II. DES SOLUTIONS LIMITATIVES EXPÉRIMENTÉES EN EUROPE

1. La restriction à la seule abrogation en Italie dans l'attente de la réforme du nouveau gouvernement

En Italie , le RIP existe mais uniquement à des fins abrogatives. Aux termes de l'article 75 de la Constitution italienne de 1947, un référendum populaire peut conduire à l'abrogation totale ou partielle d'une lo i ou d'un acte ayant force de loi. Il est organisé à la demande de 500 000 électeurs 78 ( * ) ou de 5 conseils régionaux .

Un quorum de participation est fixé à 50 % mais aucune majorité qualifiée n'est exigée. L'abrogation survient donc si la majorité des électeurs inscrits a participé au scrutin et si la majorité simple des suffrages exprimés s'est prononcée en sa faveur.

La loi constitutionnelle n° 1 du 11 mars 1953 et la loi n° 352 du 25 mai 1970, dont le titre II organise le référendum abrogatif ont institué un double contrôle juridictionnel :

- le Bureau central pour le référendum 79 ( * ) près la Cour de cassation et composé de l'ensemble des présidents de sections, vérifie la régularité des demandes de référendum à la loi ;

- la Cour constitutionnelle juge leur recevabilité au regard des dispositions de l'article 75 de la Constitution.

Le référendum ne peut abroger ni des normes infralégislatives, ni des lois régionales émanant du pouvoir législatif concurrent des régions italiennes. Seules les lois nationales et les actes équivalents sont visés. En outre, il ne peut abroger les lois fiscales ou budgétaires, d'amnistie ou de remise de peine, ni celles autorisant la ratification de traités internationaux (art. 75 al. 2). Au-delà de ces limites constitutionnelles explicites, la Cour constitutionnelle italienne a été amenée à préciser des limites implicites 80 ( * ) qu'elle déduit pour donner une interprétation systématique et cohérente de la Constitution. Ne peuvent ainsi faire l'objet d'un référendum abrogatif :

- la Constitution et les lois constitutionnelles, dès lors que l'art. 138 définit une procédure spécifique de révision, qui fait systématiquement intervenir le Parlement ;

- les lois constitutionnellement nécessaires qui sont indispensables pour assurer le fonctionnement et la continuité des organes constitutionnels de la République. Ces lois pourraient être modifiées et leurs dispositions remplacées mais non simplement abrogées. Leur contenu est à la discrétion du législateur mais non leur existence (Corte Cost, sent. 12/2014). En particulier, les lois électorales ne peuvent faire l'objet d'une abrogation totale ;

- les lois ordinaires à contenu constitutionnellement lié, c'est-à-dire les lois dont les dispositions ne peuvent être altérées ou privées d'effet sans que par ricochet ne soit privées d'efficacité des normes constitutionnelles. Cela a pu être le cas pour une loi qui se répercutait sur l'art. 52 Cost. sur le service militaire ;

- les lois ordinaires à contenu lié par le droit communautaire selon la même logique ;

- les lois dites «  renforcées » insusceptibles d'être abrogées de façon valide par des lois ordinaires. Dans cette catégorie figurent notamment les lois d'application du Concordat avec l'Église catholique et les lois de ratification des conventions conclues avec les autres confessions religieuses. 81 ( * )

La Cour constitutionnelle a également précisé des critères formels de recevabilité. La question posée au referendum doit être :

- homogène, ce qui exclut les demandes d'abrogation portant sur plusieurs normes non reliées entre elles ;

- formulées en termes clairs et simples faisant référence à des problèmes bien définis ;

- univoque et complète pour qu'il n'ait pas de doute sur la portée du vote d'abrogation.

La demande de référendum abrogatif ne peut être déposée ni dans les six mois précédant les élections pour l'élection d'une des chambres du Parlement, ni dans les douze mois avant l'expiration des pouvoirs de celle-ci.

La procédure de référendum abrogatif sur initiative populaire est fixée par la loi n° 352/1970 précitée. Les promoteurs de l'initiative populaire doivent constituer un groupe d'au moins 10 personnes et se présenter munis de leur certificat d'inscription sur les listes électorales à la Chancellerie de la Cour de Cassation. Ils indiquent la loi ou les articles qu'ils visent par leur requête. La Chancellerie de la Cour de Cassation l'enregistre et la publie au Journal Officiel.

Ensuite s'ouvre la période de récolte des 500 000 signatures nécessaires, qui commence par la procédure de visa ( vidimazione ) des feuillets sur lesquels seront apposées les signatures auprès des secrétariats de mairie et des tribunaux. Dans les trois mois suivant la présentation de la requête, les signatures doivent être recueillies et authentifiées par un notaire, un juge de paix, un maire, un président de province ou les fonctionnaires de justice ou des communes habilités à le faire.

Avant le 30 septembre de chaque année, la requête de referendum accompagnée des certificats électoraux des signataires doit être déposée devant le Bureau central pour le référendum, qui rend au plus tard en décembre une ordonnance définitive sur la régularité de toutes les requêtes. Puis, la Cour constitutionnelle procède à un contrôle préventif et rend sa décision en février de l'année suivante.

