Déclaration du Gouvernement sur la crise financière et bancaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la crise financière et bancaire.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.  - Je vous prie tout d'abord d'excuser Mme Lagarde qui a dû se rendre à Bruxelles pour une réunion d'urgence.

Les événements qui affectent toute l'économie mondiale sont d'une gravité historique.

M. Éric Woerth, ministre.  - Ils exigent sang-froid, réactivité et unité. La Nation a besoin d'être éclairée et rassemblée. Le retour de la confiance suppose que nous fassions bloc par delà nos différences pour privilégier l'intérêt général. Ce sera notre réponse aux marchés, qui doivent y trouver la stabilité et la raison qui, pour l'heure, leur échappent.

Le 27 septembre dernier, à Toulon, le Président de la République a défini les principes qui fondent notre politique face à la crise. Les jours qui se sont écoulés depuis ont confirmé la pertinence de son diagnostic. Les problèmes se sont enchaînés dangereusement et spectaculairement. Quand Lehman Brothers a chuté, la confiance s'est brisée et la tempête qui soufflait depuis la crise des subprimes est devenue ouragan. Nous ne vivons pas une crise du capitalisme, mais celle d'un capitalisme dévoyé, non ou mal régulé, qui s'est affranchi de ses obligations éthiques et économiques. Le dérèglement des marchés a prospéré sur le terreau de supervisions défaillantes et d'autorégulations illusoires, d'une sophistication absurde, de pratiques d'investisseurs qui ont cru que le risque pouvait être dissous et mutualisé à l'infini. Il n'a pu prospérer sans structures off shore, sans dumping réglementaire, sans les modes « pousse au crime » des rémunérations des opérateurs, sans la défaillance des agences de notation.

La crise aura des répercussions dans le monde entier. La croissance continuera en Asie, mais sera ralentie, l'Europe sera rudement affectée, comme la France. La crise aura des conséquences sur notre activité, nos emplois, le pouvoir d'achat des Français. Il serait absurde et irresponsable de le nier.

Dans la tempête, les pouvoirs politiques prennent leurs responsabilités. Le plan Paulson a été adopté par le Congrès. Sous l'impulsion de la France, les Européens ont décidé d'agir ensemble. Notre pays, qui préside l'Union, ne pouvait pas ne pas accélérer le pas. En convoquant les membres du G4 samedi dernier, le Président de la République a lancé une dynamique, confirmée par les Vingt-sept avant-hier et la réunion de l'Ecofin hier. Elle le sera la semaine prochaine lors du Conseil européen.

Le G4 a pris des décisions fortes ; il a appelé à la tenue la plus rapprochée possible d'un sommet mondial pour refonder la gouvernance du système financier mondial. Il s'est entendu pour que toutes les entités financières d'importance soient supervisées -les trous béants du système devront être bouchés. Les banques d'investissement américaines n'étaient pas supervisées, n'importe qui pouvait distribuer du crédit bancaire aux particuliers. La dérive des subprimes, c'est ce qui arrive quand les vendeurs ne sont pas les prêteurs et que chacun reporte sur l'autre la responsabilité de l'examen de la solvabilité de l'emprunteur.

Dans une économie mondialisée, les places off shore et les hedge funds ont mis une pression considérable sur les acteurs qui, s'ils restaient raisonnables, prenaient le risque de voir les flux financiers se détourner d'eux.

Notre message pour le futur sommet du G8, c'est celui que la France porte avec force depuis la campagne présidentielle : la mondialisation doit s'accompagner de règles claires d'équité, de réciprocité et de responsabilité.

M. Jean-Louis Carrère.  - Et les boucliers fiscaux ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Les membres du G4 se sont en outre entendus pour réexaminer les normes prudentielles et comptables, de telle sorte qu'elles préviennent à l'avenir la formation de bulles spéculatives et amortissent les chocs en cas de crise -plutôt que l'inverse. Sur ces questions, la France a longtemps parlé seule ; tous s'accordent aujourd'hui sur la nécessité d'évoluer. Lors du G4, nous avons également décidé de revoir les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs de marché. Pendant des années, les équipes qui ont fabriqué les véhicules de titrisation ont reçu des bonus immédiats, calculés sur le gain espéré ; quel intérêt avaient-ils à s'assurer que ce gain se matérialiserait le moment venu ? Les modes de rémunération devront demain faire partie intégrante de la surveillance prudentielle. Ces principes de bon sens, qui n'auraient jamais dû être perdus de vue, sont désormais consensuels.

Ce qui a été obtenu samedi par le Président de la République est à l'honneur de la France. (Exclamations ironiques sur les bancs CRC)

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Tout à fait !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous avons l'ambition de refonder l'architecture financière internationale sur une véritable légitimité politique. Le mandat du FMI devrait être renforcé en ce sens, pour qu'il dispose d'un véritable système d'alerte précoce. Notre proposition d'évoluer progressivement d'un G8 vers un G14 prend tout son sens pour porter des projets qui sont à l'échelle internationale.

Hier, l'Ecofin a repris l'engagement des participants du G4 d'assurer un soutien sans faille des établissements financiers déterminants. Certes, à vingt-sept, et compte tenu de l'urgence, il est logique que les opérations s'effectuent le plus souvent au niveau national. Quand on doit décider en deux heures, au milieu de la nuit, comment sauver une banque, il vaut mieux ne pas avoir à réveiller ses vingt-six partenaires. C'est dans cet esprit que le Royaume-Uni a annoncé, ce matin, un plan national d'urgence dont Gordon Brown a personnellement précisé les contours au Président de la République et qui s'inscrit dans les orientations définies lors du G4.

Une dynamique européenne est engagée ; dans ce contexte, la décision de la Banque centrale européenne, de la Banque d'Angleterre, de la FED et de la Banque du Canada de baisser leurs taux de 50 points de base est un signal fort pour nos économies et nos entreprises.

Le Président de la République et le Premier ministre l'ont dit solennellement : l'État assumera son rôle de garant en dernier ressort de la continuité et de la stabilité du système bancaire et financier français, de la continuité de l'exploitation de chacune de nos banques. Aucune ne sera acculée à la faillite. Les interventions devront être réactives, conçues comme temporaires, et respecter les intérêts des contribuables.

M. Jacques Mahéas.  - Qui va payer ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Elles supposent de pouvoir exiger un changement des équipes dirigeantes si elles ont failli à leur mission.

M. Charles Revet.  - C'est normal !

M. Éric Woerth, ministre.  - Il va de soi que les États devront être attentifs aux conséquences de leurs actes pour les autres États et pour les banques concurrentes qui sont saines. L'État n'agit pas pour sauver des dirigeants -ceux de Dexia ont quitté leurs postes. Il le fait pour protéger les Français, leurs entreprises, nos emplois, notre économie.

Nous allons mettre en oeuvre cet engagement comme nous l'avons fait avec Dexia. Si une banque ou un établissement financier est en difficulté, nous examinerons immédiatement avec la Banque de France et les autorités de régulation quelle est la meilleure solution. Si celle-ci nécessite l'entrée de l'État au capital, nous le ferons, mais à plusieurs conditions : l'État doit pouvoir superviser le redressement de la banque -chez Dexia, nous avons obtenu une minorité de blocage avec la Caisse des dépôts et consignations ; le management doit pouvoir être immédiatement renouvelé si la situation le justifie -les dirigeants qui se sont affranchis des règles minimales de prudence ne doivent pas compter sur l'État actionnaire pour les aider à sauter en parachute doré ; enfin, l'État n'a pas vocation à rester un actionnaire durable -une fois l'entreprise redressée, sa participation doit être revendue, si possible avec une plus-value, comme nous l'avons fait pour Alstom. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Le contribuable ne pourra que s'en réjouir.

Le Premier ministre l'a dit : notre engagement d'assurer la continuité du secteur bancaire est fort. La parole de l'État est engagée. Pour la tenir, nous devons être en mesure d'intervenir sans délai, y compris par des prises de participations.

Le Président de la République et le Premier ministre ont demandé à Mme Lagarde de mettre en place une structure juridique intégralement détenue par l'État pour réaliser les investissements qui seraient rendus nécessaires par la situation. Cette structure porte déjà la participation de l'État dans Dexia. Afin qu'elle puisse disposer des capitaux nécessaires à ses interventions, le Gouvernement sollicitera du Parlement, par voie d'amendement au projet de loi de finances, la garantie explicite de l'État.

Cette structure nous permettra de mettre en oeuvre notre stratégie : au cas où une banque serait en difficulté, la recapitaliser, en maîtriser la stratégie et la gestion, la redresser et remettre les participations de l'État sur le marché lorsque les circonstances le permettront.

M. Jean-Louis Carrère.  - Cela s'appelle une nationalisation !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous voulons de la sorte créer les conditions du retour de la confiance dans le système bancaire et assurer la reprise des prêts entre les banques elles-mêmes. Notre pays a un système de garantie des dépôts parmi les plus protecteurs...

Mme Nicole Bricq.  - Grâce à qui ?

M. Éric Woerth, ministre.  - ...avec un plafond de 70 000 euros par déposant et par banque, contre 20 000 exigés par la réglementation communautaire, en vigueur dans la plupart des États membres, qui va être porté à 50 000 euros. Certains pays ont étendu leur protection à l'ensemble des dépôts, voire, dans certains cas, à l'ensemble des passifs bancaires. En France, les dépôts sont garantis à 100 %, puisque nous ne laisserons défaillir aucune banque française.

Au-delà de cela, l''urgence est aujourd'hui de répondre au problème des liquidités sur le marché interbancaire. Nos banques sont solvables, le gouverneur de la Banque de France l'a répété, mais elles font face, comme toutes les autres, à des tensions fortes du marché interbancaire. Les banques centrales jouent un rôle clef depuis plusieurs semaines pour répondre à ce défi, en fournissant des liquidités dans un volume considérable. Nous sommes en contact permanent, comme les autres gouvernements européens, avec les autorités monétaires. La BCE et l'ensemble du système de l'euro sont mobilisés sur cette question de la liquidité. Nous connaissons leur détermination à prendre toutes les mesures nécessaires.

Comme vient de le souligner le Président de la République, la réponse ne peut être que globale et coordonnée entre les banques centrales et les gouvernements européens. Il revient à ceux-ci de prendre les mesures qui relèvent de leur responsabilité pour assurer la sécurité maximale des échanges interbancaires. Nous sommes en relation permanente avec nos partenaires pour mettre en place, sans délai, dans chaque État, les bons outils.

Derrière la crise bancaire, le resserrement des conditions de crédit met en danger nos PME. Il n'est pas question de rester inactifs. Le 2 octobre, nous avons mis en place d'un plan de soutien aux entreprises de plus de 20 milliards, prenant appui sur Oseo. Nous augmentons ainsi de 4 milliards la capacité de prêts bancaires garantis ou apportés en cofinancement d'ici à la fin de l'année 2009. Pour cela, nous mobilisons les ressources propres d'Oseo et nous mettons en place une ligne de refinancement sur les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations, que nous mobilisons pour financer les projets des PME. Un arrêté, publié demain, enclenchera la réaffectation de 8 milliards, puis 9 milliards le 15 octobre. La totalité du plan annoncé aura été mise en place d'ici deux semaines. C'est grâce à la vigueur de la collecte sur les livrets d'épargne réglementée, avec entre 20 et 30 milliards de collecte supplémentaire, que cette réallocation est possible sans amputer les besoins du logement social. (Exclamations dubitatives à gauche) Et, bien évidemment, elle s'effectue sans impact sur la protection des épargnants, dont les livrets restent garantis à 100 %.

