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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Saisine du Conseil constitutionnel

Rappel au Règlement

Grenelle de l'environnement (Suite)

Explications de vote

Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

Rappel au Règlement

Discussion de l'article 13

Discussion générale

Rappel au Règlement

Discussion générale (Suite)

CMP (Demande de constitution)

Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (Suite)

Discussion générale (Suite)

Exception d'irrecevabilité

Question préalable

Renvoi en commission




SÉANCE

du mardi 10 février 2009

66e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Marc Massion.

La séance est ouverte à 16 heures 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président.  - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 février 2009, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, par plus de 60 sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Rappel au Règlement

M. Jack Ralite.  - Ce matin, nous devions débattre de la loi organique relative à l'audiovisuel public qui fut, dans l'actuelle logique affolée du Gouvernement, déclarée d'urgence, puis plus d'urgence, pour finalement briller par son absence au Sénat... Devant ce fait, la majorité de notre assemblée marque par trop son silence. Pour autant, la déconsidération du Sénat n'est pas en errance bien que certains veuillent laisser l'examen du texte par la Haute assemblée en souffrance.

Au recours déposé par notre groupe devant le Conseil d'État, il a été répondu que l'urgence n'est pas retenue parce qu'il est impossible de revenir en arrière. Ainsi, la démocratie peut-elle être laissée pour compte parce que c'est trop tard ! Voilà une aberration grossière à méditer... En revanche, le Conseil d'État a considéré que notre contestation était fondée : le recours, a-t-il écrit, « en l'état de l'instruction ne paraît pas insusceptible de relever de la compétence de la juridiction administrative ». Que le Conseil d'État écarte les arguments juridiques du ministère pour poursuivre l'instruction sur le fond constitue assurément un premier avertissement donné au Gouvernement. J'y vois également la preuve que notre assemblée a tout intérêt à défendre dans un même mouvement son honneur et la démocratie ! L'affaire est donc loin d'être classée, ce dont témoigne également la saisine du Conseil constitutionnel par le groupe socialiste dont vient de nous informer notre président !

M. le président.  - Dont acte, bien qu'il ne s'agisse pas à strictement parler d'un rappel au Règlement...

Grenelle de l'environnement (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur le projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.  - Nous voici arrivés, en ce début de XXIe siècle, à un moment particulier de l'histoire de notre pays...

M. Jean-Louis Carrère.  - Ah, le ministre de la tempête ! (Sourires à gauche)

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État.  - Durant la dernière élection présidentielle, chacun des candidats, prenant bonne note de l'appel de la société civile, avait signé le pacte écologique. Le Président de la République, sitôt élu, a donc choisi de faire confiance et de procéder à une radiographie de la société française. Il a réuni les cinq collèges du Grenelle de l'environnement, qui regroupaient des représentants de l'État, des collectivités territoriales, des organisations syndicales, du monde de l'entreprise ou encore des associations et les a chargés d'analyser nos méthodes de production, de consommation, de gestion des espaces afin de dégager des pistes de progrès sociaux et économiques dans un monde aux ressources de plus en plus limitées, sinon endommagées. Plus d'un millier d'experts ont participé à ces débats, pas moins de 20 000 personnes en région. Bref, la mutation était si importante qu'il fallait obtenir l'adhésion des 62 millions de Français.

Après ce processus démocratique innovant de consultation est venu le temps du Parlement avec l'examen de ce Grenelle I à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, car la démocratie confie au Parlement le soin de statuer en dernier ressort et de fixer la feuille de route à la Nation. La Haute assemblée a pris fort légitimement le temps d'examiner sereinement certains points plus compliqués qu'il n'y paraît au premier abord, elle a cherché à faciliter la mutation. Sur les 850 amendements déposés, un grand nombre ont été adoptés, ce qui témoigne de la bonne entente qui a régné entre l'exécutif et le législatif. Au terme des débats parlementaires, le Grenelle I constitue un texte cohérent. Que certains aient manifesté leurs inquiétudes et d'autres leur impatience est bien normal, reste que le texte fait l'objet d'un véritable consensus républicain. En adoptant ce texte, la France est le premier pays à accompagner la mutation, à donner le signal des décennies à venir. Car le XXIe siècle ne sera pas une répétition du XXe siècle.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce sera le siècle du pouvoir d'achat ! (Sourires à gauche)

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État.  - Nous devons bâtir une autre économie fondée sur d'autres façons de produire et de consommer, plus respectueuses des espaces. Cette mutation n'est pas un retour en arrière : il ne s'agit pas d'avoir peur de tout, de se recroqueviller mais de respecter davantage l'environnement.

Tous les pays s'y engagent, mais souvent par des décisions venues d'en haut, tandis que notre Grenelle a mobilisé l'ensemble de la population. Ce texte, qui inaugure de grandes mutations, valide un processus démocratique dont il revient au Parlement de dire le dernier mot. Son passage devant le Sénat l'a considérablement enrichi, grâce à la contribution de tous les groupes. Nous avons apprécié, Mme Jouanno et moi-même, l'écoute respectueuse qui a marqué ce débat dans lequel les visions se sont révélées assez proches.

Alors que notre pays traverse une forte crise, je n'ai qu'un souhait : que ce texte reste la marque d'une exception française, celle de notre capacité à bâtir le consensus sur ce qui engage l'avenir du pays et celui de nos enfants. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.  - Je suis heureuse d'avoir pu faire mes débuts devant vous sur un texte aussi fort. J'ai apprécié la technicité maîtrisée des débats et le pragmatisme de vos propositions. Ce texte en est sorti grandi et ancré dans les territoires, gage de son succès.

Les 263 amendements adoptés marquent de nombreuses avancées, en matière de prévention des risques et de santé environnementale, de maîtrise des déchets -je pense aux déchets d'ameublement-, de biodiversité, sans oublier la politique de l'herbe -le Sénat est, à juste titre, attaché aux prairies-, à la facilitation de la procédure de mise sur le marché des préparations naturelles.

Ce texte qui témoigne, contrairement à ce qu'annonçaient les Cassandre, de l'adhésion des parlementaires au Grenelle, dont les objectifs ont été parfois dépassés, est un beau message d'optimisme. Il nous fait entrer dans une ère nouvelle. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre ; M. François Fortassin applaudit aussi)

M. le président.  - Vous avez parfaitement réussi votre examen de passage ! Vos réponses ont été fort appréciées sur tous les bancs.

M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques.  - Au terme de ce marathon de 50 heures, nos motifs de satisfaction sont nombreux. Ce fut pour moi un honneur que d'être rapporteur sur ce texte, et je remercie le président Emorine de la confiance qu'il m'a témoignée, de sa présence à mes côtés, de l'appui de son expérience, qui me fut précieuse. Mes remerciements vont aussi à tous ceux qui ont participé aux auditions, qui m'ont beaucoup appris, aux groupes politiques pour leur participation constructive et responsable, à tous les sénateurs qui ont accompagné nos travaux et apporté leur pierre à ces débats, qui furent riches, denses, constructifs. Nous avons validé les principales conclusions du Grenelle et respecté l'esprit du texte adopté par les députés. La discussion, très consensuelle, a permis d'adopter 263 amendements, dont 117 issus de la commission, 33 du groupe UMP, 17 du groupe de l'Union centriste, 5 du groupe du RDSE, 86 du groupe socialiste et 4 du groupe CRC-SPG. Je me félicite notamment de l'adoption, à l'initiative du groupe UC, de l'obligation, dans les services de restauration collective de l'État, d'user d'emballages réutilisables, ainsi que de la création, à l'initiative du groupe socialiste, d'une instance garantissant la transparence des expertises.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai.

M. Bruno Sido, rapporteur.  - Merci, enfin, à vous, monsieur le ministre d'État, à Mme Jouanno, à M. Bussereau, d'avoir su mettre vos compétences au service des territoires. Une compétence que l'on a vue à l'oeuvre quand la commission, non pas pour botter en touche mais pour obtenir les informations supplémentaires requises, demandait l'avis du Gouvernement.

Ce texte, qui nous reviendra bientôt en deuxième lecture, témoigne de l'engagement volontariste de la France sur le chemin du développement durable et du progrès social et environnemental. Reste à nous accorder sur les moyens de sa mise en oeuvre. Le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, sur lequel nous nous pencherons bientôt, nous permettra d'entrer dans le vif du sujet. Je souhaite que ces débats à venir se déroulent dans la même ambiance. (Applaudissements sur les bancs UMP et sur plusieurs bancs au centre)

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.  - Après 50 heures de débat, l'examen de plus de 800 amendements et 200 sous-amendements, voilà venu le moment du vote sur l'ensemble. Je me félicite du déroulement des débats, riches et documentés, tant en commission qu'en séance publique.

La commission des affaires économiques s'est mobilisée, à mon initiative, dès le début de la procédure de négociation innovante, voulue par le Président de la République, que fut le Grenelle, initié en juillet 2007. A notre demande, le Gouvernement a accepté que les deux assemblées désignent l'une et l'autre un représentant dans chacun des six groupes de travail. Nos collègues Jean-François Legrand et Marie-Christine Blandin ont en outre coprésidé le groupe sur la biodiversité, tandis que MM. Braye et Paul Raoult participaient aux travaux en tant que représentants des associations d'élus. Nous avons créé, au Sénat, un groupe de suivi rassemblant des représentants de tous les groupes politiques qui, sous la présidence de Bruno Sido, a entendu tous les groupes du Grenelle et participé aux réunions de finalisation.

Bruno Sido, dont il était naturel qu'il fût désigné rapporteur sur ce texte, n'a pas ménagé ses efforts au sein de la commission, dont les travaux et les auditions ont été ouverts à tous les membres du groupe de suivi qui ont pu prendre connaissance de l'ensemble des enjeux. Les parlementaires, de fait, se sont approprié ce texte qui, fixant les objectifs et le cadre de notre action, dont il reviendra au projet de loi portant engagement national pour l'environnement de les décliner, nous est une feuille de route pour les dix années à venir.

Je me félicite que le Gouvernement ait choisi de déposer ce Grenelle II en première lecture sur le bureau du Sénat car nombre de mesures proposées concernent nos territoires et les compétences des collectivités territoriales, qu'il s'agisse d'urbanisme, de transports collectifs, de déchets, de protection des espèces et des habitats, ou encore de gouvernance locale avec la réforme des études d'impact et des enquêtes publiques. Il nous faudra l'appréhender de manière pragmatique et sans perdre de vue la « révolution écologique douce » incarnée par le Grenelle I.

Je me réjouis de la qualité des débats, au sein de notre commission tout d'abord, grâce au travail de concertation conduit par le rapporteur, ensuite avec vous, monsieur le ministre d'État, et vos collaborateurs, avec Dominique Bussereau, ainsi qu'avec vous, madame la ministre, lors de la séance publique, qui a constitué votre baptême du feu, parfaitement réussi. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

Explications de vote

M. Gérard Le Cam.  - L'examen de ce projet de loi laisse une impression mitigée entre les consensus autour des bonnes intentions exprimées et les incertitudes qui persistent quant à la faisabilité des objectifs et aux moyens financiers qui y seront consacrés. Cette loi de programmation vise avant tout à donner une tonalité écologique à une politique libérale qui, depuis toujours, a privilégié la rentabilité, le productivisme, les cadences infernales, aux dépens de la santé humaine et de l'environnement. Il existe en effet un espace entre ce qui peut apparaître comme de l'intégrisme écologique d'un côté et rien ou presque de l'autre. La crise des énergies fossiles et le réchauffement climatique pèsent tellement sur les réflexions, y compris à droite, qu'il était devenu indispensable d'aborder l'économie sous un nouvel angle. Le Grenelle I est empreint de généralités sur le changement climatique, la consommation énergétique des bâtiments, les transports, les énergies renouvelables, la recherche, la biodiversité, l'eau, l'agriculture, la pêche, la forêt, les déchets, la pollution de l'air ; et je n'oublie pas les dispositions spécifiques à l'outre-mer, actuellement confronté à une crise du coût de la vie, crise qui n'est pas sans lien avec une conception très libérale des échanges, des transports et de la distribution.

Certes, on a reproché à ce texte d'entrer parfois dans le détail de mesures et d'objectifs qui auraient dû relever du Grenelle II, lequel sera traité dans l'urgence, à notre grand regret. Ma collègue Evelyne Didier a souligné le manque de mesures structurantes sur la fiscalité concernant la santé, sur la protection des lanceurs d'alerte et la responsabilité sociale et environnementale. La multiplication des taxes plus pénalisantes qu'incitatives alourdira, une fois de plus, les charges des plus modestes. Par exemple, le particulier doit aujourd'hui satisfaire à de nombreux contrôles quand il transmet son logement : l'amiante, les termites, le plomb, le bilan énergétique, la mise aux normes dans le cadre des Spanc qui dépasse souvent les 5 000 euros par foyer. L'isolation des habitations est également très coûteuse. Qui sera le plus pénalisé par la contribution climat-énergie ? Qui pourra atteindre les 50Kwh/m2/an sans des mesures en faveur du pouvoir d'achat, sans que la spéculation éhontée sur les terrains soit stoppée ou taxée ? Quelles collectivités locales pourront respecter les programmes de rénovation et d'économie d'énergie si les dotations de l'État continuent de baisser (M. Roland Courteau approuve), si la taxe professionnelle disparaît, si l'existence des communes elles-mêmes est mise à mal à l'issue des travaux de la commission Balladur ?

On nous demande également de favoriser la consommation de produits bio dans notre restauration collective. Un repas bio coûte aujourd'hui le double d'un repas conventionnel. Qui paie la différence ? Pas les familles ! C'est donc la commune ou la Caisse des écoles ! Qu'attendez-vous pour proposer, à l'instar de ce qui s'est fait pour les produits laitiers, via l'Onilait, ou de ce qui est en train de se faire pour les fruits à l'école, la mise en place d'un organisme destiné à subventionner la consommation de produits bio dans la restauration collective ? Ce sujet est totalement absent du Grenelle II.

Sur l'agriculture et son évolution, j'ai souligné dans le débat le caractère ambitieux, et parfois irréalisable, de certaines mesures visant à développer les cultures biologiques. Je salue cependant les intentions en matière de consommation de produits phytosanitaires et j'ose espérer que la recherche confortera ces intentions. De graves contradictions demeurent cependant entre ce Grenelle et les grandes orientations agricoles définies pour la France, l'Europe et l'OMC. Par exemple, le découplage total vers lequel tend l'agriculture permet d'évoluer vers le plus rentable au gré des spéculations, vers les agro-carburants, au détriment des céréales, ce qui provoque des famines à l'échelle mondiale et des déséquilibres nationaux ou internationaux au profit de quelques cultures momentanément rentables. La gestion actuelle des aides ne conduit pas à des comportements vertueux et il est significatif que nos amendements visant à la sécurité et à la souveraineté alimentaires n'aient pas été adoptés. L'agro-business et les spéculateurs ont encore de beaux jours devant eux.

En matière de transport ferroviaire, l'article 10 accorde « la priorité au réseau existant ». C'est du bricolage ! Où sont les 80 milliards nécessaires à un véritable réseau de fret ferroviaire ?

M. Roland Courteau.  - Bonne question...

M. Gérard Le Cam.  - On préfère taxer les plus de cinq tonnes ! Pour la Bretagne, qui n'a pour l'instant d'autre alternative que le transport routier, c'est la catastrophe ! Construisons d'abord un réseau ferroviaire et taxons ensuite !

Le Grenelle II sera pour nous l'occasion d'aborder le concret, de préciser les responsabilités de chacun, du producteur au consommateur final, et de proposer des alternatives autres que les taxations systématiques qui se répercutent immédiatement sur un consommateur qui ne maîtrise pas l'amont.

Le groupe CRC-SPG s'abstiendra, compte tenu des doutes qui pèsent sur l'évolution effective de la qualité environnementale de notre pays. Certes, ce texte ne sera pas sans effet sur les comportements mais il est de notre responsabilité de politiques de demander aux Français de rester vigilants et de ne pas se laisser taxer en lieu et place des véritables responsables. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG et sur certains bancs socialistes)

Mlle Sophie Joissains.  - (Applaudissements à droite) En premier lieu, nous vous adressons, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, toutes nos félicitations pour nous avoir écoutés et fait participer à l'élaboration de ce texte. Nous avons une pensée particulière pour Mme Chantal Jouanno, pour qui ce fut le premier débat en séance et qui a fait preuve d'une grande compétence.

Mes remerciements s'adressent également au président de la commission des affaires économiques, qui s'est totalement impliqué au service de ce projet de loi, tant en commission que dans l'hémicycle. Je n'oublie pas le considérable travail de notre rapporteur, d'abord en amont du texte puis pendant l'examen en détail de plus de 800 amendements.

Les débats ont été à la hauteur des enjeux et ont donné au Parlement l'occasion de reconnaître la valeur du processus du Grenelle, formidable et inédit processus de consultation et de dialogue démocratique. Le projet de loi respecte les 263 engagements du Grenelle, il fixe des objectifs ambitieux et répond aux questions des parlementaires qui souhaitaient des évaluations et des études d'impact, qui se préoccupaient de la fiscalité, de l'avenir de l'agriculture, de la concurrence et de l'emploi dans les entreprises. Nous resterons vigilants pour ne pas alourdir les contraintes qui pèsent sur les PME. Nous sommes aussi très attachés à ce que les collectivités territoriales ne supportent pas les coûts supplémentaires engendrés par le manque de moyens de l'État.

Notre société est en pleine mutation et cette mutation, la France ne doit pas se contenter de l'accompagner, elle doit se montrer volontariste et saisir la chance d'une économie durable. N'oublions pas que notre avenir se joue aussi au niveau européen et que l'Union fait la force. Nous devons avancer avec nos partenaires européens, sans distorsions, afin de convaincre le reste du monde. C'est à ce prix que l'environnement et l'économie de marché seront sources de croissance et de richesses. Pour le monde et pour tout le monde.

Un des grands apports de ce texte est d'avoir permis ce débat au Parlement où, il y a encore quelques années, il aurait été inimaginable de pouvoir parler plusieurs heures de suite d'économies d'énergie ou d'agriculture biologique. Nous avons sorti la problématique environnementale de son ghetto politique et de sa marginalité utopique pour la replacer au centre de nos préoccupations et au centre de notre modèle économique.

Je souhaite que ce projet de loi, majeur pour l'avenir de notre société, recueille la plus large adhésion possible. Le groupe UMP votera ce texte qui fera date dans notre législation et constituera un exemple à suivre pour le reste du monde. Soyons fiers d'adopter ce grand texte qui restera l'une des très grandes lois de ce mandat. Nous sommes en train de réussir un pari qui n'était pas gagné d'avance. Pour la France et pour l'Europe. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

M. François Fortassin.  - Ce texte d'une grande ampleur résulte d'un mode de concertation remarquable. Le débat a été riche : plus de 800 amendements ont été examinés, 263 adoptés dont plus de 100 venant de l'opposition. Nous avons été écoutés.

Ce texte fondateur permettra d'améliorer notre mode de vie et celui des générations à venir. Il est porteur d'une grande espérance. Au cours des 50 heures de débats, j'ai eu le sentiment qu'un souffle rafraîchissant parcourait notre assemblée. Nous pouvons tous en éprouver une légitime fierté. Il y a des moments, hélas assez rares, où notre rôle de parlementaires est empreint d'une grande noblesse.

J'en arrive à l'exercice obligé des compliments et des félicitations. (Murmures amusés) Tout d'abord, je tiens à rendre hommage à M. le ministre d'État qui a porté ce texte et qui l'a présenté au Parlement. Je voudrais aussi faire des compliments très appuyés à Mme la ministre chargée de l'écologie. (Murmures flatteurs) Je croyais que la courtoisie était la marque de fabrique du Sénat. Tout au long de ces débats, vous avez démontré, madame, combien vous étiez parfaitement au fait de ces sujets parfois très compliqués et techniques. Notre assemblée unanime vous a adressé ses félicitations et bien que nous ayons travaillé parfois fort tard, vous n'avez jamais manifesté d'impatience. Certes, tous les ministres sont excellents, mais il y a des degrés dans l'excellence ! (On s'amuse) En ce qui vous concerne, vous avez été remarquable ! (Marques d'engouement à gauche et applaudissements à droite)

Je tiens également à féliciter M. le rapporteur, M. le président de la commission et les services qui ont fait preuve à la fois de beaucoup d'allant et de persévérance. Pour avoir participé à quelques auditions de M. Sido, j'ai constaté qu'elles avaient permis d'enrichir le texte.

M. Roland Courteau.  - Et nous, vous ne nous félicitez pas ?

M. François Fortassin.  - Dans ce concert de louanges, j'ai quand même quelques regrets. Ainsi, certains sujets ont été simplement effleurés.

M. Daniel Raoul.  - L'ours !

M. François Fortassin.  - Il n'a pas été assez question des circuits courts. Ne serait-il pas possible, monsieur le ministre, d'accorder à ceux qui vendent à la ferme une sorte de bonus ? Nous devrons aller plus loin dans les bonnes pratiques de consommation, ce qui passe par la pédagogie. Et puis, certaines pratiques dites vertueuses peuvent avoir des effets pervers. Lorsqu'on veut acheter des produits bio à n'importe quelle saison, ils peuvent venir de pays dont les réglementations sont quelque peu aléatoires... Mieux vaut un bon produit traditionnel qu'un produit bio frelaté ! (Rires)

Nous n'avons pas non plus suffisamment évoqué la question de la sylviculture qui souffre de nombreux maux et qui est aujourd'hui en danger. Dans les zones de montagne, la traction animale et le câble ne sont plus utilisés, alors qu'ils permettaient d'exploiter certaines pentes difficiles.

