III. LES PROCÉDURES DÉCENTRALISÉES DE L'ALLEMAGNE ET DE L'ESPAGNE

En Allemagne , au niveau fédéral , aux termes de la loi fondamentale de 1949, n'est prévu aucun dispositif d'initiative populaire législative . D'une part, l'initiative des lois fédérales ne revient qu'au Gouvernement fédéral et aux membres du Bundestag et du Bundesrat. D'autre part, aucune disposition constitutionnelle ne prévoit que le Parlement puisse être contraint de débattre d'un texte, et encore moins d'adopter un projet de loi, conforme à l'expression de la volonté populaire qui se manifesterait à l'occasion d'un référendum convoqué sur demande d'une fraction du corps électoral. Il n'existe donc pas de RIP visant l'adoption d'une loi fédérale simple ou d'un amendement à la constitution fédérale.

Toutefois, par exception , il existe un cas dans lequel une initiative populaire ( Volksbegehren ) peut conduire à l'organisation d'un référendum , mais uniquement pour procéder à une restructuration de l'organisation du territoire fédéral .

En effet, conformément à l'article 29 al. 2 de la Loi fondamentale, en principe, tout redécoupage de la Fédération changeant les limites des Länder nécessite l'adoption d'une loi fédérale qui doit être approuvée par les électeurs des Länder concernés à l'occasion d'un référendum. 85 ( * ) En outre, l'alinéa 4 ouvre la possibilité que 10 % des citoyens élisant les membres du Bundestag demandent l'incorporation à un unique Land d'une zone divisée actuellement entre plusieurs Länder, dès lors qu'elle forme un bassin cohérent de population et d'activité économique comprenant au moins un million d'habitants. Dans les deux ans suivant cette initiative populaire, le Parlement doit approuver une loi fédérale tendant :

- soit directement à redéfinir les limites des Länder et à obtenir l'approbation populaire conformément à la procédure générale de l'art. 29 al. 2 ( Volksentscheid ) ;

- soit à convoquer une consultation populaire ( Volksbefragung) dans les Länder concernés. Cette consultation populaire peut porter sur deux propositions alternatives, et pas davantage. En cas d'approbation d'une proposition de modification de l'appartenance d'une zone à un Land, une loi fédérale portant création du nouveau Land ainsi délimité doit être adoptée dans les deux ans, sans nécessiter de ratification par une nouvelle votation.

Dans les deux cas de Volksentscheid ou de Volksbefragung sur initiative populaire, la majorité requise est la majorité des suffrages exprimés, à condition que cette majorité rassemble au moins 25 % des citoyens disposant du droit de vote au Bundestag. Une loi fédérale peut prévoir qu'après l'échec d'un référendum de restructuration territoriale, une nouvelle initiative populaire ayant le même objet ne puisse être reçue avant cinq ans.

Depuis 1949, huit initiatives populaires ont abouti à la convocation de référendums de restructuration territoriale, qui se sont tous conclus par un rejet.

En revanche, au niveau régional, les constitutions de tous les Länder prévoient un droit d'initiative populaire couplé avec la possibilité de provoquer un référendum. Un quorum d'électeurs peut porter une proposition de loi à l'attention du Parlement régional dans son domaine de compétences propres. Bien que le Parlement demeure libre de l'approuver ou de la rejeter, les citoyens ont la possibilité de provoquer la convocation d'un référendum pour contrer un rejet par le Parlement régional de leur proposition.

Toutefois, la proposition de loi d'initiative populaire est soumise à un contrôle de constitutionnalité préalable lorsqu'elle est soumise au Parlement régional. Si le gouvernement ou le Parlement régional l'estime inconstitutionnelle, ils peuvent soit porter l'affaire devant la cour constitutionnelle du Land, soit l'écarter sans possibilité de convoquer un référendum, libre aux promoteurs de l'initiative de déposer un recours devant la cour constitutionnelle du Land.

