Lutte contre la fraude fiscale

Procureur de la République financier

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au procureur de la République financier.

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Ces projets de loi sont issus de la volonté du président de la République, annoncée pendant la campagne électorale et confirmée en début de législature, de lutter avec détermination contre les corruptions et les fraudes. Le président de la République a rappelé, le 10 avril, que l'exemplarité est la condition de l'autorité. La lutte contre la fraude doit convaincre les Français de la nécessité d'accepter l'impôt progressif ; il est nécessaire d'éradiquer les paradis fiscaux qui nuisent à l'emploi. Le calendrier a été accéléré pour apporter une réponse forte et lisible à un acte de corruption et de fraude fiscale. Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement est confronté à de tels actes. Certains soutiennent que corruption et fraude sont inhérentes à la démocratie ; ces maux existent depuis l'Antiquité : en témoignent Cicéron et Platon. Michelet appelait la corruption un « mal naturel », mot malheureux. La corruption était punie de mort dans le droit romain. Candidatus, le candidat, signifiait que la personne qui se présentait aux suffrages avait blanchi sa toge pour témoigner de sa probité.

Dès le code pénal de 1810 promulgué par Napoléon, le crime de corruption est puni du carcan et de l'amende. Seule celle-ci fut ensuite maintenue. Le carcan, estimé infâmant, fut remplacé en 1832 par la dégradation civique. Progressivement, l'arsenal pénal a adapté ses réponses. En 1897, l'affaire du trafic des décorations, qui a conduit à la démission de Jules Grévy à cause des agissements de son gendre, a donné lieu à la définition du délit de trafic d'influence par la loi d'août 1889, laquelle n'a pas empêché, en 1892, le scandale de Panama qui a ruiné la réputation de nombreux élus et a entraîné une désaffection massive du suffrage universel. En 1934, l'affaire Stavisky conduit à la loi de 1935, créant le délit d'abus de biens sociaux. Vinrent ensuite, dans les années 1970-1980, une série de scandales immobiliers. En 1988, le scandale du trafic d'armes avec l'Iran conduit à une législation nouvelle sur le financement des partis politiques. Puis la loi Rocard a, à la suite de l'affaire des marchés publics, plafonné le montant des dépenses électorales. Elle fut suivie, en 1893, par la loi Sapin qui rendit la publicité de la concurrence sur les marchés publics obligatoire. Puis vint la loi Balladur, pour interdire le financement des partis et des campagnes par les personnes morales.

Les rapports Vedel de 1993, Sauvé de 2010, Jospin de 2012, notamment, ont proposé des solutions.

Nous disposons déjà d'un arsenal répressif mais il demeure fragile car incapable d'empêcher, de prévenir, d'entraver.

A chaque fois, des incriminations ciblées ont été créées, comme s'il s'agissait de courir après des astuces toujours mouvantes.

Le choix du Gouvernement est tout autre : il est de concevoir une politique pénale, fondée sur des réformes structurelles, non pour éradiquer sans doute mais pour rendre les fraudes plus difficiles et plus coûteuses.

Les infractions doivent être détectées le plus tôt possible. D'où la création de l'office central de lutte contre les atteintes à la probité et du procureur financier, avec un parquet financier à compétences nationales. Il convient de veiller à une meilleure coordination entre politiques pénale et fiscale. Les tribunaux doivent prononcer des sanctions dissuasives et exécutées. Ce projet de loi est global, structuré. Il traite les infractions avec efficacité depuis l'amont jusqu'à la sanction -dissuasive- prononcée et exécutée en aval.

Dès juin 2012, j'ai mobilisé la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), le service central de prévention de la corruption (SCPC) ; nous avons travaillé avec le pôle économique et financier de Paris et l'agence de recouvrement des avoirs saisis criminels. J'ai auditionné des praticiens pour élaborer des réponses structurelles et durablement efficaces. En octobre 2012, j'ai répondu à l'OCDE que la France allait donner aux associations de lutte contre les corruptions les droits reconnus à la partie civile.

Cette mobilisation et ces projets de loi expriment une cohérence d'ensemble. La circulaire de politique pénale générale que j'ai signée en septembre 2012, ainsi que les projets de loi que je vous ai soumis précédemment, en témoignent. L'indépendance de la justice est confortée et renforcée : des garanties sont données aux magistrats, de neutralité et d'impartialité, et aux citoyens, qui sauront que le pouvoir politique ne s'immiscera pas dans les affaires pénales.

Le Gouvernement est déterminé à lutter contre toutes les fraudes, les escroqueries, les blanchiments. Ce n'est pas seulement un combat moral, une volonté de sanctionner des atteintes graves mais une lutte contre une violence qui pèse sur les personnes et la société. Les fraudes fiscales n'échapperont pas à la sanction. Point de clémence ni de complaisance contre des actes qui remettent en cause le contrat social et fragilisent le pacte républicain.

Corrompre -corrumpere : rompre ce qui lie-, c'est agresser la société. Mettons un terme à ces comportements.

Ce projet de loi comporte des dispositions qui concernent également le ministère du budget. Les associations de lutte contre la corruption se verront reconnaître les droits dévolus à la partie civile, ce qui consolide une jurisprudence de la Cour de cassation. Un parquet financier à compétence nationale est créé, qui couvrira toutes les fraudes et corruptions, les conflits d'intérêt, les détournements de fonds publics, les infractions à la TVA, douloureuses pour les budgets et services publics. Nous choisissons de faciliter la dénonciation des actes de fraude et de corruption. Les lanceurs d'alerte seront protégés. Le statut des repentis est étendu. Les infractions financières et douanières sont introduites dans le texte afin d'élargir le champ des sanctions prévues. Les amendes sont considérablement augmenté, de 30 000 à 200 000 euros et davantage.

Le régime des personnes morales, pour les saisies des avoirs criminels, est aligné sur celui des personnes physiques, qui exerce un pouvoir dissuasif incontestable. L'agence spécialisée a accumulé en la matière une compétence et une expérience reconnues. Elle pourra faire mieux encore. Elle pourra saisir le patrimoine des personnes morales.

Ces réponses structurées et durables à toutes les formes de corruption résultent de la création d'une compétence dédiée -50 postes de magistrats et de greffiers sont créés-, du renforcement des moyens du SCPC et de la création de l'Office central de lutte contre les atteintes à la probité. C'en sera fini de l'impuissance. L'État se dote de moyens efficaces et performants.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Entre 2007 et 2011, les magistrats de la section financière du parquet de Paris ont été portés de huit à onze tandis que le nombre d'informations judiciaires diminuait des deux tiers. En 2009, rappelez-vous, le président de la République d'alors annonçait la suppression des juges d'instruction...

Plusieurs voix sur les bancs socialistes. - Eh oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les effectifs ont fondu, 37 personnes en moins, alors que les besoins en enquêteurs des sections spécialisées, j'ai interrogé la Cour d'appel de Paris, seraient de 70 personnes. C'est dire la fragilité dans laquelle elles se trouvent. Réductions budgétaires, démantèlement de services se sont accompagnés d'un discours sur la déjudiciarisation : résultat, la France est tombée au 22e rang du classement de Transparency international.

Nous mobilisons à présent pour retisser le lien social, consolider le pacte républicain, solidement ancré dans des valeurs que nous défendons. Nous allons débattre de la coordination entre politique pénale et fiscale, l'action de l'État doit être une pour apporter enfin des réponses stables, efficaces, dissuasives à la fraude sous toutes ses formes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget .  - Les commissions de votre Haute assemblée ont beaucoup travaillé sur ce texte. Je salue l'implication de MM. Marc et Anziani et de Mme Klès, même si nous ne sommes pas toujours d'accord, pour que ce texte soit à la hauteur des ambitions du Gouvernement.

On sait l'attention que votre Haute assemblée a porté à la fraude fiscale. Je salue les commissions d'enquête qui ont oeuvré ici, et particulièrement celle dont M. Bocquet anime toujours les travaux.

M. Francis Delattre.  -   - Et le président de la commission ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - J'y viens ! Gardez vos forces pour le débat. (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Francis Delattre.  - Un peu de courtoisie !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Nous opposons aux fraudeurs des mesures très dissuasives. L'inversion de la charge de la preuve en ce qui concerne les transferts de bénéfices en est une. 60 % des sommes versées sur des comptes à l'étranger et non tracées seront prélevés. C'est un très net progrès. Grâce à la loi bancaire, les institutions financières devront déclarer leurs filiales, leurs moyens et leurs activités à l'étranger. Elles devront signaler à Tracfin tous les mouvements de fonds anormaux ou étranges.

Des réflexions ont été menées qui permettent d'aller plus loin, ainsi celle sur la fiscalité des entreprises numériques -qui a fait l'objet d'un excellent travail du président de la commission des finances.

M. Antoine Lefèvre.  - Remarquable !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Les grands groupes ne doivent plus être en mesure d'éroder leur matière fiscale. L'inspection générale des finances a établi un rapport sur les frais de transferts, qui a inspiré beaucoup de réflexions et d'amendements.

Ce sont des points stratégiques sur lesquels il faut prendre le temps nécessaire à la concertation avec les entreprises et à la confection d'un dispositif juridique solide.

Ce texte n'oppose pas l'administration fiscale à celle de la justice mais articule mieux, au contraire, leur action pour faire en sorte que les fraudeurs n'échappent ni au contrôle ni à la sanction. Nos administrations seront plus fortes ensemble. Nous allons mettre en place des dispositifs d'enquête spéciale. La police judiciaire disposera ainsi de moyens dont elle ne disposait pas jusqu'à présent, dans le cadre d'une coopération renforcée entre l'administration fiscale et le juge judiciaire.

Une décision de la Cour de cassation nous avait rendu impossible l'exploitation d'une partie des données de liste HSBC. Nous pourrons désormais utiliser des moyens transmis de façon licite, même s'ils ont été obtenus illicitement.

Les sanctions seront alourdies, ainsi que l'a indiqué la garde des sceaux : jusqu'à 2 millions d'euros pour les amendes et jusqu'à sept ans de prison. Les biens et l'argent déposé sur les comptes d'assurance vie pourront être saisis.

Ce texte a été très amélioré par votre Haute assemblée. Cinq articles additionnels ont été introduits, notamment par le rapporteur général de votre commission des finances. Toutefois, certaines modifications pourraient désarticuler la relation entre l'administration fiscale et la justice. Je veux parler de l'amendement déposé par M. Anziani sur la concurrence entre ces deux administrations dans le domaine des poursuites. Le Gouvernement considère que l'une et l'autre sont légitimes à traquer le fraudeur. Mais nous tenons à ne laisser aucun interstice à celui qui fraude en raison d'une concurrence entre les services. La justice peut engager elle-même des poursuites pour blanchiment de fraude fiscale, aux termes de l'arrêt Talmon. Assurer l'efficacité des deux administrations en articulant leurs moyens est essentiel. La lutte contre la fraude fiscale nécessite la mobilisation des moyens techniques importants dont dispose l'administration fiscale. Celle-ci n'est pas soumis aux mêmes règles que le juge et peut appliquer des amendes pénales immédiates. Entre 2011 et 2012, 2 milliards de titres ont été émis par l'administration fiscale en quelques mois. Il ne peut y avoir de temps long entre la constatation de la fraude et la sanction.

MM. Jean-Jacques Mirassou, François Rebsamen, Philippe Marini, François Marc,  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - N'organisons pas cette concurrence qui ralentira le prononcé de la sanction. Dans le contexte actuel des finances publiques, ce ne serait pas juste.

Nous avons besoin que la justice et l'administration fiscale interviennent ensemble, non en opposition l'une à l'autre. Il faut que le juge puisse faire passer le droit et l'administration fiscale l'amende. Ne donnons pas au fraudeur un temps qu'il ne mérite pas.

M. François Marc.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - J'ai réfléchi aux interrogations de certains magistrats, parlementaires, journalistes : comment mieux assurer la transparence que la représentation nationale, les ONG, l'opinion publique souhaitent légitimement ? Il ne peut y avoir d'opacité en la matière. Il ne peut y avoir de doutes sur les conditions dans lesquelles la commission des infractions fiscales transmet à la justice les dossiers qu'elle instruit. Selon l'état du droit, aux termes de circulaires rigoureusement appliquées, le ministre du budget n'a pas connaissance des conditions dans lesquelles les contrôles s'exercent. Aucun ministre du budget ne peut décider que tel ou tel dossier puisse ne pas être transmis à la commission des infractions fiscales avant de l'être à la justice. Ce serait contraire au droit. Pour la transparence, je propose qu'un rapport soit transmis au Parlement chaque année pour l'informer précisément des affaires traitées.

Mme Michèle André et MM. Jacques Chiron, Philippe Marini et Francis Delattre.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet.  - Enfin !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Il n'y a pas d'un côté une administration fiscale molle et un juge dur, une administration fiscale rapide et un juge lent...

M. Gérard Longuet.  - Ce sont les deux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - ...mais la volonté de faire travailler ensemble deux administrations pour qu'aucun fraudeur ne passe aux travers des mailles du filet. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)

C'est devant la représentation nationale que nous avons décidé de rendre publiques les règles. Il n'y aura pas de cellule « VIP », ni de transaction dans l'opacité mais un barème défini qui nous permettra de contrôler concrètement l'action de l'administration. (« Très bien ! » sur les mêmes bancs) Toutes les pénalités seront mises en oeuvre et nous en rendrons compte devant vous. En moins d'un mois, 250 dossiers ont été présentés à l'administration fiscale. Cette politique est efficace car elle agit par deux vecteurs : cette loi, qui durcit les poursuites, et la transparence sur l'incitation à la régularisation. Il est normal que nous incitions les fraudeurs à régulariser. On ne va pas leur dire de ne rien faire en attendant d'aller en prison !

Ce projet de loi est dur pour les fraudeurs, il ne leur laisse aucun espace. Telle est notre politique, qui donnera force à notre voix sur la scène internationale, en particulier au sein de l'Union européenne où nous plaidons pour l'échange systématique d'informations, pour la définition d'une liste européenne d'États non coopératifs, pour la passation de conventions de type Fatca.

Sur un sujet qui concerne l'intérêt budgétaire de la nation, j'espère un consensus. (Applaudissements à gauche)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois sur le projet de loi .  - Voici donc le volet financier de la transparence. Les deux textes qui nous sont soumis ne visent pas, comme j'ai pu l'entendre, l'épicier du coin ou l'avocat indélicat. Ils luttent contre une pieuvre qui se déploie à l'échelle du monde et d'un clic dissimule des milliards -je pense notamment au carrousel sur la TVA intracommunautaire.

Certains nous ont assimilés à des petits Robespierre et ont évoqué la Terreur.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Il n'y a pas de « petits »Robespierre !