M. Dominique Braye.  - On commence à les réutiliser !

M. François Fortassin.  - On risque aussi de voir un certain nombre de forêts livrées à la promotion immobilière.

J'ai également regretté que l'on n'ait pas évoqué la neige de culture, qui peut se révéler parfois aussi indispensable que l'irrigation.

Enfin, j'aurais aimé que l'on parle de la ligne à grande vitesse Béarn-Bigorre qui concerne un bassin de 400 000 habitants. Mais nous aurons sans doute l'occasion d'aborder cette question lors du Grenelle II.

J'ai éprouvé une grande fierté à participer à ces débats et vous ne serez pas étonné que notre groupe émette un vote unanime sur ce texte.

M. Dominique Braye.  - Un vote favorable ou défavorable ?

M. François Fortassin.  - Favorable, bien entendu ! (Exclamations et applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Le suspens était radical ! (Rires)

M. François Fortassin.  - Enfin, n'oubliez jamais qu'il est toujours bon que les herbivores continuent à manger de l'herbe ! (Rires et nouveaux applaudissements)

M. le président.  - Et certains d'entre eux ruminent !

M. Daniel Raoul.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Dominique Braye applaudit aussi) Le Grenelle aura au moins eu le mérite de provoquer une prise de conscience générale. Durant l'été 2007, quelques sénateurs de gauche se sont illustrés dans les groupes de travail et autres comités opérationnels mis en place par le Gouvernement. Je tiens à leur rendre hommage car la démarche n'était pas évidente : d'abord présenté comme un contrat entre l'État, les collectivités territoriales, les syndicats, les entreprises et les associations, ce Grenelle est devenu le « point de départ d'une nouvelle donne française pour l'environnement ». Pour nous, socialistes, ce fut un « drôle d'objet politique », un ovni environnemental. Depuis bientôt deux ans, il alimente la chronique médiatique avec son lot d'annonces plus ou moins réalistes : multiplication des lignes TGV, le bonus-malus automobile, la taxe pique-nique, et j'en oublie... Il y eut aussi son lot de textes législatifs, comme la loi sur les OGM, traitée comme le nucléaire, hors Grenelle.

Il faut aussi rappeler que ce Grenelle n'était pas une première : il a succédé au plan national pour l'environnement de 1990, certes moins médiatisé mais qui avait posé les bases d'une politique environnementale et ambitieuse pour notre pays.

M. Roland Courteau.  - C'est bien de le rappeler !

M. Daniel Raoul.  - A l'issue d'une concertation avec tous les acteurs et d'un vrai débat d'orientation au Parlement, ce plan avait donné lieu à l'adoption des lois sur l'eau, sur les déchets, sur le bruit, les carrières, les paysages, sur la gestion des déchets radioactifs, mais aussi des mesures sur le pot catalytique, le plan Loire, la création d'éco-emballages, la première taxe écologique sur les déchets, la création de l'Ademe, des Diren et des Drire. C'est aussi le Plan national pour l'environnement qui avait permis à la France de se placer sur le devant de la scène internationale en matière de réchauffement climatique.

Drôle d'objet politique, ce Grenelle l'est aussi quand il est voté à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale le 21 octobre alors que les sénateurs, s'apprêtant à examiner le projet de loi de finances pour 2009, n'y trouvent rien qui traduise les engagements dans les faits, ce qui sera sans doute une difficulté majeure lors de l'examen du Grenelle II. Et ce n'est pas en supprimant la taxe professionnelle, au risque de déstabiliser les finances locales, que l'on va améliorer les choses.

Drôle d'objet politique, enfin, parce qu'on annonce un deuxième, et peut-être même un troisième Grenelle ! Le texte que nous allons voter est, par bien des aspects, différent de celui qu'a adopté l'Assemblée nationale. Pour une fois, vous n'avez pas déclaré l'urgence et, pour une fois, nous avons eu le temps de travailler. Vous nous avez permis d'exercer notre rôle de minorité active et constructive. Après des dizaines d'auditions, nous avons discuté près de deux semaines en séance publique d'un texte qui ne vise pas moins qu'à faire de la France le pays de l'excellence environnementale d'ici 2020 !

Comment ne pas être tenté par les défis de l'énergie du futur, de l'alimentation saine et suffisante pour tous, du changement de nos comportements, de nos consommations et de nos vies, bref, le défi de ce « monde d'après » ? Mais pas à n'importe quelles conditions ! Nous devrons continuer à améliorer ce texte pour apporter de réelles réponses aux défis posés. Malgré les quelque 80 amendements socialistes qui ont été adoptés, ce projet de loi demeure imparfait. Ainsi, vous refusez toute réflexion sur la régulation des tarifs de l'énergie. Vous ne dites rien des conséquences de la réhabilitation des logements pour les propriétaires modestes et surtout pour les locataires. Vous n'offrez aucune perspective durable aux travailleurs qui doivent se déplacer. En France, I'Ademe estime pourtant que la réalisation des objectifs du Grenelle aurait un effet positif de deux points de PIB en 2020, ce qui ne serait pas un luxe ! (M. Roland Courteau le confirme) Un récent sondage confirme que les Français demeurent convaincus que développement économique et protection de l'environnement sont complémentaires et 80 % d'entre eux pensent que l'investissement dans les activités vertes peut soutenir l'économie et l'emploi.

Cet enthousiasme général devrait vous inciter à plus d'audace. Or, quand on est de droite, l'audace, c'est être « social ». Dans ce registre, le groupe socialiste a des idées pour vous ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Gournac.  - Ça ne se voit pas beaucoup !

M. Daniel Raoul.  - Si vous ne prenez pas la mesure de la colère sociale qui monte dans notre pays, nous la sentons, nous, dans nos départements : vos mesures de relance ne sont en fait que des mesures de rattrapage de projets en retard de plusieurs années.

Si ce Grenelle est consensuel, c'est qu'il est truffé de belles promesses ! Ne sous-estimez pas les attentes sociales qui l'accompagnent.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Daniel Raoul.  - Le Grenelle devra être équitable, social, respectueux. Pour cela, le Gouvernement devra faire au moins aussi bien lors de la discussion du Grenelle II.

Nous aimerions d'ailleurs en connaître le calendrier. Et c'est ma seconde condition : si les sénateurs sont ravis d'assurer la première lecture d'un texte aussi fondamental, comment ne pas faire le lien entre la qualité du travail parlementaire accompli depuis deux semaines et celui dont nous allons débattre et qui musèle l'opposition parlementaire ?

M. Roland Courteau.  - Cela aussi, il fallait le dire !

M. Daniel Raoul.  - Comment peut-on continuer à travailler dans l'urgence et, demain, dans le huis-clos des commissions, en dehors de tout contrôle démocratique ?

M. Alain Vasselle.  - On sort du Grenelle...

M. Daniel Raoul.  - Nous demandons que les conditions d'un bon travail parlementaire soient de nouveau assurées.

Comme leurs collègues députés, les sénateurs socialistes vous disent : « Pourquoi pas ? Chiche ! Nous sommes prêts ». Ils voteront donc pour ce texte ; par déformation professionnelle, je dirai en notant votre copie : « En progrès. Peut mieux faire ». (M. le ministre d'État sourit) Notre vote est un vote qui oblige : il nous oblige à une attention tenace et sans faille, à une vigilance démocratique, pour faire honneur au Parlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs au centre et à droite)

Mme Marie-Christine Blandin.  - Dans un océan de lois antisociales et de décisions destructrices de la biodiversité, la perspective du Grenelle fut un espoir, celui d'une prise de conscience, d'un travail partagé, qui eut réellement lieu, et enfin celui d'un secours qui éviterait le naufrage.

Alors, changement de cap ou simple canot de sauvetage ?

Nous avons obtenu de réelles avancées en matière de biodiversité, de la reconnaissance des services rendus à la recherche, de la lutte contre l'artificialisation jusqu'à une issue heureuse à la pitoyable histoire du purin d'orties. On étudiera la création d'une instance propre à assurer la protection de l'alerte et de l'expertise. Nous avons inscrit les perturbateurs endocriniens parmi les substances à réduire, veillé aux droits du citoyen et à la justesse des mots en matière d'agro-carburants.

Vous avez sous-estimé notre attachement à la signature par la France d'accords internationaux contre le biopiratage et confortant les savoirs comme les droits des peuples autochtones. Nos destins sont en effet liés et le Grenelle manque de souffle quand il s'agit des leviers à manier outre-mer ou dans nos rapports avec le sud.

Si les dizaines d'avis du rapporteur disant « Amendement satisfait » ne nous ont pas totalement comblés, le plus dur fut le volet agricole. Non, il n'est pas grossier de parler d'internalisation des coûts ; oui, l'autorisation du Cruizer est un scandale ; oui, la moindre des choses est d'associer les apiculteurs au pilotage de la recherche sur les causes croisées ; non, il n'est pas acceptable de renvoyer à ses bottes de paille un parlementaire qui propose de toucher à la PAC. Cependant, la notion d'agriculture intégrée a été substituée à celle d'agriculture raisonnée.

Trois occasions ont été ratées : celle de privilégier plus radicalement la sobriété énergétique au lieu de s'enferrer dans l'impasse nucléaire ; celle de la taxe carbone : vous disiez qu'il était trop complexe de toucher ainsi à la fiscalité... -on vient d'en avoir un joli contre-exemple avec la taxe professionnelle ! (sourires à gauche); celle enfin d'affirmer le principe d'une agriculture intégrée, « économe en intrants », comme le disait Mme la secrétaire d'État.

Élus du parti des Verts, nous constatons que le Titanic n'a pas complètement changé de cap. Le Gouvernement a remis les vieux habits du bétonneur et du pollueur. Mme Jouanno annonce l'acquisition de 20 000 hectares de zones humides et le plan de relance en détruit 10 %. Nous qui travaillons de puis des années pour un autre développement, fait de sobriété et de symbiose avec la nature, nous pensons qu'il fallait avoir l'audace de l'épanouissement humain. Dès que nous ne considérons que ce texte, nous nous disons que chaque pas est bon à franchir. Nous voterons donc majoritairement ce texte en attendant fermement des avancées dans la navette et du concret dans le Grenelle II. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs du RDSE)

M. Daniel Soulage.  - Le débat a été long mais fructueux qui a vu l'adoption de 260 amendements. Je me réjouis également que les amendements du rapporteur aient permis de revenir à une véritable loi de programmation. Ce texte est en effet fondateur et nous devons faire preuve de pédagogie pour faire passer l'idée que les problèmes environnementaux sont prioritaires et doivent être traités comme tels. Notre croissance doit désormais se fonder sur des technologies émergentes plus respectueuses de l'environnement. On connaît assez les études qui le montrent et je me contenterai de renvoyer aux travaux de sir Nicholas Stern : ne rien faire coûtera plus cher que de conduire une politique de développement durable avec une part raisonnable de notre PIB. Le Grenelle de l'environnement a permis une prise de conscience alors que la consommation d'énergie des ménages continue d'augmenter.

Le Sénat a considérablement enrichi le projet. Sur la performance énergétique des logements neufs, nous avons voté des amendements tendant à la réalisation d'une étude par l'Office parlementaires des choix scientifiques et techniques. En effet, le seuil de 50 kWh qui a été retenu correspond tout juste à un ballon d'eau chaude à accumulation et la question est particulièrement importante en milieu rural où il n'y a pas d'alternative au chauffage électrique.

De nombreuses avancées ont été réalisées en matière de transport. Je me réjouis surtout de la priorité donnée au ferroviaire, facteur de désenclavement. La réflexion doit s'engager sur la circulation des 44 tonnes, sur la réduction à 80 km/h de la vitesse des poids lourds et sur l'interdiction de doubler sur autoroute, ce qui renforcerait la sécurité en diminuant la circulation des poids lourds. Enfin, la suppression de l'effacement des ouvrages les plus problématiques permettra de satisfaire les besoins en eau, tels que les définit le complexe article 26.

Je regrette que l'image donnée de l'agriculture soit un peu caricaturale car l'opposition entre agricultures intensive et biologique ne reflète pas la réalité. L'agriculture a la mission de nourrir les hommes et 900 millions de personnes souffrent de la faim. Or ce n'est pas avec les rendements de l'agriculture biologique que l'on pourra nourrir la planète. Si nous voulons que la France reste une grande puissance agricole, nous ne pouvons pas totalement remettre en cause le modèle qui nous a porté. Nos agriculteurs n'ont pas attendu le Grenelle pour s'occuper d'environnement. Je regrette que l'amendement que j'avais déposé et qui inscrivait dans le texte l'agriculture raisonnée n'ait pas été retenu : cela aurait été une manière de reconnaître une démarche utile. Je me réjouis en revanche de l'amendement sur la modulation des intrants en l'absence de molécule de substitution : si les petites productions ne sont pas rentables pour les sociétés privées, elles comptent beaucoup au niveau local.

Un amendement traite de l'artificialisation des terres agricoles, qui touche 60 000 hectares chaque année. Ce phénomène irréversible s'amplifie d'année en année. Je me réjouis du sort réservé à mon amendement sur les retenues d'eau. Nous en avions déjà débattu lors de la loi sur l'eau et sa rédaction est conforme au code de l'environnement.

Stocker l'eau quand elle est abondante est une mesure de bon sens. Les ressources en eau s'épuisent, a rappelé le secrétaire général de l'ONU à Davos. Selon un rapport des organisateurs du Forum, « nous ne pouvons tout simplement pas continuer à gérer l'eau comme nous l'avons fait par le passé ou la sphère économique s'effondrera. Les perspectives des deux prochaines décennies, si rien ne change, donnent la chair de poule. La rareté de l'eau aura des conséquences sur la croissance économique, la sécurité humaine, l'environnement et la stabilité géopolitique ». II est urgent d'agir !

Je remercie le ministre d'État et la secrétaire d'État pour leur écoute et leur esprit de conciliation. Le groupe centriste votera ce texte à la quasi-unanimité. (Exclamations à droite) Je félicite également le président et le rapporteur de la commission pour le travail accompli.

Digne conclusion, les députés européens ont adopté la semaine dernière un rapport visant à définir une future politique intégrée de l'Union européenne sur le changement climatique. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

L'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages exprimés 157
Pour l'adoption 312
Contre 0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs au centre et à droite)

Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Rappel au Règlement

M. Jean-Pierre Bel.  - Monsieur le président, nous ne pouvons entamer l'examen de ce texte comme si de rien n'était. Ce projet de loi touche à l'essence même de notre action, à notre raison d'être, à ce qui donne du sens à notre engagement dans la vie publique, à l'idée que nous nous faisons de notre démocratie. Il en va de la dignité du Parlement, du droit intrinsèque d'un parlementaire à soutenir ou à s'opposer. Après ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, nous abordons la discussion avec inquiétude mais aussi avec la gravité qui s'impose à ceux qui ont à coeur de préserver la mission sacrée de la représentation nationale.

Monsieur le président, sous votre autorité, nous travaillons depuis trois mois à la réforme de notre Règlement, dans un état d'esprit constructif, ouvert aux propositions et acquis à la concertation. Pourtant, nos échanges sont compromis par ce fameux article 13 de la loi organique qui limite le droit d'expression des parlementaires. La globalisation du temps de parole va à l'encontre du droit d'amendement garanti par la Constitution à chaque parlementaire !

Nous ne défendons pas seulement les prérogatives de l'opposition mais la liberté l'expression de chacun d'entre nous. Or notre commission des lois propose un vote conforme sur l'article 13 : le débat est clos avant même d'avoir commencé ! Ce n'est pas acceptable.

Vous avez dit, monsieur le président, que le temps globalisé ne serait pas appliqué au Sénat. J'en prends acte, mais est-ce suffisant ? Nous ne légiférons pas uniquement pour le Sénat, ni uniquement pour le moment présent ! L'avenir dure longtemps, dit le philosophe, et la majorité d'aujourd'hui peut être l'opposition de demain... Que chacun réfléchisse donc à la vision qu'il a de sa fonction, la plus noble qui soit. Ce que nous défendons, ce n'est pas notre pré carré, ce sont les droits de tous les parlementaires, c'est une certaine idée des libertés dans une démocratie parlementaire. Ce que nous défendons, dans le fond, c'est la République. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs au centre)

M. le président.  - Je vous donne acte de ce rappel au Règlement mais je vous renvoie à la lettre et à l'esprit des propos que j'ai tenus sur ce sujet, en public ou dans le cadre du groupe de travail. L'objectif de la nouvelle organisation des débats, liée à la réforme constitutionnelle, n'est pas de limiter le temps de parole mais de légiférer autrement, en préparant le travail en commission et en garantissant le droit d'amendement de chaque parlementaire. Il s'agit de dégager du temps pour un débat préalable afin que l'ensemble des sénateurs, y compris ceux qui n'appartiennent à aucun groupe, puissent s'exprimer.

Je lis le rapport du président Hyest : « Votre commission estime que les dispositions prévues par les articles 13, 13 bis et 13 ter ne devraient pas trouver d'application pour notre assemblée. Soucieuse du respect de l'autonomie de chaque assemblée, elle considère cependant qu'il n'appartient pas au Sénat de priver l'Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement aux dispositions autorisées par ces articles dans le cadre des garanties fixées par la loi organique. »

Je laisse le débat s'ouvrir dans un esprit serein, en comptant que chacun garde à l'esprit l'objet de la réforme constitutionnelle : le renforcement des pouvoirs du Parlement, dont nous prendrons la mesure à partir du 1er mars.

Discussion de l'article 13

M. le président.  - Avant d'aborder la discussion générale, je voudrais vous informer que la Conférence des Présidents a envisagé de retenir un point fixe, à savoir le mardi 17 février, à 16 heures, pour la discussion de l'article 13 sur la durée globale du débat législatif, et en conséquence des articles 13 bis et 13 ter.

Les présidents de groupe ont en effet unanimement souhaité que chaque parlementaire puisse se rendre disponible.

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - A partir du 1er mars, nous entrerons dans une nouvelle ère institutionnelle puisque la partie parlementaire de la révision constitutionnelle entrera en vigueur avec trois réformes emblématiques : le partage de l'ordre du jour, l'examen en séance publique du texte adopté par la commission et la limitation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous ne mesurons pas encore la portée réelle de ces trois grands progrès pour le Parlement mais je vous assure que notre manière de travailler ensemble prendra un tournant.

L'application d'une grande partie des autres dispositions constitutionnelles suppose l'adaptation de votre Règlement et une loi organique est nécessaire pour trois d'entre elles. Le Gouvernement ne tenait pas absolument à présenter une telle loi mais les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution nous y contraignent pour les résolutions, les études d'impact et l'exercice du droit d'amendement. Le texte du Gouvernement laisse à chaque assemblée les marges de manoeuvre lui permettant de s'organiser selon son identité propre.

Avant d'en venir au fond, je voudrais rendre hommage au travail de votre commission des lois et de son président rapporteur, M. Hyest. Monsieur le président, travailler avec vous et tous les membres de votre commission est un plaisir sans cesse renouvelé et une jouissance intellectuelle permanente ; ce n'est pas là figure de style.

J'aborderai d'abord les propositions de résolution.

Comme vous le savez, l'Assemblée nationale a éprouvé de fortes réticences car elle craignait que cette procédure redevienne, comme avant 1958, un moyen détourné de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Les députés l'ont même supprimée, avant que vous ne la rétablissiez. L'article 34-1 de la Constitution est le fruit d'un compromis : le droit de résolution est reconnu mais le Gouvernement peut déclarer irrecevables les propositions mettant en cause sa responsabilité ou comportant des injonctions.

Le projet de loi organique en tire les conséquences. Les propositions de résolutions pourront être déposées sans limite. Les députés n'ont pas souhaité de renvoi en commission, alors que votre commission des lois y voit un intérêt. M. Hyest a proposé une rédaction équilibrée laissant à chaque Règlement le soin de trancher.

Le projet de loi organique fixe des conditions de délai pour éviter une adoption dictée par l'émotion ainsi que tout détournement de cette procédure en moyen de harcèlement.

Enfin, les propositions ne pourront pas être amendées, ce qui protège les parlementaires minoritaires ou d'opposition. En revanche, les auteurs pourront bien sûr la rectifier.

L'idée est de ne pas galvauder ce nouveau mode d'expression parlementaire.

Le chapitre 2 porte sur la présentation des projets de loi.

L'intérêt manifesté par les députés pour cette question explique la rédaction un peu confuse de certains articles.

L'article 39 de la Constitution contraint le Gouvernement et les administrations à présenter une étude d'impact à l'appui de tout projet de loi, ce qui obligera les ministres à mieux étudier l'intérêt d'un texte législatif et à s'interroger sur la qualité de ceux qu'ils présentent.

L'Assemblée nationale a beaucoup insisté sur cette discipline nouvelle et le président de sa commission des lois, auquel je rends également hommage, a voulu en faire une vraie garantie pour les parlementaires.