Il existe donc bien en Allemagne, au niveau régional, des RIP qui obéissent toutefois à des règles et des restrictions différentes . Outre la restriction au domaine législatif de la compétence des Länder, 86 ( * ) les RIP ne peuvent porter sur la fiscalité, le budget ou la réglementation des rémunérations, et en général sur la matière financière. 87 ( * ) Les cours constitutionnelles des différents Länder ont une appréciation quelque peu différente de cette interdiction du domaine budgétaire ( Haushaltsverbot ). Les unes (Saxe et Hambourg) tendent à empêcher simplement la proposition ou l'amendement de la loi de finances, les autres rejettent les initiatives populaires ayant une incidence sur le budget du Land (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Brandebourg, Thuringe, Bavière, Schleswig-Holstein). Pour ne pas priver d'effectivité une possibilité constitutionnelle, la jurisprudence ne peut pas considérer toute initiative comme grevant indirectement le budget du Land. 88 ( * ) La cour constitutionnelle de Bavière a admis une initiative populaire sur les droits d'inscription à l'université, dès lors qu'elle pesait directement uniquement sur les finances des établissements de droit public autonomes que sont les universités. 89 ( * ) Hormis ces restrictions, l'initiative populaire et le déclenchement d'un référendum peut porter sur toute proposition de loi simple, et souvent constitutionnelle 90 ( * ) .

Certains Länder admettent une initiative populaire et la convocation d'un référendum non seulement sur un texte précis de proposition de loi mais aussi de façon plus générale sur toute question pouvant faire l'objet d'une décision politique (Berlin, Brandebourg, Schleswig-Holstein).

Il est intéressant de relever également une procédure existant en Rhénanie-Palatinat : le Parlement régional est obligé de suspendre la promulgation de toute loi qu'il a voté si un tiers de ses membres le demande. Durant cette période, si 150 000 électeurs le demande, un référendum doit être organisé sur la loi en cause. 91 ( * )

Enfin, un certain nombre de Länder comme Berlin, le Bade-Wurtemberg, la Bavière, la Rhénanie-Palatinat ou la Rhénanie-du-Nord-Westphalie prévoient la possibilité de procéder à la dissolution du parlement régional (Landtag) par RIP.

Les règles de quorum et de majorité pour la recevabilité de l'initiative populaire et pour la validation du résultat du référendum, diffèrent significativement selon les Länder. 92 ( * ) On notera que pour l'approbation par RIP d'une proposition de loi simple, il n'est prévu aucun quorum en Bavière, en Hesse et en Saxe. Dans les autres Länder, le quorum varie de telle sorte que la majorité des votants favorables à la proposition de loi doive aussi au moins représenter entre 15 % et 1/3 des électeurs détenteurs du droit de vote. 93 ( * ) Le plus souvent, l'approbation d'une révision constitutionnelle nécessite le respect d'un quorum et une majorité qualifiée au référendum.

Exemples de règles de quorum et de majorité pour les RIP
dans les Länder

Ainsi, au Bade-Wurtemberg , Land peuplé de 10,9 millions d'habitants, l'initiative de la proposition de loi doit être portée par 1/6 e des détenteurs du droit de vote et les modifications constitutionnelles doivent être approuvées par une majorité des électeurs. 94 ( * ) En Basse-Saxe , 10 % des détenteurs du droit de vote parmi les 7,9 millions d'habitants, doivent soutenir le dépôt d'une proposition de loi citoyenne pour qu'elle soit examinée par le Parlement régional puis soumise éventuellement à un référendum régional. Pour que la proposition soit définitivement acceptée, non seulement la majorité des votants mais aussi 1/4 des électeurs doit l'approuver, voire la moitié des électeurs en cas de révision de la constitution du Land. 95 ( * )