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Notre objectif n'est pas de couper des têtes mais de rétablir l'égalité devant l'impôt. La fraude fiscale va avec le blanchiment. Une délinquance à première vue « propre ». Il n'y a ni cadavre ni violence apparente mais les dégâts sont immenses : 1 000 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne.

Je félicite la garde des sceaux et le ministre du budget de ce travail et de leur engagement déterminé. La commission des lois a renforcé les moyens d'enquête, alourdi les sanctions, créé une infraction de fraude fiscale en bande organisée, avec de lourdes sanctions, et amélioré les procédures de recouvrement. Ces mesures font consensus ; reste trois points en débat.

Le premier engage des questions de procédure. Les nouvelles règles procédurales concilient-elles nécessité de la lutte et respect des droits fondamentaux ? Je crois que la réponse est oui. Nous avons supprimé le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment. Nous sommes revenus sur la question des règles de prescription, auxquelles il ne faut toucher que d'une main tremblante ; nous avons admis les preuves illicites mais en maintenant le visa de l'activité judiciaire ; nous avons acquiescé au statut du repenti. Pour les lanceurs d'alerte, le texte de l'Assemblée nationale nous a semblé trop large. Nous l'avons limité aux délits et aux crimes et jugé que seules les alertes lancées en direction de l'autorité judiciaire ou administrative devaient être protégées.

Deuxième point, l'organisation judiciaire. Elle est aujourd'hui complexe et nos auditions nous ont montré que certains pôles économiques et financiers devaient reverser leurs moyens au Jirs. Reste un débat sur le procureur financier. Je soutiens sa création, avec la majorité de la commission. Cela garantira une autorité incarnée, avec des moyens, et fera, à l'avenir, un interlocuteur naturel au parquet européen. J'admire, madame la ministre, votre confiance dans l'intelligence de la justice. Vous l'avez montré en supprimant les instructions individuelles. Si les conflits entre Jirs persévèrent, comment y remédier ? Il nous a paru prudent de prévoir un mécanisme subsidiaire, mais nous restons à votre écoute.

Dernier point, et je remercie le ministre du budget de la qualité de son exposé et de ses efforts pour le redressement de nos comptes publics, le « verrou » de Bercy. Notre tradition française interdit à l'autorité judiciaire de poursuivre sans l'autorisation de Bercy. Les positions de notre commission des lois et de notre commission des finances sont inverses, l'une allant à assouplir, l'autre à resserrer. Un magistrat nous a posé la question : pensez-vous que le ministre du budget aurait porté plainte contre Jérôme Cahuzac ?

M. Gérard Longuet.  - C'est une question de conflit d'intérêt, pour revenir sur l'un de nos débats récents.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Il y a paradoxe à admettre que l'on peut poursuivre le blanchiment de la fraude fiscale -l'arrêt Talmon- et pas la fraude fiscale...

Mme Nathalie Goulet.  - Bien sûr.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - La plupart des magistrats ne comprennent pas qu'au cours d'une enquête, s'ils découvrent une fraude fiscale, ils ne puissent la poursuivre mais doivent transmettre au ministère du budget.

M. Gérard Longuet.  - Al Capone est tombé pour fraude fiscale !

M. Alain Anziani, rapporteur.  - J'en viens à la transaction. Nous sommes pour, mais sur le modèle de ce qui prévaut en matière de douane. Il y a débat. Au motif de l'équité, certains disent qu'il vaut mieux, dans notre pays, être un grand fraudeur qu'un petit fraudeur.

L'OCDE constate qu'en dépit de la signature par la France de la convention de lutte contre la corruption en 2000, seulement 33 procédures judiciaires ont été diligentées pour des affaires de pots de vin, contre 176 en Allemagne. L'OCDE a recensé 38 affaires qui n'ont même pas donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire alors que des sociétés françaises étaient citées. Ce, pour un motif simple : la justice n'est pas informée des délits que l'administration fiscale découvre au cours de ses enquêtes.

Si peu d'enquêtes sont diligentées, c'est que la justice n'a guère les moyens de le faire. En 2010, la Cour des comptes a elle aussi relevé les insuffisances de la procédure actuelle : l'administration ne remet qu'un millier de dossiers à la commission des infractions fiscales qui, elle-même, en fait tomber 10 % pour les meilleurs motifs. La Cour observe que le maçon portugais a beaucoup plus de risques d'être poursuivi que la holding internationale.

J'entends l'argument des 15 milliards d'euros mais les moyens donnés à la justice n'enlèvent rien au ministère du budget, qui pourra toujours procéder à ses contrôles, infliger redressements et pénalités. Oui, il faut une meilleure articulation entre la justice et l'administration fiscale mais le débat n'est pas clos. En France, le procureur décide de l'opportunité des poursuites. Il se tournera vers l'administration fiscale et, si elle lui demande de surseoir, il le fera. Nous ne sommes pas en Allemagne où prévaut le principe de légalité des poursuites ; nous sommes en France où le principe est d'opportunité des poursuites. Mais nous n'oublions pas qu'en Italie, où rien n'est empêché, l'administration fiscale recouvre quatre fois plus que ce que l'on obtient en France. La lutte contre la délinquance économique et financière exige la coopération de toutes les forces de l'action publique. (Applaudissements à gauche)

Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois sur le projet de loi organique .  - Le texte que je rapporte crée un parquet financier : c'est un texte global, qui aborde bien des sujets, bien des frontières, que l'on souhaiterait faire bouger. Il s'agit de trouver de nouveaux équilibres pour l'intérêt général et la justice.

Il faudra retrouver l'équilibre au sein des juridictions entre l'exigence de recouvrement et celle de justice, avec les libertés publiques, un peu bousculées. Sur les juridictions financières, le dispositif proposé, avec compétence concurrente, est calqué sur celui qui fonctionne déjà pour le terrorisme. Je fais confiance aux procureurs généraux. Peut-être aurait-il fallu aller plus loin encore mais les moyens sont limités, nous ne vivons pas dans un monde idéel.

Équilibre entre exigence de recouvrement et exigence de justice : on ne bouscule pas tant que cela les choses car les deux procédures sont indépendantes. Une meilleure coopération entre Vendôme et Bercy serait bienvenue et n'entraverait l'action ni de l'une ni de l'autre. Il y a des pas en avant : le rapport devant la représentation nationale, les possibilités de saisies, l'aggravation des amendes. Peut-être faudra-t-il faire encore un peu bouger le curseur, à l'avenir : on verra car l'on connaît les positions des uns et des autres, qui avait raison.

La délinquance fiscale a bougé. Le terme de délinquance en col blanc n'est plus approprié, tant les liens sont désormais étroits avec les systèmes mafieux. On ne peut donc plus dessaisir la justice. Les citoyens veulent la même justice pour tous, des sanctions transparentes. Veillons aux symboles. Veillons aussi à l'équilibre entre les moyens des administrations fiscale et douanière et ceux de la justice, ainsi qu'avec les libertés publiques. La commission des lois y a veillé, tout en préservant les moyens supplémentaires donnés à la délinquance « en col gris ».

L'article 1741 du code général des impôts est peut-être le noeud à défaire : la définition de la fraude fiscale pourrait, sans rien enlever à Bercy, donner plus de moyens à la justice pour poursuivre.

A ce sujet complexe, il n'y a pas de réponse simple. Nous serons appelés à y revenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi .  - Ce texte est foisonnant, son volume s'accroît au rythme de la navette. Il renforce les prérogatives et l'information des administrations fiscales et douanières, pour mieux sanctionner.

La commission des lois a intégré dix amendements de la commission des finances, dont quatre articles nouveaux.

Ce texte s'inscrit dans un mouvement qui remonte à deux ans. Toutes les lois de finances rectificatives ont comporté un volet de lutte contre la fraude. Preuve qu'il n'y a pas là matière à clivage politique, même s'il y a des appréciations différentes, comme on le voit avec la proposition de loi de certains députés UMP demandant une amnistie, quand la circulaire Cazeneuve vise à inciter les évadés fiscaux au retour en France tout en conciliant incitation et sanction. Elle a déjà produit son effet. Les avocats fiscalistes peuvent en témoigner : leurs clients craignent l'alourdissement des sanctions prévues dans ce texte.

En ces temps de disette budgétaire, il est encore plus urgent de combattre la fraude fiscale, qui fait échapper des ressources à la collectivité. On lutte aujourd'hui mieux contre la petite délinquance que contre la délinquance organisée. Il fallait agir contre ces comportements de passager clandestin qui vont à l'encontre de notre pacte républicain.

Sans cesse, il faut adapter nos moyens à une délinquance organisée et mobile. Les travaux de la commission d'enquête Bocquet-Dominati ont largement inspiré nos travaux.

La lutte contre la fraude ne sera pleinement efficace qu'avec un échange automatique d'informations. Le secret bancaire a déjà été secoué mais il faut davantage encore. La révision des directives relatives aux fiscalités de l'épargne, l'établissement d'une liste européenne et une Fatca à l'européenne seront l'occasion d'avancer.

J'estime que la réparation de la fraude fiscale doit d'abord bénéficier aux finances publiques. Le but est bien de faire venir dans les caisses de l'État les sommes qui auraient dû y entrer : le recouvrement a représenté plus de 18 milliards d'euros en 2012. Ce n'est pas en déportant les poursuites vers la justice qu'on l'améliorera. La commission des finances était attachée à l'équilibre initial du texte : je proposerai donc un amendement supprimant l'article 2 ter introduit par la commission des lois.

Sur la question de preuves, les opinions divergent également. L'administration fiscale peut-elle utiliser toutes les informations dont elle dispose, y compris celles qui lui viennent d'informateurs ? Il ne s'agit évidemment pas de provoquer à la fraude ou de rémunérer des informateurs mais de lever des obstacles. Mon homologue à l'Assemblée nationale a rappelé les obstacles juridiques auxquels a été confrontée l'administration fiscale pour exploiter la liste HSBC. Elle était tributaire de la volonté de la personne concernée de régulariser sa situation. Il y a là un paradoxe. L'administration fiscale peut exploiter une information achetée à une personne qui l'a elle-même volée dès lors qu'elle est transmise par une autorité judiciaire étrangère mais pas si elle lui est communiquée directement par un particulier. C'est difficile à comprendre pour les citoyens.

Un amendement de la commission des finances réécrit l'article 11 bis D relatif à l'obligation de transmission à l'administration par les grandes entreprises d'un document justifiant leur politique de prix de transfert, sources de pertes pour le budget de l'État et de concurrence déloyale pour les PME. Je sais que d'autres mesures seront proposées par le Gouvernement dans le prochain projet de loi de finances.

Ces évolutions législatives sont très utiles. Mais il nous faut rester dans la mesure s'agissant de la sanction, de la prescription et de l'éventuelle inversion de la charge de la preuve, d'autant que nous souhaitons par ailleurs simplifier normes et procédures. Certains amendements, en l'espèce, vont trop loin.

La commission des finances ayant donné un avis favorable aux articles dont elle était saisie, j'invite le Sénat à adopter l'ensemble du texte. L'administration sera mieux armée. Et un message fort sera envoyé de la détermination du Gouvernement à faire contribuer la lutte contre la fraude fiscale au redressement des comptes publics. (Applaudissements sur les bancs socialistes, CRC et écologistes)

M. Éric Bocquet .  - Au risque de surprendre, je citerai une célèbre chanson de Bob Dylan :

« Allez, sénateurs, membres du Congrès,

De grâce entendez cet appel,

Ne restez pas sur le seuil,

Ne bloquez pas l'entrée,

Car celui qui se blesse

Sera celui qui se sera dérobé.

Il y a une bataille dehors et elle fait rage,

Bientôt elle fera trembler vos fenêtres

Et ébranlera vos murs.

Car les temps, ils sont en train de changer »

Oui, les temps changent. L'évasion fiscale suscite effarement et indignation. Les citoyens attendent de nous que nous nous attaquions résolument à ce scandale qui met en danger la démocratie.

Le chantier est immense. Les travaux de notre commission d'enquête ont mis en évidence l'ampleur du phénomène : plusieurs dizaines de milliards chaque année pour la France, 1 000 milliards pour l'Union européenne.

Oui, le chantier est immense parce que les systèmes sont complexes et que l'industrie financière est prégnante jusqu'au coeur de nos institutions. La perception de l'opinion change à grande vitesse depuis la crise financière de 2008, à mesure que l'austérité progresse. La fraude pour les uns, l'austérité pour tous les autres... L'enjeu de la bataille, s'il est financier et budgétaire, est bien politique tant sont grands les dégâts causés dans l'opinion par les scandales, jusqu'au sein même du gouvernement de la République. Chacun sait ici qui s'en nourrit.

Après les lois sur les activités bancaires, sur la transparence, sur le Conseil supérieur de la magistrature, il faut aller plus loin. Ce texte contient certes des avancées mais nous regrettons les 2 564 suppressions prévues par Bercy pour 2014, qui frappent la DGFiP. Il serait dommageable qu'elles affectent la lutte contre la fraude fiscale qui gangrène notre économie.

L'enjeu dépasse largement nos frontières. Le G 8 aligne les déclarations d'intention qui ne changent rien au problème. Les paradis fiscaux prospèrent sans vergogne à nos portes. Comment accepter l'attitude schizophrène du Luxembourg et de l'Autriche en matière de transmission des données ? Ne faut-il pas remettre à plats les traités qui sacralisent la libre circulation des capitaux et la concurrence « libre et non faussée » ? N'est-il pas temps d'ouvrir le chantier de l'harmonisation -non celui du dumping- d'une fiscalité juste et progressive, qui réponde aussi aux géants de l'économie numérique, présents partout, taxés nulle part ? MM. Collin et Colin, M. Marini ont fait, dans leurs rapports respectifs, des propositions.

La dérive de la finance s'est accélérée avec la thatchérisme et le reaganisme, « révolution conservatrice », disait-on à l'époque, qui signait le début d'une forme de dépérissement de l'État. Le discours libéral était alors que tout le monde profiterait d'une dérégulation débridée ; l'histoire a montré les limites de cette logique.

Mme Cécile Cukierman.  - Eh oui !

M. Éric Bocquet.  - Tous les États font machine arrière mais s'en donnent-ils les moyens ? N'acceptons plus les distinctions byzantines entre fraude fiscale et évasion fiscale. C'est la source qu'il convient de tarir !

Mme Cécile Cukierman.  - Très bien !