Votre commission a proposé des aménagements bienvenus car ils clarifient les choses tout en préservant un équilibre auquel l'Assemblée nationale et le Gouvernement sont sensibles.

Le Gouvernement veut donner corps à cette réforme que l'on tente d'introduire depuis plus de dix ans.

J'en viens au chapitre 3, qui porte sur le droit d'amendement.

Ces dispositions ont suscité une polémique excessive mais j'espère un débat de fond sur la « rénovation de la procédure législative », selon les termes du rapport de M. Hyest.

On ne peut raisonner comme si rien n'avait changé le 23 juillet, laissant ainsi de côté le partage de l'ordre du jour, l'examen en séance du texte adopté par la commission, l'obligation de laisser six semaines avant le débat en séance publique, enfin la limitation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, autant de mesures qui auront une incidence directe sur l'élaboration collective de la loi.

Le constituant veut que la séance publique redevienne le lieu du débat politique afin que la majorité, l'opposition et les minorités puissent faire valoir leurs points de vue devant les Français. Pour cela, il faut en finir avec une idée reçue : il est faux que la durée d'une séance publique garantisse la qualité du travail législatif. D'ailleurs, les parlementaires sont parfois découragés par la longueur des débats. De même, examiner en séance une profusion d'amendements techniques nuit aux amendements politiquement significatifs.

Reprenant les travaux passionnants des sénateurs Gélard et Peyronnet, le rapport de M. Hyest montre que tous nos voisins organisent démocratiquement leurs débats.

La révision constitutionnelle donnera un poids nouveau au travail en commission. Discuté en séance publique après six semaines au minimum d'examen en commission, le texte présenté dans la rédaction qu'elle aura adoptée ne devrait plus comporter que les difficultés politiques.

Cette innovation appelle plusieurs conséquences. Les travaux des commissions devront faire l'objet d'une large publicité pour que les citoyens comprennent les lois applicables. Il faudra aussi que les commissions examinent les amendements proposés par les sénateurs qui n'en sont pas membres. Cela n'interdira évidemment pas un nouvel examen de ces suggestions en séance publique mais, si chacun joue le jeu, les amendements techniques auront eu leur sort réglé en commission. Enfin, le Gouvernement devra pouvoir exprimer son point de vue à tous les stades de la procédure.

M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur de la commission des lois.  - J'en suis d'accord.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Nous aurons un débat passionnant sur ce sujet.

Lors de la révision constitutionnelle, deux orientations avaient été évoquées : accroître l'application des procédures simplifiées et éviter l'obstruction massive en rendant possible la programmation de la durée du débat législatif. J'ai parfois entendu dire que le Gouvernement avait agi par surprise à propos du temps programmé. C'est faux ! Au cours des débats constitutionnels, j'étais intervenu ici sur ce sujet.

Le Gouvernement souhaite que la procédure simplifiée se développe, en espérant que le droit de veto dont disposera chaque président de groupe n'y fera pas obstacle.

Nous reviendrons notamment mardi au temps programmé, mais je voudrais rappeler notre position. L'article 13 du projet de loi organique ouvre une faculté pour chaque assemblée, sans rien imposer. Dans le cadre du groupe de travail conduit de main de maître par le président Larcher, j'ai compris que le Sénat n'envisageait pas de s'engager dans cette voie. Le Gouvernement respecte cette volonté.

A l'Assemblée nationale, les choses seront sans doute différentes car la réalité est différente : l'obstruction, de droite ou de gauche, y est plus fréquente, avec parfois des dizaines de milliers d'amendements. Combinée avec l'ordre du jour partagé, cette pratique pourrait bloquer l'institution parlementaire. Ce serait le pire des paradoxes, alors que la révision constitutionnelle avait pour objet de renforcer le rôle du Parlement.

En quoi le temps programmé serait-il contraire à la démocratie ? Il existe sous différentes formes chez la plupart de nos voisins et il existait en France, de 1935 à 1969, à la demande de personnalités que je crois insoupçonnables en matière de démocratie, comme MM. Léon Blum ou Vincent Auriol. Sous une autre forme, M. Bel a envisagé un encadrement global des débats.

Selon certains, la révision constitutionnelle de juillet ne change rien ; selon d'autres, nous entrons dans une ère nouvelle pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, mais aussi pour le fonctionnement parlementaire.

Le Parlement ne peut être un contre-pouvoir car c'est un pouvoir qui agit dans son domaine de compétence : donner des lois au pays. Le projet de loi organique est équilibré puisque les droits des groupes d'oppositions ou minoritaires sont réaffirmés.

Le Conseil constitutionnel saura donner toute leur valeur aux dispositions de l'article 13 bis. C'est d'ailleurs l'intention du président de l'Assemblée nationale.

De même, les droits des parlementaires non-inscrits, des parlementaires pris individuellement devront être respectés par les Règlements et l'article 13 ter propose une voie pour ce faire.

Ce projet de loi permettra aux assemblées d'exercer de nouveaux droits. Il imposera de nouvelles et réelles contraintes au pouvoir exécutif. Ne les sous-estimez pas. Soucieux de voir la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République porter ses fruits, le Gouvernement souhaite que vous adoptiez ce projet de loi qui ouvrira la voie à la dernière étape toute aussi décisive : la réforme de votre Règlement. (Applaudissements à droite et au centre)

Rappel au Règlement

M. Jean-Pierre Michel.  - Rappel au Règlement !

M. le Président.  - Sur quel article ?

M. Jean-Pierre Michel.  - L'article 37. 

Le groupe socialiste se félicite d'accueillir notre ancien collègue Karoutchi mais il s'étonne que le Premier ministre n'ait pas, comme à l'Assemblée nationale, fait l'honneur au Sénat de présenter lui-même ce projet de loi, ou au moins d'introduire nos travaux.

M. Roland du Luart.  - Il a de lourdes occupations ailleurs !

M. Jean-Pierre Michel.  - Nous nous étonnons aussi de l'absence de la garde des sceaux, dont le titre même dit assez qu'elle est compétente pour un tel texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Je ne prends pas ce propos contre moi.

M. Jean-Pierre Bel.  - Surtout pas !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Merci.

Le Premier ministre souhaitait effectivement être devant vous aujourd'hui pour l'ouverture de ce débat. Mais il est retenu par des arbitrages qu'il doit rendre cet après-midi sur des questions qui engagent la vie de la Nation tout entière.

M. Roland du Luart.  - La Guadeloupe !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Mais ce projet de loi n'est que le premier d'une série. En viendront bientôt d'autres, comme sur l'exception d'inconstitutionnalité, qui donneront à la garde des sceaux l'occasion de venir au Sénat. Il est apparu que, dans la mesure où celui-ci concernait exclusivement les relations de l'exécutif et du législatif, le modeste (protestations à droite) secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement suffirait à la tâche.

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur de la commission des lois.  - Nous sommes très heureux de vous accueillir, monsieur le ministre. Nous avons toujours plaisir à travailler avec vous, dans la transparence et la cordialité.

Ce projet de loi aurait pu apparaître d'une simplicité telle que ses quatorze articles, ou plutôt treize d'entre eux, n'auraient pas dû susciter tant de débats, de tentatives d'obstruction et d'anathèmes lors de son examen par l'Assemblée nationale. Pour avoir tenté de suivre le cheminement chaotique de sa discussion, on ne peut pas assurer qu'il en est ressorti plus lisible.

Bien entendu, c'est l'article 13 qui a été le plus discuté car il a pour conséquence la mise aux voix sans discussion des amendements parlementaires. J'y reviendrai.

En ce qui concerne les résolutions visées à l'article 34-1, on peut approuver le dispositif prévu par l'Assemblée nationale mais il nous a semblé que le fait d'interdire les amendements sur les résolutions n'interdisait pas aux commissions de s'en saisir. Sous cette réserve, et quand nous aurons aussi disserté sur le fait de savoir si une proposition ne peut être inscrite au cours de la même session si elle a le même objet et le même objectif, et si l'irrecevabilité doit être motivée, examinons l'application de l'article 39.

Sans être fanatique des études d'impact que sous-entend cet article, quels sont les éléments nécessaires pour la présentation des projets de loi ? L'expérience a montré leur vacuité : elles ont le plus souvent été réalisées après l'élaboration de projets de loi et finalement abandonnées.

Le projet de loi organique a été très enrichi par l'Assemblée nationale, qui va jusqu'à viser certaines catégories professionnelles ; nous vous en proposerons une clarification. Souhaitons que ces dispositions, qui pourront être vérifiées à l'initiative de la Conférence des Présidents de la première assemblée saisie par le Conseil constitutionnel conduisent à une déflation législative. L'Assemblée nationale a ajouté que devrait être fournie la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires, leurs orientations principales et le délai prévisionnel de leur publication -oserai-je dire dans le respect des articles 34 et 37 ?

Si, curieusement, aucune étude d'impact n'est prévue pour les propositions de loi, l'Assemblée en a prévu pour les dispositions non exclusives des lois de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, sans d'ailleurs, pour des raisons de délai, en sanctionner l'insuffisance ou l'absence. C'est contraire à l'article 39. En revanche, rien n'interdit de le prévoir dans la Lolf, ce que nous vous proposerons.

Nous vous proposerons également de compléter la liste des documents nécessaires à l'information du Parlement pour les traités et accords internationaux visés à l'article 53. Il en est de même pour les ordonnances, en distinguant le stade de l'habilitation et celui de la ratification, laquelle ne peut plus être implicite.

Enfin, et pour éviter que le Gouvernement ne dépose des amendements constituant en fait de véritables projets de loi, des études d'impact peuvent être demandées, et même pour ceux des parlementaires. Souhaitons que ces articles soient utilisés avec modération.

D'une manière générale, si les études d'impact constituent un progrès incontestable, veillons à ce qu'elles ne délivrent pas une vérité univoque qui renforcerait la technocratie au détriment du politique.

J'en viens au droit d'amendement. En permettant l'exercice de ce droit en séance ou en commission, le constituant visait la procédure d'examen simplifié de certains textes, comme cela se pratique pour certains accords internationaux, et pourquoi pas demain pour les lois de codification ou la ratification de certaines ordonnances comme celles qui concernent l'application de la législation outre-mer. En dehors de ce cas, ce droit s'exerce en séance, ce qui ne signifie pas que l'expression orale sur les amendements soit illimitée. Les Règlements des assemblées prévoient d'ailleurs cette limitation, ainsi que la procédure de clôture et le vote bloqué.

L'article 13 du projet de loi, complété par les articles 13 bis et 13 ter, autorise les assemblées à instituer une procédure impartissant des délais pour l'examen d'un texte, déterminant les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les parlementaires peuvent être mis aux voix sans discussion. La fixation d'un temps global n'est pas une nouveauté, puisqu'elle a existé jusqu'en 1969 à l'Assemblée nationale, et elle est la règle dans presque tous les parlements d'Europe ; je vous renvoie au rapport de MM. Gélard et Peyronnet, Elle a cependant cristallisé les oppositions.

L'Assemblée nationale a garanti « le droit d'expression de tous les groupes parlementaires », en particulier celui des groupes de l'opposition et des groupes minoritaires. Elle a ajouté la possibilité d'une explication de vote personnelle sur l'ensemble pour chaque parlementaire. Si elle trouve le moyen d'acclimater cette procédure, laissons-la établir son Règlement comme elle l'entend, nous ne saurions nous y opposer, cela ne nous contraint nullement nous-mêmes. En conséquence, les conclusions du groupe de travail présidé par le président du Sénat nous conduisent à ne proposer aucune modification de ces articles 13, 13 bis et 13 ter, que nous n'avons pas l'intention de mettre en oeuvre dans notre Règlement.

J'ai gardé pour la fin un alinéa de l'article 11 prévoyant que le Gouvernement peut être présent lors de l'examen et du vote des amendements en commission. Cette construction intellectuelle sympathique -en fait, à moitié sympathique- n'a fait l'objet d'aucune déclaration ni débat lors de la révision de la Constitution, ce qui aurait dû être le cas s'agissant de l'article 42. Vous avez d'ailleurs fait à ce sujet des déclarations très intéressantes lors de la révision constitutionnelle. C'est pourquoi, je vous proposerai que le Règlement des assemblées détermine les modalités selon lesquelles les ministres sont entendus à leur demande à l'occasion de l'examen du texte en commission.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Si elle est formellement placée par le projet de loi organique dans le chapitre consacré à l'application de l'article 44, le Gouvernement semble la lier, sur le fond, à l'article 42 qui, dans la rédaction issue de la révision constitutionnelle, prévoit que la discussion, en séance publique, porte sur le texte élaboré par la commission. Les députés ont d'ailleurs écarté la disposition relative à la présence du Gouvernement pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi organique qui sont discutés en première lecture en séance sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.

Selon le Gouvernement, participer aux réunions de la commission lui permettrait de connaître en temps réel les positions du Parlement et de faire valoir le plus en amont possible les siennes. Mais rien n'indique que le constituant a envisagé une telle procédure. Du reste, pourquoi l'aurait-il fait quand la présence du Gouvernement, Mme Des Esgaulx l'a justement souligné, n'est pas prévue lors des commissions mixtes paritaires, commissions autrement plus importantes aux termes de l'article 45 de la Constitution ? Cette disposition n'est pas nécessaire puisque la pratique actuelle garantit une bonne articulation entre exécutif et législatif. L'audition du ministre par la commission, à la demande du Parlement ou du Gouvernement, à huis clos, en commission élargie ou encore ouverte, constitue toujours la première étape du parcours législatif. Et l'on pourrait imaginer que le ministre soit de nouveau auditionné entre le dépôt du rapport et l'examen en séance publique.

Qui plus est, retenir ce principe dans la loi organique présenterait des inconvénients. Outre que cela reviendrait à amoindrir l'importance de la séance publique, cela priverait chaque assemblée de la faculté de mettre en oeuvre les principes constitutionnels selon des modalités différentes dans son Règlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Pour exemple, les députés ont voulu que les débats en commission soient publics, contrairement au Sénat qui a limité cette possibilité aux seuls cas où il le déciderait. Enfin, si le Gouvernement venait à assister systématiquement aux réunions de la commission, cela aurait pour effet de supprimer la seule étape, avec celle de la commission mixte paritaire, où les parlementaires peuvent délibérer librement. Nous ne sommes pas des enfants qui avons besoin d'être guidés... Bref, ce serait contraire au principe de séparation des pouvoirs, caractérisé sous la Ve République par le régime des incompatibilités parlementaires. En revanche, nos Règlements devront prévoir l'indispensable présence du Gouvernement en cas de procédure d'examen simplifié.

Pardonnez-moi, monsieur le ministre, ce long argumentaire à cause d'un mot de trop dans notre loi suprême mais je me devais de défendre un principe auquel la majorité des sénateurs est très attachée. Pour conclure, rappelons que les lois organiques ne doivent contenir que ce qui est strictement nécessaire à la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle dans le respect de l'autonomie d'organisation conférée à chacune des assemblées. Sur cette base et sous réserve de l'adoption des amendements de notre commission, j'invite le Sénat à voter ce projet de loi organique auquel peuvent souscrire ceux qui, pour d'autres raisons, s'étaient opposés à la révision constitutionnelle. Il nous appartiendra bientôt de faire vivre ces nouvelles règles à travers un Règlement réformé ! (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

M. Patrice Gélard.  - Qu'ajouter après l'excellente présentation de M. Hyest ? (Exclamations ironiques à gauche) Tout d'abord, rappelons que la loi organique, aux termes de l'article 46 de la Constitution, a pour vocation de compléter la Constitution afin d'éviter que notre loi fondamentale n'entre dans d'inutiles détails. Lorsqu'elle concerne le Sénat, elle doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. En la matière, le Sénat recouvre donc la plénitude de son attribution parlementaire (même mouvement) : la Haute assemblée n'est pas soumise aux oukases lorsque l'intérêt supérieur du Sénat est en cause. Les lois organiques font l'objet d'un contrôle rigoureux du Conseil constitutionnel...

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Tout à fait !

M. Patrice Gélard.  - A preuve, sa récente décision concernant le projet de loi organique relatif à l'article 25 de la Constitution.

Ensuite, la réforme constitutionnelle du 27 août dernier a prévu une multitude de lois organiques. Outre la loi organique relative à l'article 25 de la Constitution précitée, le législateur devra, en principe avant juin prochain, adopter les textes prévus à l'article 61-1 relatif au Conseil constitutionnel et à la grande innovation que constitue le recours en inconstitutionnalité, à l'article 65-1 concernant le CSM...

M. Patrice Gélard.  - ...à l'article 69 relatif au Conseil économique, social et environnemental, à l'article 71-1 concernant le Défenseur des droits sans oublier la loi organique prévue à l'article 13-1 relative à la nomination en conseil des ministres et à l'avis des commissions parlementaires compétentes. Le texte que nous examinons aujourd'hui clarifie l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Premier volet, le droit de résolution qui semble poser peu de problèmes. Si ce n'est que la notion de résolution n'est pas définie par la loi...

M. Michel Mercier.  - Elle ne l'a jamais été !

M. Patrice Gélard.  - ...sinon de manière négative. De fait, le Gouvernement peut déclarer irrecevables les propositions de résolution constituant une injonction à son égard ou mettant en cause de manière déguisée sa responsabilité. Mais comment distinguer une proposition de résolution d'une question orale avec débat ? La jurisprudence de chacune de nos assemblées le déterminera. Les propositions de résolution ne peuvent pas être renvoyées en commission, non plus que faire l'objet d'amendements, ce qui est une bonne chose. (M. Bernard Frimat s'exclame) Outre quelques améliorations de forme, le rapporteur propose donc de s'en tenir au texte original du Gouvernement, légèrement modifié par l'Assemblée nationale.

Deuxième volet, la présentation des projets de loi. Figurent, dans ce chapitre, des dispositions dont l'importance est plus grande qu'il n'y paraît. Les études d'impact, réclamées par un côté de l'hémicycle, puis l'autre au gré des alternances, figurent désormais dans notre loi fondamentale. Je nourris l'inquiétude, que n'a pas totalement levée l'amendement proposé par la commission, que ces études ne viennent à prendre plus d'importance que l'examen de la loi elle-même...

M. Guy Fischer.  - Eh oui !

M. Patrice Gélard.  - ...qu'elles n'accaparent le temps consacré aux travaux préparatoires et finissent par noyer le parlementaire. Attention donc à ce que cette mesure ne devienne une monstruosité. Reste que disposer des études d'impact est toujours préférable...

M. Patrice Gélard.  - Je me félicite que l'on prévoie des dispositions spécifiques pour les lois de finances, les lois de financements et les lois de programmation ainsi que pour l'état de crise, les ordonnances et leur ratification. Une dernière observation : évitons de gloser sur le contenu des études d'impact et de dresser un inventaire à la Prévert, sans quoi nous rendrons la mesure inapplicable.

Le chapitre III, qui a beaucoup retenu l'attention tant du rapporteur que du ministre, concerne le droit d'amendement. Nous savons, pour avoir avec M. Peyronnet étudié l'expérience des parlements nationaux au sein de l'Union européenne, que ce droit est, en France, bien plus puissant qu'ailleurs. (Mme Borvo Cohen-Seat approuve) Il y existe comme droit inaliénable de tout parlementaire...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et c'est heureux.

M. Patrice Gélard.  - ...quand les autres pays européens privilégient les droits des groupes. J'avoue que, quant à moi, je serais partisan, sans mettre en cause les droits individuels, de voir mieux reconnus les droits des groupes, partenaires privilégiés du Gouvernement.

M. Henri de Raincourt.  - Ce n'est pas ce qui se passe.

M. Patrice Gélard.  - Ceci étant dit, je rappelle que l'article 31 de la Constitution aurait pu dispenser d'inscrire à l'article 11 de ce projet de loi organique un alinéa qui prévoit que le Gouvernement peut être présent en commission.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Eh oui.

M. Patrice Gélard.  - « Les membres du Gouvernement ont accès aux deux assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires du Gouvernement. » : n'était-ce pas suffisant ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Se faire assister en séance.

M. Patrice Gélard.  - Ce n'est pas écrit. Cela aurait peut-être pu s'appliquer en commission.

Si le Gouvernement, à mon sens, doit dire ses intentions et réagir aux amendements, il a tout intérêt à n'être pas là en permanence. Si tel était le cas, il deviendrait un commissaire et sortirait de son rôle. Il ferraillerait en permanence avec l'opposition...

M. Guy Fischer.  - C'est évident !

M. Patrice Gélard.  - ...et mettrait en difficulté, au milieu de ce duel, ceux de ses amis qui le soutiennent.

Le Gouvernement a tout intérêt à manoeuvrer dans l'ombre. (Exclamations à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Quelle vision de l'action politique !

M. Patrice Gélard.  - Il le fait déjà quand il fait déposer certains amendements par des parlementaires amis, comme cela se pratique au États-Unis, ou quand il use de son droit d'amendement en séance. Son intérêt est de conserver le maximum de marges de manoeuvre.

M. Jean-Pierre Sueur.  - D'obscures manoeuvres...

M. Patrice Gélard.  - S'il est présent en commission, quels moyens lui restera-t-il de s'exprimer en séance publique ? C'est pourquoi il me semble que la solution préconisée par le rapporteur est la bonne. Elle permet de distinguer entre Assemblée nationale et Sénat, deux chambres profondément différentes dans leur composition. (M. le ministre le confirme) A l'Assemblée nationale, en raison du mode de scrutin, il existe toujours une majorité gouvernementale, y compris dans chaque commission. Tel n'est pas le cas au Sénat où n'existent plus que des groupes minoritaires (on s'amuse à gauche), si bien que l'on ne peut pas prédire la façon dont pèsera la présence du Gouvernement, qui risque au contraire de gêner.

