TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. JEAN-MARIE SPAETH

Réunie le mercredi 15 octobre 2003, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur le projet de loi n° 4 (2003-2004) relatif aux responsabilités locales .

A titre liminaire, M. Jean-Marie Spaeth a précisé qu'il ne pourrait pas exposer la position exprimée par le conseil d'administration de la CNAMTS sur ce projet gouvernemental, pour la bonne raison qu'il n'en avait pas été saisi alors même qu'il est censé l'être de tout projet de loi ayant des conséquences financières sur l'assurance maladie ou entrant simplement dans le champ de compétences de l'assurance maladie. Il a indiqué qu'il ne voyait là qu'un oubli, et non l'intention manifeste, de laisser le conseil d'administration de la CNAMTS à l'écart du débat.

Il a toutefois estimé que cet oubli révélait, à tout le moins, un dysfonctionnement de plus en plus apparent, et auquel les parlementaires doivent être particulièrement sensibles, tenant à la multiplication de projets de textes législatifs, qui traitent tous, peu ou prou, de santé et d'assurance maladie, sans recherche de cohérence entre eux. Il s'agit notamment de la loi sur la santé publique et de la loi sur le financement de la sécurité sociale, mais aussi du projet de loi de finances et de la promulgation des ordonnances que le Gouvernement a été autorisé à prendre et qui, sous couvert de simplifications administratives, ont des conséquences directes et non négligeables sur le système de santé.

Il résulte de ces « petites touches », opérées sans vision d'ensemble, des équilibres de pouvoir modifiés, des organisations déstabilisées, sans que soit garantie la reconstruction d'un système plus stable et plus performant. La chose est d'ailleurs logique puisque le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, à qui il revient de définir justement ces voies d'avenir, vient à peine d'engager ses travaux.

M. Jean-Marie Spaeth a expliqué que sa lecture du projet de loi sur les responsabilités locales se faisait à l'aune de ce souci de recherche de cohérence, sans obérer le sens des réformes nécessaires attendues pour l'automne 2004. Or, a-t-il estimé, les articles du projet de loi qui traitent de l'action sociale et de la santé ne résistent pas à cette grille de lecture et introduisent de la complexité dans un système qui aspire, tout au contraire, à une clarification des rôles.

Il a souligné que, selon lui, un consensus est désormais largement établi : celui qui reconnaît à l'Etat et donc au pouvoir politique - ou à l'exécutif qui en est issu - une complète légitimité à fixer les orientations politiques et les priorités en matière de santé, ainsi que le cadre macro-économique, et donc les grands équilibres économiques qui correspondent. Il y voit d'ailleurs l'un des mérites de la réforme de 1996, qui a restauré le rôle du politique en matière de santé et de sécurité sociale et a permis la reconnaissance, par tous, de cette fonction régalienne.

La question qui se pose aujourd'hui à tous ceux qui réfléchissent à l'avenir de l'assurance maladie porte donc plutôt sur le choix de l'opérateur, c'est-à-dire sur le point de savoir qui est chargé de la mise en oeuvre de ces orientations politiques. A son sens, cet opérateur ne doit pas être l'Etat. L'expérience dans différents domaines montre que, lorsque les fonctions de stratège et celles d'opérateur sont réunies entre les mêmes mains, ce sont le plus souvent les premières qui en pâtissent, tandis que si l'opérateur est distinct de celui qui arrête les grandes orientations, chacun y gagne en force et donc en capacité d'action.

Or, a-t-il fait observer, le projet de loi relatif aux responsabilités locales propose une confusion des rôles, sous couvert d'implication accrue des instances politiques régionales. M. Jean-Marie Spaeth n'a pas réfuté la nécessité d'impliquer davantage le niveau régional sur les questions de santé, qui constitue un niveau pertinent, comme le montre l'organisation interne de l'assurance maladie et les relations conventionnelles de la CNAMTS avec les professionnels de santé. Mais il a critiqué notamment l'article 54 du texte, qui prévoit, moyennant un investissement sanitaire - dont la nature n'est d'ailleurs pas précisée - que le conseil régional acquière un tiers des voix au sein de la commission exécutive des agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Or, cette commission a clairement une fonction d'opérateur, de gestionnaire, au travers notamment des contrats qu'elle conclut avec les établissements hospitaliers et ce n'est pas, à son avis, le rôle du pouvoir politique que d'agir en son sein.

M. Jean-Marie Spaeth a ajouté que l'assurance maladie, qui assure l'essentiel du financement de l'hôpital, comprendrait mal de se voir reléguée à ne plus y détenir qu'un tiers des voix, c'est-à-dire autant que les conseils régionaux auxquels il suffit, pour acquérir ce droit, de faire un investissement sanitaire de quelque niveau qu'il soit. L'adage bien connu selon lequel « celui qui paie, commande » s'en trouverait pour le moins contredit.