Les requêtes admises donnent lieu à une délibération du Conseil des ministres et à la convocation des électeurs par le Président de la République à un scrutin pour le printemps. La dissolution de la Chambre des députés entraîne la suspension du processus pour un an.

Si le résultat du référendum est positif alors un décret du Président de la République procède à l'abrogation qui prend effet le lendemain de la publication au Journal Officiel. Par délibération du Conseil des Ministres, il est possible de retarder de 60 jours l'entrée en vigueur de l'abrogation pour laisser le temps au Parlement de remplacer éventuellement les dispositions abrogées ou de prendre des mesures de coordination nécessaires. En cas d'échec du référendum, un délai de carence de cinq ans bloque une seconde initiative sur le même sujet.

La dernière vague majeure de référendums abrogatifs date du scrutin du 12 juin 2011 avec l'approbation à des majorités d'environ 95 % des suffrages pour une participation de près de 55 % de quatre abrogations sur l'attribution et la gestion de services publics locaux à caractère économique, sur la tarification du service hydrique, sur l'interdiction de production d'énergie électrique nucléaire et sur la comparution des ministres en audience pénale.

Par ailleurs, il convient de relever que la Constitution italienne accorde un droit d'initiative législative aux citoyens (art. 71 al. 2). Un projet de loi peut être déposé devant les chambres par 50 000 électeurs inscrits sur les listes. Les conditions d'exercice du droit d'initiative sont précisées par les articles 48 et 49 de la loi n° 352/1970 précitée. La vérification des signatures suit les mêmes règles qu'en matière de référendum abrogatif. Le projet de loi doit être intégralement rédigé et structuré en articles et accompagné d'un exposé de ses motifs.

Toutefois, il n'existe aucune obligation pour les chambres de débattre du texte et il n'existe aujourd'hui aucune possibilité de surmonter l'indifférence ou le rejet de la part du Parlement en recourant à un référendum pour adopter positivement le projet de loi. En ce sens, il n'existe pas de RIP constructif à côté du RIP abrogatif en Italie.

Les propositions d'élargissement du RIP en Italie

Deux propositions de loi constitutionnelles (Ceccanti ed altri - Partito Democratico & D'Uva ed altri - Movimento 5 Stelle ) ont été déposées en 2018. Elles visent précisément selon des modalités différentes à créer un RIP constructif en provoquant la convocation d'un référendum sur un projet de loi d'initiative populaire si dans les 18 mois suivant le dépôt le texte n'a pas été approuvé ou a été substantiellement modifié par le Parlement. Ce dispositif est considéré comme une « procédure renforcée » d'examen des initiatives législatives populaires.

Les différences entre les deux propositions de loi sont nettes. Celle du M5S est beaucoup plus radicale. Elle a désormais été reprise dans un projet de loi constitutionnelle du gouvernement Ligue-M5S qui prévoit :

- de garder le seuil de 50 000 signatures pour le dépôt d'une initiative législative ;

- d'autoriser les promoteurs dès le recueil de 100 000 signatures à saisir la Cour constitutionnelle pour juger de l'admissibilité de l'initiative populaire (contrôle du respect des principes et droit fondamentaux et des engagements internationaux) ;

- d'autoriser le lancement de la procédure renforcée avec référendum en cas de désaccord avec le Parlement dès que la proposition de loi reçoit 500 000 signatures , seuil de déclenchement des référendums abrogatifs ;

- de ne pas définir de limites aux matières soumises à référendum , à la différence du référendum abrogatif aujourd'hui. Cela veut dit que les initiatives populaires pourraient intervenir en matière pénale, fiscale et budgétaire, de droits des minorités, etc. Seules les révisions constitutionnelles seraient exclues du champ.

D'après l'intervention du ministre des relations avec le Parlement et pour la démocratie directe devant les commissions réunis de la Chambre et du Sénat, en cas de vote d'un projet de loi amendé par le Parlement qui ne satisferait pas les promoteurs de l'initiative populaire, seraient soumis à référendum le texte initial et la contre-proposition du Parlement pour laisser les électeurs trancher.

Surtout, le projet de loi comme la proposition de loi du M5S originelle ne prévoit aucun quorum de participation et aucune majorité qualifiée pour valider le résultat. Dans le cas du référendum abrogatif aujourd'hui, le quorum de participation est fixé à 50 %.

2. Les filtres parlementaire et présidentiel au Portugal

Au Portugal , la Constitution de 1976 ouvre la possibilité de référendums législatifs d'initiative citoyenne avec un double filtre parlementaire et présidentiel. Aux termes de l'article 115, le Président de la République peut convoquer un référendum national sur proposition de l'Assemblée de la République, chambre unique du Parlement, du Gouvernement ou sur pétition d'un groupe de citoyens adressée à l'Assemblée. La décision de recourir au référendum relève des pouvoirs propres du Président de la République .