M. Jean-Pierre Bel.  - Astucieux.

M. Patrice Gélard.  - Sur les articles 13, 13 bis et 13 ter, je souscris aux arguments du rapporteur, qui estime qu'ils ne portent en rien atteinte à l'autonomie des assemblées puisque chacune reste maitresse de son Règlement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - La question n'est pas du Règlement mais de la loi.

M. Patrice Gélard.  - Le droit individuel de chaque parlementaire sera respecté.

Ce projet de loi organique confirme le texte constitutionnel.

M. Patrice Gélard.  - On peut certes regretter les risques de lourdeur attachés aux études d'impact, que l'application de l'article 34 n'aille pas aussi loin qu'auraient pu le permettre les débats constitutionnels, mais le fil était difficile à tenir et c'est pourquoi le groupe UMP se rangera aux propositions de la commission des lois.

Reste que la mise en pratique de cette loi organique requerra de tous beaucoup de vertu républicaine et parlementaire. Il en faudra au Gouvernement, afin que les parlementaires ne soient pas bombardés d'amendements inopinés ; il en faudra aux groupes, qui devront faire preuve d'une grande discipline -alors que le calendrier d'examen est étendu, l'urgence encadrée et des semaines entières consacrées au contrôle- pour ne pas retarder l'adoption des textes ; il en faudra à chaque parlementaire, qui devra modérer le nombre de ses amendements et de ses interventions, faute de quoi la réforme serait inapplicable. Nous serions alors contraints de retourner à Versailles...

M. Henri de Raincourt.  - On n'a pas la majorité...

M. Patrice Gélard.  - ...pour durcir ce texte... (Exclamations à gauche)

MM. Sueur et Rebsamen  - Des menaces ?

M. Patrice Gélard.  - ...à notre grand regret. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yvon Collin.  - Qu'il est loin le temps où l'article premier de la loi du 25 février 1875 s'appliquait et avait valeur constitutionnelle. C'était le temps des Radicaux, me direz-vous... C'était aussi le temps du Parlement ! « Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat. » Point ! Nulle trace du Gouvernement. Le Parlement avait toute compétence en tout domaine pour statuer sur tous problèmes, sans limitation, ni de procédure, ni de contrôle de constitutionnalité.

C'est avec des textes aussi sobres et aussi favorables au pouvoir législatif que les parlementaires d'alors ont fondé la République, avec ses valeurs, que l'on a tendance à oublier aujourd'hui et que mon groupe parlementaire porte si fièrement en héritage, au risque de sembler parfois anachronique sous une Ve République réductrice qui ne cesse, depuis plus de cinquante ans, d'opposer majorité et opposition au détriment du pluralisme des idées et des convictions.

Autre tendance lourde, la « rationalisation » qui n'a cessé de se renforcer. En limitant le domaine de la loi et en encadrant la procédure législative, on a créé un exécutif tout puissant au détriment d'un Parlement dépossédé de son ordre du jour.

Depuis le Coup d'État permanent de 1964, le déclin du Parlement et sa nécessaire revalorisation sont à l'ordre du jour. Combien de candidats à l'élection présidentielle, combien de présidents élus n'ont-ils pas promis de renforcer son rôle ? C'est en vain qu'en 1995, Jacques Chirac déclarait qu'il fallait « remettre le Parlement à sa vraie place, une place centrale » et qu'il devait « redevenir le lieu privilégié et naturel du débat politique ». Et l'histoire récente, politique comme constitutionnelle, nous incite à la plus grande prudence.

La révision constitutionnelle adoptée le 21 juillet rend certainement possible une revalorisation du Parlement et un éventuel rééquilibrage de la relation trop inégale entre exécutif et législatif. Mais les lois organiques et les Règlements des assemblées doivent lui donner corps.

Ce texte, qui nous revient de débats pour le moins mouvementés à l'Assemblée nationale, a été profondément modifié par les députés, essentiellement ceux de la majorité pour cause d'obstruction de la part du groupe socialiste, mise en scène que n'ont pas suivie les radicaux de gauche, sagesse à laquelle je ne doute pas que se rangeront, ici, nos collègues socialistes.

Il comporte deux types de dispositions : celles qui visent à améliorer la qualité des lois tout en diminuant leur quantité, celles qui visent à donner de nouveaux outils parlementaires au législateur pour peser différemment et mieux sur les débats.

Une série d'articles consacrés à l'instauration et à l'encadrement des résolutions mais également aux études d'impact vise ainsi à enrayer l'inflation législative.

L'augmentation exponentielle des lois fait souvent dire que « trop de lois tue la loi », comme le rappelle souvent, à juste raison, le Conseil constitutionnel. Combien de lois de circonstance, juste destinées à traiter la seule urgence médiatique ? Combien de lois éponymes inutiles, motivées par la seule coquetterie ministérielle ? Il était temps de prendre des mesures pour venir à bout de cet emballement qui porte tort aux bonnes lois, celles qui entendent répondre à l'urgence sociale et économique, la seule qui vaille réellement.

Ce projet de loi organique y suffira-t-il ? On peut en douter. En d'autres temps, les réformes adoptées dans cette optique n'ont pas eu les résultats escomptés. Je pense par exemple à la session unique, brandie à l'époque comme le moyen de raccourcir les séances et d'éviter de siéger la nuit. Cette réforme a échoué : nous n'avons jamais aussi mal dormi !

Plus sérieusement, nos concitoyens nous reprochent cette fièvre législative car l'empilement des normes brouille le paysage juridique et le rend incompréhensible, même par les initiés. Un Parlement revalorisé, c'est avant tout un Parlement qui légifère moins et mieux. De ce point de vue, le texte apporte des solutions qui méritent d'être mises en oeuvre.

Le second volet du projet de loi organique consiste à prévoir une possible réorganisation de nos débats, notamment dans l'hémicycle. C'est ainsi que le droit d'amendement a pu paraître menacé, et qu'il peut toujours l'être puisque tout dépendra des choix qui seront retenus par chacune des deux assemblées lors de la révision de leurs Règlements. C'est cette inquiétude, compréhensible à la lecture du projet de loi organique initial, qui a mis le feu aux poudres à l'Assemblée nationale... mais toujours pas - heureusement- au Sénat. Probablement faut-il y voir la sagesse de notre Haute assemblée et de son président qui n'a pas tardé, dès le projet de loi organique connu, à rappeler publiquement combien « le droit d'amendement est sacré ». Et je dois vous avouer -pour ne pas dire confesser- que le radical laïc que je suis a apprécié, une fois n'est pas coutume, l'emploi de cet épithète qui, ici, est de nature à nous rassurer.

Le droit d'amendement étant au fondement de la démocratie parlementaire, toute mesure visant à le restreindre, ou même à le « rationaliser », est au mieux suspecte, au pire dangereuse. Disposer de temps pour défendre un amendement doit demeurer un droit individuel, imprescriptible. C'est la condition de l'expression de la diversité des opinions démocratiques de notre pays. L'essence même du Parlement n'est-elle pas la discussion entre majorité et opposition, entre exécutif et législatif, ou même entre parlementaires, indépendamment des clivages politiques ?

Le droit d'amendement, c'est d'abord du temps pour échanger et pour convaincre, pour que chacun puisse, sans contrainte, exprimer ses convictions et porter les attentes et les craintes des Français et des territoires dans cette enceinte de la démocratie.

En quoi ce droit « sacré » est-il menacé ? La réponse figure dans l'article 13 qui prévoit la possibilité, pour les Règlements des deux assemblées, d'instaurer le principe du « temps global » ou « crédit-temps », ce que d'autres ont appelé « le temps guillotine ». Autrement dit : l'arrêt immédiat de la discussion des articles et des amendements en séance publique une fois écoulé le temps imparti à chacun des groupes. Une telle procédure peut mettre en cause le droit d'amendement, aujourd'hui plus à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Et je comprends les craintes de mes collègues députés radicaux de gauche.

Pourquoi au Sénat cet article 13 ne soulève-t-il pas la même protestation ? Pourquoi y a-t-il peu de chances d'entendre des sénateurs chanter « la Marseillaise » au pied de cette tribune ? M. Hyest exclut, au nom de notre commission des lois, l'application du « temps global » à la Haute assemblée.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Mais pas d'amendement en ce sens...

M. Yvon Collin.  - Il ne fait que reprendre ici les conclusions des travaux menés, sous la conduite du président Larcher, au sein de notre groupe de travail sénatorial sur la réforme du Règlement du Sénat. Dès nos premières réunions, et en conformité avec la sacralisation du droit d'amendement rappelé par notre président, nous avons exclu toute application du temps global au Sénat.

Par conséquent, la crainte de nos collègues députés qui n'ont pas, eux, reçu les mêmes assurances sur le respect du droit d'amendement, n'a pas lieu d'être pour nous, sénateurs. Faut-il y voir un privilège que s'accorderait la Haute assemblée en récompense de sa grande sagesse et de son aversion pour ce que l'on appelle l'obstruction, ou encore la flibuste ? C'est surtout une marque de respect à l'égard du débat parlementaire toujours de très bon niveau dans cet hémicycle, mais c'est également une façon de donner toute leur place aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires. Car, depuis le 21 juillet 2008 notre Constitution prévoit dans son article 51-1 que le Règlement de chaque assemblée reconnaît des droits spécifiques aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires. Cette mention résulte d'un amendement adopté par le Sénat, sur proposition de nos collègues Jean-Michel Baylet et Michel Mercier. Aussi, mon groupe sera-t-il très attentif à la traduction dans notre Règlement de cette prérogative constitutionnelle désormais reconnue aux groupes minoritaires, lesquels ne se reconnaissent ni comme appartenant à l'opposition, ni comme appartenant à la majorité, ce qui est l'essence même -et la force- de mon groupe.

Il est important que la nouvelle procédure législative offre toute leur place aux groupes minoritaires et, surtout, leur garantisse des moyens pour fonctionner et bien travailler. Par exemple, il est indispensable, a fortiori pour un groupe aux effectifs réduits, que les collaborateurs des groupes puissent assister aux travaux des commissions compte tenu de l'importance que ces travaux vont prendre. On ne saurait attendre les comptes rendus des commissions pour suivre la procédure législative, surtout que désormais les délais seront très courts.

Nous proposerons aussi qu'aucun groupe ne dispose de moins de dix minutes dans les discussions générales. Voilà qui garantirait les droits d'expression et la pluralité au sein des groupes.

Si, dans ce projet de loi organique, nous approuvons l'article 13 bis introduit à l'Assemblée nationale et qui reconnaît un droit d'expression, en particulier pour les groupes minoritaires, nous proposerons de le compléter en garantissant que plusieurs orateurs d'un même groupe puissent s'exprimer. Nous sommes attachés aux droits des groupes minoritaires mais aussi aux droits des membres minoritaires dans leur propre groupe. Évitons qu'il n'y ait qu'une voix officielle dans chaque groupe !

Le RDSE, soucieux du pluralisme et du droit d'expression de chacun, ne conçoit pas les groupes politiques comme des espaces de négation ou de restriction des droits individuels et constitutionnels des parlementaires mais, au contraire, comme des garanties d'expression de leurs droits et de leurs libertés. C'est dans cet esprit, fidèles à ces principes de respect du pluralisme et des minorités, qu'avec les membres de mon groupe nous aborderons la discussion de ce projet de loi organique et les débats très attendus que nous aurons dans cet hémicycle sur la réécriture de notre Règlement intérieur. C'est un chantier déjà bien entamé grâce aux travaux sérieux et souvent consensuels du groupe de travail. Toutefois, des espaces de négociation existent encore pour parvenir à un texte qui améliorera l'organisation des travaux de notre Haute assemblée tout en respectant davantage les droits et les intérêts de chacun des groupes politiques mais aussi de chacun des sénateurs qui font vivre cet hémicycle. (Applaudissements au centre)

M. Bernard Frimat.  - Dans une assemblée parlementaire, la majorité politique au pouvoir n'a qu'un avenir, proche ou lointain, c'est de devenir, quand le peuple le décidera, l'opposition. Même au Sénat et en dépit de son mode d'élection, ce principe constitutif de la démocratie finira par se vérifier. En nous opposant à votre projet de loi organique, monsieur le ministre, nous défendons les droits de tous les parlementaires, quel que soit l'endroit où ils siègent dans notre assemblée, quelle que soit leur famille politique. D'une certaine façon, nous tentons de protéger de ses propres excès la majorité d'aujourd'hui puisqu'elle est inexorablement appelée à devenir demain l'opposition. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La révision constitutionnelle était censée donner des droits nouveaux au Parlement : nous avons dénoncé cette présentation fallacieuse. Les premières lois organiques confirment de manière éclatante que nos craintes étaient fondées. Peu pressé de rendre effectives les mesures positives -exception d'inconstitutionnalité, défenseur des droits- acceptées par nous, même si elles ne concernent pas les droits du Parlement, le Gouvernement a fait le choix de nous présenter en priorité les projets qui lui accordent des facilités nouvelles ou permettent de diminuer les droits du Parlement.

La première loi organique présentée permettait le retour à l'Assemblée nationale ou au Sénat des ministres anciennement parlementaires appelés à quitter le Gouvernement. Il fallait en effet, toutes affaires cessantes, adopter cette loi avant le 24 janvier pour permettre au nouveau secrétaire général de l'UMP de retrouver son siège de député. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il est difficile de voir dans ces petits arrangements un désir effréné de doter le Parlement de nouveaux pouvoirs. La faculté, pour un ancien ministre, de renoncer à un retour au Parlement pour assurer la pérennité de son suppléant ne relevait pas davantage des droits nouveaux pour le Parlement. Elle était, comme nous l'avions indiqué à cette tribune, inconstitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé.

La loi organique votée en décembre permettait enfin d'opérer, par ordonnance, le nouveau découpage relatif aux élections législatives. Préférer l'ordonnance à la loi est toujours une restriction des droits du Parlement.

Cette seconde loi organique s'inscrit dans la même perspective. Qui peut croire, de bonne foi, après son passage à l'Assemblée nationale, qu'elle n'a pas pour finalité de diminuer les droits du Parlement, et en particulier ceux de l'opposition, face à un exécutif qui non seulement ne supporte plus les contre-pouvoirs au sein de la vie sociale mais aspire à s'arroger, dans les faits, le pouvoir législatif. ? « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par les dispositions des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » : Montesquieu formulait ainsi la théorie de la séparation des pouvoirs sur laquelle repose toute démocratie. Nous sommes, avec nos collègues de l'Assemble nationale, le pouvoir législatif. Nous avons été élus pour voter les lois et notre travail est de fabriquer des lois de bonne qualité. Nous ne sommes pas là pour mettre en forme dans l'urgence, et demain dans des délais de plus en plus courts, les annonces présidentielles. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Or, même si l'existence du Parlement en sauvegarde les apparences, nous vivons de plus en plus dans un régime de confusion des pouvoirs, caractéristique de cette monocratie qu'évoquait, lors de la révision constitutionnelle, notre collègue Robert Badinter. Les exemples de cette confusion abondent. Je n'en prendrai que deux : l'annonce de la suppression de la publicité sur France Télévision et l'annonce récente de la suppression de la taxe professionnelle dès 2010.

Nous avons discuté, pour la première fois sans doute dans l'histoire du Sénat, d'un projet de loi dont la disposition emblématique était entrée en vigueur deux jours avant que ne commence son examen dans cet hémicycle.

Curieuse façon de revaloriser les travaux du Parlement que de le réduire au rôle de législateur a posteriori. Jeudi dernier, nous avons appris que la taxe professionnelle serait supprimée dès 2010. Circulez, députés et sénateurs, il n'y a plus rien à voir ! Le Président de la République vient seul de voter la loi devant les caméras ! Vous pensiez que vous votiez la loi de finances et que vous autorisiez les impôts ? Abandonnez cette illusion et laissez Jean-François Copé se gargariser de la coproduction législative ! Vous n'êtes là que pour ratifier les proclamations présidentielles. Le Président a parlé : l'oracle est rendu. Le Medef en rêvait, Nicolas Sarkozy l'a fait. La loi a déjà une existence virtuelle. Place maintenant aux thuriféraires lefebvristes de la pensée présidentielle pour nous expliquer que la taxe professionnelle est, en réalité, une des causes essentielles de la crise mondiale.

L'omniprésence médiatique du Président de la République est une réalité quotidienne. Pour autant, son temps de parole n'ouvre toujours pas de droit de réponse à l'opposition, en dépit de l'engagement pris, à la veille de la révision constitutionnelle, dans une interview au journal Le Monde et, comme d'autres, oublié depuis. Même si le temps d'expression du Président demeure illimité, le Gouvernement veut limiter le temps d'expression et de discussion du Parlement -surtout celui de l'opposition- et brider l'exercice du droit d'amendement.

Nous préciserons, lors de l'examen des articles, notre position sur les résolutions et les études d'impact, mais l'essentiel du projet de loi organique se situe à l'article 13. Selon la Constitution, seule une loi organique peut définir le droit d'amendement. Le Gouvernement aurait dû se contenter d'en affirmer les principes généraux, laissant le soin à chaque assemblée d'en fixer les conditions d'application dans son Règlement. En effet, rien n'oblige le Gouvernement à instaurer un temps global de discussion et, par là même, à priver un parlementaire du droit de défendre ses amendements. Il a néanmoins tenu à nous proposer un texte allant en ce sens afin de combattre l'obstruction parlementaire qui n'est bien souvent que l'ultime recours de l'opposition pour tenter de faire entendre sa voix, ce qui, au demeurant, n'a jamais empêché l'adoption d'une loi.

Le Gouvernement et sa majorité disposent pourtant déjà d'un arsenal de moyens importants, comme l'irrecevabilité financière des amendements au titre de l'article 40

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est normal !

M. Bernard Frimat.  - L'irrecevabilité relative au domaine de la loi, la possibilité de s'opposer à tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission, le vote bloqué, l'article 49, alinéa 3, pour le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ainsi que pour un autre projet de loi par session, la demande de priorité pour faire tomber d'autres amendements, la clôture du débat ou encore le recours à la question préalable positive pour rejeter un texte sans débat.

M. Jean-Pierre Michel.  - Et la deuxième délibération !

M. Bernard Frimat.  - Mais cet arsenal est encore insuffisant puisque le Gouvernement veut contraindre le débat parlementaire : nos travaux, mes chers collègues, sont un obstacle à l'action de l'exécutif. Pourquoi débattre, échanger des arguments, chercher à convaincre, tenter d'améliorer le texte en discussion puisque tout doit se dérouler selon le bon vouloir de l'Élysée ?

Dans sa volonté d'annihiler le rôle du Parlement, le Gouvernement a pourtant oublié un principe constitutionnel fondamental : le droit d'amendement est un droit individuel qui appartient à chaque parlementaire. Il est imprescriptible, consubstantiel à la fonction de parlementaire. Il exprime la liberté absolue donnée à chaque parlementaire de tenter, conformément à ses convictions, d'améliorer le texte proposé. II est le corollaire de la prohibition du mandat impératif. Si le rôle des groupes politiques, reconnu maintenant dans la Constitution, est primordial pour le bon fonctionnement de nos assemblée, il ne peut conduire à priver un parlementaire ni de sa liberté d'expression et d'opinion, ni de sa liberté de vote. II n'est donc pas acceptable de contraindre le droit d'amendement par l'instauration du temps global. En permettant de mettre aux voix un amendement sans qu'il ait été défendu par son auteur, vous ouvrez la boîte de Pandore et faites courir au Parlement le risque de perdre sa raison d'être.

La lecture attentive de votre rapport, monsieur Hyest, m'a définitivement convaincu du caractère néfaste de ce projet de loi organique. Vous évitez, avec une adresse qu'il faut saluer, l'essentiel du problème.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas du tout !

M. Bernard Frimat.  - Vous consacrez de longs développements documentés et intéressants aux questions secondaires des résolutions et des études d'impact...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce n'est pas du tout secondaire !

M. Bernard Frimat.  - ...mais vous réglez en quelques lignes le sort de l'article 13. Votre argumentation est simple : l'instauration du temps global n'intéresse pas le Sénat puisqu'il ne l'inscrira pas dans son Règlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Eh oui !

M. Bernard Frimat.  - Fort de cette affirmation, vous décidez de ne pas vous y opposer car vous ne voyez pas pourquoi priver vos amis députés UMP de cette facilité à laquelle leur président de groupe tient tant. En conséquence, vous proposez au Sénat de voter conforme l'article 13 et ses annexes. Ainsi le débat sera clos sans que sa disposition phare, qui a provoqué le tumulte que l'on sait, puisse être à nouveau discutée. J'ai salué votre habileté, monsieur le rapporteur, mais la ficelle est un peu grosse.

M. Louis Mermaz.  - C'est une corde !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas du tout !

M. Bernard Frimat.  - Quelle curieuse démarche que celle de voter conforme un article et de promettre qu'à peine voté, il ne sera pas utilisé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il s'agit d'une simple faculté !