Nous allons contrôler strictement l'utilisation de ces crédits : nous avons demandé aux banques de s'engager à ce que leur intégrité -leur intégralité, veux-je dire, mais leur intégrité aussi- soit consacrée au financement des PME. Des conventions précises seront passées entre l'État et les banques. Nous surveillerons désormais sur un rythme mensuel leur activité de prêt aux PME.

Pour aider les Français à passer le cap, nous lançons un plan sans précédent d'acquisition de programmes immobiliers en vente en état futur d'achèvement, en mobilisant pour 30 000 logements les promoteurs et organismes HLM, à commencer par les grands opérateurs publics. Le nombre de logements pouvant bénéficier du Pass Foncier sera de 30 000, au lieu des 20 000 prévus. Le programme de mobilisation des terrains publics en vue de construire 70 000 logements, dont 40 % de logements sociaux, sera accéléré.

Dans l'épreuve, certains sont tentés de renoncer tandis que d'autres attendent tout de l'extérieur, ce qui revient au même. L'avenir est d'abord entre nos mains. Il dépend de notre courage, de notre imagination, de notre volonté de travailler plus, d'innover plus...

M. Jean-Louis Carrère.  - Pour gagner plus !

M. Éric Woerth, ministre.  - ...mais aussi de dépenser moins. Notre politique budgétaire est adaptée à la crise : ni laxiste, ni récessive, elle consiste à donner à notre budget un rôle de stabilisateur, en utilisant à plein les souplesses que nous donne le pacte de stabilité.

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Très bien !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous ne compenserons pas par une hausse des prélèvements obligatoires les baisses de recettes dues au ralentissement. Le taux de prélèvements obligatoires n'augmentera pas et toute reprise de la croissance sera mise à profit pour le baisser d'ici 2012.

M. Jean-Louis Carrère.  - Et le RSA ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous tenons les dépenses : la crise ne nous donne aucune raison de relâcher la discipline que nous nous sommes imposée. Laisser filer nos dépenses et renoncer à réformer ne contribuerait ni au retour de la confiance des ménages, ni à celle des entrepreneurs, ni à celle des investisseurs. L'augmentation de la dépense de l'État sera égale à zéro en volume.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Très bien !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous respectons notre engagement de ne pas remplacer la moitié des départs en retraite des fonctionnaires. Sur 2008-2009, nous aurons supprimé plus de 50 000 emplois dans la fonction publique. (Exclamations à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Et vous vous en vantez !

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Si vous avez des propositions, il faudra les faire connaître !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous sommes lucides sur la gravité de la situation, mais également sur les signaux encourageants : diminution de l'inflation...

M. Éric Woerth, ministre.  - ...baisse du cours de l'euro, faible endettement des Français, baisse des taux.

M. Jacques Mahéas.  - Utilisez votre bouclier fiscal !

M. Éric Woerth, ministre.  - Ce débat est une occasion d'échanger nos vues et de croiser non le fer, mais nos arguments. Dans cette crise, Gouvernement et Parlement doivent, plus que jamais, travailler de concert, et nous sommes à votre disposition pour vous informer régulièrement. La situation est au rassemblement de toutes les bonnes volontés, non à la chicaya. (Approbations à droite, exclamations à gauche) Il faut agir ensemble, avec sang-froid, réactivité, responsabilité : c'est ce que les événements nous imposent, et c'est ce que les Français attendent de nous. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances  - Notre débat revêt une solennité particulière, face à une crise sans précédent dont les causes sont connues : une dérégulation venue des États - Unis, un capitalisme débridé, des taux d'intérêt particulièrement bas depuis le 11 septembre, ce qui a déclenché une folle inflation des biens immobiliers comme des valeurs mobilières. Sans doute faut-il aussi incriminer la cupidité de certains opérateurs. Il y a eu une overdose de crédits.

On a cru un moment que cette crise resterait américaine...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Comme Tchernobyl !

M. Jean Arthuis, président de la commission  - ...mais le tsunami financier affecte désormais l'économie européenne. On a cru que chaque pays européen pourrait régler ses propres problèmes sur son territoire ; nous voyons aujourd'hui combien nous avons besoin d'Europe. Les gouvernements se sont mobilisés. Après ce lundi noir et ce mercredi encore très sombre, notre Gouvernement a été à la hauteur de la situation.

Quand il y a le feu, on appelle les pompiers. De même, dans une situation de défiance généralisée parmi les acteurs du jeu financier, les pouvoirs publics doivent assumer pleinement leur rôle de garants ultimes. C'est le retour du politique et de l'État. La banque est emblématique du capitalisme mais, devant un risque systémique, quand il s'agit de rétablir la confiance des banques entre elles, seul l'État peut agir. Le Gouvernement a fait ce qu'il fallait pour éviter des faillites de banques et pour adresser un message rassurant aux épargnants.

Tout cela a été fait. Le ministre l'a dit : un établissement public a été créé. Le Parlement se prononcera lors de l'examen de la loi de finances. Il faudra convenir d'une valeur réaliste et, demain, dans un an, dans trois ans, l'État pourra rendre aux actionnaires privés ces établissements. Il faudra poser des règles claires.

Nous sommes pour le capitalisme mais, sans régulation, on en voit bien les excès qui mettent en péril l'équilibre du monde.

Les décisions prises par le conseil Ecofin sont les bonnes. Les Européens renoncent au « chacun de son côté » pour faire front commun. Le Gouvernement délivre aussi des anticoagulants (sourires) afin que les PME continuent à obtenir le crédit dont elles ont besoin pour leurs investissements et leur activité. Le taux de centralisation des encours du livret de développement durable et du livret d'épargne populaire est abaissé afin que les collecteurs mettent des fonds à disposition de ces entreprises. La Caisse des dépôts agira elle aussi. Bref, tout est mis en oeuvre pour éviter le pire.

Les pouvoirs publics, ce sont aussi les banques centrales. Elles interviennent dans la concertation, ce qui est sans précédent. Hier, elles décidaient de mettre à disposition 450 milliards de dollars ; aujourd'hui, elles annoncent collectivement une baisse de leur taux de prise en pension de 0,5 %. Nous espérons qu'ainsi, la sérénité va revenir dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Et nous faisons confiance au Gouvernement ainsi qu'aux autorités européennes pour y travailler.

Mais à plus long terme, il faudra modifier les règles du jeu. Il serait trop simple de faire appel à l'État en cas de problème mais, en période de superbénéfices, de laisser ceux-ci à quelques opérateurs. Gardons-nous des amalgames ; mais les banquiers auront sans doute beaucoup à se faire pardonner. Comme l'a indiqué Mme Lagarde à Luxembourg, les réformes doivent être menées sous le sceau de la responsabilité et de la transparence. Il conviendra aussi de revoir le statut des agences de notation, qui hier délivraient des messages rassurants sur des produits si complexes que les investisseurs ne savaient plus ce qu'ils recouvraient... Ils achetaient un lapin dans un sac !

M. Jacques Mahéas.  - Et le coup du lapin, c'est terrible !

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - Or les agences de notation sont rémunérées par les clients qui les sollicitent pour une notation... (Murmures) La crise des subprimes, ces prêts consentis à des personnes qui n'ont pas l'argent pour rembourser, aurait pu être cantonnée aux États-Unis. Mais les établissements européens aussi ont été tentés par ces placements fructueux. Et pendant ce temps, les cinq principales banques américaines ont versé 35 milliards de dollars de bonus. L'établissement que dirigeait M. Paulson distribuait 640 000 dollars par collaborateur. Tout cela devra bien sûr être revu. Les dirigeants devront se doter d'une solide éthique ainsi que de règles de bonne gouvernance... d'une autre ampleur que les plans successifs proposés par le Medef.

Revoyons aussi le statut fiscal de certains opérateurs, ceux qui ont été dispensés d'impôt progressif par la circulaire du 28 mars 2002... Ce statut a été consenti aux opérateurs en private equity et en leverage buy-out. Ils perçoivent 20 % des opérations réalisées et sont protégés non par un bouclier mais par une sorte de parapluie fiscal, puisque les bénéfices sont imposés au taux forfaitaire de 16 %.

M. Guy Fischer.  - C'est scandaleux.

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - Il faudra réexaminer certaines normes comptables, notamment celles qui créent une instabilité. L'inscription à la valeur de marché, soit. Mais lorsqu'il n'y a plus de marché, il n'y a plus de valeur !

M. Roland du Luart.  - Exact !

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - On précipite alors la constatation des pertes mais ce « court-termisme » est préjudiciable aux établissements.

Néanmoins, des règles uniquement françaises ne seraient pas pertinentes : les entreprises sont européennes. Le besoin d'Europe est sans précédent ! C'est ce que révèle aussi la crise majeure que nous traversons. Je ne doute pas que la France aura les meilleures propositions à formuler mais une législation purement nationale, en économie ouverte, serait gesticulation.

Il faut des règles... et une police. Aux États-Unis, la défaillance complète de la police des marchés est aussi à l'origine de la crise. L'heure de vérité a sonné pour l'Europe. Nous devons résister à la tentation d'un plan de relance qui mettrait en péril les finances publiques ; nous devons prendre des mesures pour restaurer la compétitivité économique sans laquelle nos ambitions en matière d'emploi et de croissance resteraient vaines. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Marini, rapporteur général  - Nous assistons à un enchaînement qui a comporté quatre phases : une crise des marchés, puis une crise de confiance et de liquidité -le marché interbancaire au-delà du jour le jour est bloqué- puis une crise bancaire globale, comme en Islande, ou ponctuelle, affectant tel ou tel groupe. A présent, la crise économique menace.

Qu'ont fait les États et qu'a fait le Gouvernement, sous l'impulsion énergique et volontaire de M. Sarkozy ? Parer au plus pressé, dans le secteur financier et parmi les entreprises ; et esquisser des orientations et des mesures structurelles. Pour le secteur financier, diverses possibilités ont été exploitées, cantonnement et reprise d'actifs, prises de contrôle par l'État, filet de sécurité pour les déposants, consolidations sectorielles, etc. Mais deux dilemmes se posent. Ne pas intervenir pour ménager les finances publiques crée la peur du vide, mais une intervention massive accentue les doutes sur l'ampleur réelle des pertes. Punir par la faillite les banques telles que Lehman Brothers risque de provoquer une crise systémique, mais une intervention extensive risque de déresponsabiliser les établissements. Le chemin est étroit ! Les banques centrales font leur possible pour débloquer le marché monétaire qui, encore aujourd'hui, fonctionne très artificiellement.