M. Éric Bocquet.  - C'est une question de justice et de respect de la déclaration des droits de l'homme. Le consentement à l'impôt exige qu'il soit équitablement réparti et que ceux qui sont en capacité de le payer n'y échappent pas. C'est la condition de la pérennité de notre pacte républicain autant qu'une exigence budgétaire. Les moins-values de recettes pour la France sont estimées de 50 à 80 milliards d'euros alors que notre système de retraite est attaqué, que les traitements des fonctionnaires sont gelés et que l'austérité s'étend. Une austérité qui conduit dans une impasse.

La répression de la fraude est nécessaire mais le Gouvernement n'en attend que 2,5 milliards de recettes. C'est dire qu'il faut aller au-delà et élargir le débat, par exemple en s'attaquant à la question des prix de transferts...

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

M. Éric Bocquet.  - Si nombre de décisions ne peuvent être prises qu'au niveau international, la France doit faire preuve d'audace. Nous regrettons le manque de souplesse procédurale et de moyens de ce texte. Une véritable séparation bancaire serait justifiée, comme un arsenal de lutte contre les produits spéculatifs. Il faut redonner au pouvoir politique le pouvoir de création monétaire. La Banque centrale européenne est indépendante des peuples mais non des banques ni des marchés ; et c'est elle qui injecte massivement des liquidités au risque de nouvelles bulles spéculatives.

Nous proposerons des amendements pour rendre les sanctions fortement dissuasives, pour associer davantage le Parlement, pour mieux informer les salariés des entreprises concernées. Nous serons vigilants sur le monopole du ministère du budget sur les poursuites fiscales.

Il faut traiter le problème sur le fond et sur la durée. Je vous ai entendu, madame la garde des sceaux. Les propositions de la commission d'enquête présidée par François Pillet auraient pu être utilement intégrées à ce projet de loi. La lutte contre la fraude et l'érosion fiscales doit être un combat consensuel. Le Sénat doit jouer tout son rôle. C'est dans cet esprit que le groupe CRC s'engage dans ce débat, pour la reconquête du terrain que la politique n'aurait jamais dû céder à la finance. (Applaudissements à gauche)

M. Yves Détraigne .  - Ce projet de loi comporte des avancées : renforcement des sanctions, rationalisation des juridictions spécialisées, création d'un office central de lutte contre la corruption. Mais la création d'un procureur financier ne retient pas plus notre assentiment qu'il n'a recueilli celui des acteurs de la justice. L'idée peut paraître intéressante. Pour nous, elle sera au mieux inefficace, au pire contreproductive.

Retenir le modèle de l'Audencia nacional espagnole aurait supposé une refonte complète de notre architecture judiciaire ; la compétence de la Jirs de Paris aurait pu être étendue. Telle n'est pas l'option du Gouvernement, qui nous propose un mouton à cinq pattes judiciaire, un parquet hors-sol...

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Ce n'est pas banal !

M. Yves Détraigne.  - Nous aurons ainsi une troisième juridiction, dont on peine à comprendre la place et qui traduit la méconnaissance de la nature transversale et multiforme de la fraude fiscale et de la corruption, qui exige une lutte globale et intégrée pour garantir la cohérence du traitement judiciaire -voir le blanchiment, qui témoigne des liens étroits entre délinquance financière et criminalité organisée.

L'architecture proposée est obsolète, verticalisée, segmentée alors que les infractions visées sont complexes et transverses. Elles exigent le partage d'informations en temps réel et une synergie opérationnelle nouvelle. La détermination de la compétence créera des difficultés sans fin, au seul profit des délinquants, alors que les investigations exigent des décisions très rapides.

Le ministère public sera morcelé, donc illisible pour les magistrats comme pour les enquêteurs et les administrations partenaires. Les plaintes et dénonciations seront reçues exclusivement par les procureurs territorialement compétents, à 80 % par le parquet de Paris. Le procureur financier sera nommé comme les autres procureurs ; il ne sera ni plus ni moins indépendant qu'eux. Le Gouvernement croit-il à sa réforme du statut du parquet ? En réalité, les conflits de compétences les plus sensibles seront tranchés par la chancellerie car le procureur général de Paris ne disposera ni des informations suffisantes ni de l'autorité nécessaire. Ils provoqueront des retards dans les procédures. La Direction des affaires criminelles et des grâces aura seule connaissance d'informations permettant d'arbitrer, alors que la chancellerie se targue de ne plus intervenir dans les dossiers particuliers. (Mme la garde des sceaux proteste) J'ajoute que l'étude d'impact a oublié le coût de fonctionnement d'une telle structure, dont nous proposerons la suppression.

D'autres amendements tendent à spécialiser un procureur de la république adjoint dans les Jirs.

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Yves Détraigne.  - ...et à confier à la Jirs et au procureur de Paris une compétence concurrente pour les affaires d'ampleur nationale. Utilisons les outils dont nous disposons !

M. Nicolas Alfonsi .  - Qui s'opposerait au renforcement des moyens des administrations et à une meilleure complémentarité de leurs actions pour lutter contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière ?

Pour autant, il n'est pas acceptable qu'au nom de la lutte contre la délinquance financière, on donne force de loi à des pratiques qui remettent en question les fondements de notre droit et les libertés fondamentales. Ce projet de loi suscite des interrogations. Certes, l'Assemblée nationale a amélioré ce projet de loi mais les députés ont aussi introduit des dispositions préoccupantes. Nous nous félicitons des amendements du rapporteur, qui a rapidement réagi. On ne peut toucher impunément aux fondements de notre droit pénal. Nous pourrions ici invoquer Beccaria...

Il sera plus difficile pour ceux qui veulent échapper à l'impôt d'y parvenir, grâce à la coopération internationale et à la transparence accrue qui sont désormais de mise au plan européen et mondial.

Notre groupe est très réservé sur certains aspects de ce projet de loi, comme la possibilité d'utiliser des preuves illicites -l'intervention de l'autorité judiciaire est essentielle- ou encore l'extension des techniques spéciales d'enquête, qui incluent les écoutes, la captation de données informatiques ou des mesures conservatoires sur les biens. L'amendement du rapporteur, destiné à protéger les libertés individuelles, est indispensable.

Les contours de la nouvelle institution du procureur financier ont été grossièrement tracés. Le procureur de Paris, François Molins, a dit à la commission des lois qu'il craint la multiplication de conflits de compétence et plaidé pour un accroissement des effectifs d'enquêteurs. Dans le meilleur des cas, ce procureur financier sera inefficace, au pire nuisible.

Le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique. J'hésite sur le verrou de Bercy. Mme la garde des sceaux nous a communiqué ses certitudes. Des amendements ont été déposés pour le rétablir. Je pencherai, dans ce débat, entre l'efficacité et la justice sociale ou la justice tout court, pour l'argument développé par le ministre du budget et que reprendra la commission des finances. (Applaudissements au centre et à droite ; M. François Marc, rapporteur pour avis, applaudit aussi)

Mme Esther Benbassa .  - Pour le groupe écologiste, l'enjeu est à la fois économique, moral, politique, national, européen et international. Le montant de la fraude fiscale dans notre pays est estimé entre 40 et 80 milliards d'euros par an, celui de la fraude sociale à environ 20 milliards, de quoi combler largement notre déficit public. Les redressements liés au seul travail au noir sont en hausse de 19 % en 2012 par rapport à 2011 ; la même année, 18,1 milliards d'euros ont été réclamés par le fisc en droits et pénalités à l'issue des contrôles fiscaux, soit 10 % de plus que l'année précédente.

Il est urgent de répondre à la crise de confiance qui s'ajoute à la terrible crise économique que nous connaissons. Quand les plus riches échappent à la contribution commune, c'est le principe d'égalité, fondement de notre République, qui est en cause. La portée politique de ce texte est évidente : le législateur n'est pas et ne veut pas être impuissant face à ceux qui trichent.

Les 35 conventions fiscales internationales ont abouti à 777 demandes de renseignements en 2022 contre 300 en 2011 ; les déclarations de comptes détenus à l'étranger ont bondi de quelques 79 000 à plus de 100 000 de 2011 à 2012. L'Union européenne considère que 1 000 milliards d'euros échappent aux États membres, l'équivalent de 2 000 euros par citoyen de l'Union. La perte de recettes continue d'augmenter le déficit et la dette alors que les moyens de relance de l'investissement public et de l'emploi se font rares. Le coût total de la fraude fiscale est plus élevé que l'ensemble des budgets de la santé de l'Union européenne. Et la charge fiscale est déplacée sur les travailleurs...

Cette fraude est multiforme. La commission d'enquête sur l'évasion fiscale, dont M. Bocquet était le rapporteur, diagnostiquait, en 2011, une culture de la faille aux 1 000 visages. C'est en Europe, au Luxembourg, à Jersey, à Monaco que se trouvent les paradis fiscaux les plus prospères. Le Royaume-Uni et les territoires en dépendant représentent plus de la moitié des places offshore européennes. 14 000 milliards d'euros sont cachés par des particuliers dans des paradis fiscaux à travers le monde, pour plus de 120 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales.

Ces chiffres ne comprennent pas la fraude des entreprises. Les États-Unis ont blacklisté le Luxembourg et Chypre. L'Union européenne n'en fait pas assez. Chasser l'évasion fiscale a un coût mais ne baissons pas les bras. Protégeons les lanceurs d'alerte tout en prévoyant des sanctions à l'encontre des alertes de mauvaise foi.

Les dispositions du projet de loi vont dans le bon sens. Nous souhaitons, monsieur le ministre, comme vous, un véritable Facta européen. Le patrimoine et les avoirs à l'étranger doivent être déclarés. L'Union européenne doit lever le secret bancaire sur les revenus de l'épargne. Le système actuel a montré son inefficacité, en raison du refus de collaborer des États, en particulier des paradis fiscaux.

Certaines réserves ont été exprimées sur le durcissement de l'arsenal répressif. On peut ne pas y souscrire mais on peut les entendre. Ces textes ont été pris sous le coup de l'émotion créée par l'affaire Cahuzac ; l'émotion n'est pas toujours bonne conseillère...

M. Jean-Jacques Hyest.  - C'est vrai !

Mme Esther Benbassa.  - Ne faisons pas reculer les libertés, capital non imposable (sourires) mais précieux et fragile.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Elles ne reculent pas.

Mme Esther Benbassa.  - Les écologistes seront sans faillir aux côtés de la majorité et voteront d'une voix unanime ces textes tout en appelant le Gouvernement à tempérer la charge sous laquelle nous ployons, législateurs rigoureux et exacts que nous nous employons à être. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - In cauda venenum.

M. François Pillet .  - La lutte contre la fraude fiscale est « une voie plus immédiatement juste que la hausse des prélèvements obligatoires » disent les exposés des motifs de certains amendements du groupe CRC... C'est d'autant plus vrai que cette hausse, conjuguée à l'insécurité fiscale, est un terreau fertile pour les pratiques d'évasion et de fraude fiscales. Ne nous laissons pas entraîner dans le cercle vicieux déficits-hausse des prélèvements-chute dans la fraude fiscale.

La lutte contre la fraude fiscale ne date pas d'hier. Entre 2007 et 2012, plus de 80 mesures d'intensité diverse ont été prises. Pour mieux réguler les flux financiers internationaux, plusieurs centaines de conventions fiscales ont été signées par le gouvernement précédent. La fraude fiscale est entrée dans le champ du groupe d'action financière (Gafi). Pour détecter l'évasion fiscale, un dispositif spécifique a été créé en 2009, de même qu'Eurofisc pour lutter contre les fraudes internationales à la TVA. Une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, dite « police fiscale », a été créée en 2010. Grâce à des agents dotés de pouvoirs comparables à ceux de la police judiciaire, elle a trouvé sa place dans le dispositif de lutte contre la délinquance fiscale. Des mesures de détection des mouvements suspects à l'étranger ont été prises. Les résultats ont progressé. Ils montrent que le dispositif actuel de lutte contre la fraude fiscale a fait ses preuves. (Mme Nathalie Goulet s'exclame)

Ce projet de loi représente une phase complémentaire de l'adaptation de notre droit. Il faut veiller à ce qu'il atteigne ses objectifs tout en restant dans notre culture juridique emprunte d'un souci profond de respect des libertés fondamentales. Je salue, sur ce point tout particulièrement, le travail de notre rapporteur.

Je persiste à craindre que la création du procureur financier ne rompe les équilibres existants.

La commission d'enquête sur l'évasion des capitaux réalise un travail de fond. L'enthousiasme de son rapporteur ne me fait pas peur. Pourquoi n'attendons-nous pas ses conclusions en octobre ? Disposant de larges pouvoirs d'investigation, nous recueillons de multiples témoignages. Je ne doute pas que nos conclusions soient aussi consensuelles que celles qu'a adoptées l'Assemblée nationale. Grâce à elle, nous aurions pu enrichir les dispositions de ce texte.

Oui au renforcement de l'arsenal, encore faut-il que le texte s'y emploie véritablement. Nous suivons notre rapporteur sur la prescription, dont le régime ne saurait être plus sévère que pour les atteintes aux personnes. Il rendra de fait ces infractions imprescriptibles. Si les délits ne sont pas assez sanctionnés, la faute en revient d'abord à l'administration fiscale, juge de l'opportunité des poursuites. La commission des infractions fiscales est unanimement dénoncée, depuis le début, par la doctrine, les praticiens, les magistrats. L'article 40 du code de procédure pénale devrait permettre aux magistrats d'exercer des poursuites plus largement. (Mme Nathalie Goulet en doute)

Nous nous interrogeons sur les lanceurs d'alerte, même si la commission des lois a encadré les choses. La culture française n'apprécie guère les délateurs. Les libertés publiques en sont les premières victimes.

M. René Garrec.  - Très bien !

M. François Pillet.  - La fraude à la TVA, c'est un manque à gagner de plus de 30 milliards d'euros. La disposition prévue à l'article 3 bis A est bonne mais risque d'être peu suivie d'effet, faute de moyens.

J'en viens au projet de loi organique sur la création d'un procureur financier, qui répond à l'ire de l'opinion mais ne comblera pas les lacunes de notre système judiciaire. C'est un désordre annoncé. Ce procureur entraînera confusion et inefficacité. Cette spécialisation hiérarchique pourrait d'ailleurs se multiplier. Pourquoi pas un procureur de la République pour l'environnement, la toxicomanie, la pédophilie ? En réalité, les moyens existent déjà au tribunal de grande instance de Paris. Le procureur de la République de Paris a compétence concurrente sur les délits de nature internationale. Le projet de loi remet en cause le travail des juridictions ordinaires, des juridictions spécialisées et des juridictions interrégionales. On risque, avec le procureur financier, de créer un conflit de compétence dont la Chancellerie devra être l'arbitre, à l'inverse de son aspiration à en finir avec les instructions individuelles.

La spécialisation de magistrats est inadaptée au traitement d'affaires complexes, aux multiples ramifications. Mieux eût valu adjoindre aux Jirs, en étendant leurs compétences, un procureur adjoint.

