II. ENTRE SANTÉ PUBLIQUE, BIOÉTHIQUE ET DROIT PÉNAL, LA PRUDENCE PRAGMATIQUE ET ÉQUIVOQUE DU LÉGISLATEUR DANOIS

Le droit positif pénal danois ne donne pas d'indications précises sur le statut de l'enfant à naître (2.1). Cette absence ne va pas sans poser quelques difficultés et plus particulièrement dans les cas où l'enfant conçu est ou était, viable. La jurisprudence sur la question est ambivalente et accorde par ricochet des statuts différents à l'embryon selon le cas litigieux en question (2.2).

1. Le foetus dans le cadre de l'encadrement légal de l'avortement au Danemark

La législation danoise ne donne pas stricto sensu d'indications précises sur le statut juridique de l'embryon ni sur celui du foetus. C'est la législation sur l'avortement, réalisé dans le corpus juridique relatif à la santé publique 120 ( * ) , qui permet d'aborder le statut juridique du foetus en ce qu'il accorde une certaine protection au foetus à deux stades de son développement.

L'avortement est régulé dans les articles 92 et suivants du code de la santé publique. Ce texte fixe notamment la limite de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) sans autorisation à 12 semaines (contre 18 en Suède).

Une fois ce délai dépassé, l'article 93 précise que l'IVG peut être pratiquée sans autorisation particulière pourvu qu'elle soit nécessaire pour la protection de l'intégrité physique et mentale de la mère, dans le cadre d'un danger inévitable et fondé médicalement. L'autorisation ne peut se voir accordée selon ce texte que dans les cas où :

- la grossesse, la naissance ou la prise en charge de l'enfant présente un risque pour la santé de la mère eu égard à une maladie corporelle ou psychologique ou un affaiblissement présent ou préexistant résultant de sa vie passée ;

- la grossesse est imputable aux faits décrits aux 210, 214 et suivants du code pénal ( Straffeloven ) concernant l'inceste et le viol.

L'article 94 du même code instaure une certaine protection du foetus sans pour autant définir son statut de façon précise. Il dispose à cet égard dans son alinéa 1, troisième point, que s'il y a risque pour l'enfant en raison d'une maladie congénitale, d'un dommage, d'une maladie au stade foetal ou d'un risque, d'être atteint dans sa constitution physique ou psychologique, l'autorisation d'IVG peut être accordée.

Dans le cas où le foetus peut être considéré comme viable, l'alinéa 3 du même article durcit les conditions de l'autorisation de l'IVG, celle-ci ne pouvant être prononcée que lorsque les conditions décrites à l'alinéa 1 troisième point sont réunies de manière particulièrement sévère.

Cependant, la viabilité du foetus ne fait ni l'objet d'une définition explicite ni scientifique, le texte de loi ne faisant pas mention de critères précis pour sa détermination.

Le Conseil d'éthique danois ( Det Etiske Råd ) a été amené à se prononcer sur la question de l'avortement tardif à la demande du Ministre de la Justice. Cette saisine a fait l'objet d'une publication du 1 er janvier 1997 121 ( * ) . Dans le préambule de celle-ci, il mentionne le dilemme auquel doit faire face le personnel soignant dans le cas d'avortements de foetus qui auraient quelques chances de succès étant donné que grâce aux avancées médicales, il est désormais possible avec un traitement adéquat de permettre à de grands prématurés de survivre, naissant généralement après la vingtième semaine et dans certains cas la dix-huitième.

Or, durant la même période, il peut être procédé à l'avortement avec autorisation d'un foetus au même stade de développement. Cela demande d'interroger la notion de viabilité. Le Conseil avait en outre majoritairement statué contre une élévation de la limite d'avortement « libre », c'est-à-dire sans autorisation.

Quant aux demandes d'autorisation, elles doivent être adressées par l'hôpital aux Conseils régionaux sur l'avortement et la stérilisation (S amråd for Abort og sterilisation ). Il est possible de faire appel de leurs décisions devant la Commission d'appel de l'avortement ( Abortankenævnet ). Il s'agit d'une commission chargée de prendre en charge l'intégralité des réclamations effectuées sur le territoire afin d'assurer une uniformité de traitement à chaque citoyen. Elle se compose de trois membres nommés par le ministre de la Santé, à savoir, d'un juge, d'un gynécologue et d'un médecin spécialisé en psychiatrie. Cette commission fait partie de la Direction de gestion des plaintes de la patientèle du ministère de la Santé danois ( Styrelsen for patientklager, under Sundheds- og Ældreministeriet ) 122 ( * ) .