Nos pouvoirs publics, je les en remercie, ont mis en place tout un dispositif pour que la crise n'ait pas, sur les entreprises, un effet destructeur. L'intermédiation de la CDC doit être exploitée, car cet établissement est fait pour cela. D'autres chantiers, normes comptables et de solvabilité, devront être lancés. Mais, monsieur le ministre, je vous le demande, par quel processus de décision parviendra-t-on à modifier d'ici au 31 décembre les règles d'évaluation des actifs ? Mois après mois, les obligations de comptabilisation au prix du marché font craquer des établissements.

Une régulation des agences de notation s'impose. Je l'appelais de mes voeux en 2003, lorsque nous examinions la loi de sécurité financière. Le ministre d'alors, M. Francis Mer, m'avait en substance répondu : circulez, il n'y a rien à voir. Je regrette toutes ces années d'aveuglement collectif.

La crise est un révélateur du degré de puissance, de la qualité de la gestion, des rapports entre États. Elle remet en cause les certitudes de la période précédente. Ainsi que l'avait dit le Président de la République à Toulon, nous avons franchi une étape qui nous fait entrer dans un nouveau monde, où les certitudes du passé vacillent. Certitudes de la BCE, qui refusait obstinément de baisser ses taux et qui aujourd'hui le fait. Certitudes de gouvernance budgétaire, aussi.

Je comprends le conseiller spécial Henri Guaino, quand il déclare que la maitrise des déficits n'est peut-être plus la première des priorités... (Exclamations à gauche) Mais aussitôt, le choeur des vierges effarouchées se fait entendre ! (Rires à droite) Cela veut dire que la crise ouvre une parenthèse, souvent dramatique, pendant laquelle les certitudes passées n'ont plus cours. La Commission européenne, à qui il fallait des semaines ou des mois pour approuver une aide d'État, le fait en quelques heures, car il y a urgence.

La crise remet en cause les vérités acquises et les principes. C'est une discontinuité, une révolution structurelle qui redistribue la puissance, la richesse et les revenus. La course à la globalisation et à la mondialisation s'achève sans doute ; la volonté politique a retrouvé sa place et les fonctions de l'État régulateur reviennent au premier plan.

Tout cela est aux antipodes du politiquement correct, tel qu'il se pratiquait à cette tribune. (Protestations à gauche) Voulez-vous m'interrompre pour proposer des solutions ?

M. le président.  - Continuez.

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Il faut cesser la langue de bois (rires et exclamations à gauche) : j'avais cru comprendre que vous approuviez une part de mon propos...

Nous devons éviter l'optimisme béat comme les propos anxiogènes et tenir un langage de responsabilité. Le ministre a raison de nous appeler à l'unité...

M. Jean-Louis Carrère.  - De l'UMP ?

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - ...et à la volonté politique pour affronter la crise. Sa poursuite risquerait de mettre à mal la cohésion sociale. Aussi, lorsque nous examinerons le projet de loi de finances, ne m'en veuillez pas d'attirer l'attention sur les collectivités locales, qui vont avoir un rôle essentiel.

M. Jacques Blanc.  - Il a raison !

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Faisons preuve d'unité et de cohésion nationale et préparons-nous à mener le débat sans minimiser les problèmes mais en les expliquant avec pédagogie. Nos concitoyens, qui subissent la crise, ont droit à la vérité et à des solutions démocratiquement exposées. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

M. le président.  - Chaque groupe dispose maintenant de dix minutes et la réunion des non-inscrits de cinq minutes, les questions qui suivront la réponse du Gouvernement ne dépassant pas deux minutes et demie.

M. Roland du Luart.  - L'ampleur de la crise financière appelle unité nationale et cohésion politique. Cette crise est une crise de liquidité avant d'être une crise de solvabilité, donc de confiance, comme le confirment les taux extrêmement élevés des crédits interbancaires. Elle est telle que le plan Paulson et les interventions des États européens pour sauver des établissements financiers n'ont pas rassuré les marchés. La bourse de Paris a baissé de 6,31 % aujourd'hui malgré la baisse de 50 points décidée par les principales banques centrales. Cette crise de confiance dépasse désormais la sphère financière pour passer à l'ensemble de l'économie, comme l'attestent les derniers indicateurs et l'effondrement du cours de sociétés réputées solides.

Chacun doit prendre ses responsabilités. Le Président de la République et le Gouvernement ont pris les leurs aux niveaux national, européen et international. Le groupe UMP approuve les mesures prises pour soutenir les établissements financiers en difficulté, pour prévenir les risques systémiques et protéger les épargnants et les contribuables. Sous l'impulsion de la France, l'Europe a commencé à élaborer une stratégie concertée, comme l'attestent les récents sommets et conseils. Nous saluons la rapidité de la réaction de la France en faveur des PME : plus de 20 milliards vont être dégagés sous quinze jours. Le soutien au secteur du logement permettra de sauvegarder des milliers d'emplois. Tout cela aura un coût, qui ne sera pas nécessairement budgétaire dans un premier temps, mais ne rien faire eût été plus coûteux. Nous devons féliciter le Président de la République et le Gouvernement de leur courage, de leur célérité et de leur pragmatisme.

M. Jean-Louis Carrère.  - Si vous êtes content, c'est bien.

M. Roland du Luart.  - Nous devons placer l'opposition devant ses responsabilités ; je regrette, pour ma part, que le parti socialiste ait rejeté l'appel du Premier ministre et ait pratiqué l'obstruction à l'Assemblée nationale sur le RSA. (Applaudissements sur les bancs UMP, protestations sur les bancs socialistes)

Ensemble, il nous faut prendre la mesure de la crise...

M. Jean-Louis Carrère.  - On n'est plus domestiques au château !

M. Roland du Luart.  - Nous ne sommes pas des partisans acharnés de l'intervention de l'État mais nous saluons les initiatives du Gouvernement...

M. Jean-Louis Carrère.  - Fini, Jacquou le croquant !

M. Roland du Luart.  - Nous approuvons les prises de participation dans des établissements financiers, à condition qu'elles soient temporaires. La sur-réglementation ne doit pas succéder à la dérégulation : il ne faut pas asphyxier des secteurs essentiels de l'économie. Telle est votre tâche complexe.

Prendre ses responsabilités, c'est aussi dire la vérité et en tirer les conséquences financières, économiques et budgétaires. Au Sénat, nous l'avons toujours fait, et on nous l'a parfois reproché. C'est pourtant la condition pour rétablir la confiance. Vous vous y employez avec honnêteté et pragmatisme dans un esprit de transparence et les Français peuvent compter sur le Sénat.

Il importe de tenir le cap des réformes afin de valoriser le travail et l'initiative, tout en maîtrisant les déficits de manière à aller vers l'équilibre des comptes publics en 2012. C'est le seul moyen de franchir les difficultés conjoncturelles et de créer les conditions structurelles d'une reprise forte et durable.

Le 25 septembre, à Toulon, le Président de la République a fixé une feuille de route « claire et exigeante », selon la formule de M. de Raincourt. Il entend refonder le système financier, organiser les marchés, encourager les entrepreneurs et dissuader les spéculateurs. Nous devons encadrer les rémunérations des dirigeants d'entreprises et favoriser les comportements responsables. Il nous faut faire en sorte que les agences de notation anticipent l'avenir et préviennent les difficultés internationales et les risques systémiques. Nous avons besoin de régulateurs plus proches des réalités économiques. Les normes comptables ne devraient plus produire d'effets pervers, en obligeant à évaluer les actifs à leur valeur de marché. Quelles pistes de réforme privilégiez-vous ? Vous pouvez compter sur le Sénat, sur les réflexions de sa commission des finances, de son président et de son rapporteur général.

Comme l'a souligné le Premier ministre, l'heure est au rassemblement des bonnes volontés. Ensemble, mais seulement ensemble, nous pourrons faire face à la crise et répondre aux défis qu'elle impose. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Yvon Collin.  - Hier si arrogante, la pensée économique libérale semble avoir découvert un mot qu'elle rejetait jusqu'ici : régulation.

La crise financière aura au moins eu un résultat, celui de faire vaciller un dogme, la perspective d'une démocratie universelle fondée sur le marché libre et sans entrave. Les causes de la situation actuelle, nous les connaissons tous. La première d'entre elle est indiscutablement la déconnexion entre l'activité financière et l'économie de production conjuguée au retrait presque total de la puissance publique du champ économique. J'y insiste car la gauche, au moins européenne, était aussi empressée que la droite à se prosterner devant le marché-roi (« C'est une autocritique ! » à droite). Alors oui, il faut réguler, repenser le système de Bretton Woods, encadrer l'activité des bourses, imposer de nouvelles règles aux institutions financières, il faut enfin impérativement que la puissance publique rassure les épargnants affolés par l'imprévoyance, et sans doute l'incompétence, de spécialistes réputés.

Mais quand bien même nous ferions tout cela, ce serait encore trop peu et trop tard. Nous aurions manqué l'essentiel. Car, quand l'économie et la technique l'emportent sur la politique et la culture, quand l'argent vaut plus que l'homme, il ne s'agit plus d'une crise financière mais d'une crise de civilisation.

Alors que faire, si l'on ne se contente pas de jouer les Cassandre ? Premièrement, en revenir à l'économie réelle. Le Gouvernement a esquissé un plan d'urgence destiné avant tout à soutenir les banques, même si le rachat de 30 000 logements et la ligne de crédit en faveur de l'investissement des PME ne sont pas négligeables. Nous ne rééquilibrerons pas ainsi le système. Le temps est venu d'une grande initiative européenne d'inspiration keynésienne. Pourquoi ne pas lancer un programme de grands travaux pour l'Europe et le monde en développement ? Pourquoi ne pas créer un Fonds européen de développement qui soutiendrait le regroupement des entreprises, afin de faire face à la concurrence extérieure, et la constitution de pôles européens de développement industriel et de services à forte valeur ajoutée ?

Ensuite, il faut repenser le rapport entre pouvoirs politique et économique. Demain, à l'exemple des grands groupes mondiaux, l'aide publique devra être assortie de critères environnementaux, sociaux et démocratiques dans les pays de production comme à l'intérieur des entreprises. Exportons un nouveau modèle de civisme d'entreprise !

Pour conclure, permettez-moi de poser une question au Gouvernement. A l'heure où le dogme du sacro-saint marché s'écroule, où les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne volent au secours d'institutions privées avec l'argent public, est-il raisonnable de démanteler la Poste ? L'ouverture programmée du capital cache mal la privatisation envisagée. Il serait temps, au contraire, de réhabiliter la notion de service public et de défendre de grands services publics européens qui incarneraient l'Europe aux yeux de nos concitoyens.

