de « voleur » et de « menteur ». Ce sujet est très sensible.

Nous n'avons pas de position idéologique sur les DMTO. Nous nous sommes demandé si des critères justifiaient leur maintien au niveau départemental. Nous n'en avons pas trouvé, si ce n'est que ces droits leur sont attribués depuis 1983. De plus, cette ressource est très inégalitaire d'un département à l'autre, avec un rapport variant de 1 à 7 après péréquation. Elle n'a pas de lien avec la compétence sociale, qui figure au coeur de l'action des conseils départementaux. Ces constats nous ont conduits à proposer un transfert au niveau national, assorti d'une répartition en fonction des besoins.

Je suis toutefois conscient que les DMTO constituent le dernier impôt territorialisé des départements. Je reconnais également que les conseils départementaux ont fait des efforts importants, comme en témoigne leur mécanisme de mise en réserve et de péréquation. D'un point de vue technique, il nous a semblé que c'était la solution la plus simple. Concentrons les vrais impôts locaux sur le bloc communal et faisons supporter par l'État les risques portant sur deux impôts aujourd'hui répartis, les DMTO ou la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Mais il ne faut pas que ce soit un marché de dupes. Or je reconnais que c'est parfois le cas. D'où les contreparties que nous proposons, comme les mécanismes garantissant la prévisibilité, la juste compensation et l'équité entre les bénéficiaires. Une instance rénovée pourrait le garantir : cela pourrait être un CFL rénové, par exemple. En tout état de cause, la Cour des comptes n'a pas de position idéologique contre les départements.

M. Charles Guené, rapporteur. - Les DMTO sont certes très volatils. Les conseils départementaux s'occupent de la misère du monde ; il est très difficile de trouver une compensation fiscale qui soit contracyclique en contrepartie. L'impôt sur le revenu, dont les recettes sont plutôt stables, pourrait être une solution.

L'histoire des conseils départementaux est marquée par une grande défiance à l'égard de l'État. Maintenir la libre administration des collectivités territoriales suppose que celles-ci et l'État s'entendent. Certains pays voisins y parviennent bien. Dès lors, quelles seraient pour vous les conditions d'une meilleure gouvernance des finances locales ?

Mme Valérie Simonet -. Nous parlons tous de confiance ou de défiance dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales. Vous avez le poids des dépenses d'allocations individuelles de solidarité dans nos budgets, qu'il faut tout de même relativiser : elles représentent un tiers du budget au maximum. Dans mon département, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est la dépense la mieux compensée par l'État, à hauteur de 49 % ; celle liée au RSA l'est beaucoup moins. Quelque 50 % des dépenses que nous engageons ne sont pas compensées.

Entre 2014 et 2017, l'effort de réduction de la DGF était le même pour la Creuse que pour les Yvelines, sans prise en compte des écarts de richesse entre les départements. L'État a tendance à aller trop vite : il oublie que nous ne sommes pas tous au même niveau et que nous n'avons pas tous les mêmes besoins. De plus, nous n'avons pas obtenu l'indexation de la DGF sur l'inflation : est-ce là le signe d'une relation de confiance avec l'État ? En outre, certaines dotations compensatoires telles que la dotation compensatoire péréquée (DCP) et la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) chuteront énormément en 2023 : nous constatons déjà que la compensation de l'État ne sera pas au rendez-vous.

Certes, les DMTO sont volatils, mais, en trois ans, leur produit a tout de même doublé dans mon département. Nous récoltons les fruits des efforts que nous menons en faveur de l'attractivité de nos départements, notamment grâce au déploiement de la fibre comme je le disais, mais aussi à l'accompagnement au développement des bourgs dans le cadre de programmes comme « petites villes de demain ». Nous sommes persuadés que nos territoires seront une réponse aux difficultés des zones urbaines. Ces ressources nous incitent à agir ; ce ne serait pas les cas si, demain, l'État nous versait des dotations à la place.

Monsieur Guené, le CFL est une organisation partenariale dans laquelle nous pouvons débattre et élaborer des stratégies. Il faudrait peut-être travailler sur le poids relatif des différentes strates de collectivités dans sa gouvernance.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il y aurait beaucoup de choses à dire. Madame Simonet, je suis sûr que vous n'avez pas besoin de récompense sous forme de retour fiscal par les départements pour que les départements s'engagent pleinement dans l'exercice de leurs compétences. Les fonctions politiques supposent par nature un tel engagement.

J'ajoute que le produit des DMTO est important lorsque les ventes sont nombreuses : les métropoles, qui sont des pelotes de mouvements, en profitent à plein, du fait de la vente à de nombreuses reprises des mêmes biens plus que par la construction de nouvelles habitations.

Mme Valérie Simonet. - C'est une difficulté inhérente à toute réforme : nous savons ce que nous perdons, mais nous ne savons pas ce que nous allons récupérer. La réforme des indicateurs financiers utilisés pour la répartition de la DGF qui avait été engagée entraînait notamment une perte pour l'un des départements les moins riches de France : cela n'est pas de nature à me rassurer.

Je n'ignore pas que la répartition territoriale des DMTO est très inégale mais, pour les raisons que j'ai évoquées, cela ne suffit pas à me rendre favorable à leur nationalisation.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - L'heure est en effet à la défiance, car les départements avaient vu leur existence remise en cause au cours de la dernière décennie. Pourtant, aujourd'hui, les grandes régions ont conforté les conseils départementaux. Ces derniers devront tôt ou tard quitter le terrain de la crainte pour rejoindre celui de la confiance.

La réunion est close à 18 h 40.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.