2. Les questions posées par l'absence de la définition d'un statut du foetus et l'ambivalence des réponses jurisprudentielles au Danemark

Se penchant sur l'avortement, le Conseil d'éthique danois a indiqué qu'il n'était pas chose aisée que de faire cohabiter deux pratiques opposées et pourtant légales. Le statut juridique d'un foetus s'est complexifié avec le temps, étant donné les possibilités d'IVG sous certaines conditions, d'un côté, l'extension des chances de naissance viable, de l'autre. Cela est d'autant plus vrai à l'approche des 20 semaines de gestation, stade à partir duquel il est désormais possible de maintenir en vie un prématuré.

Il en résulte que pour deux foetus au même stade de développement, ce sont les décisions prises par les femmes enceintes qui constitueront le facteur déterminant dans la continuation de la gestation. Si d'un côté, l'une choisit d'avorter, passé le délai légal et si elle en obtient l'autorisation, l'avortement aura lieu. De l'autre si la femme souhaite mener la gestation à son terme mais que l'enfant vienne à naître prématurément, il serait possible grâce aux avancées de la médecine de le maintenir en vie.

Malgré l'absence de statut légal du foetus au Danemark, les juges danois ont dû se prononcer dans des affaires où un incident a provoqué la perte du foetus. Cette question a également été étudiée par une docteur en droit de l'université de Copenhague, J. Rothmar Herrmann, dans sa thèse consacrée aux questions de protection juridique du foetus et des ovocytes fécondés 123 ( * ) . Deux affaires sont citées afin d'illustrer l'ambivalence du statut du foetus en droit danois.

Dans la première affaire, datant de 2006, les participants à un rodéo urbain renversèrent plusieurs piétons dont une femme enceinte. La chute entraîna la perte de son foetus, arrivé à la 26 e semaine de gestation. Ici, le tribunal de Copenhague, considérant que le foetus faisait partie intégrante du corps de la femme, retint une infraction à l'article 249 du code pénal danois relatif aux dommages corporels involontaires.

La deuxième affaire citée dans la thèse concerne un refus d'avortement prononcé par la Commission d'appel de l'avortement, concernant la grossesse d'une fille de treize ans, enceinte de 24 semaines, d'un garçon de seize ans. La commission décida qu'en dépit du jeune âge de la fille et du caractère délictuel du rapport sexuel, il convenait de considérer qu'un foetus venant à naître à partir de la vingt-quatrième semaine, devait être considéré comme viable. Dans le cas présent, c'est le critère de viabilité qu'a choisi de retenir la commission pour motiver sa décision.

Dans les deux cas, les foetus étaient arrivés à un stade de développement avancé. Cependant, le statut juridique sous-jacent dans les deux solutions adoptées diffère et une attention particulière est portée à l'intention des acteurs en jeu.

Dans la première affaire, le juge danois, en retenant le dommage corporel sur la mère comme qualification de la perte du foetus, ne considère pas celui-ci comme une vie humaine à part entière. L'enjeu étant en premier lieu de statuer sur la culpabilité de l'accusé et celui-ci n'ayant pas eu l'intention de provoquer la perte, il résulte de cette absence de connaissance même de l'existence d'une tierce personne en puissance que l'atteinte portée au foetus se trouve absorbée par celle portée à la mère. Dans le deuxième cas, en revanche, le foetus, considéré dans une situation d'avortement volontaire, a bénéficié d'une protection accrue de sa personnalité en puissance.

La thèse fait également mention, lors de l'exposé des suites de l'arrêt Vo c. France, du 8 juillet 2004 rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme d'un groupe de juristes ayant publié une version commentée du code pénal danois 124 ( * ) , faisant état du prérequis de la naissance avant que le celui-ci n'offre une quelconque protection. Il convient cependant de relever que cette interprétation ne fait pas consensus parmi les juristes danois.


* 120 Sundhedsloven LBK nr 1286 af 02/11/2018.

* 121 Disponible sur le site du Conseil d'éthique danois à l'adresse http://www.etiskraad.dk/etiske-temaer/abort-og-fosterdiagnostik/publikationer/sene-provokerede-aborter-1997 .

* 122 Site consultable à l'adresse : https://stpk.dk/da/patientrettigheder/klag-over-afslag-paa-abort-eller-sterilisation/abortankenaevnet/ .

* 123 J. R. Herrmann. Retsbeskyttelsen af fostre og befrugtede æg - Om håndtering af retlige hybrider. Jurist og økonomforbundets Forlag, 2008.

* 124 Vagn Greve, Asbjørn Jensen og Gorm Toftegaard Nielsen. Kommenteret straffelov - speciel del, 8. omarbejdede udgave , København, 2005, p. 307-308.

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