Comme la plupart d'entre vous, je suis un militant engagé, autrement dit un optimiste pour qui le pire n'est jamais sûr : « vive la crise », donc ! Pour nous, radicaux de gauche, elle est l'occasion de mettre en oeuvre les mesures environnementales, sociales et humaines qui ont trop longtemps été repoussées. Au-delà des clivages politiques, sachons aller de l'avant -la résignation creuserait la dépression économique. Face à cette crise, nous avons besoin d'une action politique résolue et volontariste ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et quelques bancs du groupe UC)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Face à une crise majeure, dont les conséquences se feront sentir sur l'ordre international, l'euro et la vie de dizaines de millions de Français, l'invitation à dépasser des clivages devenus secondaires n'est pas à rejeter a priori. Mais l'on n'a pas le droit de parler d'union nationale avant d'avoir au préalable organisé un grand débat national. M. Woerth a affirmé tout ensemble qu'aucune grande banque ne ferait faillite, mais que le cap de la maîtrise des finances publiques serait tenu... C'est un discours à la mode « Docteur Jeckyll et Mister Hyde », dont je ne saisis guère la cohérence.

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ne nous voilons pas la face : cette crise sera profonde et durable. Elle est le fruit du fossé qui s'est creusé entre économie réelle et sphère financière, mais surtout de l'habitude qu'ont prise les États-Unis, au coeur d'une mondialisation qu'ils ont initiée, de vivre au-dessus de leurs moyens. Leur endettement représente 316 % du PIB, il capte 80 % de l'épargne mondiale et déséquilibre leurs comptes extérieurs d'un montant équivalant à 6 points de leur PIB. On incrimine, à juste titre, les dérives du capitalisme financier, notamment la titrisation des prêts qui a déresponsabilisé les prêteurs. Mais ces dérives ont été encouragées ! Par qui ? M. Alan Greenspan, ce grand magicien, hier encensé, aujourd'hui voué aux gémonies. De fait, pour surmonter la crise de la bulle technologique en 2000 et soutenir les choix dispendieux, à l'extérieur comme à l'intérieur, de l'administration Bush, il a favorisé l'endettement des ménages, le crédit hypothécaire et la titrisation, créant ainsi une bulle immobilière. Certes, l'endettement des ménages ne touche pas que les États-Unis, mais pour l'essentiel, la crise est américaine.

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Très juste !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Les partenaires des États-Unis, par suivisme, et les institutions internationales, par inféodation, se sont trouvés incapables d'enrayer ces dérives qui ne datent pas d'hier.

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Tout à fait !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Il faudra du temps pour que les États-Unis rétablissent leurs comptes et renoncent à leur rêve impossible d'un empire universel, en acceptant d'être la grande nation qu'ils sont dans un monde irréversiblement multipolaire.

Contrairement à ce qu'a affirmé M. Alain Minc, cette crise n'est pas une simple crise psychologique. Elle clôt un cycle de trente ans qui avait commencé avec l'élection de Mme Thatcher et de M. Reagan, le flottement des monnaies, des marchés ouverts à coups de barre à mine, la transformation du Gatt en OMC, le cycle des privatisations, la mise en concurrence des territoires et son cortège de délocalisations pour satisfaire aux exigences insatiables de la théorie de l'acquisition de la valeur pour l'actionnaire. Nous commençons à payer le prix de l'inscription du principe de la concurrence libre et non faussée dans les traités européens -l'Acte Unique, le traité de Maastricht et le traité de Lisbonne. Rappelez-vous la vigilance sourcilleuse de la Commission européenne vis-à-vis de toute intervention qui aurait pu fausser le libre jeu du marché ! C'était hier, mais cela paraît soudain daté, vieux de cent ans... Au début des années quatre-vingt-dix, Francis Fukuyama décrétait la fin de l'histoire. Mais l'Histoire, pour le meilleur ou pour le pire, s'est remise en marche.

Nous avons assisté à un débat surréaliste lors des journées parlementaires de l'UMP à propos des critères de Maastricht. M. Guaino a semblé relativiser leur importance. Monsieur le ministre du budget, vous avez pris le parti opposé. Mais les plans de soutien, qui se sont multipliés, ne vont-ils pas en dernier ressort obérer le budget de l'État ? Au reste, M. Jouyet l'a reconnu dès le 3 octobre, dans un entretien qu'il a donné aux Échos, en indiquant que l'Union était revenue sur ses fondamentaux : l'interdiction pour les États de s'endetter et d'accorder des aides d'État, au nom de la libre concurrence. En effet, Mme Merkel, après avoir rejeté l'idée d'un plan Paulson à l'européenne, a fait fi des règles de l'Union en annonçant que l'État allemand, après l'Irlande, accorderait une garantie illimitée à tous les déposants. La réalité de l'Europe éclate aux yeux de ceux qui ne voulaient pas la voir -espérons qu'ils ne sont pas nombreux dans cet hémicycle-, c'est « chacun pour soi » ! Je ne m'en réjouis pas, même si j'ai toujours prédit que le fait national ne disparaîtrait pas. (M. le rapporteur général acquiesce)

La leçon est claire, il faut s'affranchir des mythes, du politiquement correct faux libéral et pseudo-européen . Autant d'Europe que possible, notamment par la création d'un gouvernement économique de la zone euro, mais autant de national que nécessaire ! Mieux vaut l'Europe des États que pas d'Europe du tout. Il faut revenir à l'interventionnisme, encadrer le marché.

L'urgence impose d'empêcher les faillites bancaires en chaîne en privilégiant les recapitalisations publiques et les conversions de dettes en actions plutôt qu'en utilisant la formule du plan Paulson. Le contribuable, à défaut de rentrer dans ses frais, doit trouver des contreparties solides à l'effort qu'on lui demande : toute garantie publique doit être gagée par des participations publiques. Les financiers doivent être expropriés et ce ne serait que justice que les banques redeviennent propriétés de la collectivité, conformément au préambule de la Constitution de 1946. Il faudra tirer les conséquences de ce changement sur le choix des dirigeants et l'octroi des crédits. Ensuite, il faut enrayer la contraction massive du crédit et adopter un plan de relance ciblé en orientant l'épargne française, qui est abondante, vers l'économie réelle. Pourquoi ne pas utiliser les excédents du livret A, au moins 12 milliards, pour le logement social ? Pourquoi ne pas utiliser les fonds d'épargne en gestion financière de la Caisse des dépôts pour aider les PME et les collectivités territoriales avec des prêts bonifiés ? Il conviendrait également de mettre en oeuvre un programme d'aides aux industries en difficulté, telle celle de l'automobile pour favoriser la recherche sur les véhicules électriques et hybrides, et l'économie de l'hydrogène, avec obligation de localisation ou de relocalisation des sites de production.

Bref, il s'agit de remettre la politique industrielle, si décriée, à l'ordre du jour, pour par exemple lancer un grand plan d'infrastructures ferroviaires.

M. le président.  - Il est temps de conclure...

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Serait-ce témoigner de trop d'audace que de préparer le lancement d'un grand emprunt d'État de 30 milliards d'euros pour l'équipement ? Enfin, on ne devrait pas faire l'économie d'une relance concertée du pouvoir d'achat, en Europe et au plan international, qui aiderait les États-Unis à rétablir leurs comptes.

Le dernier axe, enfin, est international : rétablir les équilibres financiers mondiaux en stimulant la demande des pays excédentaires et aider du même coup les États-Unis à retrouver un taux d'épargne positif.

Ce n'est qu'en réunissant l'ensemble de ces conditions que nous parviendrons à resserrer la fourchette de fluctuation entre les grandes monnaies.

Vous réclamez, monsieur le ministre, une union nationale. Mais elle ne s'obtiendra que du débat, et pour autant que la paille des mots n'en couvre pas le grain... (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre)

M. Philippe Adnot.  - J'irai à l'essentiel. La situation internationale justifie ce débat. Chacun doit en mesurer les enjeux.

Il est de mode de donner à penser que la crise s'alimente d'un problème de liquidité dans le crédit interbancaire. Certes, mais il y a eu destruction de valeur. Des entreprises, des investisseurs, des particuliers enregistreront des pertes qui seront d'autant plus importantes qu'il y a eu auparavant création de valeur virtuelle, particulièrement dans les banques et leurs filiales, qui en ont bien profité... L'an dernier, Jérôme Kerviel a fait s'envoler 5 milliards, mais il y avait des bénéfices... Cette situation a même suscité un désintérêt pour certaines activités créatrices de richesse.

De cette crise, les enseignements à tirer sont nombreux, quant à la nécessité non seulement d'une régulation mais surtout de systèmes d'alerte susceptibles de déclencher une réaction politique.

Je suis entièrement solidaire, messieurs les ministres, des initiatives que vous avez prises, tout en regrettant que, dans le cas de Dexia, vous n'ayez pas assez décoté avant d'intervenir : c'eût été mieux préserver les intérêts de la Nation. J'approuve pleinement la remise en ordre que vous opérez sur la question des parachutes dorés.

Le Premier ministre a appelé à l'unité nationale. Je partage sa volonté. Mais cela suppose lucidité, cohérence, confiance et crédibilité. La crise, dont nous n'avons encore subi que les premières conséquences, ne saurait dissimuler une situation difficile, que la baisse inévitable de la demande internationale ne fera qu'amplifier. La nation ne fera bloc que derrière une politique cohérente. Il faut mettre fin aux mesures qui, chaque jour, alourdissent le fardeau des entreprises et grèvent le budget de nos concitoyens. Un exemple, un peu prosaïque, certes, mais parlant : j'ai reçu, cette semaine, une entreprise qui produit des essuie-mains et serviettes de toutes sortes. La nouvelle TGAP fait augmenter de 40 à 70 % le prix de vente de ces produits. De deux choses l'une : soit l'entreprise réduit ses emplois, soit c'est le consommateur qui pâtit. Combien d'exemples de ce type !

La confiance est indispensable aux marchés, mais aussi au pays : il ne faut pas le désespérer. Évitons de voter des textes qui déchaînent les passions sans produire aucun effet sur la création de richesse. Confiance suppose crédibilité. Après la publication du rapport Attali, le Président de la République s'était engagé à ne pas remettre en cause l'existence des départements. Une promesse dont je n'ai pas le sentiment qu'elle sera tenue... (« Ah bon ? » à gauche)

De même, le Premier ministre, dans une réponse qu'il m'avait faite au Conseil national des finances publiques, m'a assuré qu'il ne remettrait pas en cause le Fonds de compensation de la TVA. Or, certaine note interne qui a circulé semblait démentir ces propos. Il a fallu que le Comité des finances locales y remette bon ordre. Les collectivités locales, monsieur le ministre, dont les 50 à 70 milliards d'investissement annuel soutiennent largement notre économie, traversent une période difficile. L'incertitude, vous le savez, est un frein puissant à la décision...

La crise que nous traversons est sérieuse. Nous n'en avons pas encore subi tous les effets. Nous sommes partisans de l'effort dans l'unité, qui suppose, je l'ai dit, lucidité de l'analyse, cohérence des décisions, confiance, enfin, nourrie de crédibilité. Si ces conditions sont réunies, vous aurez notre soutien. (Applaudissements sur quelques bancs UMP et au centre)

M. François Marc.  - La gravité de la crise appelle de la part du Gouvernement une action déterminée pour apporter, à très court terme, dans l'urgence, les réponses nécessaires à la restauration rapide de la confiance. Mais il appartient aussi à l'opposition d'apporter des propositions constructives.