Il a souhaité vivement que la région, dans le cadre des priorités nationales de santé publique, puisse veiller à la prise en compte des spécificités régionales dans la mise en oeuvre de ces priorités ou dans l'expression de problèmes particuliers de santé publique. Mais ce travail régional doit rester cohérent avec la politique nationale, ce que ne garantit pas, lui semble-t-il, l'article 55 du projet qui autoriserait les conseils régionaux à définir des objectifs régionaux de santé publique. En revanche, les contrats de plan avec l'Etat lui paraissent être un support pertinent pour porter ces volets santé.

M. Jean-Marie Spaeth a ensuite abordé la question de la formation des personnels paramédicaux, financée, pour une large part, par l'assurance maladie au travers de la dotation globale versée aux hôpitaux, comme l'est la formation des médecins au travers de la dotation globale des centres hospitaliers universitaires (CHU). Il a rappelé que l'assurance maladie prône depuis plusieurs années une clarification de ces financements, afin d'isoler ce qui relève de la formation ou de la recherche, par exemple, et justifie des financements globalisés, de ce qui relève de l'activité de soins et qui justifie un financement à l'activité. Cette proposition, qui figurait dans le plan stratégique de la CNAMTS en 1999, va trouver prochainement son application. Mais, pour l'instant, et c'est inhérent à la nature même de la dotation globale, il n'est pas possible d'isoler les sommes finançant la seule formation.

En revanche, il a signalé que le fonds de modernisation des établissements de santé avait prévu, en 2002, un montant de 15,2 millions d'euros pour les opérations d'investissement et de fonctionnement des instituts de formation en soins infirmiers. Ce fonds est alimenté par une dotation de l'assurance maladie, dont le montant est fixé par un décret et un arrêté, et la caisse des dépôts et consignations en assure la gestion et verse les sommes aux établissements.

M. Jean-Marie Spaeth a souligné que le transfert organisé à l'article 58 du projet de loi n'avait pas été discuté avec l'assurance maladie et qu'il était difficile, dans ces conditions, d'élaborer en amont les conditions de son éventuelle application. Il a rappelé que la mise en oeuvre progressive de la tarification à l'activité dans les établissements, prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, envisage que les établissements de santé percevront, en plus du tarif à l'activité, une dotation destinée à couvrir les activités qui ne sont pas à proprement parler des soins, parmi lesquelles figure l'enseignement. A la lecture de ces deux projets, on mesure combien la clarification des rôles et des financements est, là encore, loin d'être achevée.

Enfin M. Jean-Marie Spaeth a attiré l'attention de la commission sur l'article 40 qui traite du secteur médico-social et transfère au département la responsabilité de l'élaboration du schéma départemental fondant les autorisations pour les établissements de personnes âgées et handicapées. Il a rappelé que ces établissements sont, pour une large part, financés par l'assurance maladie dans le cadre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM). La CNAMTS ayant décidé de rendre compte, chaque année, de l'exécution de cet ONDAM, elle ne voudrait pas que la tâche de l'assurance maladie se limite à enregistrer les dépenses médico-sociales autorisées par d'autres sans avoir, à aucun moment, les moyens de peser sur un certain nombre de choix, et d'apporter son expertise dans ce domaine.

Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis , a remercié M. Jean-Marie Spaeth d'avoir éclairé son jugement sur la participation des conseils régionaux à la commission exécutive des ARH et sur les conditions dans lesquelles la compensation financière doit accompagner le transfert de la formation des auxiliaires médicaux de l'Etat vers les régions. Elle a souhaité connaître son opinion sur une éventuelle nouvelle répartition des compétences en matière de gestion des enveloppes « dépendance », « hébergement » et « soins », destinées aux établissements sociaux, notamment dans l'hypothèse d'un transfert des compétences, actuellement gérées par l'Etat, vers les conseils généraux.

M. Jean-Marie Spaeth a plaidé pour une solution intermédiaire, qui s'organiserait autour d'une convention réunissant l'assurance maladie et les conseils généraux, convention susceptible d'éviter d'éventuelles disparités de traitements et qui permettrait de maintenir une distinction claire entre les dépenses relevant de l'hébergement et celles relevant des soins.

M. Nicolas About, président , a souligné que, dans certaines situations, notamment pour les personnes âgées ou handicapées qui souhaitaient demeurer à leur domicile, les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) n'étaient parfois pas suffisamment à l'écoute des assurés sociaux, quand elles ne multipliaient pas des tracasseries administratives particulièrement incompréhensibles par des personnes fragiles.

M. Jean-Marie Spaeth a reconnu que les CPAM n'étaient pas exemptes de reproches, mais il a indiqué que des efforts étaient entrepris pour améliorer la prise en charge des assurés sociaux. Il a précisé qu'un mouvement important de réaffectation des ressources était en cours, visant à réorienter progressivement les tâches liées à la liquidation des dossiers vers des activités de proximité, au service des assurés.