Notre ordre judiciaire actuel n'est pas inadapté à la lutte contre la fraude fiscale, même si des ajustements sont souhaitables. Mais ce texte risque de tout désorganiser. Ce sont bien les grands fraudeurs, les montages internationaux que l'on vise. C'est dans les instances internationales aussi que cela se joue. Vous aurez compris que si nous souscrivons aux avancées du premier projet de loi, nous sommes fermement opposés au projet de loi organique. (Applaudissements à droite)

M. François Rebsamen .  - Ce texte poursuit un objectif de transparence et d'efficacité contre la grande délinquance économique et financière.

Il répond, ne nous en cachons pas, à des préoccupations immédiates qui ont conduit au travail commun de nos deux commissions des lois et des finances.

Je félicite le Gouvernement de nous proposer un renforcement des moyens d'action contre la fraude fiscale. C'est un objectif de justice en même temps que financier. L'amnistie n'est pas, n'en déplaise à certains députés de l'opposition, la meilleure réponse à la fraude. Il faut intensifier les sanctions et permettre à l'administration fiscale d'agir vite. C'est ce que fait ce projet de loi.

Les mesures pour poursuivre une entreprise ont été engagées l'an dernier avec la loi de finances rectificative. Le rapport de la mission de l'Assemblée nationale sur l'optimisation fiscale des entreprises souligne la nécessité d'une coordination internationale -harmonisation fiscale et échange d'informations renforcé.

Pour imposer notre voix sur la scène internationale, il faut faire la preuve de notre volonté nationale. Le renforcement de la coopération entre services administratifs et judiciaires est bienvenu. Le groupe socialiste s'opposera à l'article 2 ter introduit par la commission des lois. On ne peut démobiliser les centaines de fonctionnaires de l'administration fiscale qui ont fait la preuve de leur efficacité : 2,5 milliards de recettes supplémentaires en 2012. (M. Jacques Mézard approuve)

Après achèvement de la phase administrative, rien n'interdit à la justice de se saisir. Le monopole n'est pas défiance à l'égard des magistrats mais une exigence d'efficacité. L'examen préalable par l'administration fiscale se justifie par la complexité des mécanismes mis en oeuvre pour échapper à l'impôt : Bercy a les compétences techniques. Si le parquet instruit directement, le risque d'aléa juridique n'est pas à écarter. Permettre au contribuable de régulariser sa situation, comme le fait la circulaire Cazeneuve, accélère le recouvrement. J'ajoute que les deux tiers des peines prononcées par la justice ne comportent aucune amende. Il est deux temps, deux rythmes et ce qui doit prévaloir, c'est le souci de l'efficacité. Je comprends l'esprit de la proposition de M. Anziani mais la commission des lois est partagée, quand la commission des finances est unanime.

On risque, ainsi, de réduire le contrôle démocratique car le Parlement aura un contrôle plus lointain sur la justice que sur l'administration fiscale. Permettre au parquet de soulever des poursuites de son seul fait poserait problème dans les cas de contribuables désireux de régulariser leur situation.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste défendra l'amendement de François Marc, pour supprimer la dérogation introduite par la commission des lois.

M. Philippe Marini.  - Très bien.

M. François Rebsamen.  - Mettre en oeuvre une nouvelle architecture alors que l'efficacité doit être notre premier souci ne serait pas prudent. Nous soutiendrons le texte du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Mme Nathalie Goulet .  - A quoi servent nos commissions d'enquête ? La saison 1 de notre commission d'enquête sur l'évasion fiscale n'a connu qu'un succès d'estime, si j'en crois ce texte.

Aucune de nos 61 propositions n'est entrée dans le droit positif...

Ces projets de loi affichent une volonté réelle de lutter contre la fraude mais nous restons sur notre faim : trop de fraude, d'évasion fiscale, trop de réglementations qui sont autant de failles où s'engouffrent les experts, trop peu de magistrats et d'échanges d'information, trop peu de coopération internationale. J'ai hésité à intervenir, ne sachant sur quoi me centrer. Je me contenterai de renvoyer à deux de nos auditions, dans le cadre de notre commission d'enquête, pour réfléchir à la question de l'inversion de la charge de la preuve. Celle de Jérôme Fournel, alors directeur général des douanes, qui nous a relaté une affaire : un automobiliste roulant sur le périphérique avec plus de 800 000 euros cachés dans sa roue de secours. Quel homme distrait !

M. François Marc, rapporteur pour avis.  - C'était une bonne roue de secours.

Mme Nathalie Goulet.  - Mais juridiquement, la direction des douanes ne peut rien faire, faute de pouvoir prouver l'intention de franchir les frontières ni le blanchiment d'argent. C'est ainsi que l'argent a été rendu. Autre exemple : l'interception d'un véhicule transportant 300 000 euros imprégnés de cocaïne qui n'a donné lieu qu'à une amende de 25 %. Ce sont des exemples concrets ! Je suis une parlementaire de terrain.

Un mot sur les manipulations de TVA. Certains jonglent avec plusieurs passeports et il est impossible de vérifier leur lieu de résidence. Il est temps de donner plus de moyens à l'administration des douanes. Ces sujets sont transpartisans. En attendant le grand soir, il serait bon de mettre en place, avec l'Assemblée nationale, une cellule de suivi de nos commissions d'enquête.

Sur ce sujet mouvant, digne de la guerre de l'obus et du blindage, il importe d'assurer un tel suivi, comme nous l'avions suggéré d'ailleurs dans les conclusions de notre commission d'enquête.

Certaines questions ne sont pas anecdotiques. 4 500 euros joués en espèces par des joueurs de handball ; 100 000 euros en espèces dans un jeu télévisé à une heure de grande écoute : cela mérite que l'on se pose des questions.

Les questions, de fait, sont nombreuses. Vous n'aurez pas trop de quatre ans pour y répondre. Je soutiendrai les deux textes que vous nous présentez aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Fortassin .  - Pour lutter efficacement, il faut d'abord tirer les leçons des échecs du passé. En 2009, le précédent président de la République n'hésitait pas à déclarer avec force : « les paradis fiscaux et le secret bancaire, c'est fini ». J'ai pensé aux fiers cavaliers polonais partant avec leur monture à l'assaut du panzer allemand...

En 2009, la crise frappait durement nos concitoyens. C'est dans ce contexte que le club des riches, OCDE ou G 20, décide de mettre fin aux paradis fiscaux et à l'optimisation fiscale -il serait plus juste de parler de tricherie. La crise a rendu intolérable l'ampleur de la fraude : 80 milliards d'euros pour la France, 1 000 milliards à l'échelle de l'Union européenne. Or, qu'a fait le G 20 ? Présenter les fameuses listes noires ou grises des États non coopératifs, ce qui a fait trembler les intéressés deux semaines ; après quoi, ils se sont organisés. Certes, le système de contrôle du Forum mondial fonctionne bien, mais ses moyens sont limités.

Ce n'est qu'au printemps 2013 qu'un nouveau coup de tonnerre éclata, avec la liste des comptes détenus à l'étranger. Si la France se singularise par l'affaire Cahuzac, reste que c'est le caractère massif de la fraude qui scandalise nos concitoyens -fraude fiscale mais aussi sociale, à laquelle ce projet de loi ne touche guère. L'OCDE s'intéresse au transfert de bénéfices et, grâce au président Marini, nous sommes au courant des pratiques des géants du numérique.

Les membres de la commission d'enquête sur l'évasion fiscale ont souligné combien ténue était la frontière entre fraude et optimisation. L'Assemblée nationale vient de rendre un rapport sur l'optimisation fiscale « agressive ». Mais c'est notre droit, avec le nombre considérable de niches qu'il inclut, qui est le premier responsable.

Sur la Fatca à l'européenne, l'Union n'avance qu'à petits pas. D'autant que certains pays comme le Luxembourg et l'Autriche soufflent le chaud et le froid, freinent des quatre fers la transmission de leurs informations.

M. Éric Bocquet.  - Tout à fait !

M. François Fortassin.  - La vraie solution, pourtant, se situe à l'échelle européenne et internationale. L'échange automatique, cependant, n'a de sens que si nos juges ont les moyens de sanctionner.

Sur la fraude à la TVA, je me réjouis que l'amendement Marc fasse avancer les choses.

C'est aussi l'harmonisation fiscale européenne qui nous fera progresser.

La fenêtre est ouverte, ne la laissons pas se refermer. Vous pouvez comptez, madame la ministre, sur le groupe du RDSE. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Philippe Marini .  - Étant hostile au parquet financier, mesure de circonstance, je m'en tiendrai au volet relatif à la fraude fiscale, qui dépasse les clivages partisans et engage des mesures utiles. Le mouvement avait été engagé dès le collectif de 2011 et par la première loi de finances rectificative de 2012.

Entamé avec une dimension modeste -car il n'aboutira pas à la « grande loi annoncée-, ce texte s'est nourri, à l'Assemblée nationale, de nombre d'initiatives « puisées à bonne source », généralement utiles, notamment pour ce qui concerne les dispositifs douaniers.

Dans le domaine de la lutte contre la fraude, il faut trouver un bon équilibre ; il est deux bornes à ne pas franchir : celle qui préserve les libertés publiques -c'est l'affaire de la commission des lois- et celle qui délimite l'attractivité du territoire, à laquelle notre commission des finances est sensible.

La commission des lois est utilement intervenue pour assurer l'intégrité de la notion de prescription, éviter l'inversion de la charge de la preuve en matière de blanchiment, empêcher que les avocats ne soient, en cas de fraude, assimilés à des complices.

Les techniques spéciales d'enquête, comme la sonorisation de lieux ou la captation de données informatiques, conçues à l'origine pour lutter contre la seule criminalité organisée, ont été étendues à la délinquance économique et financière alors même qu'elles ne sont pas ouvertes aux services de renseignement quand ils opèrent hors enquête judiciaire.

Les mesures sur les lanceurs d'alerte sont bienvenues. D'inspiration anglo-saxonne, elles n'en convergent pas moins avec l'article 40 de notre code de procédure pénale. L'équilibre est délicat à assurer pour éviter toute dérive vers la calomnie ou l'attache personnelle. J'espère que nous l'atteindrons.

La gageure est de se garder de l'ornière du tout pénal. L'article 2 ter, de ce point de vue, pose problème. Le délit de fraude fiscale n'est pas, pour l'heure, poursuivi d'office par le procureur de la République. Il faut que l'administration fiscale ait déposé une plainte. Je partage totalement l'analyse de François Marc : le droit actuel doit être maintenu. L'administration fiscale doit garder la main. Elle peut appliquer des sanctions administratives allant jusqu'à 100 % des droits éludés et son action respecte le principe du contradictoire posé par la Convention européenne des droits de l'homme.

Craignons, si l'on déporte vers la justice, les manoeuvres dilatoires : Bernard Cazeneuve s'en est expliqué ; réservons à la justice les incriminations les plus graves, comme le blanchiment de capitaux.

J'ajoute que ces dossiers sont techniques et que leur traitement par l'administration fiscale est un gage d'efficacité. D'où mon amendement, loin d'être isolé.

Il faut s'interroger sur les besoins concrets de l'administration. Se pose donc la question de la preuve. Aucun moyen, dès lors qu'il est légal et proportionné, ne saurait être écarté.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Philippe Marini.  - Or, l'article 10, tel qu'adopté par la commission des lois, interdirait à l'administration fiscale d'exploiter une liste comme la liste dite « HSBC ». Il est temps de renoncer aux fausses pudeurs à la Tartuffe.

Je rappelle que les douanes peuvent rémunérer leurs aviseurs et disposent de moyens à cette fin. Il serait sage d'adopter l'amendement de François Marc ou, à défaut, de revenir au texte de l'Assemblée nationale.

J'ai déposé deux amendements résultant de mon contrôle sur pièces et sur place à la DGFiP, au début de l'année. Ils visent à combler les lacunes qui concernent les entreprises multinationales pour les prix de transfert et l'abus de droit.

Le premier retourne la charge de la preuve pour certaines situations à risques dans le cadre de redressement d'entreprises motivée par des considérations fiscales. Le second, avec l'abus de droit, permettant de sanctionner ces montages litigieux : dans les montages internationaux complexes, il est facile à un groupe d'avancer l'argument économique, aussi faible soit-il.

Le rapport Muet-Woerth de l'Assemblée nationale reprend mes conclusions. Le Gouvernement dit vouloir s'en inspirer. Et je constate que le groupe CRC a déposé des amendements identiques aux miens. (Exclamations amusées sur de nombreux bancs)

Mmes Nathalie Goulet et Jacqueline Gourault.  - Collusion ! (M. Éric Bocquet lève les bras au ciel)

M. Philippe Marini.  - Ne confondons pas, enfin, fraude et optimisation fiscale. La seconde est légale, la première relève d'un comportement délinquant. Les pratiques abusives dénoncent aussi parfois une lourdeur, une complexité de la fiscalité. C'est pourquoi il faut être attentif à la question de l'attractivité fiscale. (Applaudissements à droite)

M. Jacques Chiron .  - Le contexte international rend la fraude insupportable aux citoyens. Cette délinquance en col blanc, qui renforce les inégalités, est la cause de la défiance qui mine notre système démocratique, dont nous devons, dans notre assemblée, être le garant, comme nous devons être celui de nos services publics : on ne peut admettre que 80 milliards échappent chaque année au recouvrement.

On ne peut accepter que des entreprises qui bénéficient des services publics nationaux s'emploient à échapper à l'impôt. Comment accepter que ceux qui s'exonèrent de la participation à la solidarité collective ne soient ni poursuivis ni sanctionnés ? Il est temps de prendre des mesures radicales et efficaces. Nous travaillons depuis deux ans sur l'évasion fiscale nationale et internationale.

Le G 8, le G 20, la Cour européenne, l'OCDE s'engagent sur la voie décisive de l'échange d'informations. La limite est ténue entre optimisation et fraude. Nos auditions de la commission d'enquête sur les pratiques des banques montrent que celles-ci évoluent, ferment des succursales dans des paradis fiscaux, informent les titulaires de comptes à l'étranger sur leurs obligations fiscales.

Ce texte traduit dans les faits cette volonté collective de mettre fin à la fraude fiscale, exprimée par le président de la République en avril dernier. Nos travaux ont montré le caractère peu dissuasif des sanctions. Ce projet de loi accroît les moyens juridiques de l'administration fiscale. Il renforce l'efficacité des services d'enquête. L'introduction du délit de fraude en bande organisée ou l'autorisation d'exploiter des fichiers volés vont dans ce sens.