Premier constat : cette crise n'est pas un accident. Elle révèle la faillite d'un système fondé sur la doctrine libérale de « laisser-faire » et alimenté par des pratiques spéculatives irresponsables. Les dérèglements du capitalisme financier ont de longtemps suscité des analyses alarmistes et donné lieu, il est vrai, à quelques initiatives, aux USA et en Europe, pour tenter de canaliser un peu mieux les comportements des acteurs financiers. En France, le Parlement a été saisi de plusieurs textes de loi sur la sécurité financière, la directive MIF, les OPA... Or, depuis 2002, on a vu, au cours de nos débats, s'opposer deux lignes politiques. L'une, responsable, prône l'anticipation et la régulation accrue du capitalisme financier : c'est celle que nous défendons depuis plusieurs années. L'autre, celle du Gouvernement, ne songe qu'à promouvoir un libéralisme déréglementé et à limiter le champ de la régulation financière. Nous connaissons, pour l'avoir souventes fois entendu ici, son leitmotiv : « Il faut respecter la grammaire du monde des affaires ».

On peut donc se réjouir aujourd'hui du changement radical de la doctrine gouvernementale. Car lors de la récente campagne des élections présidentielles, Nicolas Sarkozy n'avait-il pas imprudemment proposé d'introduire en France la formule du crédit hypothécaire pour encourager les ménages à s'endetter ? Aujourd'hui, les déclarations du Président de la République, désormais favorable à un contrôle accru des banques et du crédit, illustrent une prise de conscience, hélas bien tardive.

Après avoir longtemps sous estimé le danger, il faut intervenir, en urgence. De fait, la crise, mondialisée, touche déjà l'économie réelle. Que faire pour rétablir, au plus vite, la confiance? Beaucoup a déjà été dit, pour ce qui est de l'action à court terme : sur la solvabilité des banques, sur la préservation d'une liquidité suffisante du système, sur les garanties à apporter aux épargnants via la recapitalisation des banques, sur la nécessité d'une transparence accrue. Nous appelons à la mise en place d'un fonds national de garantie des prêts ainsi qu'à des mesures ambitieuses de soutien à l'investissement à travers la fiscalité et l'intervention publique, par exemple sur le logement. Le lancement d'un grand emprunt européen serait un facteur de relance.

La question du pouvoir d'achat est elle aussi au coeur de tout processus de rétablissement de la confiance...

Mais au-delà du court terme, et pour empêcher tout retour de crise, le modèle du capitalisme financier doit être entièrement révisé et muni de garde-fous : c'est ce que nous avons toujours dit ici depuis la dernière crise financière. Dès l'éclatement de la bulle spéculative et la chute d'Enron en 2001-2002, nous appelions à une montée en puissance du pouvoir régulateur de l'État face aux risques de surchauffe.

M. Jacques Mahéas.  - Très bien !

M. François Marc.  - Le rapporteur général nous dit avoir en ce temps suggéré que l'on apportât quelques nuances aux propositions gouvernementales. Qu'il reconnaisse que l'opposition socialiste fut alors source de propositions constructives, qu'il eût été bon d'écouter à temps.

Je ne reviendrai pas sur nos propositions concernant la gouvernance : limitation des stock-options, responsabilisation des patrons, encadrement de la rémunération et des avantages des mandataires, etc. En revanche, nos propositions en matière de transparence financière sont plus que jamais d'actualité.

Les agences de notation doivent être mieux encadrées, afin d'éviter les conflits d'intérêts, comme nous l'avions demandé lors de l'examen de la loi de modernisation de l'économie : le dispositif existant est largement insuffisant.

On ne peut plus fermer les yeux sur l'existence et le développement des paradis fiscaux.

M. Jacques Mahéas.  - Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - C'est vrai.

M. François Marc.  - Il faut mieux identifier le risque de crédit, imposer aux banques plus de transparence sur les opérations de titrisation. Mieux les contrôler et les responsabiliser, c'est aussi mieux contrôler les structures bancaires hors bilan qui participent à la titrisation.

La nécessité d'améliorer l'efficacité des autorités de contrôle fait consensus : pourquoi a-t-il fallu attendre cette crise pour que le Gouvernement comprenne que l'on ne peut se passer d'un gendarme européen de la bourse ? Il faut étendre le pouvoir de contrôle des autorités de régulation aux intermédiaires et accélérer la coordination entre gendarmes de la bourse, en Europe et dans le monde.

Enfin, il faudrait faire fusionner certaines autorités de contrôle, pour les rendre plus efficaces : en France, la fonction de contrôle est éclatée entre cinq organismes différents !

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Très juste ! La commission des finances l'a d'ailleurs proposé, avec votre accord.

M. François Marc.  - Mais le Gouvernement n'a pas donné suite...

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - Ça vient : il a eu des déclarations encourageantes.

M. François Marc.  - Nos amendements dans ce sens n'ont en tout cas jamais été acceptés... Allez-vous enfin prendre en compte cette proposition ?

Nous entrons dans une nouvelle ère : la fin du premier âge de la finance de marché, marqué par la multiplication des produits financiers complexes et des bénéfices sans limites. Il est temps de remettre de l'équité dans un système qui risque d'entraîner dans sa chute des pans entiers de l'économie réelle, et surtout de désespérer des millions de petits épargnants et de salariés happés par le chômage. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Jégou.  - M. le ministre a évoqué « des pratiques qui n'auraient jamais dû exister ». Mais ces vingt dernières années ont été marquées par la déréglementation, la désintermédiation et le décloisonnement des marchés. La nouvelle logique financière a favorisé le financement de l'économie, qui, contrairement à la logique industrielle, privilégie le court terme. Les nouveaux produits donnent la priorité à la rentabilité immédiate, la valeur spéculative divergeant parfois de la réalité économique.

La sophistication croissante des marchés financiers a permis un libre accès aux capitaux, une désintermédiation des acteurs. Les titres et les nouveaux instruments financiers se sont progressivement substitués aux traditionnels crédits, eux-mêmes devenus « titrisables », ce qui n'a fait qu'accentuer la volatilité des marchés. Nous sommes passés d'un capitalisme industriel d'entreprenariat à un capitalisme financier de marché, où des indices boursiers, de matières premières et même des indices climatiques se négocient comme des marchandises ! Le prix d'équilibre du marché est désormais le résultat de spéculation, non plus le reflet de la réalité.

De nouveaux produits, toujours plus sophistiqués, ont vu le jour, d'une complexité telle qu'ils en deviennent opaques pour le commun des mortels et même pour ceux qui les commercialisent ! On ne sait plus ce qu'on achète !

Parallèlement, les nouvelles normes comptables, inspirées des normes américaines, visent à valoriser les actifs et les passifs des institutions financières au prix de marché, ce qui a renforcé la volatilité de leurs comptes et leur dépendance à l'égard des agences de notation. Pourquoi l'Europe est-elle restée apathique face à ces nouvelles règles ?

Lorsque le marché interbancaire est bloqué et que les prix s'effondrent anormalement, de façon temporaire ou sous l'effet d'une spéculation, la banque peut avoir un besoin ponctuel de liquidités pour couvrir la perte. Or le marché, moutonnier, interprète la moindre rumeur d'un problème de liquidités comme un risque d'insolvabilité...

M. Jacques Mahéas.  - Ce n'est pas une rumeur, c'est la réalité !

M. Jean-Jacques Jégou.  - En tant qu'hommes politiques, nous avons notre part de responsabilité. Qu'il s'agisse du financement des retraites ou du remboursement de la dette sociale, nous avons fait appel à l'ingénierie financière pour dissimuler nos manques.

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est Juppé !

M. Jean-Jacques Jégou.  - Nous avons laissé les prix de marché s'écarter des fondamentaux de l'économie réelle : la bourse a longtemps connu des taux de rendements bien supérieurs au taux de croissance !

Il y a eu erreur de diagnostic sur la gravité de la crise et sa capacité de contagion. En faisant croire que l'Europe et la France seraient épargnées, nous avons perdu de précieuses semaines qui auraient pu servir à chercher une ébauche de solution au niveau européen.

La surveillance et la régulation ont également fait défaut : contrairement aux banques, les fonds d'investissement et autres hedge funds ne sont pas soumis à contrôle, non plus que les agences de notation, qui ont tout pouvoir ! Que sait-on de la démarche de ces agences, qui ont des appréciations parfois assez atypiques...

Nous devons maintenant faire face aux conséquences catastrophiques de cette crise. Nos banques d'affaires de taille moyenne, qui ne sont pour l'instant touchées qu'à la marge, sont paralysées par le manque de liquidités. Nous souscrivons à l'action du Gouvernement pour les PME, car nos entreprises peinent à financer leurs investissements et leurs projets.

M. Gérard Longuet.  - C'est vrai.

M. Jean-Jacques Jégou.  - Les banques privilégiant les activités les plus rentables et les moins risquées, la crise se répercute sur les ménages. Malgré la « bulle » immobilière, la demande de logements reste forte : c'est bien le resserrement du crédit qui pénalise les primo-accédants.

S'il est impératif de moraliser la rémunération des dirigeants, la suppression des parachutes dorés ne sera qu'un épiphénomène : ce n'est pas la solution de tous nos maux !

Le plan Paulson propose de cantonner tous les subprimes dans une structure dédiée, dite de défaisance, comme le CDR du Crédit Lyonnais naguère, en garantissant leur valeur. Il était indispensable, mais n'a nullement restauré la confiance des marchés...

Les pouvoirs publics doivent favoriser le financement de l'économie sans dégrader davantage nos finances publiques. Vous y êtes arrivés, pour l'instant.

Mais une crise internationale appelle une réponse internationale. Notre groupe souhaite que la présidence française mette en oeuvre une réponse coordonnée au niveau européen. Le Premier ministre britannique Gordon Brown a annoncé cet après-midi avoir invité les pays de l'Union à adopter un plan européen de financement du système bancaire. Le Président de la République a pour sa part insisté sur la nécessité d'une réponse concertée, et affirmé y travailler. Où en est cette initiative, monsieur le ministre ? L'intérêt d'un plan européen serait de fournir de la liquidité de banque centrale à bas taux au système bancaire, afin d'assurer le financement de notre économie face au risque d'un credit crunch.

La décision conjointe des banques centrales d'abaisser aujourd'hui leurs taux directeurs va dans le bon sens, mais, après un lundi noir, nous avons néanmoins connu un mercredi noir...

Toutefois, il faut nous interroger sur notre capacité financière face à la crise et ne pas nous leurrer sur nos moyens d'intervention, tout en rassurant nos concitoyens quant à la pérennité de leurs dépôts, afin d'enrayer tout mouvement de panique des épargnants, but en partie atteint par le plan arrêté hier lors de l'Ecofin. Je tiens d'ailleurs à saluer nos compatriotes qui, contrairement aux Britanniques, n'ont pas cédé à la peur : les retraits des banques de dépôt ont, pour l'instant, été infimes.

La crise financière ne doit toutefois pas être un prétexte à laisser filer notre déficit dans un contexte de finances publiques très dégradées. C'est pourquoi nous ne devons pas nous affranchir des critères de Maastricht.