M. Bernard Frimat.  - En effet, vous refusez pour le Sénat le temps global et je ne mets pas en doute vos intentions ni celles du président du Sénat qui s'est exprimé dans le même sens. C'est parce que vous estimez qu'il ne faut pas contraindre le droit d'amendement, ni bâillonner le Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Exactement !

M. Bernard Frimat.  - Pourquoi alors acceptez-vous par un vote conforme de créer les conditions qui permettront d'imposer le temps global immédiatement à l'Assemblée nationale mais aussi demain, si l'envie en vient à une majorité de sénateurs, à la Haute assemblée ?

M. Patrice Gélard.  - Ce sera peut-être vous !

M. Bernard Frimat.  - Dans la protection des droits du Parlement, face à un exécutif jamais rassasié de son pouvoir, vous créez une brèche et vous êtes dans l'impossibilité de nous garantir que le Sénat le l'utilisera jamais. Depuis quand adoptons-nous des lois pour ne pas les appliquer ? Vous faites de même, monsieur le ministre, à propos de la possibilité donnée au Gouvernement d'être présent en commission au moment du vote des amendements.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est autre chose !

M. Bernard Frimat.  - Vous nous assurez que le Gouvernement n'abusera pas de cette faculté, voire même qu'il en usera avec parcimonie. Pourquoi l'inscrire alors dans la loi ? La confiance du Président de la République vis-à-vis des parlementaires de la majorité est-elle si faible qu'il faille, pour le rassurer, les mettre sous surveillance au moment du vote des amendements ? (Marques d'approbations sur les bancs socialistes) Votre projet de loi est inacceptable. L'amélioration des conditions du travail parlementaire n'est pas ce qui vous motive, seul importe pour vous d'aller vite. (M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État, le conteste) Comme le débat parlementaire constitue le dernier rempart face à la frénésie législative présidentielle, il fallait lever cet obstacle.

Or, la meilleure façon de bien voter des lois n'est pas de les limiter dans le temps mais de les consacrer à l'essentiel, c'est-à-dire de cesser de fabriquer, dans l'urgence et en rafale, des textes bavards, complexes et souvent inutiles pour répondre à l'émotion de l'opinion publique. Notre vocation n'est pas de légiférer sur les faits divers ! Ce n'est pas parce que la loi est vite faite qu'elle est bien faite et appliquée. Ce n'est pas la quantité de lois qui détermine leur qualité.

Pour que le Parlement légifère convenablement, et le Grenelle de l'environnement en est un bon exemple, il faut que les parlementaires disposent de temps et de la plénitude de leurs droits, notamment du droit d'amendement. Vous nous proposez moins de droits pour les parlementaires mais vous prétendez accroître les pouvoirs du Parlement, qui peut croire de telles fariboles ?

Il est encore temps de réagir, de refuser ce texte d'abaissement du Parlement. Ce serait l'honneur du Sénat de mettre un coup d'arrêt à la dérive monocratique qui gangrène nos institutions. C'est à cette tâche, mes chers collègues que je vous invite ! (Applaudissements à gauche ; M. Yvon Collin applaudit aussi)

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

M. Michel Mercier.  - La très grande majorité du groupe de l'Union centriste a voté la révision de la Constitution le 21 juillet, considérant que cette réforme permettrait un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Avec ce projet de loi organique, il nous est proposé d'organiser le travail parlementaire, de réactualiser les droits des parlementaires et de donner corps à la révision de la Constitution.

Il est toujours difficile de parler du droit parlementaire. Le juriste Marcel Prélot, qui siégea sur ces bancs, disait : « C'est autour du droit parlementaire que gravite toute l'activité politique ». Il est donc normal que nous ayons une discussion politique sur ce texte. Si le groupe de travail sur les modifications de notre Règlement, qui s'est réuni autour du président du Sénat, a donné de bons résultats, c'est qu'il a marqué le retour du politique dans le fonctionnement de notre Haute assemblée, grâce notamment au rôle accru donné à la Conférence des Présidents représentant l'ensemble des membres du Sénat.

Ce retour en force du politique nous permet d'aborder cette loi organique différemment de l'Assemblée, car notre projet de réforme du Règlement nous offre une approche originale.

Nous devons traiter de trois articles de la Constitution : les résolutions, l'organisation des discussions législatives et le droit d'amendement. En ce qui concerne les discussions législatives et les études d'impact, ce texte n'est pas d'une grande clarté. Nous ne demandons rien d'autre au Gouvernement que de nous communiquer les documents qui l'ont conduit à présenter un projet de loi plutôt qu'une autre mesure. Mais ce n'est pas la longueur de l'énumération qui fera la valeur de l'étude d'impact mais les véritables raisons qui sous-tendent les choix du Gouvernement.

J'ai bien compris qu'il manquerait un document essentiel -nous y reviendrons. Foin de l'énumération si elle ne nous permet pas de comprendre ce qui a conduit le Gouvernement à présenter une loi.

Le droit de résolution et d'amendement sont des droits individuels, attachés à chaque parlementaire, ainsi que cela ressort de l'article premier. Pourquoi ces droits apparaissent-ils si importants quand il s'agit de revaloriser le Parlement ? Parce qu'aujourd'hui, l'origine des lois est essentiellement gouvernementale. Oh !, certes, l'initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement, mais le premier a l'initiative de 99 % des lois

M. Patrice Gélard.  - Non !

M. Michel Mercier.  - Disons 98 %. (Sourires) Je vous fais grâce d'1 %. Les parlementaires ne disposent pas des moyens techniques et intellectuels pour faire la loi.

M. Daniel Raoul.  - Intellectuels ?

M. Michel Mercier.  - Ne leur restent que les droits de résolution et d'amendement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Et de contrôle.

M. Michel Mercier.  - Si le Parlement en a véritablement la possibilité.

Le droit de résolution est très ancien mais il semble faire un peu peur. Sa définition, classique depuis 1875, peut se lire chez Léon Duguit et Marcel Prélot : la résolution est votée par une seule assemblée et n'est pas promulguée ; elle n'a pas valeur de loi mais de voeu...

M. Henri de Raincourt.  - Pieux ?

M. Michel Mercier.  - Naturellement, quand il s'agit de mon groupe. (Sourires)

M. Henri de Raincourt.  - Du mien aussi.

M. Michel Mercier.  - Les parlementaires n'ont d'autre moyen que celui de la résolution pour donner leur sentiment à l'exécutif.

De même, quand on ne peut faire la loi, on dépose beaucoup d'amendements car c'est techniquement plus facile que d'élaborer une proposition de loi. Dès lors, ce droit devient fondamental et on ne peut pas le limiter, même si on peut l'organiser. Je comprends qu'on ait pu parler, à propos du temps global, d'une brimade et je n'aurais jamais voté l'article 13 s'il l'avait institué.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il le rend possible.

M. Michel Mercier.  - Il ne le crée pas, mais le laisse au Règlement des deux assemblées. Il appartient à l'Assemblée nationale et au Sénat d'en décider.

M. Louis Mermaz.  - Ce n'est plus de la piété mais de la casuistique !

M. Michel Mercier.  - On connaît tout en matière de casuistique quand on a écrit les belles pages que vous avez consacrées à Stendhal !

L'article 13 ne crée pas le temps global mais prévoit que, si une assemblée le crée, elle doit préciser comment seront discutés les amendements après qu'il aura été épuisé.

M. Jean-Pierre Sueur.  - A quoi cela sert-il ?

M. Michel Mercier.  - Tous les amendements doivent être étudiés et examinés.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous allez voter contre ?

M. Michel Mercier.  - Nous veillerons aux droits attachés au parlementaire ; nous demanderons qu'il ait les moyens de travailler car, comme l'a rappelé M. Fauchon dans Le Figaro, le Parlement est fait pour voter la loi : il faut qu'il en ait les moyens techniques et matériels, ce qui n'est pas le cas. (M. Yvon Collin approuve ; applaudissements au centre et sur de nombreux bancs à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous comprenons l'absence du Premier ministre : les grèves se multiplient et l'on manifeste dans les rues de Paris, de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France. Les préoccupations de nos concitoyens sont grandes et graves, mais elles ne sont pas si éloignées des nôtres et nous devons défendre aussi les libertés parlementaires.

Le projet de loi organique a fait couler beaucoup d'encre. « Tempête dans un verre d'eau » comme semble le croire M. Mercier ? Je ne le crois pas et toutes les contorsions du Gouvernement et de la majorité, par la voix du rapporteur, me confortent dans cette opinion.

Ce débat prend sa source dans l'évolution ultraprésidentialiste, voire monarchique, de nos institutions. Voulue depuis 1958-1962, elle a été consacrée, à une voix près, par la révision de juillet dernier. Le Président de la République annonce de nouvelles dispositions législatives tous les jours, il n'a cure du Parlement qu'il met en demeure de voter ces lois sans délai... quand il ne les met pas en oeuvre avant leur vote. Aussi avons-nous dénoncé l'imposture qui consistait à présenter cette révision comme un rééquilibrage. Révolution disiez-vous ; « révolution du temps parlementaire », écrivait encore le président Accoyer fin janvier. Nous disions en juillet que l'objectif était en réalité de réduire le débat en séance publique et de mettre entre les mains de la majorité présidentielle un véritable 49-3 parlementaire. Et la loi organique confirme bien cette volonté de réduire le débat en séance publique au profit du travail en commission et grâce à la procédure simplifiée, ce qui ne semble pas de nature à rendre plus transparents nos rapports avec les citoyens.

Le travail en commission sous l'oeil du Gouvernement aurait réduit la liberté des parlementaires de la majorité. Le rapporteur, dans sa sagesse, supprime cette aimable surveillance, nous sommes d'accord.

La procédure simplifiée, si elle existe, sera appliquée de manière extensive, comme le montre l'exemple de la multiplication des déclarations d'urgence. La loi organique va au-delà de l'article 44, en limitant la durée des débats, ce qui aboutira à priver les parlementaires du droit de s'exprimer. Cette rationalisation du travail parlementaire s'inscrit dans un contexte de présidentialisation accrue et de reprise en main du pouvoir judiciaire et de l'information. Mme Dati se croit autorisée à dire aux élèves de l'École nationale de la magistrature que l'indépendance des magistrats se mérite : nos libertés bientôt se mériteront-elles aussi ? Certes, l'article 44 n'et pas modulable et le doit d'amendement est imprescriptible, inaliénable comme le dit le président Larcher, consubstantiel au mandat parlementaire, comme l'explique M. Gélard. Telle a été la position du Conseil constitutionnel en 1990, pour lequel le Règlement d'une assemblée ne pouvait interdire à un parlementaire de défendre un amendement. La révision de juillet dernier et la loi organique vont-elles servir à revenir là-dessus ?

Cela priverait certains parlementaires du droit de défendre leurs amendements ! Or les restrictions du droit d'amendement ont toujours été le fait de régimes autoritaires. Jusqu'à la Constitution de l'An VIII, ce droit s'exerce librement. Avec le Consulat, « le corps législatif fait la loi sans aucune discussion de la part de ses membres ». A la Restauration, « aucun amendement ne peut être fait à une loi s'il n'a été proposé ou consenti par le roi et s'il n'a été renvoyé par les bureaux ». Reparu en 1848 - naturellement-, le droit d'amendement est à nouveau supprimé par la proclamation impériale du 14 janvier 1852, avant d'être réintroduit en 1866 en raison des tensions politiques et sociales...

Certes, entre 1935 et 1969, le Règlement de l'Assemblée nationale prévoyait le « crédit-temps », mais nous étions en démocratie parlementaire ! Vous oubliez que la Constitution de 1958 donne à l'exécutif de nombreux moyens de brider le débat parlementaire : urgence, procédure « simplifiée », ordonnances, article 49-3, article 40, procédures exceptionnelles pour les lois de finances et de financement. Vous oubliez les prérogatives du Président de la République, le fait majoritaire ! Le Gouvernement pourra à tout moment défendre ses amendements : la comparaison avec le parlementarisme organisé de nombreux pays européens n'est donc pas probante.

Preuve d'une certaine confusion, l'Assemblée nationale a ajouté les articles 13 bis et 13 ter, qui contredisent l'article 13 lui-même ; quant au Sénat, il élabore un nouveau Règlement -avant le vote de la loi organique- qui prévoit qu'il n'utilisera pas les possibilités ouvertes par l'article 13 ! Oui ou non, le droit d'amendement est-il imprescriptible ? Si oui, l'article 13 n'a pas lieu d'être.

La nouvelle rédaction de l'article 44, qui prévoit que le droit d'amendement s'exerce en séance plénière ou en commission, vise manifestement à contourner la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990, mais ne remet pas en cause le droit de chaque parlementaire de défendre un amendement... Gouvernement et majorité, qui se défendent de porter atteinte au droit d'amendement, doivent entériner la seule conclusion possible : la suppression de l'article 13.

Mes chers collègues, ne cédez pas à la pression qui vise à ce que vous restreigniez vous-mêmes vos libertés. L'obstruction a bon dos ! La multiplication frénétique des lois d'affichage affecte la qualité de la loi, son application et entraîne sans doute une lassitude du débat parlementaire. Les parlementaires sont les porte-parole des citoyens qui les ont élus, le relais de ce qui se passe dans le pays. Le débat démocratique ne se résume pas à un vote tous les cinq ans et à l'application mécanique du programme du Président. Le propre de la démocratie représentative, c'est le débat parlementaire public entre sensibilités différentes qui permet de déboucher sur des majorités, voire des compromis. Si les parlementaires ne servaient qu'à voter les textes du Gouvernement, ils pourraient le faire de chez eux ! Les techniques actuelles permettent bien au Président de la République de consulter directement les citoyens-téléspectateurs ! Quand les heures de séances enflent, ce n'est pas sur des questions techniques mais quand le débat est profond dans la société. Au Parlement de s'en faire le reflet.

Un mot sur les autres dispositions du texte. L'article 34 nouveau de la Constitution qui instaure le droit de résolution précise que celles-ci ne sont pas normatives, ne peuvent mettre en cause le Gouvernement ni contenir des injonctions à son égard. Le projet de loi organique restreint encore ce droit, à travers le véto du Premier ministre, les délais imposés ou l'interdiction de tout amendement.

L'évaluation préalable au dépôt des projets de loi, réclamée depuis longtemps, aurait l'avantage de la transparence et limiterait la frénésie législative des gouvernements. Mais la loi organique soustrait à cette obligation toute une série de projets de loi et prévoit que l'évaluation soit modulée, notamment en fonction de l'urgence. L'Assemblée nationale a tempéré ces restrictions, ce que souhaite également notre rapporteur, mais la disposition demeure limitative. La description détaillée des éléments devant figurer dans l'étude d'impact risque de rendre ces dispositions difficilement applicables. Les délais d'examen des projets de loi rendent l'expertise contradictoire du Parlement impossible. Tout projet de loi doit être précédé et suivi d'une évaluation réaliste !

Nous voterons contre ce texte. Le Gouvernement et la majorité laissent entendre que l'Assemblée nationale et le Sénat pourraient décider à leur guise d'appliquer ou non les possibilités ouvertes par la loi organique. Mais, en matière de droit d'amendement, les deux assemblées peuvent difficilement retenir des dispositions différentes, comme l'a souligné le Professeur Gicquel, éminent constitutionnaliste.

La sagesse doit l'emporter, l'article 13 doit être retiré. De toute façon, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - « De toute façon » !

CMP (Demande de constitution)

Mme la présidente.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du Règlement.

M. Bernard Frimat.  - Rappel au Règlement ! Nous demandons que les commissions mixtes paritaires représentent le Sénat dans sa composition actuelle. C'est de bon sens ! Nous ne demandons aucun privilège. L'application de la proportionnelle au plus fort reste conduit à retenir trois membres UMP, groupe le plus nombreux...

M. Henri de Raincourt.  - Mais minoritaire !

M. Bernard Frimat.  - Nous sommes tous minoritaires, mais certains le sont plus que d'autres !

...deux représentants du groupe socialiste, un du groupe centriste et un du groupe CRC-SPG. C'est un exercice pratique du renforcement du Parlement, qui ne dépend que de nous. Je compte sur vous, madame la présidente, pour transmettre mes propos au président du Sénat. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme la présidente.  - C'est le Premier ministre qui demande la constitution d'une commission mixte paritaire.

M. Jean-Pierre Bel.  - Il n'en nomme pas les membres !

Mme la présidente.  - Nous évoquerons ce sujet demain en Conférence des Présidents.

M. Bernard Frimat.  - Je suis d'accord pour que l'on en discute demain en Conférence des Présidents à condition que rien ne soit décidé d'ici là. Si nous anticipions ce soir par l'affichage des nominations, cette composition ne serait pas recevable, et cela nuirait au climat qui doit être le nôtre dans la discussion sur la revalorisation du Parlement.

Mme la présidente.  - Nous en débattrons demain en Conférence des Présidents.

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (Suite)

M. le président.  - Nous poursuivons l'examen du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Discussion générale (Suite)

M. Hugues Portelli.  - (Applaudissements au banc des commissions) La dernière révision de la Constitution a marqué un tournant dans l'histoire de nos institutions. Après un demi-siècle de subordination, le Parlement a reconquis une influence déterminante : les chambres ont retrouvé la maîtrise de leur ordre du jour ; les commissions ont été réhabilitées puisque c'est le texte qu'elles auront adopté qui sera débattu en séance ; le Règlement des assemblées a retrouvé son rôle dans l'organisation de leurs travaux. Le Sénat, à l'initiative de son président, a d'ores et déjà entamé sa réflexion sur la refonte de son Règlement et il est sur la voie d'un consensus.

C'est au Règlement qu'il incombe de mettre en oeuvre les nouvelles dispositions de la Constitution. La loi organique n'est qu'un lien entre ces deux textes et ne peut se substituer ni à l'un ni à l'autre. Elle doit pouvoir s'appliquer, quelle que soit la majorité, dans l'une ou l'autre des assemblées.

Le texte voté par l'Assemblée nationale comprend plusieurs dispositions qui relèvent davantage du Règlement que de la loi organique ; il est en outre très marqué par la logique majoritaire propre à l'Assemblée nationale, dont la majorité forme, avec le Gouvernement, un ensemble politique indissociable.

Les articles portant sur les résolutions n'appellent aucune réserve de notre part, surtout dans la version améliorée qu'en propose le rapporteur. Si le droit de résolution permet d'éviter le vote de lois dépourvues de toute portée normative, les résolutions ne doivent pas devenir un cheval de Troie permettant une mise en cause détournée et inconstitutionnelle du Gouvernement.

Quant aux conditions de dépôt des projets de loi, la présentation d'études d'impact répond à l'objectif louable d'une évaluation a priori. Mais ces études doivent se concentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire situer le projet dans le contexte des lois en vigueur et non pas être des dossiers technocratiques que personne ne lirait et dont nul ne pourrait contrôler la véracité. La version allégée proposée par M. le rapporteur nous semble plus conforme à l'esprit de l'article 39 de la Constitution que celle, pléthorique, de l'Assemblée nationale.

Les dispositions relatives au droit d'amendement ont mobilisé l'énergie de nos collègues députés. Mais en laissant inchangé l'article 31 de la Constitution, qui prévoit que les membres du Gouvernement sont entendus lorsqu'ils le demandent, y compris en commission, les constituants de 2008 n'ont pas voulu changer les règles coutumières, consolidées par les Règlements des assemblées, selon lesquelles les membres du Gouvernement ne peuvent être présents lors du vote en commission, même si c'est désormais le texte de la commission qui sera examiné en séance. Le Gouvernement dispose, pour défendre son point de vue, de tout l'arsenal du parlementarisme rationalisé. Nous soutenons donc la position de M. le rapporteur qui renvoie au Règlement des assemblées le soin de fixer les modalités d'application du droit d'expression du Gouvernement.

Nous considérons également que le droit d'amendement, qui n'a pris en France, depuis 1958, une forme proliférante qu'en réaction à la suppression du droit d'initiative législative -heureusement partiellement rétabli en 2008-, n'implique pas le droit d'abuser du temps de parole accordé aux parlementaires pour présenter leurs amendements et expliquer leurs votes. L'Assemblée nationale a cru devoir adopter un dispositif empêchant ces abus, mais une lecture attentive révèle que les articles 13 bis et 13 ter contredisent l'article 13 et le vident de sa substance. (Mimiques dubitatives au banc des commissions et du Gouvernement)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas tout à fait !

M. Hugues Portelli.  - Dès lors que cet article ne s'appliquera pas au Sénat, nous ne voyons pas d'objection à ce qu'il demeure comme vestige d'une bataille inutile entre députés.

La révision de la Constitution et celle des Règlements des assemblées peuvent sonner le réveil de l'institution parlementaire. A nous d'en tirer parti sans nous attarder outre mesure sur cette loi organique, qui n'est qu'un point de passage obligé et que nous appliquerons dans l'esprit qui est et demeurera le nôtre. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

M. Louis Mermaz.  - Le Président de la République avait fixé pour objectif à la révision constitutionnelle du 21 juillet dernier le rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Quelques mois plus tard, nous assistons à une entreprise de mise au pas du Parlement : je ne reviendrai pas sur le magistral exposé de M. Frimat. L'article 44 de la Constitution de 1958 dispose que « les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement » : on écrivait jadis dans un style infiniment plus clair et plus sobre qu'aujourd'hui ! Mais la dernière révision y a ajouté le codicille suivant : « Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les Règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Dès l'été, le piège était en place : l'exercice du droit d'amendement serait désormais encadré, et bien encadré, par une loi organique et de nouveaux Règlements dont la rédaction était laissée au bon vouloir de la majorité des deux chambres.