L'aggravation des sanctions introduira le doute chez les fraudeurs sur la balance entre les risques encourus et les bénéfices escomptés. Repensons la politique fiscale des entreprises. Pascal Saint-Amans, l'un des directeurs de l'OCDE, a appelé notre attention sur les conséquences des possibilités d'optimisation qui peuvent aboutir à « aucune imposition nulle part ». Dans le monde numérique, les bénéfices sont générés par des actifs incorporels, tels que les brevets et les marques. D'où des possibilités de transferts d'un pays à l'autre qui peuvent aboutir à un système de « double non-imposition ».

Madame la ministre, monsieur le ministre, j'attire votre attention sur les amendements visant à sécuriser la délivrance des numéros de TVA intracommunautaires et à renforcer l'efficacité des contrôles. Soutenons ce texte en le retouchant ponctuellement pour doter notre justice et notre administration fiscale d'outils pertinents et efficaces. Soyons clairs : les tricheurs n'ont pas le droit de faire porter aux autres les conséquences de leurs comportements irresponsables ; la justice fiscale existe. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Je me félicite de la mobilisation du Gouvernement, du Parlement et, je l'espère, du pays tout entier pour combattre l'évasion, la fraude, l'évitement qui privent notre État des moyens qui lui sont nécessaires pour répondre aux attentes de nos concitoyens, marqués par les paroles d'un ancien président de la République appelant à moins de pénalisation dans le secteur économique. Certains parlementaires de l'UMP sont allés jusqu'à proposer une amnistie totale des fraudeurs.

MM. Daniel Raoul, Jacques Chiron et Jean-Jacques Mirassou.  - Eh oui !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je salue l'initiative du Sénat qui a créé une commission d'enquête, dès le changement de majorité, sur l'évasion fiscale, présidée par Philippe Dominati et dont le rapporteur était Éric Bocquet. Oui, madame Goulet, dotons-nous d'outils pour donner des suites aux suggestions des commissions d'enquête.

Je me souviens du débat en commission sur le Fatca. A l'époque, il y a une dizaine d'années, c'était, nous assurait l'administration, impossible. Je salue la grande avancée que constitue ce projet de loi.

Nous affrontons un délit mutant : à peine adopte-t-on une mesure que les fraudeurs s'ingénient à la contourner. L'administration doit s'adapter sans cesse à ces métamorphoses, sauf à mettre en cause, par son impuissance, notre démocratie même. J'insiste sur l'optimisation organisée. Qu'une directive européenne arrive, pénalisant les personnes physiques, les banques inventent aussitôt une manière de transférer les comptes de la personne physique sur une personne morale.

D'où l'indispensable coopération des acteurs publics. Des collectivités publiques françaises financent des structures situées dans des paradis fiscaux, par exemple à Jersey, au profit de la communication d'une compagnie aérienne à bas coût, elle-même sise dans un pays à faible imposition sur les sociétés. Ce n'est pas admissible.

Cette Europe devrait offrir un autre modèle économique et social. Il a fallu que les Américains et le président Obama agissent pour qu'elle se décide enfin à renforcer la transparence. Nous sommes en crise. Le problème est systémique : tout est fait pour que les puissances économiques évitent la fiscalité. C'est devenu un art !

L'Union européenne, au nom du libéralisme, a laissé faire. Nos États, pour ne rien dire des pays en voie de développement, n'ont pas le juste retour qu'ils méritent. Intéressons-nous donc au système lui-même pour ne par marquer un temps de retard face aux fraudeurs. Le volontarisme est de mise. Nous étions minoritaires à plaider pour la taxation des mouvements financiers. « C'est impossible ! » nous rétorquait-on. Il a fallu attendre bien des années pour qu'elle soit acceptée. Tobin était pourtant un libéral de première !

Ce projet de loi peut être amélioré. La France s'honorerait de mettre en place immédiatement un Fatca national. J'ai déposé plusieurs amendements en ce sens.

Autre urgence économique : agir sur les prix de transfert...

M. Jean-Jacques Mirassou.  - C'est vrai.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - ...outils de délocalisation qui gonflent artificiellement les déficits afin de justifier les plans sociaux. Le redressement productif en pâtit.

J'ai beaucoup hésité, moi aussi, sur le verrou de Bercy parce qu'il est illégitime dans l'esprit républicain. Je penchais plutôt pour sa levée. L'État ne doit pas être faible. L'égalité de traitement des citoyens devant l'impôt est aussi un principe essentiel. Le droit dit ce qui est juste et doit être respecté partout de la même façon. J'entends l'argument de l'efficacité. Il ne vaut pas toujours. Dans certains cas, il faut une intervention judiciaire -rapide !- pour identifier les fraudeurs à la TVA. J'étais donc plutôt favorable à l'amendement Anziani. Mais j'ai entendu l'engagement du ministre. Mieux vaut une mobilisation forte et une mutation lente qu'un revirement hâtif. Nous sommes au début d'un long chemin, qu'il faut emprunter de manière plus volontariste que par le passé. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Arthuis .  - L'impôt est au coeur du pacte républicain et du contrat social. La fraude viole le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques et porte atteinte à nos finances publiques. La perte est estimée entre 40 et 80 milliards d'euros par an. Il est tentant de considérer qu'il suffirait de faire disparaître cette évasion pour faire disparaître notre déficit chronique. Si cette hypothèse se vérifiait, les prélèvements obligatoires excéderaient 50 % du PIB et placeraient la France sur la plus haute marche du podium. Si l'inspiration du projet de loi que nous examinons est louable, je doute que les mesures qu'il contient permettent d'atteindre pleinement son objectif.

Prenons le temps d'identifier les facteurs de développement de la fraude et de l'optimisation et n'ignorons pas le dumping fiscal et social au sein même de l'Union européenne, où la tolérance à l'égard des paradis fiscaux, l'absence de coordination ruinent nos efforts. Aux termes de l'accord Rubik, les banques suisses auraient prélevé une retenue à la source que le trésor suisse aurait reversée aux États européens concernés. Ceux-ci ne sont pas parvenus à faire bloc. J'attends un Fatca européen.

Notre édifice législatif et réglementaire accélère la fraude, en raison de l'excès d'impôt et de l'hyper-complexité de nos schémas subtils qui déchainent la fraude, dans un monde où tout s'internationalise.

M. Philippe Marini.  - Certes.

M. Jean Arthuis.  - Il nous arrive d'en être complices, par les dérogations, les niches, les régimes particuliers que nous votons ici même.

Depuis le début des années 2000, les contrats d'achats de la grande distribution exigent de leurs fournisseurs le paiement de prestations diverses de 1 % à 5 % du montant des ventes à des officines sises au Luxembourg et ailleurs, contournant ainsi allègrement la législation sur les marges arrière, délocalisant une part significative de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Je soutiendrai un amendement pour mettre un terme à ces abus.

J'attends aussi que le Gouvernement règle le sort des grands acteurs mondiaux du numérique, qui se jouent de l'état gazeux de notre législation et de nos procédures fiscales, cathédrale de droit bavard sans cesse récrit, qui favorise la fraude. Soyons prudents avant de transférer aux magistrats des compétences dans ce domaine où l'expertise demeure dans l'administration fiscale.

On lave plus blanc que blanc, attention à ne pas offrir une fois de plus le spectacle, si dangereux pour notre démocratie, de l'impuissance publique. M. Détraigne a dit l'essentiel de nos critiques à l'encontre du parquet financier. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Je souhaite que nous ne suspendions pas la séance après 19 h 30. Pour la clarté de nos débats, je demande la priorité pour l'article 15, qui instaure le procureur de la République financier, avant les articles 13 et suivants, qui tirent les conséquences de sa création.

M. le président.  - Pour votre première demande, je m'en remets aux ministres...

Sur la priorité, l'article 44, alinéa 6, de notre Règlement s'applique. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Favorable.

La priorité est ordonnée.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les interventions ont été de qualité. Compte tenu de la demande du président de la commission des lois, le ministre du budget et moi-même préférons répondre à la reprise de la séance.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - C'est mieux.

La séance est suspendue à 19 h 10.

présidence de M. Charles Guené,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

M. le président.  - Nous reprenons la discussion pour entendre la réponse des ministres.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué .  - Les interventions à ce débat, nombreuses, témoignent de la qualité des orateurs.

Au rapporteur, je veux dire que ses interrogations sont légitimes mais que je n'y apporte pas la même réponse que la sienne. Votre préoccupation, qui est aussi celle de Mme Klès et de Mme Lienemann, d'assurer l'égalité devant l'impôt, je la partage car c'est l'impôt, contribution aux charges communes, qui finance les grands services publics. Il n'est pas possible d'y déroger. Est-il en cause ? Vous semblez le penser, au motif que des transactions sont possibles devant l'administration fiscale. Mais c'est la représentation nationale qui définit les règles de droit que l'administration dont j'ai la responsabilité est soucieuse d'appliquer dans toute leur rigueur. Les rapports qui nous seront remis dans les années à venir en témoigneront.

Vient ensuite la question de sa capacité à dénoncer des infractions pénales qu'elle aurait constatées. J'ai assez mal vécu certaines interventions. Dois-je rappeler les termes de l'article 40 du code de procédure pénale, qui oblige toute personne à communiquer à la justice les infractions qu'elle constate et plus que tout autre, les fonctionnaires le doivent. N'allons pas faire peser la suspicion sur ceux qui procèdent au contrôle. Les fonctionnaires de Bercy ont une haute idée de leur fonction...

M. Jean-Pierre Michel.  - La question n'est pas là !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - ...et ont à coeur de transmettre toutes les infractions qu'ils constatent à la justice, dont nous souhaitons qu'elle dispose de davantage de moyens pour poursuivre aussi souvent que nécessaire. L'administration fiscale a besoin des juges et a confiance dans la justice pour aller au bout de sanctions. Avec Mme la garde des sceaux, plutôt qu'opposer nos administrations, nous avons voulu faire en sorte que plus aucun espace ne soit laissé au fraudeur. Cette orientation nouvelle est exigeante.

D'autres arguments méritent d'être pris en considération. On a dit qu'en permettant à l'administration fiscale et à la justice de poursuivre, on laissait aux fraudeurs du temps pour s'échapper... Il faut savoir que l'administration fiscale ne peut percevoir l'amende tant que la justice est saisie. Or, le temps judiciaire est plus long que celui de l'administration. Il n'est donc pas neutre de mettre en concurrence les deux administrations.

Nous serions bien inspirés, ont dit certains, de voir ce que font nos voisins. J'ai entendu citer l'Italie mais la Guardia di finanza dispose de pouvoirs d'enquête bien plus importants que ceux de l'administration fiscale française. Le modèle est très différent et très difficilement transposable. Enfin, Montesquieu disait qu'il faut que le pouvoir arrête le pouvoir : il sera fort difficile de procéder à des contrôles sur le juge, indépendant, qui n'a pas à rendre compte devant les assemblées. Or, j'estime que le Parlement doit exercer, sur ces affaires, son contrôle. Articuler les interventions des administrations fiscales et judiciaires est donc la bonne voie.

Merci à François Marc d'avoir rappelé que frauder le fisc, c'est détourner l'impôt. La réparation pécuniaire peut être, dans bien des cas, une sanction efficace -seulement 10 % des condamnations comprennent des peines d'emprisonnement.

Merci à M. Bocquet de son souhait de voir renforcé le contrôle sur les entreprises, comme le préconise son rapport. Car la frontière est souvent traversée entre optimisation et fraude. Nous souhaitons inscrire des dispositions allant dans ce sens en loi de finances, d'abord parce que le rapport n'est pas rendu, ensuite parce qu'une concertation est engagée avec le monde économique. Soyez assurés que nous entendons donner suite aux amendements que vous proposez.

A M. Alfonsi, qui a évoqué la licéité des preuves, je rappelle que le projet de loi répond à son souhait.

Merci à Mme Benbassa de la qualité de son intervention. Nous sommes déterminés à mobiliser toutes les outils et le combat que nous menons dans l'Union européenne témoigne de notre volonté.

M. Pillet a raison de rappeler que la précédente majorité avait créé des outils nouveaux, comme la police fiscale, mais nous les avons renforcés et n'envisageons nullement, à la différence de certains parlementaires de l'UMP, de proposer l'amnistie des fraudeurs.

Merci à M. Rebsamen de son soutien. Merci à M. Marini de son propos non partisan. Sur les prix de transfert et la fiscalité du numérique, nous entendons travailler dans son sens.

Notre combat au sein de l'Union européenne, monsieur Chiron, se poursuit. Nous sommes vigilants et engagés, comme nous le sommes sur la négociation des conventions Fatca, madame Lienemann.

M. Arthuis a soulevé beaucoup de questions, comme celles sur les taxations hybrides ou les redevances ; nous entendons les traiter.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux .  - Merci aux orateurs pour la qualité de leurs interventions. Nous sommes d'accord sur les principes : lutter résolument contre la fraude fiscale en nous donnant les outils les plus efficaces pour sanctionner mais aussi pour dissuader, pour rendre la fraude socialement stigmatisante. Sur certains points, il peut rester des divergences mais le texte, globalement, répond à cette exigence.

Des interrogations demeurent sur le procureur financier et la prévalence de la procédure fiscale sur la procédure pénale.

Merci à ceux qui soutiennent la création du procureur financier. Merci au rapporteur d'avoir rappelé que je faisais confiance aux magistrats, qui ont l'habitude de partager des procédures et de s'entendre. La création d'un procureur national peut susciter, c'est vrai, des interrogations sur un possible conflit de compétence entre lui et le procureur de Paris, comme entre le parquet de Paris et les autres parquets, voire les Jirs.

Pour les informations judiciaires, la procédure est simple. Pour les enquêtes préliminaires, la pratique est celle de l'arbitrage du procureur général ou entre procureurs généraux. La question se pose en permanence du bon moment du transfert, celui où la perception du niveau de complexité de l'affaire le rend nécessaire. C'est pour éviter les risques d'erreur que nous avons prévu une compétence concurrente, qui évite l'annulation des actes antérieurs au transfert. Un schéma analogue existe pour les actes terroristes ; la section antiterroriste de Paris a une compétence concurrente mais il n'y a de problème avec aucun parquet. Si l'un deux a commencé à instruire, ses actes ne sont pas annulés. Voilà qui illustre la capacité de nos magistrats à s'entendre dans l'intérêt général.