Les normes comptables des établissements financiers devront être rénovées afin de prendre en compte la valeur économique réelle de leurs actifs.

Les fondamentaux du système financier doivent aussi être revus pour revenir à des actifs plus simples, et donc plus lisibles et transparents. Les marchés échappant à toute forme de régulation devront être encadrés : selon les dernières estimations, 60 000 milliards de CDS, de credit default swaps, y échappent à l'heure actuelle.

Cette crise est aussi un moyen d'améliorer la régulation financière européenne afin d'apporter des réponses de long terme capables de stabiliser le système financier et de soutenir ainsi le développement économique.

Et puis, il ne faut pas jeter l'eau du bain avec le bébé ! Le budget de l'Europe se monte à 120 milliards et de nombreux pays membres rechignent à augmenter leur quote-part. Aujourd'hui, les sommes en cause sont bien plus élevées et l'Europe doit faire preuve de son existence. C'est en tout cas le souhait du groupe UC. (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droite)

M. Thierry Foucaud.  - Il y a moins d'un an, à vous écouter, tout allait bien. Il y a encore quelques semaines, Mme Lagarde déclarait que la crise était derrière nous. (Mme Borvo Cohen-Seat rit) Aujourd'hui, le système que vous défendez, le système dont M. Sarkozy s'est fait le héros, est en faillite. Cette faillite, c'est celle de votre Gouvernement, de vos dogmes. La pensée unique, fondée sur les vertus du marché et de la concurrence libre et non faussée, le culte de l'argent roi présenté comme valeur cardinale de notre société, s'écroulent. Hier, M. Sarkozy, à Toulon, et aujourd'hui M. Fillon tentent l'impossible : faire oublier leur responsabilité écrasante dans la crise terrible qui secoue la France et le monde et plonge les populations dans l'inquiétude et, pour bon nombre, dans le désespoir du chômage et de la pauvreté.

Vous montrez du doigt vos propres amis, les chantres du CAC 40. Mais vous ne pourrez faire oublier que c'est votre politique et le système que vous adulez qui leur a permis de faire main basse sur l'économie de notre pays. Vous ne pourrez masquer longtemps votre étroite complicité avec les patrons ! M. Sarkozy veut refonder le capitalisme. (Mme Borvo Cohen-Seat rit) Sans doute, MM. Bolloré, Lagardère, Bouygues et Arnault sauront le conseiller efficacement !

Les gesticulations relatives aux parachutes dorés montrent bien les limites de cet exercice. Après avoir annoncé une loi, vous en êtes revenu à l'étude au cas par cas. Demain, avec mes amis du CRC, je déposerai une proposition de loi interdisant cette pratique scandaleuse, je demanderai au Gouvernement de la mettre en débat et au Sénat de la voter.

Aujourd'hui, après le désastre américain et la disparition des banques d'affaires dans ce pays, l'ouragan s'abat sur l'Europe. Un jour, c'est l'italien Unicredit qui est à deux doigts du dépôt de bilan, le lendemain, c'est Hypo Real Estate, la banque des accédants à la propriété allemands, qui est à court de liquidités, le surlendemain, c'est Fortis, principale banque de dépôt du Benelux, qui est sauvée in extremis par l'intervention des pays concernés et par le rachat de ses actifs par BNP-Paribas. Et que dire de Dexia qui est attaqué depuis plusieurs jours, malgré la recapitalisation que vous avez précipitamment conduite ou de l'éventuel mariage des Banques populaires et des Caisses d'épargne, victimes d'une gestion hasardeuse ?

La situation est si grave que Gordon Brown, ce redoutable social-libéral, issu du modèle blairiste de la gauche qu'aime la droite, vient aujourd'hui même de recapitaliser, à hauteur de 65 milliards de livres sterling, les principaux établissements bancaires de Grande-Bretagne ! La nationalisation, véritable épouvantail de tout libéral qui se respecte, devient, du jour au lendemain, une bouée de sauvetage inespérée. Pour renflouer les établissements financiers victimes des turpitudes spéculatives de leurs dirigeants, les responsables politiques occidentaux font la poche du contribuable.

Nous n'accepterons pas ce nouveau vol : l'État va renflouer les affairistes pour leur rendre dès que possible des établissements assainis. Or, il faut que l'intervention des pouvoirs publics soit durable. Si grave est la situation que le gouvernement français a décidé d'affecter la totalité de l'encours des livrets de développement durable (LDD) au financement des petites et moyennes entreprises ! Mais n'était-ce pas déjà leur raison d'être ? (Mme Borvo Cohen-Seat et M. Fischer applaudissent) Cette volte-face nous ferait sourire si la situation n'était pas si grave. Pour notre part, nous avions depuis longtemps prôné l'affectation de ces fonds aux PME ! Mais vous préfériez rejeter nos amendements, estimant que cette épargne devait profiter aux grandes entreprises impliquées dans la spéculation financière.

Il faut augmenter l'aide au développement industriel en augmentant le plafond des livrets aujourd'hui ridiculement bas. Alors que 150 000 euros peuvent être placés sur une assurance vie, un LDD est plafonné à 6 000 euros.

Votre système est en faillite et tous les voyants sont au rouge. Le déficit et la dette explosent au point de rendre le traité de Maastricht et ses critères libéraux obsolètes. Vous avouez enfin la récession alors que le chômage repart à la hausse. Que signifie, dans ce contexte, la réforme de l'ANPE ou la mise en place du RSA ?

Le Premier ministre va-t-il continuer à répéter, droit dans ses bottes, comme l'un de ses illustres prédécesseurs, que les réformes doivent continuer ? Va-t-il se faire encore le chantre du libéralisme qui emmène la France, l'Europe et le monde droit dans le mur ? Le paquet fiscal qui symbolise la crise actuelle va-t-il être maintenu ? Certains ménages auraient reçu 23 000 euros au titre de ce bouclier. (M. Fischer applaudit) Le « Travailler plus pour gagner moins » est-il encore de mise ? Allez-vous mettre fin aux heures supplémentaires qui poussent le chômage à la hausse ?

La crise que nous vivons est grave et la confiance que nos compatriotes nourrissent à l'égard du Gouvernement limitée. Les enquêtes d'opinion le prouvent : la majorité d'entre eux doutent de la capacité du Gouvernement à faire face à la crise et 77 % des Français estiment que notre système économique est en cause. Pourtant, malgré les effets de manches de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement veut en revenir au plus vite aux pratiques antérieures, dès que l'orage sera passé. Quoi d'étonnant puisque depuis quarante ans, votre camp a soutenu les politiques de spéculation financière et monétaire, la déréglementation et la mondialisation bancaires, la privatisation des services et des entreprises publics ?

Pour couronner le tout, la construction européenne nous prive des moyens de résoudre la crise. Le traité de Lisbonne, qui fait de l'indépendance de la Banque centrale européenne l'un des pivots de l'Union et du Pacte de stabilité l'alpha et l'oméga des finances publiques, est au coeur du cyclone. M. Trichet, qui fronce les sourcils pour 3 % de déficit, ne mobilise-t-il pas pourtant 300 milliards par jour, soit le budget de la France, pour sauver les marchés financiers ? Il ferait bien mieux de baisser vraiment le taux directeur de la BCE, pour alléger le coût du crédit interbancaire ! Quand va-t-on redéfinir les contours de l'intervention de la BCE, quand va-t-on procéder à la révision du Traité européen, en abandonnant un texte dont les électeurs français, néerlandais et irlandais n'ont pas voulu ? J'invite d'ailleurs nos collègues ayant ratifié le traité de Lisbonne à s'interroger, à la lumière des événements récents, sur leur vote !

Plutôt que de laisser la main invisible, voire occulte du marché tout réguler, il est temps que les États et la politique, au sens noble du terme, reprennent la barre. La nationalisation des établissements de crédit en difficulté ne suffit pas. L'argent public ne doit pas servir à socialiser les pertes d'un secteur privé qui ne se prive pas de gaspiller l'argent ! La nationalisation du crédit et de l'assurance est nécessaire et il faut revenir sur le mouvement engagé en 1986 afin de mobiliser l'argent et de répondre aux exigences du développement de l'économie réelle et de la société en général. A ce propos, comment ne pas remarquer qu'une grande banque, nationalisée en 1945, privatisée en 1986, a finalement été partiellement renationalisée ce week-end ? A une nuance près : en 1945, c'est l'État français, soucieux de reconstruire le pays, qui avait nationalisé la BNP. Dimanche dernier, c'est la Belgique qui est devenu l'actionnaire principal de cette banque avec 12 % du capital !

De même, il est temps de relever les plafonds de l'épargne défiscalisée et le taux de la participation des entreprises à l'effort de construction. Il faut, en France et en Europe, une sélectivité nouvelle du crédit, fondée sur une réduction des taux d'intérêt et un soutien réel à la création de richesses, en bonifiant les crédits accordés aux entreprises investissant et créant des emplois. L'épargne des salariés de notre pays ne doit plus être engloutie dans les rachats de créances « pourries » outre Atlantique !

L'argent des banques, c'est celui des salariés, il est issu de la production : il est temps qu'il leur revienne.

L'heure est grave. Nous vous exhortons à tirer les leçons de vos échecs et à informer le peuple et ses représentants de la réalité de la situation. Démocratie et transparence sont les clés du redressement économique et social. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur plusieurs bancs socialistes)

M. Éric Woerth, ministre.  - Le président Arthuis a fait une excellente analyse des causes de la crise, taux bas, inflation du prix des actifs, emprunts à risque, titrisation des créances, incapacité à tracer le risque. Il a bien rappelé quelle était notre priorité : éviter le risque systémique. Nous le faisons en injectant des liquidités, en garantissant la continuité et la stabilité de nos banques, en coordonnant nos actions au niveau européen, en réformant le système financier mondial. Le programme est en effet ambitieux. Le président Arthuis a en outre évoqué un soutien ciblé à certains secteurs ; la France, pour sa part, a choisi les PME et le logement, étant entendu que le Gouvernement, à ce stade, ne ferme aucune porte. Nous resterons vigilants et adapterons nos réponses à la situation. Il faut, c'est certain, réfléchir dès aujourd'hui à ce qui s'est passé, à ce qui se passe, afin que tout cela ne se reproduise pas, réfléchir aux modes de rémunération, à la traçabilité du risque, à la supervision, aux agences de notation qui ont beaucoup péché, aux normes comptables. Je n'oublie pas l'instruction fiscale que vous avez évoquée, monsieur le président, à laquelle nous travaillons... Sachez que notre détermination est totale, à court comme à long terme.

Il est vrai, monsieur le rapporteur général, que cette crise est révélatrice d'un monde financier qui disparaît ; il faut accompagner la restructuration qui vient afin qu'elle n'entraîne pas de drame économique. Il est vrai aussi que des certitudes ont explosé, sur les taux par exemple -la priorité est aujourd'hui ailleurs. Mais d'autres certitudes demeurent, comme le nécessaire assainissement de nos finances publiques. Les choses peuvent certes être interprétées et nous devons utiliser à plein les possibilités que nous donne le pacte de stabilité -si les circonstances actuelles ne sont pas exceptionnelles, je ne sais quand elles le seront. L'assainissement de nos finances publiques est une réponse véritablement durable.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Tout à fait !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous nous adaptons, tout en respectant nos engagements européens. La seule façon intelligente de lutter contre les déficits structurels, c'est de contenir la dépense publique.