En Bavière , État libre peuplé de 12,9 millions d'habitants, l'initiative populaire requiert le soutien de 10 % des détenteurs du droit de vote. Une majorité simple suffit, sans quorum, pour approuver une proposition de loi simple d'origine citoyenne mais les modifications constitutionnelles doivent être approuvées par une majorité des deux tiers des votants. 96 ( * ) Dans le Brandebourg , peuplé de 2,5 millions d'habitants, le dépôt d'une proposition de loi citoyenne requiert 80 000 signatures et l'approbation par référendum nécessite que la majorité favorable à la proposition représente au moins 1/4 des électeurs. 97 ( * ) Dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale , 120 000 signatures suffisent à déposer une proposition de loi citoyenne mais c'est un seuil plus élevé à atteindre qu'il n'y paraît dans une région de 1,6 million d'habitants. En cas de référendum, elle doit être approuvée par une majorité de votants représentant un tiers des électeurs, voire la moitié des électeurs en cas de révision constitutionnelle.

En Rhénanie-du-Nord-Westphalie , l'initiative populaire doit être portée par 8 % des électeurs, un seuil élevé dans un Land de 17,9 millions d'habitants. En cas de référendum sur la proposition de loi citoyenne, le résultat est validé si la majorité qui se dégage représente au moins 15 % des électeurs, le seuil le plus bas parmi les Länder. Dans le cas d'une révision constitutionnelle d'origine citoyenne, il est prévu pour valider le résultat du référendum un quorum de participation fixé à 50 % et une majorité qualifiée des 2/3 des suffrages exprimés. 98 ( * )

En Saxe-Anhalt , Land de 2,3 millions d'habitants, 11 % des électeurs doivent apporter leur soutien à l'initiative citoyenne pour que la proposition de loi soit examinée, puis éventuellement soumise à référendum. La décision est emportée par une majorité représentant au moins 25 % des électeurs. Toutefois, cette règle de quorum ne s'applique pas pour valider par référendum une éventuelle proposition de loi alternative soumise au vote par le Parlement régional parallèlement à la proposition d'initiative citoyenne. 99 ( * )

En Espagne , au niveau national, l'article 87 de la Constitution de 1978 attribue l'initiative législative au Gouvernement, au Congrès des députés et au Sénat (al. 1). Les assemblées délibérantes des Communautés autonomes peuvent solliciter du Gouvernement l'adoption d'un projet de loi ou soumettre une proposition de loi au Bureau du Congrès des députés, en délégant auprès de la chambre au plus trois membres de l'assemblée délibérante pour défendre le texte (al. 2). Enfin, l'initiative populaire tendant à la présentation de propositions de loi est acceptée dans les limites fixées par la loi organique. 100 ( * ) Dans tous les cas, il est requis au moins 500 000 signatures valides et l'initiative populaire ne peut intervenir dans le domaine de la loi organique, de la loi de finances et des conventions internationales. Elle ne peut non plus concerner le droit de grâce (al. 3).

Parallèlement, il n'est prévu de référendum national 101 ( * ) que dans deux cas :

- une consultation citoyenne ( referéndum consultivo ) sur une décision politique d'une importance toute particulière, convoquée par le Roi, sur proposition du Président du Conseil autorisée par le Congrès des députés (art. 92) ;

- la ratification par la population d'une révision de la Constitution adoptée par le Congrès des députés et par le Sénat, si 10 % des membres d'une des deux chambres le demandent dans les 15 jours suivant l'adoption parlementaire du texte (art. 167).

L'initiative populaire et l'organisation du référendum sont donc découplées en Espagne sans possibilité d'organiser un RIP au niveau national. Le texte constitutionnel attribue d'ailleurs explicitement à l'État la compétence exclusive pour autoriser la convocation d'un référendum (art. 149, al. 1, 32°).

Toutefois , le caractère régionalisé de l'État espagnol dont les Autonomies disposent de très vastes prérogatives, y compris législatives, ouvrent comme en Allemagne des possibilités au niveau régional.