Il ne s'agit pas d'une simple question de technique parlementaire, éloignée des préoccupations du pays à l'heure où le chômage, la précarité et la pauvreté s'accroissent tragiquement. La politique forme un tout : lorsque les droits du Parlement sont remis en cause, les libertés et les droits sociaux sont aussi menacés.

Le Gouvernement s'attaque de deux façons aux droits du Parlement : il déclare l'urgence sur presque tous les projets de loi, nuisant ainsi à la qualité du travail législatif ; il soumet les assemblées à une avalanche de projets, ce qui réduit le contrôle de l'exécutif à presque rien. Parmi ces projets, il fait un tri : certains relèvent de l'effet d'annonce et sont destinés à n'entrer jamais en application ; d'autres en revanche, d'inspiration répressive ou rétrograde, sont bien appliqués. Les libertés sont mises à mal par le durcissement constant du code pénal et du code de procédure pénale, le recours de plus en plus fréquent à toutes les formes d'enfermement -prison, garde à vue, rétention des sans-papiers, hospitalisation sans consentement-, le fichage des citoyens, les pressions exercées sur la presse, la mise au pas des responsables des administrations et la réduction des moyens des services publics.

Alors que la situation économique et sociale empire, le Président de la République tourne le dos à la réalité et s'enferme dans un monologue incantatoire, décidant de tout sans tenir compte des corps intermédiaires et cherchant à confiner le Parlement dans un rôle d'enregistrement. Un jour, il annonce la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision et la nomination par lui-même du président de France Télévisions ; un autre jour, la suppression des juges d'instruction, celle de la taxe professionnelle ou le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'Otan... Que devient le prétendu rééquilibrage des pouvoirs ?

Sans vouloir me livrer à des comparaisons anachroniques et superficielles, Bonaparte disposait au sein d'un maquis d'institutions parlementaires d'un Corps législatif qui votait les lois sans pouvoir en discuter. Mutatis mutandis, la démarche de l'exécutif est aujourd'hui la même. L'article 13 du projet de loi organique invite les assemblées à se doter d'un Règlement qui permettrait de limiter la durée des débats et le temps de parole des parlementaires. Devant la colère légitime de l'opposition à l'Assemblée nationale, la majorité a adopté quelques modifications de pure forme à l'article incriminé. M. le rapporteur a proposé des amendements, qu'il maintiendra ou non, au gré du Gouvernement...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est mal me connaître !

M. Louis Mermaz.  - ...mais il s'est bien gardé de toucher à l'article 13, qui reste couvert des fioritures et des déguisements dont l'Assemblée l'a paré.

Vous avez d'ailleurs inventé une formule extraordinaire pour dire qu'il ne fallait surtout pas empêcher l'Assemblée nationale d'adopter un Règlement qui priverait l'opposition de la parole.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je n'ai pas dit ça !

M. Louis Mermaz.  - Le Gouvernement -la bonne âme !- dit qu'il veut améliorer le fonctionnement et l'image du Parlement. Devant un tel aplomb, on est tenté de lui demander de quoi il se mêle !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - C'est lui qui élabore les projets de loi.

M. Louis Mermaz.  - L'obstruction n'a empêché aucun gouvernement sous la Ve République d'obtenir l'arsenal législatif qu'il souhaitait, sauf à y renoncer lui-même lorsque le prolongement des débats lui avait donné le temps de comprendre qu'il risquait de se fourvoyer, « de se planter » aurait dit le président Obama. On sait comment la loi sur le CPE a fini sa carrière.

Voix socialiste.  - La loi Devaquet !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Il y en eut d'autres...

M. Louis Mermaz.  - Tous les groupes de l'Assemblée nationale, sans exception, ont eu recours à de telles manoeuvres de retardement, comme cela se produit dans les grandes démocraties. Cela s'est passé à de rares moments, lorsque les sujets abordés avaient un écho important au moins dans une large fraction de la population. Je pense notamment au projet de loi Sécurité et liberté en 1980, aux nationalisations et à la décentralisation en 1981 et 1982, à la remise en cause de la loi Falloux, à l'avenir des retraites, à l'audiovisuel public, enfin au présent texte, qui aurait été voté dans l'indifférence n'était la réaction des députés d'opposition.

Lorsque la gauche a été majoritaire à l'Assemblée nationale, elle n'a porté aucune atteinte au droit d'amendement, qui offre à tous les parlementaires la possibilité de peser sur la confection des lois, quasiment toutes issues de projets gouvernementaux. De 1981 à 1986, l'opposition s'est manifestée à l'Assemblée nationale avec vigueur, voire avec acharnement. Face à ces rudes batailles parlementaires, la faiblesse eût consisté pour nous à brider cette opposition en modifiant le Règlement. Même si nous avions entrevu par impossible l'éventualité d'obtenir l'indispensable consensus des groupes, nous y aurions regardé à deux fois.

Le Sénat serait bien inspiré aujourd'hui de défendre les droits du Parlement dans son ensemble car la question n'est pas de savoir si l'on pourra continuer de s'exprimer à satiété dans l'atmosphère feutrée du palais du Luxembourg, à l'abri des grands emportements : la défense des prérogatives de tous les parlementaires est l'affaire de tous car les libertés dans le pays sont en jeu.

Sans recourir à des formules emphatiques et sans invoquer la postérité, j'appelle sans illusion nos collègues à ne pas être ceux qui se seront inclinés, même si d'autres majorités rendront un jour justice au Parlement. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs au centre)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Sur un sujet aussi grave que l'exercice de la démocratie, je suis consterné par les arguments entendus aujourd'hui.

On nous dit que l'article 13 de la loi organique ne servirait à rien.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Je n'ai pas dit ça.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Dans ce cas, il faut voter contre.

On nous dit que l'article n'était pas grave, car on s'arrangerait au Sénat. Je suis en colère lorsqu'on préfère de petits arrangements alors qu'une loi de la République est en jeu. La question est : le texte est-il fondé ou non ?

L'article 13 menace la démocratie !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Avec cet article, les Règlements parlementaires pourront limiter le droit d'amendement.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Pas le droit d'amendement !

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est vrai, mais ils pourront limiter le droit à la parole !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est autre chose.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous prétendez benoîtement qu'il n'est pas important de pouvoir expliquer son vote. La loi organique peut conduire à voter des amendements et des articles dans un silence total, car une fois la limite de temps franchi, on voterait sans débat dix, vingt, trente amendements et dix, vingt, trente articles !

Je vous en conjure, ne votez pas ce texte : c'est une atteinte à la discussion parlementaire !

L'important, c'est l'idée que l'on se fait du Parlement. Certains jugent les débats sans intérêt ; d'aucuns s'ennuient. Tel n'est pas mon cas.

Ce qui compte, c'est que la représentation nationale ne soit pas victime d'un couperet afin que la discussion aille jusqu'à son terme. Le Parlement de la République élabore des textes normatifs, dans un débat contradictoire où sont exprimés les arguments et les convictions que chacun de nous porte dans son coeur et son esprit.

Dire qu'il faut contrôler le débat en le mettant dans une boîte traduit une certaine idée de la représentation nationale, encadrée et aseptisée.

Monsieur Karoutchi, vous qui êtes un parlementaire, vous connaissez l'importance du débat !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Certes !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Si cet article avait été transcrit dans le Règlement de l'Assemblée nationale, aucun des grands débats des trente dernières années n'aurait eu lieu, qu'il s'agisse des nationalisations, des privatisations, de l'audiovisuel, de l'université, de l'école, de la laïcité ou de la loi Falloux. Il y a quantité d'exemples ! L'obstruction n'a jamais empêché une loi d'être votée dès lors que l'exécutif et la majorité la souhaitaient. Pourquoi, dès lors, agir ainsi ? Parce que vous êtes mal à l'aise.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État, et M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas du tout !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Si : je le sens. Ne votons pas ce qui ne sert à rien ! On nous dit qu'on s'arrangera, que l'article ne s'appliquera pas au Sénat, mais nous ne pouvons accepter un couperet pour l'Assemblée nationale.

Vous voulez encadrer et contrôler le fonctionnement du Parlement. Pour nous, le débat parlementaire est intéressant par la passion qui fait écho aux conflits, aux luttes sociales, aux convictions des uns et des autres, aux souffrances et aux débats éthiques. Nous devons y consacrer le temps nécessaire.

Pour nous, la passion démocratique et républicaine est au coeur du débat.

Il serait intéressant d'étudier le vocabulaire des orateurs qui veulent limiter la durée des discussions : ils présentent le débat comme quelque chose de malsain, de maladif. Ils veulent enfermer les argumentations dans des cases, des boîtes, des canaux ! Victor Hugo était là il y a quelque temps.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - A une autre époque...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Lorsqu'il s'est exprimé contre la peine de mort, contre l'esclavage, pour le vote des femmes ou sur l'Europe, les ricanements devant ses discours sont restés dans l'histoire parce qu'il y avait un débat !

Même rénovée, la Constitution donne au Gouvernement et à sa majorité les moyens de mettre en oeuvre leur politique.

L'expression « parlementarisme rationalisé » n'est qu'une formule creuse car l'essence de la démocratie tient aux lois issues d'un débat contradictoire, passionné, ardent !

Vous voulez brider, encadrer, limiter : c'est une faute contre la démocratie, contre la République, à laquelle nous nous opposons avec la dernière énergie ! (Applaudissements à gauche et sur certains bancs au centre)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter de ce qui constitue le coeur de la réforme constitutionnelle votée cet été, cette réforme que le Gouvernement vend comme un pas vers la valorisation des droits du Parlement. Au premier rang des évolutions présentées comme positives se trouve le droit de déposer des résolutions. L'idée paraissait séduisante, lorsque nous l'avons votée cet été. Les assemblées pourraient voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. On aurait pu penser que la loi organique ne concernerait que les conditions de vote, et pas le nombre, le champ ou la recevabilité de ces propositions de résolutions.

L'article 34-1 n'énonçait qu'une limite : ces résolutions ne peuvent mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Il en va tout autrement aujourd'hui : le projet de loi organique transforme méthodiquement ces résolutions en un outil insipide dont on peine à évaluer la pertinence. La belle intention a donné naissance à une chimère sous le contrôle étroit du Gouvernement. Regardez les conditions draconiennes qui sont imposées pour leur recevabilité ! L'autonomie des assemblées parlementaires justifie, dans le strict respect de la Constitution, une certaine latitude concernant le champ de ces résolutions. Elles devraient être cet outil dont nous avons tant besoin pour exprimer sans normativité des positions opposées à celles du Gouvernement. Elles ne sont pas l'outil de la seule majorité parlementaire mais celui de tous les parlementaires.

Au lieu de quoi, la loi organique les soumet à un contrôle opaque, en vertu duquel le Gouvernement pourra, d'un revers de main, déclarer une proposition de résolution irrecevable. Pour un oui ou pour un non, elle ne sera même pas inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée.

Des propositions de résolution qui s'opposent à la politique du Gouvernement seront-elles déclarées irrecevables au prétexte qu'elles mettraient en jeu la responsabilité du Gouvernement ? Critiquer une politique inique qui criminalise les pauvres, les étrangers, les précaires, est-ce mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement ? S'il en va ainsi, c'est tout le parlementarisme qu'il faut revoir puisque la raison d'être d'une opposition, c'est justement de critiquer. Quelles résolutions seront recevables ? Seulement celles qui chanteront les louanges du Gouvernement ? A ce compte, les propositions de résolution s'entasseront sans que leur utilité soit jamais prouvée.

Voilà donc ce qui nous attend avec la procédure que vous nous proposez : un filet aux mailles tellement serrées que seuls le suivisme et l'indigence pourront filtrer !

Je note d'ailleurs l'empressement du président Hyest à compléter le dispositif de manière à ce que, si une proposition de résolution venait à filtrer, elle ne soit pas votée à la majorité absolue. Le mode de votation de ces résolutions est aussi important que les conditions de leur recevabilité. Or on nous prépare des résolutions votées à la majorité qualifiées !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas du tout ! A la majorité simple !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - C'est l'objet d'un amendement du rapporteur, qui supprime le mode de scrutin. La raison est simple : l'Assemblée nationale s'est entendue sur ce mode de scrutin parce que le Gouvernement y dispose d'une majorité confortable, ce qui n'est pas le cas ici. Je crains donc que le mode de scrutin nous revienne un jour, dans le Règlement, sous la forme d'une majorité qualifiée. L'article 34-1 fait directement référence aux conditions de vote des résolutions ; supprimer le mode de scrutin revient à amputer la loi organique d'une de ses raisons d'être. Je doute que cette suppression échappe à la vigilance du Conseil constitutionnel.

Pour illustrer le marché de dupes que vous nous proposez, je prendrai l'exemple d'une proposition de résolution qui serait déposée dans le cadre d'une niche parlementaire : le Gouvernement pourrait, sans même avoir à motiver sa décision, refuser à un groupe d'inscrire une proposition de résolution dans cette niche. Il compenserait ainsi ce qu'il aurait perdu du côté de la maîtrise de l'ordre du jour.

Dans le même esprit, nous refusons absolument que le Gouvernement puisse assister aux délibérations des commissions et y user de son influence. Je note, à cet égard, le courage de M. Mariani, conscient du danger que constitue une telle possibilité.

J'en viens au droit d'amendement pour vous dire que l'article 13 de ce projet de loi organique est scandaleux. Il est l'expression d'une défiance insupportable à l'égard du Parlement réputé incapable de se discipliner.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - C?est bien vrai !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - L'article 40 de la Constitution n'y suffit pas, il faut aller encore plus loin et transformer le Parlement en classe d'école où l'on ne peut parler que si le maître l'a décidé. Ce tour de vis va contre les attentes des citoyens, qui nous demandent de porter dans cette enceinte des positions qui méritent un débat et un vote en séance publique. Les citoyens doivent savoir comment se fabriquent nos lois, quel est le poids de chacun dans son élaboration. En restreignant le droit d'amendement en séance publique, ce projet de loi organise ce qu'à Bruxelles, on nomme la comitologie : la loi se fera dans les couloirs plus que dans l'hémicycle et les citoyens n'auront plus droit de regard.

On nous dit que ce dispositif ne concerne pas le Sénat, où l'obstruction parlementaire n'existe pas. Mais alors pourquoi ne pas laisser chaque assemblée choisir sans loi organique la manière dont elle entend organiser ses débats ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Et la Constitution ?

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Cet article 13 dégage des relents d'antiparlementarisme primaire. Qui vise-t-il ? Certainement pas les parlementaires de droite qui, bien sûr !, ne se sont jamais risqués à cet exercice. Le droit d'amendement ne concerne en fait que l'opposition ! Limiter notre droit d'amendement, c'est brimer notre indignation.

Comble d'une valorisation des droits du Parlement, cet épisode de l'article 13, est déjà derrière nous : avec le vote conforme de cet article, vous vous épargnez une nouvelle discussion en seconde lecture. Voilà votre conception des droits du Parlement : discuter d'une disposition déjà ficelée, qui ne souffrira d'aucune modification.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs Verts ne voterons pas ce projet de loi organique. (Applaudissements à gauche)

M. François Rebsamen.  - Même s'il faut prendre des précautions dans la présentation, même s'il faut faire preuve de pédagogie dans l'explication, personne ne contestera que notre pays, l'Europe et le monde sont confrontés à une crise financière et économique dont l'ampleur remet en cause les fondements du capitalisme. Des milliers d'emplois supprimés, des pans entiers du secteur industriel menacés, une sourde menace qui pèse sur des centaines de milliers de familles, l'inquiétude face à la montée du chômage, ce constat est tellement partagé que fleurit du côté de la majorité l'idée, certes tactique, qu'il faudrait une unité nationale à durée limitée pour faire face à la crise.

Nos concitoyens attendent en grand nombre que majorité et opposition unissent leurs efforts pour chercher des solutions concrètes face à la crise. On peut les comprendre : j'ai souhaité moi-même que s'élabore un vrai pacte de confiance et d'action entre l'État et les collectivités locales pour soutenir l'investissement. C'est le moment que choisit le Président de la République pour annoncer sans concertation la disparition de la taxe professionnelle, c'est-à-dire l'une des principales ressources des collectivités locales, qui réalisent à elles seules 75 % de l'investissement public.

Si l'on partage mon analyse, on en partagera les conclusions : seul un pays rassemblé peut surmonter une telle dépression. Il ne s'agit pas de minimiser l'erreur que constitue l'absence de mesures spécifiques pour soutenir le pouvoir d'achat et la consommation dans le plan gouvernemental, il s'agit de montrer quelles devraient être les voies d'une démocratie apaisée. La vraie, la seule question qui mérite d'être posée à propos de ce projet de loi est donc : pourquoi diviser, pourquoi provoquer l'opposition à un tel moment ?

Vous saviez très bien que l'opposition ne pouvait rester sans réagir face à des dispositions qui sont en contradiction avec un principe fondamental de la démocratie : l'existence de contre-pouvoirs.

Ces contre-pouvoirs sont aujourd'hui mis en cause dans l'audiovisuel public, la presse et les collectivités territoriales. Par parenthèse, c'est sans compter les révocations sans précédent dans la fonction publique, bien que celle-ci ne constitue pas, à proprement parler, un garde-fou.

Ah !, il est bien loin le temps où le Président de la République déclarait « je renforcerai les pouvoirs [du Parlement], notamment de l'opposition, parce que je ne veux pas gouverner seul et que je pense qu'une démocratie se protège des risques de dérive lorsqu'elle est capable d'organiser et d'accepter ses propres contre-pouvoirs. »

Prenons l'exemple des collectivités territoriales. Y en a-t-il trop ? Pour le Président de la République, il y a trop de collectivités... de gauche ! (M. Jean-Pierre Michel applaudit) Si l'association des maires des grandes villes de France, l'association des départements de France et l'association des régions de France étaient présidées par des élus de l'UMP, la question serait-elle même évoquée ? Certainement pas. A preuve, lorsque M. Sarkozy était ministre de l'intérieur avant 2004, il ne l'a jamais posée. Notre récente histoire électorale devrait pourtant vous inciter à plus de prudence, elle nous enseigne que les Français apprécient les contre-pouvoirs et les alternances.

Autre exemple : le Parlement. Si le droit d'amendement est effectivement encadré dans les autres démocraties européennes, monsieur Hyest, l'exécutif n'y dispose pas de prérogatives aussi étendues. (M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, le conteste) Je pense d'abord au pouvoir de dissolution qui est conféré au Président de la République par l'article 16 de la Constitution, puis à la possibilité qui lui est donnée de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès sans que celui-ci dispose d'un droit de réponse et, enfin, au 49-3 conservé au Gouvernement. Deux ans de mandat, et déjà Napoléon perce sous Bonaparte ! (Sourires) Le Président de la République et son Gouvernement font la sourde oreille aux revendications des grévistes comme à celles des députés de l'opposition, qui ont ouvertement dénoncé un texte bien en deçà de l'ambition affichée de rééquilibrer les pouvoirs au profit du Parlement. De fait, comble de l'ironie, ce texte revient même sur les principes parlementaires fondamentaux que sont le droit d'amendement et, comme l'a bien démontré notre rapporteur, le principe d'autonomie de chaque assemblée, voire la séparation des pouvoirs. Le Gouvernement marche sur un fil car, à dire vrai, une frontière ténue nous sépare d'un régime que l'on pourrait qualifier de césariste. Il y va de notre responsabilité de nous opposer à cette évolution. Pour rationaliser le débat parlementaire, pourquoi ne pas interdire, à l'article 11, au Gouvernement de déposer des amendements portant articles additionnels à ses propres textes ? (Murmures réprobateurs aux bancs de la commission et du Gouvernement) Si l'objectif du texte est d'imposer le silence au Parlement, que le Gouvernement le dise clairement ! De même, retirons au Gouvernement le droit d'assister aux réunions des commissions ; il y va de la liberté de débattre et de voter des parlementaires ! Battons-nous contre l'article 12 de ce texte, dont l'objectif est de priver les parlementaires du droit d'amendement en séance publique au prétexte de gagner du temps. Du reste, je rappelle qu'une mesure similaire avait été censurée par le Conseil constitutionnel en 1990 et que l'embouteillage du calendrier parlementaire est d'abord le fait du nombre et de l'ampleur des textes déposés par l'exécutif. Quant au temps global d'examen du texte, le point le plus débattu du projet de loi, puisque la majorité nous assure qu'il ne sera pas appliqué au Sénat, autant ne pas voter l'article 13 qui l'organise ! M. Frimat l'a fort bien démontré, ce sera la meilleure garantie !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Certes !