Je sais, monsieur le rapporteur général, que vous avez montré le chemin s'agissant des agences de notation. Nous devrons repenser les règles prudentielles et comptables, les conclusions de l'Ecofin ont été claires ; Bruxelles doit adopter un texte d'ici la fin de ce mois qui s'appliquera aux banques avant fin 2008.

Vous avez rappelé, monsieur du Luart, la nécessité de garder le cap. Nous le gardons, sans autisme, en nous adaptant. Le Premier ministre et le Président de la République n'ont pas dit autre chose. Vous avez eu raison de souligner que les participations éventuelles de l'État dans un établissement bancaire n'auront pas de coût budgétaire. L'État a investi un milliard dans Dexia, avec une vision patrimoniale ; il y aura bien un déboursement par le biais d'un emprunt, mais aussi des titres en contrepartie. Une prise de participation n'est pas plus une dépense budgétaire que la vente d'une participation n'est une recette budgétaire. Quant au soutien aux PME, il n'entraînera pas non plus de dépense nouvelle : nous mobilisons de la trésorerie, qui n'est pas dormante, de façon tout à fait naturelle.

S'agissant du secteur financier, nous allons refonder la régulation, nous intéresser aux agences de notation, revoir les normes comptables, les règles prudentielles des banques et les pratiques de titrisation. Une directive européenne sur ces sujets sera publiée d'ici la fin de l'année.

Il faut en effet, monsieur Collin, repenser le système financier international. Le Président de la République l'a dit avec insistance. Mais vous connaissez la situation politique des États-Unis ; le débat est aussi diplomatique qu'économique. Vous souhaitez de grandes initiatives au niveau européen ; la France préside l'Union, c'est plutôt une chance, elle peut entraîner ses partenaires. Pour être efficaces et puissantes, nos actions doivent être coordonnées : nous nous y efforçons. Je ne partage pas vos propos sur le démantèlement du service public. (Exclamations sur les bancs CRC et sur plusieurs bancs socialistes)

M. Philippe Marini, rapporteur général.  - Nous le modernisons !

M. Éric Woerth, ministre.  - Il n'y a d'ailleurs aucune raison de le réhabiliter puisqu'il n'est pas dégradé. Nous voulons un service public puissant et actif, dont le coût ne soit pas disproportionné avec son efficacité.

Vous nous avez appelés à ne pas nous résigner : le Gouvernement ne se résigne pas plus que la majorité qui le soutient.

Non, monsieur Chevènement, il n'y pas de contradiction entre ce que nous faisons pour éviter les faillites bancaires et notre discours sur l'assainissement nécessaire de nos finances publiques. Il y a au contraire de la cohérence. Un credit crunch aurait des conséquences dramatiques. D'ailleurs, si la crise s'aggravait, nos finances publiques s'en trouveraient encore plus mal. Il n'y a pas d'autre solution que de tenir bon.

La vente de la prise de participation de l'État dans Alstom a rapporté une plus-value de 2 milliards -une bonne affaire pour le contribuable.

L'Europe n'est pas condamnée à l'impuissance, elle est condamnée à être demain plus active et mieux coordonnée. Pour résister, il faut des capacités financières importantes : l'Europe doit exister pour ne pas laisser les États-Unis, qui sont à l'origine des événements que nous connaissons, gérer seuls la sortie de crise.

Merci pour quelques unes de vos idées que nous avons reprises.

Sur votre proposition d'un grand emprunt européen, je suis plus circonspect. Européen ou pas, c'est toujours un emprunt, alors que le problème des liquidités ne se pose pas pour les États ; ils sont même les seuls, actuellement, à pouvoir trouver des financements.

Bravo, monsieur Adnot : vous avez, à propos de la crise financière internationale, réussi à parler du FCTVA ! (Rires) Je connais votre attachement au sujet mais nous n'avons pas l'intention de réformer le FCTVA. D'en discuter oui ; de le réformer, non. (On se moque, à gauche)

M. Marc nous a présenté un catalogue de propositions. Sur la transparence des rémunérations, nous sommes en phase. Les conseils d'administration doivent maintenant mettre en vigueur ce à quoi s'est engagé le Medef ; sinon, il faudra recourir à la loi. L'emprunt européen, c'est l'affaire de la BEI. Sur les paradis fiscaux, je réunis les ministres des finances de l'OCDE le 21 octobre, en liaison avec mon collègue allemand ; mais nous ne pouvons rien faire de décisif avant l'installation de la nouvelle administration américaine. La supervision du secteur financier ? Nous sommes d'accord : il faut rapprocher un certain nombre d'entités, la loi sur la modernisation de l'économie l'avait envisagé. Les fonds de garantie, dont a parlé aussi M. Hollande cet après-midi à l'Assemblée nationale ? Avec le fonds d'accession sociale à la propriété, on va passer de 20 à 60 % des emprunteurs.

Oui, monsieur Jégou, c'est l'actuelle logique du court terme qu'il faut changer pour éviter le dévoiement du système. Il ne s'agit pas d'imposer des règles prudentielles laxistes en période de croissance et bloquantes en bas de cycle. Oui, encore, les règles de management doivent être changées.

Avec M. Foucaud, nous ne sommes d'accord sur rien, hormis peut-être quand le Président de la République parle de moraliser le capitalisme financier. Nous, du moins, assumons nos réformes alors que vous êtes dans la dénonciation et ne formulez aucune proposition. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous n'écoutez pas, il est là le problème.

M. le président.  - Nous en venons à la séance de questions et réponses.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Le Gouvernement a pris des mesures immédiates pour le logement social et pour faciliter l'accès au crédit des PME. Je m'étonne que vous n'ayez pas évoqué le financement des grandes collectivités territoriales, qui ont besoin de crédits bancaires, et en particulier de Dexia. Depuis quelques jours, on leur demande de « suspendre » le déblocage de crédits, voire de « ne pas utiliser » ceux-ci. Si l'on ne retrouve pas un peu de liquidité interbancaire, les grandes collectivités territoriales devront trouver d'autres sources de financement, à un taux plus élevé, ou bien augmenter sensiblement le taux de leurs impôts, comme vient de le faire M. Delanoë.

Quelles dispositions compte prendre le Gouvernement, en accord avec le Comité des finances locales, pour remédier à cette difficulté ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Éric Woerth, ministre.  - Je ne puis vous faire une réponse complète ce soir...

Les collectivités territoriales ne sont pas sur une île où elles échapperaient aux difficultés de l'heure ! Un de leurs importants financeurs, Dexia, a été recapitalisé par les gouvernements concernés. Des engagements ont été pris. Cela vaut pour les autres banques. Je sais que des informations se diffusent mais il n'y a pas de risque avéré en l'état actuel des choses. Les grandes banques françaises ne sont pas menacées. La BCE va injecter des liquidités, elle ouvre de nombreuses lignes de crédit en assouplissant ses règles. Elle fait en sorte que les crédits accordés aux banques ne soient plus au jour le jour mais de 3 à 36 mois.

Le dispositif va gagner en souplesse.

M. Aymeri de Montesquiou.  - La tempête qui balaie ce monde financier sans rivages a plongé dans l'angoisse les économies et les épargnants de tous les pays. On ne peut que souligner la réactivité du Président de la République au niveau international, dans le cadre de l'ONU, du G4 européen, auprès de nos partenaires de l'Union européenne, et au niveau national par son soutien aux entreprises et à l'immobilier, et par les garanties données aux épargnants. Ces décisions admises par tous constituent une forme d'union nationale. On ne peut pour autant demander à l'opposition de ne pas se prononcer sur les mesures à mettre en place afin qu'une telle catastrophe ne se reproduise pas.

Cette crise devrait être une opportunité pour redéfinir les relations entre les banques et l'économie réelle. Comment comptez-vous renforcer les règles de clarté et de transparence sur les marchés, les seules à même de prévenir la constitution de créances douteuses ? Entendez-vous demander un relèvement des seuils des fonds propres des banques pour asseoir leur solvabilité ? Présidant le conseil des ministres des finances, allez-vous proposer des règles bancaires européennes ? Certains souhaitent un assouplissement des critères de Maastricht. Alors que les entreprises et les citoyens vont devoir faire des sacrifices, l'État peut-il s'abstraire d'une règle votée ? Un tel assouplissement rééquilibrerait-il les comptes publics ? Corrigerait-il le dysfonctionnement de la sphère publique ? La France, présidente de l'Union, doit être exemplaire. Par-dessus tout, comment comptez-vous rétablir la confiance ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Cela fait beaucoup de questions !

Les banques ont répondu au Gouvernement sur leur bilan.

Les établissements ont fait un effort de transparence -essentiel, car l'économie, c'est tout bête : il faut une confiance entre les acteurs !

Dans l'immédiat, il faut définir un nouveau système de régulation. Après le discours de Toulon, nombre de responsables européens ont suivi la voie esquissée par le Président de la République. Mme Lagarde proposera de nouvelles règles d'ici la fin de l'année à nos partenaires européens, notamment en ce qui concerne les produits sophistiqués, comme les opérations de titrisation où une traçabilité est souhaitable, et les problèmes de liquidités. Il faudra revoir le rôle des superviseurs, en cas d'emballement du crédit.

Sur les critères de Maastricht, la position du Gouvernement est claire. On peut s'en dégager dans des circonstances exceptionnelles et le Gouvernement ne s'interdit rien. Etre immobile est coûteux et nous devons avoir la possibilité de nous ajuster, sans détériorer les finances publiques. Or on ne sait ce que seront les recettes dans les mois à venir ; mais les dépenses, nous le savons, et c'est là que peut porter l'effort. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Bricq.  - Hier, à l'Assemblée nationale, Mme Lagarde a dit que le Gouvernement s'efforçait « de donner à l'économie réelle les moyens de résister aux dégâts causés par l'économie financière ». Quel aveu, quelle reconnaissance de ce que nous disions depuis plus d'un an et quel désaveu de tout ce que vous avez fait ! Je me rappelle encore nos débats à propos de votre projet de loi de modernisation de l'économie, qui prenait en modèle la place de Londres et voulait que celle de Paris lui fasse concurrence... L'heure n'est pas à la querelle. Mais nous déplorons la confusion des annonces faites par le Président de la République et le Premier ministre : comment voulez-vous que les Français se rassurent !

Vous nous accusez d'être mauvais joueurs et de refuser cette unité nationale à laquelle vous appelez. Mais nous ne nions pas les efforts déployés par le Président de la République auprès de nos partenaires : hélas, c'est le chacun pour soi qui l'emporte ! Garantie d'actifs, capitalisation... Vous annoncez une structure juridique « au cas où... ». Il y a une bonne finance, indispensable à l'économie réelle, aux sauts technologiques de l'appareil productif. Mais vous avez à maintes reprises affirmé que la donne budgétaire ne serait pas affectée. La situation en 2008 n'est pas celle que vous disiez et l'embellie n'a guère de raisons de se manifester en 2009. Le budget que vous avez présenté ici le 24 septembre n'est-il pas désormais complètement décalé ? Vous savez bien qu'il n'est pas opérationnel : comptez-vous le garder en l'état ? (Applaudissements à gauche)

M. Éric Woerth, ministre.  - Il n'est ni obsolète, ni décalé. Vous reprenez le discours de François Hollande...

Mme Nicole Bricq.  - Je ne sais pas quels termes il a employés.