La loi organique n° 15-A du 3 avril 1998 82 ( * ) fixe le régime du référendum. Il ne peut avoir pour objet que des questions présentant un important intérêt national qui doivent être décidées par l'Assemblée ou par le Gouvernement par le biais de l'approbation d'une convention internationale ou d'un acte législatif. Ne peuvent faire l'objet d'un référendum :

- les modifications de la Constitution ;

- les questions et les actes budgétaires, fiscaux ou financiers ;

- la liste des compétences de l'Assemblée de la République fixée par l'article 161 de la Constitution, à l'exception de celles ayant trait à une convention internationale qui ne concernent pas une rectification de frontière ;

- les compétences du Gouvernement fixées par l'article 164 de la Constitution, à l'exception de celles ayant trait aux bases du système éducatif.

Les conventions internationales ou des actes législatifs en cours de discussion et d'approbation peuvent faire l'objet d'un référendum, l'examen de ces actes étant interrompu jusqu'à la votation.

Résultant d'au moins 75 000 électeurs, l'initiative populaire est adressée à l'Assemblée de la République , examinée par la commission compétente qui établit le texte d'un projet de résolution soumis ensuite au vote de l'Assemblée . Les questions posées doivent être formulées avec objectivité, avec clarté et avec précision. Elles doivent être susceptibles d'une réponse par oui ou par non.

La résolution est adressée au Président de la République, qui n'est pas contraint de lui donner une suite favorable mais qui doit soumettre la proposition de référendum au contrôle préalable de la Cour constitutionnelle. Dans les 20 jours suivant la publication de la décision de la Cour, en cas de validation de la proposition, le Président de la République prend une décision sur la convocation ou non du référendum. Les propositions de référendum rejetées par le Président de la République ou faisant l'objet d'un vote négatif de l'Assemblée ne peuvent être redéposées durant la même législature.

La convocation d'un référendum est interdite entre la date de convocation et la tenue des élections nationales, locales et européennes. Elle l'est également pendant l'état de siège ou l'état d'urgence.

Le référendum n'a d'effet contraignant que lorsque le nombre de votants est supérieur à la moitié des électeurs inscrits, soit un quorum de participation de 50 % . Le résultat est acquis la majorité simple. L'Assemblée de la République dispose alors de 90 jours et le Gouvernement de 30 jours pour approuver l'acte correspondant au résultat du référendum. Le Président de la République est tenu de promulguer l'acte.

Ni l'Assemblée de la République ni le Gouvernement ne peuvent adopter une convention ou une loi après que le référendum a eu une issue négative, sauf nouvelle élection de l'Assemblée ou nouveau référendum ayant donné lieu à une réponse affirmative.

Depuis 1976, seuls l'avortement par deux fois et la régionalisation ont fait l'objet d'un référendum. Aucun référendum d'initiative populaire n'a jamais été convoqué au Portugal malgré la possibilité offerte par la Constitution .

3. L'installation avortée des référendums consultatifs aux Pays-Bas

Aux Pays-Bas , le gouvernement Rutte III a fait procéder en décembre 2017 à l'abrogation de la loi de 2014 sur le référendum consultatif 83 ( * ) conformément à l'Accord de gouvernance conclu entre les partis de la coalition. Cette loi n'est plus en vigueur depuis juillet 2018. Avorte ainsi l'essai de pérenniser la pratique du référendum, qui n'est pas prévue par la Constitution néerlandaise et reste un sujet de débat politique constant. Le référendum sur la Constitution européenne de 2005 avait nécessité l'adoption d'une loi spéciale.

Sous l'empire de la loi de 2014, pouvait être organisée une consultation populaire sur requête signée par 300 000 électeurs soit environ 2,3 % du corps électoral. Ce référendum correctif ne pouvait porter que sur les lois adoptées il y a moins de 6 mois et sur la ratification de traités internationaux. Avec une participation supérieure à 30 % et un vote à la majorité simple contre la loi ou le traité, le texte devait être retiré et réexaminé. 84 ( * ) C'est ce qui s'était passé en 2016 avec le rejet de l'Accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne. Finalement, l'accord fut néanmoins ratifié en 2017 après quelques clarifications obtenues par le gouvernement néerlandais, sans organiser de second référendum. La loi de 2014 organisait une forme de véto populaire suspensif.


* 78 Sont visés les titulaires du droit de vote pour les élections à la Chambre des députés.

* 79 Ufficio centrale per il referendum

* 80 Les décisions fondamentales de la Cour constitutionnelle italienne en matière de recevabilité des demandes de référendum abrogatif sont les sentences n°16/1978, n° 25/1981 et n° 29/1987.

* 81 Iniziativa legislativa popolare e referendum, Dossier Senato-Camera, A.C. 723 e A.C. 1173, 16 octobre 2018, pp. 32-35.

* 82 Lei Orgânica do Regime do Referendo - lei 15-A/98 - 3 Abril, com as alterações introduzidas pela Lei Orgânica 4/2005, 8 setembro.

* 83 Wet van 30 september 2014, houdende regels inzake het raadgevend referendum (Wet raadgevend referendum). Adoptée sous l'égide du gouvernement Rutte II mais avec une autre coalition dont faisaient partie les sociaux-démocrates du PvdA.

* 84 Cf. l'étude de législation comparée n° 274 de novembre 2016 :

http://www.senat.fr/lc/lc274/lc2744.html#toc120

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