Le droit à la participation politique est inscrit dans les divers Statuts des Communautés autonomes et comprend le droit de pétition, l'initiative législative auprès du Parlement régional, et pour les textes les plus récents, la possibilité pour les citoyens de demander la convocation d'une consultation populaire régionale . Cette dernière possibilité est ouverte dans les Statuts de la Catalogne (art. 29), de l'Andalousie (art. 30), des Îles Baléares (art. 15) ou de Castilla y León (art. 11). Elle n'est pas mentionnée en revanche dans les nouveaux statuts d'Aragon, de la Communauté valencienne et d'Estrémadure. Dans beaucoup de Communautés autonomes, les exécutifs régionaux peuvent convoquer des consultations populaires.

Ces « référendums » 102 ( * ) visent à laisser la population manifester son opinion sur une question de politique publique donnée. À la différence du modèle allemand, ils ne sont pas utilisés comme de véritables RIP régionaux pour contourner le rejet par le parlement régional d'une proposition de loi soumise par les citoyens.


* 85 C'est ainsi qu'a été créé le Land du Bade-Wurtemberg en 1951.

* 86 Par exemple, une initiative populaire a été déclarée nulle en 2016 par la Cour constitutionnelle bavaroise sans possibilité de convoquer un référendum local, car elle entendait promouvoir la légalisation du cannabis en Bavière alors que la législation fédérale en matière de droit pénal et de régulation des médicaments et stupéfiants bloquait l'exercice du pouvoir législatif concurrent de l'État libre de Bavière (BayVerfGH, Bay VB1 2016, 337).

* 87 C. Degenhart, Staatsrecht I - Staatsorganisationsrecht, C.F. Müller, 2017, pp. 52-53.

* 88 HambVerfG DVB1 2006, 631.

* 89 Bay VerfGH Bay VB1 2013, 170.

* 90 Sur la constitution du Land. La Sarre exclut explicitement les révisions constitutionnelles du champ de l'initiative populaire.

* 91 Art. 114 RhPfVerf

* 92 C. Degenhart, Staatsrecht I - Staatsorganisationsrecht, C.F. Müller, 2017, pp. 101-104.

* 93 On notera que le quorum est rarement exprimé directement comme un quorum de participation.

* 94 Art. 59 BWVerf

* 95 Art. 48 NdsVerf

* 96 Art. 72,74&75 BayVerf

* 97 Art. 77-78 BbgVerf

* 98 Art. 35 & 68 NRWVerf

* 99 Art. 81 SAHVerf

* 100 Ley Orgánica 3/1984, de 26 de marzo, reguladora de la iniciativa legislativa popular.

* 101 Diverses dispositions prévoient l'approbation par référendum local des Statuts des Communautés autonomes ou de leur révision.

* 102 Le terme de « référendum » qui peut dénoter une implication directe des électeurs dans l'adoption d'un texte normatif est parfois évité dans les Statuts d'autonomies précisément pour éviter d'entrer en conflit avec la compétence exclusive de l'État espagnol garantie par la Constitution ou d'être obligé de demander l'autorisation à l'État de l'organiser. C'est sur ce type de questions aussi que le débat catalan s'est envenimé dès 2010-2011 après des censures et des interprétations restrictives par le Tribunal Constitutionnel des lois catalanes sur les consultations populaires (notamment STC 31/2010 sur le Statut d'autonomie de la Catalogne qui prévoyait une extension inconstitutionnelle des compétences de la communauté autonome, décision dans la lignée de STC 103/2008 sur la censure de la loi basque qui prétendait organiser un référendum sur des négociations pour la paix et la normalisation politique avec ETA). Cf. Esther Marti'n Nu'n~ez, “El refere'ndum y las consultas populares en las comunidades auto'nomas y municipios”, Revista Vasca de Administracio'n Pu'blica. Herri-Arduralaritzako Euskal Aldizkaria, n. 94, 2012, pp. 95-131.

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