M. François Rebsamen.  - Animé par un désir frénétique de changement, notre Président de la République, césariste dans l'âme, pour ne pas dire en diable, s'attaque maintenant aux institutions. Mais le pouvoir parlementaire ne se négocie pas, non plus que la liberté de penser, devenue un crime de lèse-majesté. Je n'aurais pas la cruauté de rappeler les belles promesses de M. Sarkozy sur le statut des groupes minoritaires, le financement des partis politiques ou encore l'élargissement du droit d'enquête parlementaire. Il n'en reste rien ! Le dérèglement de notre système constitutionnel est à son comble. Il va falloir se battre parce que la démocratie, plus que des institutions et des procédures, consiste en des valeurs partagées, et notamment la libre expression des idées dans l'enceinte parlementaire dont le président du Conseil constitutionnel a rappelé toute l'importance... Le Sénat, qui a démontré sa capacité de résistance aux mesures contraires à notre tradition démocratique et républicaine, ne saurait souffrir que les droits des parlementaires soient balayés en un tournemain comme l'on révoque aujourd'hui les préfets. L'article 13 a pour seul but de scléroser la parole de l'opposition dans le débat parlementaire. Notre démocratie est le bien le plus précieux, continuons à la faire vivre en protégeant notre liberté d'expression !

Pour conclure, laissez-moi citer cette phrase d'un auteur que vous reconnaitrez sans peine : « les conquêtes [démocratiques] sont faciles à faire parce qu'on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver parce qu'on ne les défend qu'avec une partie de ses forces » ! (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Je me réjouis que chaque intervenant ait exprimé ses convictions avec fermeté, mais sans agressivité. Les exhortations du président Hyest à débattre du fond ont été entendues.

Je me contenterai de revenir sur quelques points. Concernant les propositions de résolution, je ne partage pas le scepticisme de Mme Boumediene-Thiery. Ce nouveau droit accordé au Parlement s'exercera dans les conditions fixées à l'article 34-1 de la Constitution. Rassurez-vous, la majorité qualifiée ne pourra être requise puisque la loi organique ne le prévoit pas. Pour reprendre la définition qu'en a donnée M. Mercier, ces résolutions seront des voeux non contraignants, ce qui ne signifie pas qu'ils n'auront pas de portée. Il conviendra donc d'en faire un usage raisonnable, M. Portelli l'a souligné. Au reste, nous verrons comment cette procédure, que le Parlement n'a pas utilisée depuis cinquante ans, évoluera dans la pratique.

Les études d'impact, dont MM. Hyest et Gélard ont légitimement rappelé la douloureuse gestation, présentent un intérêt incontestable, reconnu par Mme Borvo Cohen-Seat elle-même malgré son appréciation très critique à l'égard de ce texte. A l'instar de MM. Mercier et Gélard, je pense que ces études d'impact doivent rester des instruments simples d'utilisation, conformes à la répartition des pouvoirs définie aux articles 34, 37 et 38 concernant les ordonnances. M. Frimat a cité Montesquieu, je ferai de même : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » (Exclamations à gauche) Puissent les études d'impact nous aider à respecter ce précepte ! Contrairement à ce que d'aucuns affirment, ce gouvernement ne présente pas ses lois dans la précipitation : en témoignent la loi Hôpital, le Grenelle de l'environnement ou encore la loi sur le logement.

J'en viens au temps programmé qui bafouerait, selon Mme Borvo et les orateurs socialistes, le droit d'amendement. Je m'inscris en faux contre cette interprétation de l'article 13 qui, M. Mercier l'a souligné, ne crée par le temps programmé mais se contente de rendre possible sa mise en oeuvre. En tout état de cause, les amendements non présentés seraient mis aux voix. Sans verser dans le paradoxe, cet article 13 garantit donc le droit d'amendement, contrairement aux systèmes de clôture ou de guillotine qui empêcheraient le vote des amendements.

Permettez-moi de vous dire, monsieur Sueur, que l'obstruction n'a rien à voir avec le droit d'amendement, dont elle n'est qu'un dévoiement. Ce n'est pas le droit, c'est un abus de droit. Certains projets divisent, monsieur Rebsamen, et l'obstruction permettrait de porter le débat au-delà ? Mais elle est elle-même source de division puisqu'elle entrave le débat démocratique.

Sur l'article 11, monsieur le président Hyest, nous aurons un large débat. Le Gouvernement ne partage pas votre point de vue. Il estime nécessaire de tirer les conséquences du nouveau mode de fonctionnement des assemblées, qui donne une importance accrue aux travaux des commissions. Le Gouvernement n'entend pas y imposer son point de vue, ni y exercer sa surveillance, mais expliquer sa position sur les amendements. Sa présence en commission lui permettra de sortir de l'ombre qu'évoquait le doyen Gélard, et à laquelle il préfère la transparence. En tout état de cause, l'Assemblée nationale souhaite, semble-t-il, maintenir cette faculté et je souhaite que la rédaction que vous adopterez ne porte pas atteinte au principe d'autonomie cher à M. Portelli.

Prenons la mesure du changement : c'est le texte de la commission qui sera débattu dans l'hémicycle. Comment conserver, dès lors, la même appréhension qu'auparavant de la position du Gouvernement ? Il faut bien qu'à un moment, il puisse s'exprimer, comme il le faisait auparavant dans l'hémicycle, sur les amendements de la commission.

A vous en croire, monsieur Frimat, monsieur Mermaz, ce texte n'ouvrirait pas de nouveaux droits au Parlement. Que faites-vous du droit de résolution, des études d'impact ? Ce n'est pas rien. Et l'ordre du jour partagé ? Déjà, lors de la dernière Conférence des Présidents, j'ai eu le sentiment de voir les pouvoirs répartis. Et la discussion, dans l'hémicycle, du texte de la commission ?

M. Collin a défendu avec éloquence le droit individuel des parlementaires, qu'avait soutenu, à l'Assemblée nationale, M. Mariani, ainsi que l'a rappelé Mme Boumediene-Thiery. Mais l'article 13 bis, adopté à l'initiative du Nouveau centre, fait prévaloir les droits des groupes minoritaires et l'article 13 ter préserve le droit d'expression individuel du parlementaire.

M. Jean-Pierre Sueur.  - A cause de l'article 13.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Cette procédure nouvelle doit permettre à chacun de s'exprimer clairement, au cours de débats plus lisibles pour le citoyen.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les citoyens comprennent très bien.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Et c'est aux assemblées qu'il reviendra de la mettre en place, via leur Règlement.

M. Mercier a une nouvelle fois cité un auteur qu'il affectionne, Marcel Prélot. Je tiens à sa disposition l'édition 1957-1958 de son cours de droit dans lequel il affirme que c'est autour du droit parlementaire que gravite l'activité politique. Telle est bien l'ambition de la révision constitutionnelle, de cette loi organique et de la réforme, demain, de votre Règlement. Il s'agit de redonner vie à la politique en créant une nouvelle dynamique parlementaire. (Applaudissements à droite et au banc de la commission)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°45, présentée par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n°183, 2008-2009).

M. Jean-Pierre Michel.  - Ce texte, en certaines de ses dispositions, et notamment son article 13, est, à notre sens, contraire à la Constitution. Nous sommes face à une entreprise systématique d'abaissement du Parlement : des résolutions qui ne passent pas en commission, un gouvernement présent à tous moments en commission, y compris dans les CMP, le droit d'expression des parlementaires dans la défense de leurs amendements, largement contraint.

Le Président de la République avait annoncé la réforme de juillet 2008 comme le moyen de renforcer les droits du Parlement. On en est loin ! Elle a d'emblée été bornée par la défense faite à la commission Balladur de discuter des modes de scrutin, du cumul des mandats, de l'irresponsabilité du chef de l'État, de son droit de dissolution. Bien au contraire, on lui permet de s'adresser aux assemblées, sans que les parlementaires puissent lui répondre. Il est vrai qu'il n'a pas usé de cette faculté et que, dans les circonstances difficiles d'aujourd'hui, il a préféré la voie de la télévision. Comprenne qui pourra !

Quant au maintien du vote bloqué comme de l'article 49-3, il permet à l'exécutif de contenir la volonté du Parlement.

La réforme prévoyait pourtant certaines avancées comme la constitutionnalisation des groupes politiques ou le partage de l'ordre du jour. Curieusement, monsieur le ministre, le Gouvernement n'a pas souhaité commencer par là. Il a préféré nous soumettre en priorité deux lois organiques, l'une pour permettre aux ministres de récupérer leurs sièges de parlementaires, et qui profitera peut-être en primeur au secrétaire général de l'UMP, l'autre, celle qui nous occupe aujourd'hui. Le reste est reporté aux calendes.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il y a des délais à respecter.

M. Jean-Pierre Michel.  - Le Règlement de nos assemblées a d'ailleurs déjà été modifié pour limiter la durée des motions de procédures, donc mon temps de parole en ce moment... Et que dire de la pratique de cette législature ! Les déclarations d'urgence systématiques, le fait majoritaire, qui multiplie les votes conformes et fait des CMP de simples chambres d'enregistrement. C'est la conception des institutions du Président de la République, très nettement exprimée le 12 juillet 2007 à Épinal : « Si l'État, en France, doit obéir à la séparation des pouvoirs, ils ne sauraient être divisés en pouvoirs rivaux, qui se combattent, qui s'affrontent, qui s'affaiblissent l'un l'autre ». Mais la collaboration des pouvoirs telle qu'il l'entend aboutit à une confusion des pouvoirs, sous la tutelle de l'exécutif, comme le sont, en son sein, celle du secrétaire général de l'Élysée, le Gouvernement et son Premier ministre.

Cerise sur le gâteau, on revient sur le droit des parlementaires d'exprimer leur position personnelle à travers la défense d'amendements. Après près de trente ans de vie parlementaire, jamais je ne l'aurais imaginé ! Jean-Louis Debré, qui en avait eu la tentation, avait dû abandonner sous la pression des présidents de groupes, et notamment de l'actuel président de l'Assemblée nationale qui n'en est pas à un reniement près. Je sais, pour avoir été président de séance, ce qu'est l'obstruction parlementaire, je sais ce que sont les amendements en cascade mais je sais aussi ce qu'est la richesse du débat et de la confrontation. L'article 13 est contraire à l'article 44 de la Constitution qui dispose que « le droit d'amendement est individuel et personnel » comme est personnel, aux termes de l'article 27, le droit de vote, principe d'ailleurs confirmé par l'article premier de ce texte.

Et que dire des problèmes pratiques quasiment insolubles que posera son application ? Comment comptabiliser les suspensions de séance ? Les rappels au Règlement ? Comment mesurer le temps restant à mesure de l'avancement des travaux ? Faudra-t-il donc pourvoir notre hémicycle de cadrans électroniques géants ? Comment anticiper sur le déroulement, imprévisible, de la séance, fait d'accélérations mais aussi de temps d'arrêt, sur telle ou telle disposition ? Quid des amendements déposés à titre personnel ? Le fait est que l'adoption de ce texte ne permettrait plus au droit d'amendement de s'exercer qu'au travers des groupes politiques, ce qui est totalement contraire à l'esprit de la Constitution. Et ceci alors que le droit d'amendement du Gouvernement n'est pas encadré.

La liberté de la discussion parlementaire est incompatible avec le concept de forfait temps. Cette procédure va assécher le débat, transformer les assemblées en théâtre d'ombres, en simples greffes. Le débat sera verrouillé à l'avance.

Lorsqu'un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre d'amendements. Or, un amendement appelé qui n'est pas défendu n'a aucune chance d'être adopté, surtout s'il vient de l'opposition. L'exercice du droit d'amendement est essentiel au débat démocratique car il permet à l'opposition de présenter ses contre-propositions. M. le ministre et M. le rapporteur vont me dire que cela reste optionnel...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je n'ai encore rien dit !

M. Jean-Pierre Michel.  - ...et que notre groupe de travail n'a pas l'intention d'introduire une telle disposition dans notre Règlement. Alors, me dira-t-on, pourquoi s'alarmer puisque cela n'existera qu'à l'Assemblée ? D'abord, nous ne légiférons pas que pour nous-mêmes, et ensuite, le titre IV de la Constitution s'intitule Le Parlement. L'alinéa 2 de l'article 24 précise qu'« il comprend l'Assemblée nationale et le Sénat ». Ces deux chambres forment donc une entité qui édicte des règles semblables pour le statut des parlementaires et pour l'organisation des débats. L'article 28 de la Constitution prévoit simplement que chaque chambre peut fixer ses semaines de séance et déterminer les jours et les horaires pendant lesquels elle siègera. Il s'agit donc de dispositions mineures au regard de la liberté d'expression des parlementaires.

Peut-on concevoir que, sur un sujet aussi fondamental que l'organisation de nos débats, les Règlements de nos deux assemblées diffèrent et que la liberté d'expression des parlementaires soit bridée au Palais Bourbon et plus libérée ici ? Le Conseil constitutionnel l'accepterait-il, lui qui tend à unifier les Règlements de nos deux assemblées sur des problèmes importants, comme l'application de l'article 40 où le Sénat a été sommé de suivre la procédure en vigueur à l'Assemblée nationale ? J'espère que le Conseil constitutionnel saura se faire entendre en n'acceptant pas un traitement différent entre les deux chambres.

Autre disposition non conforme à la Constitution : l'article 3 introduit une confusion entre les compétences du Gouvernement, c'est-à-dire les décisions prises en conseil des ministres et celles du Premier ministre.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - C'est corrigé !

M. Jean-Pierre Michel.  - En fait, ce projet de loi organique vise à assurer la concordance des temps entre celui du Président de la République et celui du Parlement. En effet, l'horizon du chef de l'État ne dépasse pas une journée : c'est l'annonce, la carte postale, l'écran de télévision, le déplacement en province ou à l'étranger, c'est une réforme annoncée, qui ne sera peut-être pas réalisée, c'est une déclaration qui sera contredite par les dures réalités de la vie, ou de la crise. Le temps du Parlement, c'est l'analyse et l'évaluation des textes, ce sont les auditions qui permettent des contre-expertises, c'est la confrontation entre la majorité et l'opposition qui fait vivre la démocratie, c'est la délibération collective qui permet de corriger, d'amender et d'améliorer la copie forcément imparfaite du Gouvernement. C'est aussi le temps des commissions, sans la présence des ministres, puis des débats publics dans l'hémicycle en présence du Gouvernement, des motions de procédure, de la discussion générale, mais surtout des débats d'amendements qui permettent l'interpellation directe : Gouvernement, commissions, majorité, oppositions, chacun est placé devant ses responsabilités, parfois devant ses contradictions. Et c'est cela que vous voudriez supprimer !

Sans Parlement, que serait la vie politique ? Une suite de monologues. Où aurait lieu la confrontation ? Dans la rue ? Est-ce vraiment cela que souhaitent le Président de la République et le Gouvernement ? La seule question qui vaille, c'est bien celle de la revalorisation de nos travaux. Or, ce projet de loi n'y contribuera pas, bien au contraire. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - J'ai écouté avec la plus grande attention la défense de cette exception d'irrecevabilité.

M. Bernard Frimat.  - Et je suis convaincu ! (Sourires)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas vraiment ! Ce projet de loi organique sera soumis à l'examen du Conseil constitutionnel. Certains de vos arguments me paraissent faibles, en dehors des critiques sur le Président de la République.

M. Jean-Pierre Bel.  - La parole est libre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Certes, mais je n'ai jugé intéressant que ce qui était dit sur la motion.

L'encadrement de la durée des débats ne soulève pas de difficultés constitutionnelles. L'article 49 du Règlement de l'Assemblée avait prévu un tel dispositif jusqu'en 1969 et le Conseil constitutionnel avait été appelé à se prononcer sur la conformité de ce Règlement à la Constitution au début de la Ve République. Votre argument ne tient donc pas.

M. François Rebsamen.  - Le Président de la République n'était alors pas élu au suffrage universel.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Peu importe !

Quant à l'exercice du droit d'amendement, il découle de l'article 44 de la Constitution.

Sur un seul point, monsieur Michel, je vous donne raison : sur la confusion entre le Gouvernement et le Premier ministre. Mais nous allons la corriger.

Pour le reste, je ne vois pas de raison de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements à droite)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - En répondant aux orateurs, j'ai déjà dit ce que je pensais de ces arguments. Au début de votre intervention, monsieur Michel, vous avez reproché au Gouvernement de ne pas traiter de la question de l'ordre du jour partagé. Le Sénat obtiendra ce pouvoir dans quinze jours et nous n'avons pas besoin d'un texte supplémentaire.

Pour le reste, je ne vois pas en quoi ce projet de loi organique serait inconstitutionnel. Comme l'a rappelé M. Hyest, le Conseil constitutionnel sera automatiquement saisi et nous disposerons donc de son analyse. Concernant la présence des membres du Gouvernement en commission, il accompagnera probablement sa décision d'une interprétation.

M. Michel Mercier.  - La connaissez-vous ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Pour le reste, avis défavorable.

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Je profite du temps qui nous reste pour expliquer notre vote.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Profitez-en !

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Notre groupe votera cette exception d'irrecevabilité. L'article 13 de la loi organique est une utilisation de la Constitution et non pas son application. Rien n'obligeait à inscrire dans la loi organique des dispositions relatives au temps global de discussion, ce 49-3 parlementaire, cette autocensure du Parlement. Les groupes de travail de réforme du Règlement tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat n'ont jamais envisagé une telle disposition. C'est seulement avec la publication de l'avant-projet de loi organique que le débat s'est ouvert.

Depuis la révision de la Constitution, les amendements peuvent être adoptés en commission ou en séance publique. Cette modification favorise la discussion en commission mais respecte aussi le droit constitutionnel de présentation en séance publique de l'amendement, droit affirmé par la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990. La question était alors de savoir si un amendement présenté en commission ne pouvait plus, comme le proposait une modification du Règlement du Sénat, être défendu en séance. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé qu'une telle disposition ne respectait pas « l'exercice effectif du droit d'amendement ».

La révision de la Constitution du 23 juillet 2008 prévoyait qu'un amendement déposé et défendu en commission pouvait ne pas l'être en séance publique. Cette piste, qui a été envisagée par certains, s'est avérée impossible à mettre en oeuvre puisque si l'amendement n'a pas été déposé en commission, il ne pourra pas l'être en séance publique. L'article 13 du projet de loi est donc manifestement anticonstitutionnel puisqu'il ne respecte pas l'exercice effectif du droit d'amendement, droit imprescriptible, inaliénable dont chaque parlementaire est dépositaire : l'amendement doit être présenté, débattu, soumis au vote s'il n'est pas jugé irrecevable.

De plus, est-il envisageable que le Règlement de l'Assemblée nationale, assemblée élue au suffrage universel direct, remette en cause le droit d'amendement en séance publique alors que ce ne serait pas le cas au Sénat ? Le professeur Jean Gicquel l'a souligné à deux reprises lors de son audition en commission des lois : il ne peut y avoir de différences entre les Règlements des deux assemblées sur un point aussi crucial que celui du droit d'amendement. Qu'il y ait des différences sur les suspensions de séance, les procédures ou la demande de quorum, pourquoi pas, mais le droit d'amendement concerne le fondement même de l'exercice parlementaire. (Vifs applaudissements à gauche)

M. Bernard Frimat.  - C'est gentil de nous rappeler que la loi organique sera transmise au Conseil constitutionnel mais cela n'avait pas échappé à notre vigilance. Nous savons que le Conseil lira nos débats : nous tenons à nous faire entendre.

On l'a dit sur la première loi organique. « Circulez, il n'y a rien à voir », nous expliquait alors la commission, mais le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions et en a assorti d'autres de réserves importantes qui rendront notamment le découpage plus acceptable. Il y a intérêt à débattre et, comme nous avons le droit de parler, nous allons en user et exprimerons notre vote sur les deux premières motions, le Règlement nous rendant muets sur la troisième.

L'article 44 de la Constitution, qui affirme le droit d'amendement, est le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes. Si ce droit est individuel, l'appartenance à un groupe n'est pas obligatoire et certains parlementaires n'appartiennent à aucun groupe. Que devient leur droit de déposer et de défendre des amendements ? Les souffreteux articles 13 bis et 13 ter renvoient leurs explications à la fin du débat. C'est une plaisanterie ! Donner un délai, c'est limiter la capacité de défendre des amendements. Accordera-t-on généreusement un quart d'heure aux non-inscrits ? On limitera le nombre d'amendements qu'ils pourront défendre. Oh !, ils pourront bien en déposer, mais dans le formol, et ceux qu'ils pourront présenter, ils les expliqueront dans un silence sépulcral ou, plutôt, agité.

Si on n'est pas un clone, un robot qui a renoncé à penser, on veut pouvoir défendre ses amendements et convaincre. Combien de fois le débat a permis un accord ? Cela ne va pas être facile quand nous ne pourrons plus nous exprimer. Voilà pourquoi l'article 13 est attentatoire. Vous nous dites « je vous fais peur mais je ne tirerai pas et mon fusil est chargé à blanc ». Est-ce respecter le droit d'amendement que d'empêcher de les défendre ? Pour nous, c'est non. Le Conseil constitutionnel tranchera et nous lirons sa décision avec intérêt. (Applaudissements à gauche)

La motion n°45 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 149
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°25, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n°183, 2008-2009).

Mme Éliane Assassi.  - La réforme constitutionnelle votée d'une courte tête...