M. Guy Fischer a souligné l'ampleur du projet de loi présenté et a estimé que la modification de son intitulé, « responsabilités locales » plutôt que « décentralisation », était le signe de sa complexité. Il a interrogé M. Jean-Marie Spaeth sur le rôle que l'assurance maladie serait amenée à tenir au regard des dispositions qu'il présente.

M. Jean-Marie Spaeth a rappelé que le plan stratégique élaboré en 1999 par la CNAMTS posait des questions du même ordre, en insistant sur la dimension territoriale de la santé et sur le fait que la politique sanitaire allait au-delà du rôle qu'elle assume.

M. Jean-Pierre Godefroy a fait part de ses interrogations sur les dispositions insérées dans les articles 53, 54, 55 et 58 du projet de loi qui lui semblent incomplètes. Il a particulièrement mis en exergue l'imprécision de l'article 54 au regard des dispositions contenues dans la loi n° 2003-704 du 1 er août 2003 relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales.

M. André Lardeux s'est déclaré favorable au principe d'une convention entre les conseils généraux et les CPAM. Il a souligné qu'une réorganisation institutionnelle de l'assurance maladie, notamment la création d'une seule caisse par département, constituerait un élément de simplification appréciable dans les relations entre les départements et la CNAMTS.

Il a, par ailleurs, indiqué qu'il soutenait les mesures de recentralisation des politiques sanitaires, aujourd'hui confiées au département, prévues par l'article 56 du projet de loi.

M. Jean-Marie Spaeth a précisé que la décision de fusion des CPAM ne relevait pas de la CNAMTS mais d'un arrêté ministériel. Il a d'ailleurs estimé que la restructuration des CPAM devait permettre aux agences locales de proximité de jouer un rôle de guichet unique pour les assurés et les professionnels. Il a également indiqué que l'assurance maladie souhaitait mettre en place des procédures transversales afin de favoriser la collaboration entre les départements et les régions, notamment sur les affaires contentieuses.

Répondant à une question de M. Nicolas About, président , concernant les disparités locales dans les capacités de dépistage du cancer du sein, M. Jean-Marie Spaeth a rappelé qu'en 2001, l'assurance maladie s'était très logiquement déclarée volontaire pour prendre en charge les dépenses afférentes et que cette solution n'avait pas été retenue par les pouvoirs publics.

Prenant l'exemple des transports sanitaires et de la situation des infirmières dans les zones transfrontalières, M. Louis Souvet s'est interrogé sur la manière dont les accords conventionnels nationaux, ou les dispositions du projet de loi, étaient susceptibles d'être adaptés afin de tenir compte des spécificités locales.

M. Jean-Marie Spaeth a précisé que les accords nationaux avaient vocation à fixer des dispositions-cadres susceptibles d'être aménagées en fonction des spécificités locales.

Il s'est déclaré favorable à la mise en place de dispositifs susceptibles de lier les infirmières à la région où elles ont reçu leur formation, mais a attiré l'attention des parlementaires sur la nécessité de respecter le caractère libéral que pouvait également prendre la profession.

M. Bernard Cazeau a estimé que les articles 39 et 46 du projet de loi consacraient la fin du copilotage en matière d'action sociale et a attiré l'attention de M. Jean-Marie Spaeth sur l'importance croissante des lits médicalisés au sein des maisons de retraite.

Il a également souligné les difficultés qui pouvaient naître, dans la gestion des soins infirmiers à domicile (SIAD), pour les directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS).

M. Jean-Marie Spaeth s'est déclaré conscient des difficultés rencontrées par les établissements médicalisés. Il a estimé qu'une solution partielle pouvait résider dans le basculement d'un système fondé sur le paiement à l'acte vers un système de forfait. Il a indiqué que des discussions étaient en cours avec les médecins et les infirmières pour les soins de fin de vie, et avec les masseurs kinésithérapeutes sur la rééducation. Il a précisé, toutefois, que cette rémunération fixe ne devait en aucun cas être considérée comme une remise en cause du paiement à l'acte.

M. Jean Chérioux a rappelé que la maîtrise des dépenses de santé passait impérativement par une maîtrise de l'investissement et a indiqué que le législateur devait prendre garde au développement d'éventuelles inégalités territoriales. Il a rappelé le rôle déterminant joué par les départements dans la prise en charge des personnes dépendantes.

M. Paul Blanc a rappelé l'attachement qu'il porte à la distinction à opérer entre le handicap et la dépendance.

Il a souligné, d'une part, la nécessité de responsabiliser les assurés sociaux, et a exprimé, d'autre part, des réserves sur l'opportunité d'une tarification au forfait au sein des établissements médicalisés, compte tenu du coût très variable des médicaments, notamment en raison de leur degré d'innovation.

En réponse à cette dernière intervention et pour lever toute ambiguïté, M. Jean-Marie Spaeth a précisé qu'il avait bien soutenu l'idée d'un forfait lié à la pathologie, et non pas celle d'un forfait unique calculé par personne.

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