La création du procureur financier a reçu l'adhésion des groupes socialiste et CRC -même si des questions demeurent pour M. Bocquet. J'ai entendu le rejet définitif de certains membres de l'opposition, sans guère d'argumentation, et les interrogations de certains autres, fondées sur les propos du procureur de Paris. Il revient au législateur de prendre du recul et de réfléchir sur l'institution judiciaire en tant que telle ainsi que sur les moyens dont elle doit disposer pour lutter efficacement contre les atteintes à la probité. Le procureur financier aura des moyens dédiés -une centaine d'emplois seront créés, dont 50 postes de magistrats, 22 au parquet et 10 juges d'instruction. Sa compétence sera concurrente en matière d'atteinte à la probité, de corruption, de conflits d'intérêt, de favoritisme ou de détournements de biens publics ; elle sera exclusive pour la fraude fiscale complexe, souvent internationale, les délits boursiers et les fraudes à la TVA.

J'ai entendu des interrogations sur les juges du siège. L'Audiencia nacional espagnole a été évoquée. Elle s'inscrit dans une organisation différente. Nous n'avons pas voulu sortir de l'architecture de notre institution judiciaire. Les effectifs supplémentaires, dédiés, ne seront pas dilués. Le dispositif retenu par l'Assemblée nationale était rigide, il cloisonnait les contentieux, dont certains sont complexes et mêlent fraude et criminalité organisée : il est bon que le juge saisi puisse poursuivre une affaire soulevée en cours de route...

M. Michel Mercier.  - Certes.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous proposons que le premier président, sur proposition du président du tribunal de grande instance, habilite les magistrats. Le système existe déjà pour les Jirs. Votre commission des lois a voulu une consultation obligatoire de la commission restreinte de l'assemblée générale des magistrats : c'est une garantie supplémentaire. Il y aura donc un parquet spécialisé et des juges du siège habilités. Grâce à quoi, nous donnons les moyens à l'institution judiciaire d'être efficace.

Reste la question de l'amont. Nous voulons que l'institution judiciaire y soit active, d'où le rôle confié à l'office central qui sera composé d'officiers de police judiciaire venant de la police, de la gendarmerie et des douanes ainsi que de fonctionnaires de l'administration fiscale. Le parquet financier pourra le mobiliser, ce qui lui donnera des compétences d'investigation réelles -ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les officiers de police judiciaire de l'office central seront spécialisés.

Avec le ministre du budget, nous avons beaucoup travaillé. Nos responsabilités diffèrent. L'obligation la plus forte de M. Cazeneuve, c'est de récupérer les sommes dues par les fraudeurs, ceux qui cherchent à échapper à leur contribution aux charges communes. La mienne, c'est de faire en sorte que les infractions à la loi soient punies. Quelle que soit la situation de celui qui a fraudé, quelle que soit la transaction conclue, il faut que l'action publique puisse être engagée. Nous avons regardé les chiffres des dernières années : peu de procédures aboutissent, les sanctions ne sont pas dissuasives et le juge judiciaire ne peut prononcer que des amendes et non le recouvrement des impôts. Nous avons aggravé les amendes et nous sommes engagés dans une meilleure articulation de nos administrations pour faciliter l'échange d'informations. L'obligation de présenter un rapport annuel sur la commission des infractions fiscales nous permettra de voir clair sur les procédures qu'elle traite -1 000 en moyenne, sans que ce chiffre varie, il faut expliquer le pourquoi d'une telle stabilité. Il permettra également de voir quelle est la typologie des affaires transmises au parquet et élaborer plus précisément les critères de saisine et les conditions de poursuite pour concilier efficacité du recouvrement et déclenchement plus fréquent de l'action publique.

Les sommes distraites par l'évasion fiscale doivent rentrer dans les caisses de l'État et les fraudeurs être sanctionnés par la justice, pour que le droit prévale. Aucune affaire qui mérite d'être transmise à la justice ne doit lui échapper. Autant les citoyens peuvent comprendre que l'argent doit être récupéré, autant ils ne comprendraient pas que la justice ne fasse pas son oeuvre. Nous prenons, avec M. le ministre du budget, l'engagement qu'elle la fera. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale commune est close.

Discussion des articles du projet de loi

ARTICLE PREMIER

Mme Cécile Cukierman .  - En matière de probité de la vie publique, des textes se sont ici succédé, plus ou moins ambitieux mais qui ont le mérite d'engager l'action.

La lutte contre la délinquance financière, telle que ce projet de loi l'organise, rend absolument nécessaire le rétablissement du texte relatif au Conseil supérieur de la magistrature dans toute sa plénitude. L'indépendance des magistrats du parquet doit être incontestable, d'autant plus avec la création du procureur financier. Mais l'indépendance n'interdit pas la collaboration avec les autres pouvoirs ; c'est peut-être la perspective d'une coopération renforcée entre la justice et l'administration judiciaire qui fait peur à certains -craint-on qu'elle soit trop efficace ?

Pour d'autres se pose la question des moyens dédiés, alors que l'administration judiciaire en manque cruellement. Pour nous, la création du procureur financier est bienvenue, il sera doté d'une compétence concurrente et de moyens renforcés, dont nous espérons qu'ils seront suffisants. Mais il est une exigence : sa totale indépendance. C'est dire que son mode de nomination est de la plus haute importance. Quelles sont les intentions du Gouvernement ? Attendra-t-il le retour du texte sur le Conseil supérieur de la magistrature pour le nommer ?

M. le président.  - Amendement n°28, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.

Supprimer cet article.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Cet article est une curiosité dans notre droit. Il appartient au ministère public d'engager les poursuites, il ne faut pas privatiser l'action publique, sauf à accepter les risques de manipulation que cela comporte. Si vingt-et-une catégories d'associations sont autorisées à se porter partie civile, c'est dans des cas bien précis. Mais jamais on n'a permis à des associations entendant lutter contre la corruption de se substituer à l'action publique. C'est fou ! Nous avons pris la précaution de n'autoriser les associations de lutte contre la toxicomanie à se porter partie civile que si l'action publique était engagée.

Ces associations devront avoir cinq ans d'existence ? Elles seront agréées par l'État ? Qu'est-ce qui les empêchera de faire croire à une corruption généralisée, avec la caisse de résonnance des médias ? L'affaire pourra se terminer sans condamnation mais le mal aura été fait ! Vous ne voulez plus donner d'instructions au parquet ? Mais ce sont les associations qui les lui donneront !

M. Michel Mercier.  - C'est dangereux !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Et ri-di-cule ! On est en train de détruire sans même sans rendre compte tout ce qui fait la qualité de notre droit !

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Le texte que vous avez défendu avec passion...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Parce que c'est grave !

M. Alain Anziani, rapporteur.  - ...ne vise pas la seule fraude fiscale mais d'autres types de délit.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Cela ne change rien au fond.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Cette faculté existe déjà...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Comment ça ?

M. Alain Anziani, rapporteur.  - ...dans d'autres domaines, comme celui de l'environnement ou des discriminations. Je comprends vos inquiétudes mais le dispositif est très encadré -cinq ans d'existence, agrément d'État. Défavorable.

M. Gérard Longuet.  - Vous ouvrez l'action publique aux redresseurs de tort professionnels !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les associations pourront se constituer parties civiles mais les conditions sont encadrées : objet social précis, durée d'existence, agrément.

M. Gérard Longuet.  - Vous privatisez le parquet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Faux ! Cela existe déjà dans d'autres contentieux. Et des dispositions sont prévues pour lutter contre les actions abusives.

On ne peut déplorer la perte de confiance de la société du fait de la corruption ou du favoritisme et considérer que les choses doivent rester en l'état.

M. Gérard Longuet.  - Les associations alimentent la crise de confiance !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Il n'y a pas contradiction entre cette disposition et le renoncement aux instructions individuelles. Défavorable.

M. François Pillet.  - J'abonde dans le sens du président Hyest. Il y a ici une curiosité ; le procureur financier sera incapable d'engager les poursuites en matière de fraude fiscale et, parallèlement, on accorde à des associations la possibilité de déclencher l'action publique ! Elles prennent la place de magistrats de l'ordre judiciaire ! Alain Richard l'a dit ce matin en commission : on privatise la justice pénale. (M. Gérard Longuet applaudit)

Mme Nathalie Goulet.  - Tout à fait !

M. Jacques Mézard.  - Cette disposition m'interpelle. Non que le fait qu'une association puisse se constituer partie civile soit une nouveauté mais, s'agissant d'une matière touchant aux intérêts de l'État, il est indispensable que le déclenchement des poursuites appartienne à l'État.

Je vous fais confiance, madame la ministre, mais on ne peut préjuger de l'avenir. D'autres que vous, s'ils arrivaient au pouvoir, n'auraient rien à changer à notre droit pour avoir les mains libres...

Monsieur le rapporteur, dans votre rapport, vous énumérez tous les faits justifiant l'intervention des associations, en finissant par les délits d'influence illicites sur les votes aux élections législatives, municipales et cantonales ! (Exclamations à droite) C'est très grave. Que des associations interviennent, dès lors qu'il y a renvoi devant les tribunaux, pour défendre leurs positions à la barre, voire devant le juge, soit. Mais vous leur donner le pouvoir de déclencher l'action publique, c'est un glissement progressif vers une méthode que nous ne pouvons accepter, pour plaire à l'opinion. Assez de démagogie ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Mercier.  - Nous faisons ce soir le contraire de ce que nous avons voté hier à votre demande en renforçant le rôle du parquet et en lui redonnant sa qualité de magistrat.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Tout à fait !

M. Michel Mercier.  - Cet article premier consiste à laisser les associations déclencher l'action publique. Qu'elles défendent l'intérêt de leurs membres, oui ; mais là, il s'agit de l'intérêt général...

Mme Nathalie Goulet.  - Peut-être !

M. Michel Mercier.  - ...lequel revient à l'État. Nous voterons l'amendement de suppression. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Yves Leconte.  - Sur d'autres débats, sur la Cour pénale internationale, nous avions envisagé de supprimer le monopole de l'action publique. Vous prétendez qu'il y a des associations qui font profession de ces actions.

Mme Nathalie Goulet.  - Bien sûr que oui !

M. François Zocchetto.  - Elles gagnent de l'argent !

M. Gérard Longuet.  - De l'argent de l'étranger !

M. Jean-Yves Leconte.  - Rien de nouveau à cela !

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Rien de nouveau en effet. Dans l'affaire des biens mal acquis, qui concernait le Gabon, la Cour de cassation a admis l'intérêt à agir de certaines associations. (M. Michel Mercier s'exclame) Nous posons deux conditions : l'agrément et l'ancienneté -cinq ans. Pourquoi ? Parce qu'il y a peu ou pas de victimes.

M. Jacques Mézard.  - Cela signifie que l'État ne fait pas son travail.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je rappelle que toutes les catégories qui figurent dans le code de procédure pénale supposent des victimes. Cela ne se confond pas avec l'intérêt général.

C'est la première fois qu'on accorde à des associations le droit de poursuivre au nom de l'intérêt général. C'est la justice privée !

M. le président.  - Je suis saisi par le groupe UMP d'une demande de scrutin public.

M. François Rebsamen.  - Je demande une suspension de séance de quelques minutes.

M. Michel Mercier.  - Vous gagnez du temps.

M. le président.  - Pas plus de cinq minutes.

La séance, suspendue à 22 h 40, reprend à 22 h 45.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - J'ai rédigé un sous-amendement (exclamations au centre et à droite) pour préciser que toute association agréée depuis au moins cinq ans peut exercer les droits reconnus à la partie civile « lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie intéressée ».

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Avis favorable. Le Gouvernement assume la possibilité d'agir conférée aux associations. Des conditions sont posées pour l'agrément. La précision proposée par le rapporteur améliore l'article et lève des inquiétudes.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Rappel au Règlement ! Mon amendement est de suppression de l'article. On ne peut pas le sous-amender, sans compter que vous aviez annoncé le vote sur l'amendement de suppression.

M. François Zocchetto.  - On ne peut sous-amender un amendement de suppression.

M. Gérard Longuet.  - Même avis. Nous avons passé une nuit sur le texte relatif à la transparence de la vie politique. Un sous-amendement qui allait de toute évidence être adopté a été déclaré irrecevable par le président de la commission des lois au motif qu'il allait à l'encontre du contenu même de l'amendement. On est exactement dans le même cas de figure. C'est de l'ordre de la manoeuvre de sous-préfecture ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. le président.  - Il ne s'agissait pas d'un sous-amendement mais de l'amendement n°156. Passons au vote sur l'amendement n°28.

A la demande du groupe UMP, l'amendement n°28 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l'adoption 187
Contre 159

Le Sénat a adopté.

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Michel Mercier.  - Comme quoi !

L'article premier est supprimé.

L'amendement n°82 devient sans objet.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°77, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au deuxième alinéa de l'article 131 - 27 du code pénal, les mots : « dix ans » sont remplacés par les mots : « quinze ans ».

M. Éric Bocquet.  - La délinquance fiscale et financière ne remplit pas la chronique juridique, compte tenu du rôle de la commission des infractions fiscales, sas ou verrou selon les points de vue. Elle n'encombre pas les tribunaux. Les juridictions concernées sont relativement clémentes : amendes assez faibles et prison avec sursis. Il est rare que la délinquance en col blanc conduise ses auteurs derrière les barreaux, même si la tendance récente est à une légère hausse. D'où notre proposition de relever le quantum des peines complémentaires à exercer des fonctions de gestion et direction d'entreprise.

C'est un amendement pédagogique : notre commission d'enquête a constaté que la fraude n'est pas le fait d'un seul individu ou d'une société mais requiert tout un réseau complexe d'intervenants. Il convient que les réseaux connaissent la rigueur de la justice.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Favorable.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le Gouvernement, après avoir envisagé la sagesse, se range à l'avis de la commission.

M. François Pillet.  - L'augmentation du quantum des peines pose problème car il faut vérifier leur cohérence avec d'autres dispositions du code pénal. On dit que les peines ne sont pas dissuasives. On l'a dit de la peine de mort. Celle-ci le sera-t-elle davantage ? Certainement pas. Et sera-t-elle appliquée par les tribunaux ?

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Si la solution en matière pénale est d'augmenter les peines... Je rappelle que sur la gauche de l'hémicycle, chaque fois qu'on nous proposait une augmentation des peines, il y a un an et demi, vous hurliez, et je hurlais avec vous.

M. André Reichardt.  - Vous êtes pardonné !

M. Jacques Mézard.  - Notre échelle de peines est supérieure à celle d'autres pays. Respectons l'indépendance de la justice et le pouvoir des magistrats. On sait qu'ils ont toujours faculté de proposer des peines inférieures. Alors, à quoi sert cette disposition sinon à faire de la communication. Soyons cohérents !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il m'est arrivé de lutter, avec la commission des lois, contre l'augmentation systématique des peines sous la précédente législature. On détruit l'échelle des peines sous la pression des événements. Avant de changer, vérifions la cohérence d'ensemble du code pénal. Ici, ce n'est pas cohérent. C'est vrai : vous hurliez sous la précédente législature, à chaque fois qu'on proposait d'accroître les peines.