M. Jean-Pierre Bel.  - Laquelle ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Les trois cinquièmes...

Mme Éliane Assassi.  - ...a prévu nombre de lois organiques. L'ordre de leur présentation n'a rien d'anodin. Ce n'est pas par hasard si la première a traité du retour au Parlement des ministres ; si la deuxième met radicalement en cause le droit d'amendement ; si des trois dispositions qui nous sont proposées aujourd'hui, la réduction du droit d'amendement doit être la première à s'appliquer : les quelques modifications susceptibles de relever un tant soit peu le Parlement sont renvoyées à une date ultérieure. Il est singulier, enfin, que le Gouvernement n'ait pas attendu les conclusions des groupes de travail chargés de préparer la révision du Règlement des deux assemblées. Difficile dans ces conditions de croire qu'on a voulu revaloriser le rôle du Parlement. Quel manque de respect et de considération !

S'agit-il vraiment de brider l'exécutif ou n'est-ce pas plutôt l'inverse ? Les innovations sur les résolutions parlementaires et sur les études d'impact servent surtout d'alibi à la mise en cause frontale du droit d'amendement, que notre président décrit pourtant comme imprescriptible. L'article 44-1 offre aux parlementaires la possibilité de proposer une résolution mais cette avancée apparaît bien formelle, singulièrement pour l'opposition, tant ses conditions de mise en oeuvre en limitent la portée. Le Gouvernement ne sera entendu qu'à sa propre demande et pourra s'y opposer s'il estime que la demande constitue une injonction ou met en cause sa responsabilité. Avec ce pouvoir excessif de l'exécutif, le droit de résolution se limitera en pratique à celles que le Gouvernement aura acceptées et qui ne seront que de simples voeux... Aucune revalorisation du Parlement dans cette procédure dont l'opposition est écartée : la démocratie n'a rien à y gagner.

Nous avons quelques craintes sur l'article 39. On ne peut s'opposer à ce que les projets comportent un exposé des motifs ou soient accompagnés d'une étude d'impact mais on peut avoir des doutes sur les intentions du Gouvernement, plusieurs projets n'étant pas soumis à cette dernière obligation.

Le contenu de ces études doit être précisé et élargi. En tout état de cause, c'est une avancée marginale.

Pour justifier le temps global, la droite invoque l'obstruction. Le temps du débat en séance publique est pourtant un gage de qualité du travail législatif, mais ce temps n'est pas celui du Président de la République, qui confond action et agitation. A chaque jour son annonce, à chaque fait divers sa loi. Nous sommes en pleine inflation législative : seize textes sécuritaires ont été adoptés entre 2002 et 2008, et cinq autres sont annoncés ! Au cours de la session 2007-2008, 55 textes ont été adoptés définitivement, contre 46 en 2006-2007. Citez-moi un texte qui n'ait pas été définitivement adopté en raison de l'obstruction !

M. Jean-Pierre Bel.  - Bonne question.

Mme Éliane Assassi.  - Les seuls qui n'aboutissent pas sont les textes d'origine parlementaire dont le Gouvernement ne veut pas !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - C'est faux.

Mme Éliane Assassi.  - Nous légiférons trop, sans étude d'impact, souvent sous le coup de l'émotion et dans l'urgence. D'où un empilement de textes bâclés, inapplicables, voire inappliqués. En 2007-2008, un quart seulement des textes d'application des lois a été pris, 10 % pour les lois adoptées en urgence !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - C'est faux.

Mme Éliane Assassi.  - C'est vrai ! Où sont la sécurité juridique, dans ces conditions, la lisibilité pour les citoyens ?

Ce texte vise en réalité à museler l'opposition. Quand beaucoup d'amendements sont déposés, les débats se prolongent, et ce temps peut être mis à profit pour faire connaître les méfaits d'une réforme et mobiliser l'opinion ! Voilà ce qui vous gêne ! L'obstruction n'a pas empêché l'adoption du CPE mais l'opinion publique, alertée par les débats parlementaires, a fait reculer le Gouvernement. Les parlementaires de l'opposition auront joué pleinement leur rôle. Reconnaissez que la mobilisation de l'opposition vous a parfois rendu service, par exemple en obtenant le report sine die du texte sur le travail dominical, sur lequel l'UMP était divisée ! N'avez-vous pas vous-mêmes usé du droit d'amendement lorsque vous étiez dans l'opposition, que ce soit sur les nationalisations, l'école laïque ou le Pacs ?

Les moyens pour abréger nos débats ne manquent pas : ordonnances, irrecevabilités, vote bloqué, clôture de la discussion générale, article 49-3, question préalable positive, une originalité du Sénat. Sans parler de l'abus de la procédure d'urgence -près de la moitié des textes en 2007-2008- ou du vote conforme, comme sur la réforme constitutionnelle ! La discussion budgétaire de 2008 a été la plus brève depuis trente ans, la Lolf restreignant les possibilités d'amendement. Votre but n'est pas de lutter contre l'obstruction mais d'abréger encore les débats, en privilégiant le travail discret en commission, loin des citoyens et des journalistes, bref en s'asseyant sur la démocratie... La séance publique doit rester le lieu naturel du débat politique, de la confrontation des idées, de l'expression démocratique, dans la transparence. C'est ce qu'attendent les citoyens.

Nicolas Sarkozy a voulu pouvoir parler devant le Congrès et museler les parlementaires. Car il veut décider de tout et tout contrôler. Ne prend-il pas la place du Premier ministre, des ministres ou des secrétaires d'État ? Ne supportant pas les contre-pouvoirs, il étend son emprise sur l'audiovisuel public, menace la liberté de la presse, annonce la suppression du juge d'instruction pour éviter les enquêtes gênantes... La séparation des pouvoirs est entamée : outre la possibilité pour le Président de la République de s'exprimer devant le Congrès, le Gouvernement pourra être présent en commission. L'hyper-présidentialisation du régime, déjà renforcée par le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, s'accentue. Enfin, la réforme des territoires vise à supprimer certains échelons démocratiques gênants, majoritairement à gauche, contre-pouvoirs qu'il faut contrôler ! Bref, un super-président appuyé par une majorité dévouée, dans un pays sans contre-pouvoirs ni contestation sociale !

Nos craintes exprimées lors de la révision constitutionnelle étaient fondées, le scénario catastrophe se réalise ! Avec cette motion, vous pouvez encore mettre un coup d'arrêt à cette évolution dangereuse. Comment espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? Quid de notre pacte républicain ? Une démocratie où la parole des parlementaires est contrainte, voire interdite, mérite-t-elle encore son nom ? (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - L'un des enjeux de la révision constitutionnelle est de revaloriser la séance publique. Dans un rapport de 1990, MM. de Raincourt, Allouche et Gérard Larcher constataient que les parlementaires « se sentent trop souvent exclus d'une mission législative devenue trop foisonnante, de débats hermétiques de techniciens et de spécialistes, alors que la séance devrait être le lieu du choix des orientations politiques fondamentales ». Vingt ans plus tard, la situation n'a pas changé.

M. Jean-Pierre Bel.  - C'est ça, le problème ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La commission des lois, sous la conduite de MM. Gélard et Peyronnet, a pu observer, à travers de nombreux déplacements, que le temps consacré à la procédure législative était souvent plus maîtrisé chez nos voisins.

La révision constitutionnelle prévoit que la discussion en séance s'engage sur le texte élaboré par la commission. Le débat pourra porter en séance sur les questions de fond, puisque les questions techniques auront été traitées.

Faut-il encadrer le temps de la discussion en séance ? La loi organique n'ouvre qu'une simple faculté. Je le répète : le Sénat ne s'orientera pas dans cette voie, comme l'a encore confirmé le président Larcher. Nous devons rechercher le plus grand accord entre les groupes et respecter l'autonomie de chaque assemblée, n'en déplaise à M. Michel.

Avis défavorable.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. Je veux en finir avec une rumeur. Selon le site Legifrance.fr, au 31 décembre 2008, 75 % des décrets d'application étaient parus six mois après le vote du texte. Pour les textes adoptés en urgence, ce taux est de 95 % ! (Applaudissements à droite) Ce sont des chiffres incontestables !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous sommes ici pour débattre du temps de parole au Parlement.

Mais qu'entendons-nous du côté de l'exécutif ? Un flot ininterrompu de paroles. Pas un jour ne passe sans que nous entendions parler le Président de la République.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Vous entendez des voix !

M. Pierre Fauchon.  - Nul ne vous oblige à l'écouter !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous ne contestons pas le droit du Président de la République à s'exprimer mais nous demandons la possibilité de répondre à cette parole proliférante. Il y a quelques jours, M. Sarkozy s'entretenait à la télévision avec des journalistes. J'ai sursauté quand je l'ai entendu répondre à une question portant sur l'audiovisuel public que le président de France Télévisions serait nommé par le Gouvernement...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - En conseil des ministres.

M. Jean-Pierre Sueur.  - ...que le CSA aurait son mot à dire et qu'il faudrait l'accord des trois cinquièmes des parlementaires. Nous savons bien que c'est faux : il faudra une majorité des trois cinquièmes des membres des commissions pour s'opposer à une nomination ! (M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, le reconnaît) On attendait que M. Pujadas, journaliste de la télévision publique, fît une rectification : rien ne vînt. Le Président de la République peut aligner des contre-vérités, personne ne lui répond, sa parole se répand sans être jamais contredite... C'est une caricature de démocratie ! Rares sont les pays où l'on verrait une chose pareille !

Un jour, le Président parle de la TVA, le lendemain de l'automobile, le surlendemain de l'Irak : sitôt faites, les annonces sont oubliées et nul n'est là pour les lui rappeler. Plutôt que de passer leurs jours et leurs nuits à s'occuper du temps de parole des parlementaires, les membres de la majorité feraient mieux de réfléchir à cette disproportion choquante entre la parole de l'exécutif et celle du législatif ! (Marques d'impatience à droite et au banc des ministres)

Monsieur le ministre, j'entends votre agacement, mais le Parlement sert à argumenter ! Voici donc le deuxième argument sur lequel je souhaite insister : malgré nos questions répétées, nous n'avons eu aucune réponse de votre part. Voilà une excellente raison pour voter la question préalable : d'ailleurs, cela raccourcirait les débats ! (Sourires)

M. le président Larcher rappelle sans cesse que le droit d'amendement est consubstantiel à l'activité parlementaire. Mais on ne peut à la fois défendre le droit d'amendement et restreindre le temps de parole en assignant à chaque groupe un contingent horaire ! Il y a là une contradiction, vous le savez tous !

Il faut donc réécrire l'article 13. Refuser de le faire sans avancer d'autre justification que le désir d'éviter un deuxième débat sur ce sujet, comme fait la commission, est tout bonnement inacceptable.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pourquoi ? Nous sommes bien libres de faire ce que nous voulons !

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est une question de démocratie. Tant que M. le ministre refusera de répondre à nos questions, le débat sera impossible. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Fauchon.  - Je ne voterai pas cette motion parce que je souhaite que ce débat se poursuive. (Ironie à gauche) Mais cela ne signifie pas que je ne voie aucun problème dans le texte qui nous est présenté ! (On s'en réjouit sur les mêmes bancs) M. Sueur l'a dit tout à l'heure avec son talent habituel : les dispositions de l'article 13 sont embarrassantes. Je pensais, à l'origine, qu'elles permettaient au moins, à l'expiration du temps de parole imparti aux groupes, que les amendements fussent présentés sans être discutés. Mais ils ne pourront pas même être défendus !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ce sera le silence...

M. Pierre Fauchon.  - Ces amendements, en un sens, n'existeront plus. Le problème n'est donc pas tant de limiter le temps de parole : nous pratiquons tous cela lors des réunions de groupe, sans que nul ne trouve à y redire. Le problème est que les amendements non défendus tomberont dans une trappe !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous risquez vous-même d'en être victime !

M. Pierre Fauchon.  - Certes, il existe la procédure du vote bloqué. Mais conformément à une décision du Conseil constitutionnel, les amendements qui tombent sous le coup de cette mesure sont examinés et discutés un par un, même si l'on procède à un vote unique sur l'ensemble. Il y a donc là une véritable difficulté, et je souhaite que nous y réfléchissions. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

A la demande du groupe CRC-SPG, la motion n°25 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 137
Contre 201

Le Sénat n'a pas adopté.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°46, présentée par Mme Bonnefoy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des Lois Constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n°183, 2008-2009).

Mme Nicole Bonnefoy.  - Ce texte doit être renvoyé en commission car il est mal ficelé, dangereux et destiné à museler le Parlement et l'opposition. Nous souhaitons tous un rééquilibrage de nos institutions et un renforcement des pouvoirs du Parlement, afin que celui-ci remplisse de la meilleure façon possible ses missions naturelles : le contrôle du Gouvernement, l'amélioration de la loi et l'organisation du débat public.

Révisée en juillet, la Constitution n'est pas une loi comme les autres : n'appartenant ni à la droite, ni à la gauche, elle est la loi fondamentale qui régit le fonctionnement de notre République. Toute révision devrait donc se faire en réelle concertation avec l'opposition. Chacun sait que ce n'est pas ce qui s'est produit, il suffit de voir avec quel mépris et avec quelle arrogance nos collègues députés socialistes ont été traités.

Au début de l'été, le Gouvernement a présenté dans les médias son projet de loi comme une réforme destinée à rééquilibrer nos institutions au profit, surtout, de l'opposition. Le texte que nous examinons aujourd'hui devrait ouvrir les yeux des Français sur cette supercherie : ils verront que nous étions fondés à dénoncer la prétendue revalorisation du Parlement, dont il ne reste en définitive que quelques dispositions mineures favorables au parti majoritaire.

Ce projet de loi organique confirme que la réforme accentue encore le déséquilibre institutionnel au profit du Président de la République, qui pourra désormais dicter ses projets de loi.

Il suffit d'examiner les trois chapitres pour voir les dangereuses dérives que ce texte met en place. Le chapitre premier précise le vote des résolutions parlementaires. Qu'apportera ce prétendu pouvoir supplémentaire ? L'examen d'une proposition de résolution honore la fonction tribunitienne des assemblées représentatives en régime démocratique. Néanmoins, les conditions de recevabilité posée à l'article premier rendent quasiment impossible tout débat sur une proposition de l'opposition puisque le Premier ministre dispose d'un droit arbitraire de veto, sans même devoir motiver sa décision. Par ailleurs, alors que la proposition de résolution déposée par un parlementaire doit être transmise immédiatement au Premier ministre par le président de l'assemblée parlementaire concernée, le chef du Gouvernement ne sera tenu par aucun délai.

Initialement, l'article 2 disposait que chaque proposition de résolution serait transmise à une commission permanente, ce que l'Assemblée nationale a supprimé. C'est inadmissible et incompatible avec la volonté de revaloriser le travail des commissions.

Enfin, l'article 3 conduit à s'interroger sur la portée des résolutions adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu qu'à sa demande et qu'il pourra empêcher à tout moment l'examen d'une proposition de résolution qui lui paraîtrait mettre en cause sa responsabilité ou contenir une injonction à son égard. Concrètement, seules seront débattues les propositions agréées par le Gouvernement ou celles parfaitement inoffensives.

Il faudrait être naïf pour voir dans cette procédure de nouveaux droits pour l'opposition !

Plusieurs points relatifs à l'article 3 mériteraient d'être approfondis en commission. Pourquoi l'avis du Premier ministre n'est-il enfermé dans aucun délai, contrairement à celui de l'assemblée saisie ? Pourquoi le Premier ministre ne doit-il pas motiver sa décision ? Pourquoi n'y a-t-il aucun recours ?

J'en viens au deuxième chapitre, qui porte sur les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi. Déposer une étude d'impact à l'appui de tout projet de loi est louable, mais nous restons sceptiques quant à la réalisation des objectifs car beaucoup de questions fondamentales mériteraient un examen attentif en commission. Qui procédera aux évaluations ? Avec quelle indépendance ? Toutes les évaluations seront-elles possibles ? L'Assemblée nationale a amélioré l'inventaire des catégories de textes dispensés de document d'évaluation, mais rien ne justifie d'exclure les projets de loi constitutionnelle.

Enfin, le chapitre 3, le plus controversé, porte sur l'exercice du droit d'amendement.

Qu'en dire, sinon qu'il prouve la volonté gouvernementale de museler l'opposition ? Aujourd'hui, l'amendement est la forme principale du droit d'initiative parlementaire. Il donne à l'opposition la chance de présenter ses propositions, sans retarder le programme de travail de la majorité. C'est un droit individuel, en principe libre et illimité. Chaque sénateur peut l'exercer en son nom propre. L'opposition peut l'utiliser pour informer et alerter l'opinion. Il est néanmoins encadré par le « parlementarisme rationalisé », qui en limite la recevabilité financière et législative.

Le projet de loi organique reprend l'article 44 de la Constitution, qui déclare irrecevables les amendements parlementaires déposés après le début de l'examen du texte. Mais les Règlements des assemblées parlementaires peuvent fixer une date antérieure... En revanche, le Gouvernement peut déposer des amendements à tout instant et demander une nouvelle délibération sur un article si un amendement est voté contre sa volonté. Le Gouvernement peut empêcher la discussion d'amendements qui n'ont pas été soumis préalablement à la commission. Généralement, cette arme de procédure n'est pas utilisée, mais tout cela témoigne du déséquilibre entre les droits consentis aux sénateurs et les prérogatives du pouvoir exécutif.

Or, au lieu de rééquilibrer les droits des parlementaires, ce projet de loi organique aggrave la situation avec l'article 11 et, de manière encore plus inadmissible, avec l'article 13. En effet, un amendement pourra dorénavant être mis aux voix sans discussion, au nom du délai préalablement fixé pour l'examen du texte. La procédure du crédit-temps transformera les assemblées en chambres d'enregistrement, puisqu'un groupe ne pourra plus défendre un amendement lorsqu'il aura épuisé son temps de parole. Or, un amendement qui n'est pas défendu n'aura aucune chance d'être adopté. La liberté de la discussion parlementaire est incompatible avec le forfait temps.

Le rythme du Président de la République, marqué par les annonces quotidiennes, ne peut être celui du Parlement qui examine, auditionne et amende.

Pour justifier vos dispositions, vous agitez l'épouvantail de l'obstruction, qui serait responsable de « la pagaille » parlementaire et « risquerait de bloquer le rythme des réformes ».

Le Président de la République regrette que les parlementaires socialistes « déposent des amendements à la brouette » ? Il ferait mieux de ne plus déposer à la vitesse supersonique des textes de loi mal rédigés et incomplets ! Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le Gouvernement de M. Fillon a fait voter plus de 70 textes de loi, hormis les conventions internationales, contre 52 en moyenne par an de 1997 à 2002 et une moyenne de 47 entre 2002 et 2007. Où est l'obstruction que l'on nous reproche ? En revanche, on peut s'interroger sur cette frénésie législative, sachant qu'à peine une loi sur quatre est mise en oeuvre. De plus, sur les 1 518 textes de loi adoptés depuis 1981, seuls 30 ont suscité plus de 1 000 amendements.

Enfin, en proposant de voter conforme des articles 13, 13 bis et 13 ter, au motif qu'il ne faudrait pas empêcher l'Assemblée nationale, si elle le souhaite, d'utiliser ces dispositions, la commission des lois pose un postulat, préjuge de l'avenir sans apporter la moindre garantie et clôt définitivement la discussion.

En fermant le débat sur les dispositions essentielles qui portent gravement atteinte au droit d'amendement, la commission n'a pas permis d'éclairer suffisamment le Sénat sur ce sujet. Elle n'a pas été au bout de sa réflexion, ce que M. Fauchon a montré. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Critiquer le texte est votre droit, mais cela ne signifie pas que la commission n'ait pas fait son travail.

J'ai auditionné tous les présidents de groupes et de commissions. La commission des lois, dans son ensemble, a auditionné cinq éminents constitutionnalistes.

M. Bernard Frimat.  - Quatre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - D'habitude, elle n'en auditionne que deux, toujours les mêmes. Cette fois, nous avons renouvelé le cheptel (rires), je veux dire l'offre.

M. Karoutchi a répondu à toutes nos questions pendant deux heures. La commission est donc parfaitement éclairée, d'autant plus que les députés ont utilisé le dispositif du temps de débat au cours de la Ve République, de la IVe et de la IIIe. Un nouvel examen par la commission ne serait donc pas susceptible de la faire changer d'avis.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Défavorable.

A la demande du groupe socialiste, la motion n°46 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 322
Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l'adoption 138
Contre 184

Le Sénat n'a pas adopté.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 11 février 2009, à 10 h 30.

La séance est levée à minuit cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 11 février 2009

A 10 heures 30

1. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'attribution de fréquences de réseaux mobiles, conformément à l'article 22 de la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

A 15 heures et, éventuellement, le soir

2. Suite de la proposition de loi relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées, présentée par M. Laurent Béteille (n°31, 2008-2009).

Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°161, 2008-2009).

3. Proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l'accès des travailleurs étrangers à l'exercice de certaines professions libérales ou privées, présentée par Mme Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n°176, 2008-2009).

Rapport de M. Charles Gautier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°197, 2008-2009).

4. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant création d'une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants (n°146, 2008-2009).

Rapport de M. Jean-Claude Etienne, fait au nom de la commission des affaires culturelles (n°198, 2008-2009).

Avis de M. Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°199, 2008-2009).

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion ;

- Mme Christiane Demontès et M. André Lardeux un rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de la commission des affaires sociales sur l'amélioration des dispositifs de contrôle et d'audit internes du réseau des caisses d'allocations familiales et la mise en place du répertoire national des bénéficiaires ;

- MM. Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur les conditions financières et industrielles de mise en oeuvre du programme A400 M.