M. Éric Woerth, ministre.  - Alors je fais circuler l'information entre vous ! Le budget est fondé sur des indicateurs macro-économiques prudents, 1 % de croissance, 2 % d'inflation...Quant aux dépenses, elles sont maitrisées, arrêtées pour trois ans. Leur niveau est le fruit de la révision des politiques publiques. Certes, le coût de la dette peut varier, mais il s'est déjà considérablement alourdi cette année. Accroître les dépenses serait une réponse conjoncturelle, extraordinaire. Nous en discuterons, car si le budget s'inscrit dans une trajectoire que nous ne voulons pas remettre en cause, nous ne nous interdisons pas de revoir certaines choses ! (Applaudissements à droite)

M. Michel Mercier.  - La crise est planétaire. Mais en France, en Allemagne, certaines institutions financières souffrent plus que d'autres, je songe aux Caisses d'épargne et au Crédit agricole. Est-ce leur origine juridique, leur culture ? Ils paraissent mieux armés pour financer le développement local que pour aller acheter des créances douteuses au fin fond de l'Amérique. Que comptez-vous faire ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Mme Lagarde participe actuellement à une réunion à Luxembourg sur l'avenir de Dexia.

M. Michel Mercier.  - Ma question concerne aussi Dexia, qui n'a rien à faire en Amérique...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Les activités de marché ne représentent que le quart des activités dans les banques françaises, les trois quarts provenant des prêts et des dépôts. La situation des établissements français est donc plus solide que celle des banques britanniques par exemple. Nous ne sommes pas protégés de tout, mais les risques sont moindres.

Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé la création d'un véhicule juridique grâce auquel aucune banque ne sera déclarée en faillite. Si des investissements hasardeux ont placé un établissement -privé- en situation de fragilité, au risque de la faillite, les dirigeants seront changés -et le Gouvernement interviendra.

M. Bernard Vera.  - La crise financière prend un tour dramatique, nous craignons qu'elle soit utilisée pour imposer aux salariés de nouveaux sacrifices. Vous confirmez vos choix politiques et budgétaires alors qu'ils ont un caractère récessif. Baisse de la dépense publique, suppression d'emplois publics, dans une période de restriction dans l'accès au crédit et de chômage : vous jetez de l'huile sur le feu !

Vous invoquez les engagements européens.

En votant « non » en juin dernier, l'Irlande a rejeté le traité de Lisbonne et la crise financière vient de montrer que les solidarités européennes se sont relâchées et qu'on est entré dans l'ère du chacun pour soi.

Malgré les déclarations de Jean-Claude Junker, les critères de convergence semblent atténués et les déficits seront mieux tolérés. Il faut remettre en cause les critères de convergence et ouvrir une négociation sous le contrôle des parlements nationaux. N'est-il pas temps que la France, qui préside l'Union, en prenne l'initiative et que le processus de ratification du traité de Lisbonne soit abandonné pour que l'Europe développe les solidarités entre États, les services publics, l'efficacité des banques au service de l'emploi ? Il est temps de mettre un terme au libéralisme à outrance. (Applaudissements sur les bancs CRC ; MM. Godefroy et Chevènement applaudissent également)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement ne partage pas votre analyse. Vous semblez considérer que l'Europe ne sert à rien alors que dès hier, le comité Ecofin a adopté toute une série de réponses immédiates à la crise. L'Europe soutiendra ses banques sous forme de recapitalisation mais cela se fera au niveau des États suivant une méthode commune et de manière à mettre un terme aux excès. Ces solutions tiennent compte de la grande variété des situations comme du besoin de principes communs. L'Europe a bien montré sa capacité de réaction rapide. Inversement, renégocier les traités risquerait de provoquer des réactions intempestives dans un monde déjà particulièrement troublé.

M. Gérard Longuet.  - Avec détermination, le Gouvernement a réagi rapidement pour que la crise de liquidités interbancaire ne se transforme pas en crise économique : il va mobiliser 17 milliards pour les PME et 5 milliards au titre d'Oseo. De quels moyens allez-vous vous doter pour être certains que ces fonds iront vraiment aux PME, et particulièrement aux PME du bâtiment, si exposées ?

L'excellent rapport de René Ricol montre que la régulation internationale existe mais que la créativité des agents économiques est très largement supérieure à la capacité normative transatlantique ou européenne. Ne vaut-il pas mieux mettre les marchés sous surveillance que de chercher à encadrer ?

Enfin, Mme Lagarde va lancer un comité de diffusion de la culture économique qui devait d'abord se consacrer aux manuels scolaires. Ne peut-on en profiter pour rappeler qu'au lieu de monter jusqu'au ciel, les bénéfices ne peuvent pas dépasser l'activité et que les dirigeants des entreprises doivent être les actionnaires et non des managers qui ne risquent pas leur argent ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Vos chiffres sont exacts : ce sont bien 22 milliards qui vont être rapidement mis à la disposition des PME. Comment ? Sur 17 milliards de fonds d'épargne règlementée, 8 milliards le seront dès demain par la baisse du taux de centralisation de ces livrets d'épargne et 9 milliards le 15 octobre. Une convention entre l'État et les réseaux bancaires en cours de finalisation prévoira un suivi mensuel de l'encours et de la production de prêts aux PME afin que nous puissions suivre les stocks et les flux. Les 9 milliards provenant des livrets d'épargne populaire bénéficieront aussi aux entreprises intermédiaires, cette catégorie créée par le Sénat dans la loi de modernisation économique. La convention prévoira en outre une obligation d'affectation exclusive aux PME, à l'euro près, sous forme de nouveaux crédits. Vous aurez ainsi l'assurance que les financements serviront bien aux PME.

L'excellent rapport Ricol inspire de manière très large l'action du Gouvernement en matière de régulation. Ce n'est pas l'absence de régulation qui est à l'origine de la crise mais une régulation inadaptée -évitons donc les caricatures !

La culture économique...

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Oui, le développement de la culture économique nous éviterait beaucoup d'erreurs. (On applaudit sur les bancs UMP)

Mme Dominique Voynet.  - Loin de moi la tentation de me laisser aller à l'ironie qu'il y a à entendre, pour surmonter une crise que je considère comme la remise en cause du modèle naguère indépassable du libéralisme économique, les apôtres de la déréglementation appeler au secours cet État qu'ils pourfendaient.

Il y a eu des signes avant-coureurs de la fragilité d'une économie financiarisée opaque, où les profits de court terme l'emportent sur la morale politique et sur l'économie réelle, l'emploi, l'environnement ou la santé. Mais le Gouvernement les a ignorés, convaincu que la crise ne traverserait pas plus l'Atlantique que le nuage de Tchernobyl les frontières.

Il faut aujourd'hui éviter un effondrement économique et un effet domino. La crise n'est pas un incident de parcours ; elle aura des conséquences majeures. Il serait incompréhensible de mobiliser toutes les énergies pour sauver les établissements financiers si on n'établissait pas les responsabilités de ceux qui ont les yeux fermés mais des parachutes dorés déployés. Il serait obscène de mobiliser tous les moyens pour sauver les banques sans se soucier du sort des plus modestes, ceux qui sont sous le seuil de pauvreté ou dont l'emploi est menacé.

Comment admettre la suppression de milliers d'emplois de fonctionnaires, l'effondrement des crédits du logement social, l'absence de moyens pour nous adapter à la nouvelle donne énergétique ? Est-ce le moment pour priver les villes pauvres des moyens de limiter la crise en ne tenant plus compte de logements sociaux, non pas simplement des 20 % qui semblent encore donner de l'urticaire à certains, mais des 30, voire 50 % de celles qui ont besoin du soutien de l'État ?

Le Gouvernement considère-t-il ce court débat sans vote comme un mauvais moment à passer ou bien envisage-t-il de revoir en profondeur le budget concocté dans la béatitude de l'été ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Éric Woerth, ministre.  - Madame Voynet, je ne sais vraiment pas comment répondre à ce plaidoyer politique. (Murmures à gauche) Le gouvernement français n'aurait rien vu venir. Modérons ces propos... Le Gouvernement a agi immédiatement, il a pris des initiatives au niveau européen. D'ailleurs, aucun gouvernement au monde n'avait prévu ce qui allait se passer, aucun économiste non plus.

Mme Dominique Voynet.  - Et Joseph Stiglitz ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous ne sommes pas les apôtres d'une quelconque idéologie. Il n'y a pas d'un côté les partisans de la dérégulation et les militants de la régulation. Nous sommes pragmatiques et le Gouvernement a toujours voulu que tout fonctionne, les services publics comme le reste.

La crise impose un discours modeste : la modestie n'a jamais fait de mal à personne... (Sourires à droite) Ce n'est pas un sujet facile. Malheureusement, il est souvent plus simple de donner des leçons et de se réfugier dans l'incantation. Ne pensez-vous pas que les intérêts nationaux doivent parfois l'emporter sur les intérêts claniques ou politiques ? Nous essayons aujourd'hui de rassembler pour construire autre chose.

Vous avez employé des termes forts. Il serait selon vous « obscène » d'aider les banques, que vous opposez aux personnes modestes. Ce raisonnement est incroyable ! Il n'y a pas que les riches qui ont des comptes en banque. Protéger les banques, c'est protéger les plus modestes qui seraient les premiers à souffrir de l'effondrement de ce secteur.

Au-delà, le Gouvernement continue de travailler ; il continue de réformer. L'Assemblée nationale a adopté la loi sur le revenu de solidarité active. (Murmures à gauche) Le revenu de solidarité active, c'est une réforme profondément sociale, de même que l'élargissement de la participation et de l'intéressement.

Mme Dominique Voynet.  - Et la réforme de la DSU ?

M. Éric Woerth, ministre.  - La France est le pays où les transferts sociaux sont les plus importants au monde.

M. Serge Lagauche.  - Un peu de modestie...

M. Éric Woerth, ministre.  - Alors, arrêtez de dire que nous ne respectons pas le pacte social français ! Nous sommes particulièrement attentifs à l'équilibre social de notre pays. (Protestations à gauche)

Enfin, je me réjouis que vous vous intéressiez à la loi de finances pour 2009 et puis vous assurer qu'elle est parfaitement adaptée à la situation. (Marques de scepticisme à gauche) J'espère d'ailleurs, madame la sénatrice, que vous nous aiderez à réduire la dépense publique. Car, dans ce contexte, un bon budget est celui qui a pour objectif la réduction et la maîtrise de la dépense publique. (Applaudissements sur les bancs UMP et sur quelques bancs au centre)

M. le Président.  - Je remercie tous les participants à ce débat.