M. André Reichardt.  - Très bien !

Mme Cécile Cukierman.  - Évitez de donner des leçons de cohérence.

Les gouvernements de droite ont voulu criminaliser les plus petits et les plus pauvres, victimes de la société. (Exclamations à droite) Nous distinguons, nous ne faisons pas d'amalgame. Il s'agit d'un délit spécifique, commis consciemment, parfois avec l'appui de conseillers spécialisés. Il n'est pas question ici de perversion, de folie, de conditions sociologiques ou culturelles particulières. Il faudrait revoir l'échelle des peines, mais sur ce délit-là.

M. André Reichardt.  - Vous augmentez !

Mme Cécile Cukierman.  - Oui, parce dans le cas d'espèce, la mesure aura un effet dissuasif. Pas de leçons ! (Marques d'ironie au centre et à droite)

M. François Rebsamen.  - Il est vrai que l'augmentation du quantum des peines complémentaires n'est pas d'une efficacité avérée. Mais que vous donniez des leçons alors qu'en cinq ans vous avez proposé de les augmenter toutes... (protestations à droite) et même créé des peines planchers pour inciter les magistrats à remplir les prisons, c'est un signal que nous envoyons aux fraudeurs. Cet amendement devrait nous rassembler. Sur la fraude fiscale, faites avec nous !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - L'article 5127 porte sur l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, soit définitive, soit temporaire. En ce cas, elle est au maximum de dix ans. Oui, sur l'échelle des peines, il y a un travail monumental à faire parce que l'incohérence est totale. (Exclamations à droite) Dans ce cas précis, si l'on monte le maximum à quinze ans, le juge appréciera. Je ne comprends pas : vous n'êtes pas choqués par l'interdiction définitive mais par le relèvement à quinze ans de l'interdiction temporaire ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC) Je confirme l'avis favorable du Gouvernement.

L'amendement n°77 est adopté

et devient un article additionnel.

ARTICLE PREMIER BIS

M. le président.  - Amendement n°135, présenté par MM. P. Dominati et de Montgolfier.

Supprimer cet article.

M. Philippe Dominati.  - L'Assemblée nationale a durci le projet de loi initial avec cet article additionnel, tendant à prononcer une amende de 10 % du chiffre d'affaires de la personne morale en cas d'infraction pénale, qui peut être portée à 20 % du chiffre d'affaires en cas de récidive.

Les personnes morales, ce sont les sociétés. Le chiffre d'affaires est difficile à cerner...

M. Daniel Raoul.  - Comment ?

M. Philippe Dominati.  - Il eût été préférable de se référer au montant de l'infraction plutôt qu'au chiffre d'affaires, épée de Damoclès qui obligera les sociétés à provisionner, ce qui les conduira à une impasse financière périlleuse. Cela menace directement la vie de nos entreprises.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - L'avis de la commission diffère radicalement. Si la sanction prononcée à l'encontre des personnes morales est très faible, elles sont incitées à commettre de tels délits. (M. Daniel Raoul approuve)

M. François Rebsamen.  - Évidemment.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Un lien de cohérence est établi par cet article qui marque une forte évolution de notre droit.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Même avis défavorable.

M. Gérard Longuet.  - Une entreprise doit provisionner ses risques. Comment provisionner 10 % du chiffre d'affaires sans remettre en cause son activité ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - En ne s'exposant pas à la commission d'un tel délit.

M. Gérard Longuet.  - Le commissaire aux comptes devra obliger l'entreprise à provisionner, donc à subir une charge considérable...

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Comment pouvez-vous défendre l'idée qu'une entreprise provisionne le risque de fraude ?

M. Gérard Longuet.  - Cette dame ne comprend pas la comptabilité ! (Protestations sur les bancs CRC et socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois  - Votre expression est méprisante. Mme Klès comprend très bien, comme nous, que vous pensez qu'il faut provisionner le risque de fraude.

Quand on ne fraude pas, on n'a pas besoin de provisionner, nous a expliqué Mme la rapporteure -car c'est le nom dont il est de coutume d'user dans cet hémicycle.

M. Gérard Longuet.  - Les bras m'en tombent.

M. Philippe Dominati.  - Je n'ai pas eu de réponse autre que de principe. Il y a ici une méconnaissance du monde de l'entreprise désolante. En attendant le déroulement de la procédure, l'entreprise devra bien provisionner.

Votre méconnaissance de l'entreprise est regrettable.

M. André Reichardt.  - C'est comme cela.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je suis interloquée. Vous prétendez que la gauche de l'hémicycle ne comprend rien à l'entreprise- mais je ne connais que des provisions pour risques ou pour amortissement et ce que vous évoquez donne une image peu flatteuse de l'entreprise, laquelle devrait provisionner pour un délit passible d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

M. Jean Arthuis.  - S'il y a un acte délictueux, le commissaire aux comptes est tenu d'en informer le procureur de la République. Quand l'administration notifie un projet de redressement et ouvre un dialogue avec l'entreprise, par prudence, on constitue une provision pour respecter l'exigence de sincérité des comptes.

M. Gérard Longuet.  - Rappel au Règlement.

M. le président.  - Vous vous êtes suffisamment exprimé.

L'amendement n°135 n'est pas adopté.

M. Gérard Longuet.  - Je voulais simplement présenter mes excuses à Mme la rapporteure.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Acceptées.

M. Gérard Longuet.  - J'ai eu une réaction spontanée mais sur le fond, M. Arthuis a dit ce que je pense et que j'aurais pu dire plus gentiment.

M. le président.  - Amendement n°75, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Alinéa 2

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction ou, s'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, ou du plus élevé des deux rapports, soit le dixième du chiffre d'affaires moyen annuel de la personne morale prévenue, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires connus à la date des faits, soit le cinquième de son résultat net. » ;

M. Éric Bocquet.  - Espérons que cet amendement et le suivant, l'amendement n°76, recevront le même accueil que notre amendement précédent. L'article 131-30 du code pénal fixe au quintuple de l'amende encourue par une personne physique l'amende applicable à une personne morale.

Cet article alourdit les peines pour dissuader les personnes morales de commettre ces infractions. Certaines entreprises ont des résultats significatifs sans développer un chiffre d'affaires important. Songez aux holdings.

M. le président.  - Amendement n°136, présenté par MM. P. Dominati et de Montgolfier.

I. - Alinéa 2

Remplacer le mot :

dixième

par le mot :

vingtième

II. - Alinéa 3

Remplacer le mot :

cinquième

par le mot :

dixième

M. Philippe Dominati.  - Cet amendement est de même nature que le précédent que j'ai défendu. Il ne concerne que les personnes morales. Madame la garde des sceaux, 5 % ou 10 % du chiffre d'affaires, c'est énorme et de telles amendes peuvent conduire des entreprises à mettre la clé sous la porte. Une étude d'impact s'impose.

M. le président.  - Amendement n°76, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

2° Le second alinéa est ainsi rédigé :

« Lorsqu'il s'agit d'un crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue à l'encontre des personnes physiques, l'amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 €. Lorsque le crime a procuré un profit direct ou indirect, ce montant peut être porté au plus élevé de deux rapports, soit le cinquième du chiffre d'affaires moyen annuel de la personne morale accusée, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, soit le tiers du résultat net. »

M. Éric Bocquet.  - Il est défendu.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Défavorable aux deux amendements de M. Bocquet qui, en prenant trois références, nuisent à la lisibilité du droit. Défavorable à l'amendement de repli de M. Dominati.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Même avis. L'amendement n°75 pose en outre un risque constitutionnel.

L'amendement n°75 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos136 et 76.

L'article premier bis est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°78, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Après l'article premier bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6° et 7° de l'article 131-39 du code pénal, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « dix ».

M. Éric Bocquet.  - Cet amendent procède de la même logique que ceux que nous avons défendus sur la responsabilité pénale des personnes morales. C'est un fonctionnement économique qui se trouve remis en question. Dans l'affaire Kerviel, c'est à l'évidence, outre le trader indélicat, le mode de gestion des risques de la banque qui est en cause.

L'amendement vise à accroître le quantum des peines pour les personnes morales condamnées. Ces règles s'appliquant à tous en matière de gestion d'entreprise, elles en seront plus transparentes.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Défavorable. L'amendement, concernant toutes les peines, est trop large.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°78 n'est pas adopté.

L'article premier ter A est adopté.

L'article premier ter est adopté.

L'article premier quater est adopté.

M. le président.  - Amendement n°68, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Après l'article premier quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « cinquième ».

M. Éric Bocquet.  - Le délai de reprise devrait être porté à cinq ans au lieu de trois.

La fraude fiscale utilise des outils toujours plus perfectionnés, profitant du maquis qu'est notre droit fiscal. Si l'impôt sur le revenu présente l'avantage de la progressivité, l'impôt sur les sociétés et la TVA n'ont pas ou ont perdu beaucoup de leurs vertus. Un syndicaliste de la métallurgie m'a éclairé par une anecdote relatant le discours sidérant d'expert-comptable devant un comité d'entreprise : il se disait capable, moyennant quelques artifices comptables bien utilisés, de changer des comptes de résultat légèrement positifs en comptes équilibrés, voire déficitaires. Ce n'est guère une bonne publicité pour la profession de commissaire aux comptes !

L'administration fiscale doit repérer des schémas d'optimisation toujours plus sophistiqués. D'où notre amendement, qui reprend une préconisation de notre commission d'enquête.

M. François Marc, rapporteur pour avis.  - Cet amendement part d'une bonne intention mais l'avis est défavorable. Le délai de prescription de droit commun a déjà été porté à dix ans en cas de fraude.

M. François Pillet.  - Eh oui !

M. François Marc, rapporteur pour avis.  - Préservons la sécurité juridique des contribuables qui n'ont pas fraudé.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Même avis. Des dispositions ciblées ont déjà été prises, pour des situations spécifiques. Pour les fraudes de grande ampleur, faisant appel à des trusts sur des comptes à l'étranger, les délais de reprise vont jusqu'à dix ans. Attention, aussi, à ne pas susciter un déséquilibre car plus les délais de reprise sont longs, plus les contrôles durent et moins il y en a. Retrait ?

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Le délai de prescription ne saurait faire l'objet de modification parcellaire. Nous ne voterons pas l'amendement.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Nous avons fait des rapports sur la question.

L'amendement n°68 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°43, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Après l'article premier quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 5° de l'article 435-9 du code pénal, il est inséré un 6° ainsi rédigé :

« 6° Toute personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public, »

M. Éric Bocquet.  - Il s'agit d'incriminer la corruption menée auprès de ressortissants étrangers occupant une fonction élective, ou publique, pour commettre une action de fraude.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Il se pose un problème de forme. C'est plutôt l'article 435-4 qu'il faut viser. Il est vrai que le trafic d'influence visé n'est pas pénalisé. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Il entend que la corruption d'agents étrangers soit combattue. Des dispositions ont été prises en ce sens mais la qualification de trafic d'influence n'a pas reçu de définition internationale. Restons, en conséquence, prudents dans la loi.

L'amendement n°43 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°123, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Après l'article premier quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l'article 495-7 du code de procédure pénale, la référence : « à l'article 495-16 » est remplacée par les références : « aux articles 321-1, 321-2, 324-1, 324-2, 432-10 à 432-15, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10, 445-1 à 445-2-1 et 495-16 du code pénal, des infractions réprimées par le code électoral ».

Mme Esther Benbassa.  - Cet amendement vise à exclure les infractions relevant des questions de corruption de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité. Cette procédure fait rarement l'objet de publicité ; donnons plus de crédibilité à ces affaires pour éviter qu'elles ne donnent lieu à des alternatives de peines, via le plaider coupable.

Seraient également exclues toutes les infractions réprimées par le code électoral. Dans ces domaines, la justice doit être transparente et publique, ce qui n'est pas le cas de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Il y a bien une audience publique et la procédure a son utilité. Défavorable.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je partage volontiers la préoccupation de Mme Benbassa mais c'est une demande qui émane essentiellement des organismes internationaux.

Il ne faut pas que cette procédure concerne des délits graves ou des personnes qui devraient comparaître devant le tribunal correctionnel. Elle devrait être réservée aux faits les moins graves. Cela méritait d'être dit. Moyennant quoi, retrait ou rejet.

L'amendement n°123 est retiré.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Dommage.

L'article 2 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°44, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 8 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de dissimulation de l'infraction, le délai de prescription de l'action publique commence à courir au jour où l'infraction a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice des poursuites. »

M. Éric Bocquet.  - Cet amendement vise à consolider la jurisprudence qui admet une prescription différée de l'infraction dissimulée. La prescription triennale ne garantit pas un délai suffisant pour les poursuites et les enquêtes. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la prescription peut être allongée si le délit d'entente s'accompagne d'actions visant à la dissimulation. Le délai de prescription ne court alors qu'à la date de découverte des faites, a-t-elle estimé. Cela se justifie pleinement par l'infraction commise. Il en va de même quand on a affaire à des actes réitérés : c'est la consommation de la dernière infraction qui ouvre le délai.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Vaste débat.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - L'Assemblée nationale avait formulé un article 8 bis pour généraliser cette jurisprudence à tous les délits.

En commission, le Gouvernement a souhaité qu'une telle disposition soit rejetée car elle requiert une étude d'impact. La commission a suivi et rejeté l'amendement. La prescription ne peut être plus forte pour les délits que pour les crimes. La corruption de magistrat en est un.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - La jurisprudence sur la prescription, de l'avis des magistrats, fonctionne bien. Mais ce n'est qu'une jurisprudence. Je comprends votre souci de la consolider par la loi. Mais il serait périlleux d'introduire cette disposition hors tout regard sur l'économie générale de la prescription. Je vous propose que nous y travaillions ensemble.

L'amendement n°44 est retiré.

ARTICLE 2 BIS (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°58, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe CRC.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

A l'article 324-3 du code pénal, les mots : « jusqu'à la moitié de » sont remplacés par le mot : « à ».

M. Éric Bocquet.  - Cet amendement vise à sanctionner plus sévèrement le crime de blanchiment pour renforcer la dissuasion. Le tribunal peut prononcer une peine de 250 000 ou 700 000 euros et une peine complémentaire, plafonnée à la moitié des biens concernés. Nous proposons de relever le maximum de cette peine complémentaire afin que l'ensemble des biens concernés puissent être saisis.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - La commission a émis un avis défavorable. Pour ma part, j'étais plus partagé.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je suis un peu comme le rapporteur. Saisir la totalité ne me choque pas. Sagesse.

L'amendement n°58 est adopté ; l'article 2 bis est rétabli.

ARTICLE 2 TER

M. le président.  - Amendement n°110 rectifié bis, présenté par MM. Delahaye et Arthuis.

Supprimer cet article.

M. Jean Arthuis.  - Cet amendement a pour objet de permettre à l'administration fiscale de conserver la plénitude de ses compétences en matière de poursuites pour fraude fiscale.

Ces poursuites requièrent une expertise et une expérience avisées, dont disposent Bercy et le réseau des directions départementales des finances publiques. Il faut assurer aux entreprises une égalité de traitement. A moyen terme, les magistrats, dont nous ne mettons pas en cause les compétences, risquent de ne pas disposer des moyens et matériels pour faire diligence. Il convient donc de maintenir le « verrou » de Bercy.

M. le président.  - Amendement identique n°114 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collin, Fortassin, Baylet, Chevènement et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.

M. Jacques Mézard.  - En cette matière, il est indispensable de maintenir ce que l'on appelle le « verrou de Bercy », que je préfère nommer « le pouvoir de l'administration fiscale ». Le code général des impôts prévoit que les fraudeurs sont passibles de sanctions pénales. Le juge du recouvrement de l'assiette est le juge administratif et les dispositions pénales prévues par l'article 1741 du code général des impôts sont très larges. Dans l'immense majorité des cas de contrôle, on découvre une dissimulation volontaire. Ce qui veut dire que des milliers, voire des dizaines de milliers de cas pourraient aller devant les tribunaux. Pour éviter l'« arbitraire » de Bercy, on a créé, en 1977, la commission des inspections fiscales, qui fait le tri. C'est une situation raisonnable sur laquelle il ne faut pas revenir. D'autant qu'elle facilite les choses pour l'administration en matière de recouvrement et de transaction. Ce ne serait pas non plus dans l'intérêt du ministère de la justice.

L'amendement n°143 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°147, présenté par M. Marc.

M. François Marc.  - Je dépose cet amendement à titre personnel mais il traduit une position très largement partagée au sein de la commission.

L'article 2 ter, adopté par la commission des lois à l'initiative de son rapporteur Alain Anziani, tend à lever partiellement le monopole de l'administration fiscale pour l'engagement des poursuites en matière de fraude fiscale, en prévoyant dans certains cas la possibilité pour l'autorité judiciaire d'engager des poursuites sans autorisation préalable.

Mais la fraude est déjà lourdement sanctionnée et l'engagement d'une procédure pénale pourrait freiner le recouvrement. Je rappelle que les pénalités notifiées ont été de 2,5 milliards d'euros en 2012. J'ajoute que Bercy dispose des compétences techniques indispensables pour instruire et que l'autorité judiciaire garde pleinement la main sur les affaires de blanchiment.

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Pas de malentendu, monsieur Arthuis. Le texte de la commission des lois ne propose pas de dessaisir l'administration fiscale de son pouvoir. M. Marc a rappelé que seuls trois cas sont visés : celui d'une enquête engagée sur d'autres faits ; celui de fraude fiscale complexe -en bande organisée ou s'accompagnant de manoeuvres- pouvant flirter avec le grand banditisme -il n'est pas choquant, dans ce cas, que le procureur de la République soit saisi- ; dans le cas, enfin, de la transaction, pour la seule fraude fiscale complexe -où le procureur de la République doit émettre un avis. Ce n'est pas de nature à inhiber la transaction, c'est plutôt un élément incitateur. L'avis est donc défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Les cas que vous citez, de fraude en bande organisée, sont précisément ceux où l'administration fiscale transmet à la justice. Le rapport annuel très détaillé que nous présenterons au Parlement vous en apportera la preuve.

Je ne peux laisser dire ici que sur de tels cas, il y aurait une complaisance de l'administration fiscale ; c'est faux. Imaginez que j'émette des doutes sur la manière dont les magistrats du parquet engagent des poursuites à l'encontre de certaines personnalités ! Pas de suspicion, de grâce ! Ni d'un côté, ni de l'autre. Avec la garde des sceaux, nous travaillons à créer les conditions d'une confiance en l'administration fiscale et en la justice, en coordonnant notre action pour ne laisser aucune issue aux fraudeurs. N'opposons pas une logique du verrou -qui serait à Bercy- à une logique de l'écrou -qui prévaudrait place Vendôme. A Bercy, il n'y a pas de verrou, plutôt une catapulte qui envoie les dossiers les plus lourds à la justice. Place Vendôme, il n'y a pas de volonté de tout pénaliser mais la reconnaissance d'un équilibre. Sortons d'un débat théologique !

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Dans la discussion générale, j'ai dit ma position, balancée entre deux exigences. L'engagement du Gouvernement de produire un rapport m'a amenée à lui faire confiance mais en restant vigilante. Je ne crois pas plus à l'infaillibilité bercyenne qu'à l'infaillibilité pontificale. Car il est des cas où, si Bercy avait déclenché plus vite la procédure du côté de la justice, le rendement fiscal eût été meilleur. Exemple, la TVA sur les quotas de carbone : 5 milliards d'euros manquent en Union européenne, 1,6 milliard pour la France. La direction des enquêtes fiscales avait détecté la fraude. Une fraude dont on aurait pu mesurer l'ampleur si une enquête judiciaire avait été diligentée. Même chose pour les carrousels de TVA intra-communautaire.

Il ne faut pas avoir, en la matière, de position théologique : quand cela est nécessaire, il est bon de déclencher plus vite des opérations judiciaires. Quand on laisse une boîte noire, sans validation par des choix collectifs, on ouvre la porte à la suspicion.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Une grande confiance ne suscite pas de petites méfiances : vous avez raison. Mais revenez au texte. En cas de présomption de fraude de grande ampleur, on pourra mobiliser la police judiciaire des enquêtes fiscales. Quand il y a des dispositifs complexes, on pourra, enfin, les percer. Ne remettons pas en cause l'équilibre du texte.

MM. François Rebsamen et M. Jean-Jacques Mirassou.  - Très bien !

Mme Esther Benbassa.  - Le « verrou » de Bercy -expression péjorative il est vrai-, même si l'on admet que les procédures en matière de fraude puissent être exorbitantes du droit commun, n'est pas sans poser problème, dans les cas qu'a rappelés M. Anziani. On peut néanmoins entendre l'argument pragmatique qui veut que les traders soient frappés sans délai par où ils ont pêché : financièrement.

Sur la coopération entre administration fiscale et justice, le texte comporte des avancées. Il faut accompagner de manière progressive ces évolutions et c'est pourquoi les écologistes s'abstiendront. (Mme Cécile Cukierman proteste) Reste que M. Anziani a bien fait d'ouvrir le débat.

M. François Pillet.  - Les lignes, sur ce sujet, ont bougé. La liberté de parole, qui prévaut dans mon groupe, me permet d'émettre un avis personnel. Veillons à ne pas donner exclusivement à l'administration la faculté de décider des poursuites. La Cour des comptes, dans son rapport, aboutit à un constat fort mitigé : 860 plaintes en 2000, 9 992 en 2008, mais dont un tiers concerne des entrepreneurs du bâtiment, particulièrement des maçons originaires d'un pays méridional, qui mettent en oeuvre des schémas de fraude simple et se défendent peu.

On défend le monopole des poursuites au motif qu'il ne faut pas créer une concurrence avec le procureur de la République. Mais imagine-t-on que ce dernier se prive d'un pouvoir d'expertise de Bercy ? C'est une collaboration qui s'engagera. Le recouvrement et les poursuites sont deux procédures distinctes, comme l'a toujours rappelé la chambre criminelle.

L'administration a toujours la faculté de recouvrer les sommes distraites, elle a tous les instruments pour le faire. Mais pour lever les suspicions, il faut que le procureur de la République ait faculté d'agir. Ces amendements enlèvent de la crédibilité aux objectifs affichés du texte et j'abonde dans le sens de la rédaction de la commission des lois, qui penche du côté de l'État de droit où il appartient aux magistrats, et non à l'administration, de juger.

M. Éric Bocquet.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je penchais du côté de notre rapporteur mais j'entends l'argument qui fait valoir que si la commission des infractions fiscales est bloquée, on voit mal comment la justice pourrait faire mieux. On avance aussi l'argument du recouvrement, fort bien, mais n'oublions pas que ce n'est pas la fraude fiscale que l'on poursuit mais les fraudeurs.

Mme Cécile Cukierman.  - Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Voilà la priorité. On lutte plus efficacement contre la fraude fiscale avec des spécialistes qui connaissent bien la matière. Et j'observe que si l'on ne vote pas cet article, le procureur financier n'a plus lieu d'être.

Mon groupe est divisé sur cette question. Je n'aime pas entendre qu'il y aurait des pro-Bercy et des pro-Vendôme... On peut se faire une opinion et évoluer. J'ai même entendu des magistrats préférer le système actuel parce que la justice n'a pas de moyens suffisants...

Et que fait-on de l'article 40 du code de procédure pénale ? Tout agent public qui a connaissance d'un délit doit le faire connaître au parquet. C'est une vraie question. Personne ne la pose, sauf M. Anziani, de manière à mon avis excessive.

M. Éric Bocquet.  - Nous ne sommes pas arrivés dans ce débat avec une position arrêtée. Nous allons nous ranger à l'avis de la commission. J'entends les propos sincères du ministre du budget. Nous faisons le droit ici. Si on diligente plus d'enquêtes aujourd'hui, c'est qu'il y en avait moins avant. Pourquoi ?

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il y avait moins de fraudeurs ! (Rires)

M. Éric Bocquet.  - Le débat est budgétaire et financier, mais aussi politique. Je rappelle les conclusions du rapport de Christian Eckert à l'Assemblée nationale qui relève que l'affaire Falciani a éclaté en 2009 et que des poursuites n'ont été diligentées qu'en 2013 -pour la rapidité, on repassera- avant d'ajouter qu'« il est possible que de nouvelles affaires HSBC ou UBS éclatent à l'avenir ». Nous devons nous doter d'outils efficaces pour demain et pour toujours.

M. François Zocchetto.  - L'avis du ministre du budget est clair, cohérent et attendu. La position d'Alain Anziani est courageuse, elle a été développée par François Pillet. Elle mérite examen. Soit on est pour le procureur financier et on admet que des associations, l'administration fiscale puissent engager des poursuites ; soit on préfère la situation actuelle, plus protectrice des droits des citoyens et du principe d'égalité. Je souhaiterais entendre l'avis de Mme la garde des sceaux avant de me prononcer.

M. Jacques Mézard.  - Mon groupe est unanime sur cette question, comme souvent... (Sourires) Ce n'est pas forcément le cas dans tous les groupes, monsieur Mercier. (Nouveaux sourires)

Je redis que notre texte pénal fiscal de base est l'article 1741. Il est très large, ce qui permet de traiter des situations très différentes, de la fraude la plus complexe à la dissimulation volontaire par tel petit artisan... L'administration fiscale contrôle, vérifie et peut déposer une plainte après avis de la commission des infractions fiscales.

Tant que vous ne reverrez pas cet article en distinguant les affaires fiscales selon leur gravité pénale, nous serons devant une difficulté. La situation actuelle est raisonnable, à moins de considérer que Bercy fasse mal son travail. C'est ce que vous laissez entendre, page 60 de votre rapport, en notant qu'il est « particulièrement regrettable que l'autorité judiciaire ne puisse avoir connaissance des faits de fraude fiscale complexe ». La chose est grave. «L'atténuation » du système actuel, que vous prônez, n'a guère de sens juridique. Ou bien vous le maintenez -ce que je tiens pour raisonnable-, ou vous le réformez.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Ce que dit le rapport Eckert de la liste HSBC est le contraire de la conclusion que vous en tirez. Cette liste n'a pas été dissimulée à la justice par l'administration fiscale mais transmise par la première, en l'occurrence par le procureur Éric de Montgolfier, à la seconde. L'administration fiscale l'a traitée avec la suspicion permanente que cette liste avait été modifiée.

Dès ma prise de fonction, j'ai demandé au DGFiP de me donner des explications et proposé aux rapporteurs généraux de procéder, en usant de leur pouvoir de contrôle sur pièces et sur place, à toutes les investigations. M. Eckert a accepté et conclut que l'administration fiscale avait fait son travail. Si elle n'a pu aller au bout de ses investigations, c'est en raison du caractère illicite de la source, jugé par la Cour de cassation...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Il constate enfin que l'action publique n'a été enclenchée qu'en 2013 alors que la justice disposait de tous les éléments nécessaires dès 2011...

M. Daniel Raoul.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Et il faudrait que ceux qui ont été diligents soient suspectés ? Le rapport Eckert est implacable. Demandez à vos rapporteurs de faire le même travail. Si vous constatez un décalage entre la réalité et ce que je viens de vous dire, vous ne vous priverez pas de me le faire remarquer... Et s'il est manifeste, je le reconnaîtrai.

Monsieur Hyest, l'objectif est bien de sanctionner les fraudeurs. L'argent qui rentre...

M. Jean-Jacques Hyest.  - ...est récupéré par Bercy !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - ...est le fruit de l'amende qui a été appliquée aux fraudeurs...

M. Jean-Jacques Hyest.  - ...et de ce qu'ils auraient dû payer en premier lieu.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.  - Bien sûr. La concurrence entre l'administration fiscale et la justice ouvrirait un espace aux fraudeurs, je le répète : aussi longtemps qu'une procédure judiciaire n'est pas allée à son terme, première instance, appel et cassation éventuels, l'amende n'est pas payée. Le risque est grand de voir l'efficacité de la justice obérée. L'administration fiscale intervient avec plus d'efficacité, grâce aux moyens de la police fiscale.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très bien ! Votons !

Les amendements identiques nos110 rectifié bis, 114 rectifié et 147 sont adoptés ;l'article 2 ter est supprimé.

L'amendement n°59 devient sans objet.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 18 juillet 2013, à 9 h 50.

La séance est levée à minuit 50.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 18 juillet 2013

Séance publique

A 9 heures 50

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (n°751, 2012-2013).

Rapport de M. Richard Yung, rapporteur pour le Sénat (n°750, 2012-2013).

2. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (n°690, 2012-2013).

Rapport de M. Alain Anziani et Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n°738, 2012-2013).

Texte de la commission (n°739, 2012-2013).

Avis de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n°730, 2012-2013).

et projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au procureur de la République financier (n°691, 2012-2013).

Rapport de M. Alain Anziani et Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n°738, 2012-2013).

Texte de la commission (n°741, 2012-2013).

A 15 heures 05

3. Questions d'actualité au Gouvernement.

A 16 heures 15 et le soir

4. Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin.

5. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État (n°744, 2012-2013).

Rapport de Mme Isabelle Pasquet, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°760, 2012-2013).

Texte de la commission (n°761, 2012-2013).