II. LES ÉVOLUTIONS DE CHAQUE COLLECTIVITÉ

Une mission de votre commission des Lois s'est rendue en Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna du 9 au 20 septembre dernier. Un rapport d'information spécifique rendra compte des travaux et réflexions de cette mission. L'actualité institutionnelle de ces deux collectivités fera, en conséquence, l'objet d'une analyse plus succincte dans le cadre du présent rapport.

A. LA NOUVELLE-CALÉDONIE : L'INDISPENSABLE RÉÉQUILIBRAGE ÉCONOMIQUE

Principale mesure budgétaire prévue pour 2004

Crédits supplémentaires (2 millions d'euros) pour prendre en compte
le transfert de nouvelles compétences à la Nouvelle-Calédonie

1. Un consensus politique autour des institutions issues de l'accord de Nouméa

Les institutions de Nouvelle-Calédonie sont pour une large part le fruit de l'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 et approuvé le 8 novembre 1998 par la population consultée par référendum. L'accord définit pour une période comprise entre quinze et vingt ans l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et la voie du rééquilibrage économique et social. Sa mise en oeuvre a requis une révision constitutionnelle (loi constitutionnelle du 20 juillet 1998) et l'adoption d'une loi organique et d'une loi simple datées du 19 mars 1999.

L'architecture institutionnelle s'organise autour de trois pivots principaux : le Congrès, le gouvernement et les provinces.

Mis en place en mai 1999, le Congrès comprend 54 membres issus des trois assemblées de province, élus pour cinq ans au suffrage universel direct.

Il est actuellement dominé par une majorité composée du Rassemblement (24 sièges) et de la Fédération des comités de coordination des indépendantistes -FCCIS- (4 sièges), l'opposition indépendantiste se partageant les 26 sièges restants dont 18 sièges pour le FLNKS-Front de libération nationale kanak et socialiste.

Le Congrès, aujourd'hui présidé par notre collègue, M. Simon Loueckhote, est l'assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie : il adopte le budget de la collectivité ainsi que des délibérations et des « lois du pays ».

Les lois du pays, véritable novation en droit français, peuvent intervenir dans une douzaine de matières (principes fondamentaux du droit du travail, règles concernant le nickel...). Adoptées après avis du Conseil d'Etat, elles peuvent donner lieu dans un délai de quinze jours, notamment à la demande du Haut commissaire, à une deuxième délibération. Celle-ci conditionne une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer dans un délai de trois mois. Au terme de cette procédure, elles sont promulguées par le Haut commissaire : elles acquièrent une valeur législative et ne peuvent être contestées devant les tribunaux administratifs.

Le Congrès a adopté, à ce jour, vingt-neuf lois du pays (une seule, la loi du pays relative à l'institution d'une taxe générale sur les services, a été, à l'initiative du président de la province des îles Loyauté, M. Robert Xowié, déférée au Conseil constitutionnel qui l'a validée).

Bilan des lois du pays adoptées depuis décembre 2002

- Loi du pays n° 2002-22 du 30 décembre 2002 relative aux modalités d'imposition des indemnités de fonction des élus municipaux.

- Loi du pays n° 2002-23 du 30 décembre 2002 relative à la taxe communale sur l'électricité et à la taxe sur l'électricité due par les distributeurs publics d'énergie électrique.

- Loi du pays n° 2002-24 du 30 décembre 2002 relative à l'exonération des primes et intérêts versés dans le cadre des comptes d'épargne logement.

- Loi du pays n° 2003-1 du 29 janvier 2003 portant diverses dispositions d'ordre fiscal en matière de fiscalité des entreprises.

- Loi du pays n° 2003-2 du 29 janvier 2003 instituant une taxe sur les conventions d'assurances affectée à l'agence pour la prévention et l'indemnisation des calamités agricoles ou naturelles.

- Loi du pays n° 2003-3 du 27 mars 2003 instituant une taxe de soutien aux actions de lutte contre les pollutions.

- Loi du pays n° 2003-4 du 23 avril 2003 relative à la taxe provinciale sur les communications téléphoniques.

L'exécutif de la Nouvelle-Calédonie est confié à un gouvernement , collège de cinq à onze membres, élu à la proportionnelle par le Congrès.

Le gouvernement actuel, le troisième depuis la mise en place des nouvelles institutions, a été élu le 28 novembre 2002 à la suite de la démission d'office consécutive à la démission de M. Gérard Cortot, membre du groupe de l'Union calédonienne et de ses suivants de liste. Il comprend actuellement dix membres au lieu de onze dans le gouvernement précédent (six Rassemblement, un FCCI pour la majorité ; pour l'opposition : trois membres indépendantistes - un Palika, un FLNKS et un Union calédonienne). Ces péripéties politiques ont souligné un risque d'instabilité qui, d'après le gouvernement actuel, pourrait être corrigé par une modification de la loi organique afin que la démission du gouvernement ne puisse résulter que d'une décision de la majorité de ses membres, de la démission ou du décès de son président, ou du vote d'une motion de censure par le Congrès.

Le gouvernement prépare et arrête les projets de délibérations et de lois du pays et veille après leur adoption par le Congrès à leur exécution.

Les trois provinces (du Sud, du Nord et des îles) ont été instituées par les accords de Matignon et constituent un échelon original de collectivités territoriales, intermédiaire entre le territoire et les communes. Elles exercent une compétence de droit commun : elles sont en effet compétentes dans toutes les matières qui n'ont pas été réservées par la loi à l'Etat, à la Nouvelle-Calédonie ou aux communes. Les trois provinces, -dont les présidents appartiennent chacun à un mouvement différent, M. Jacques Lafleur (Rassemblement) pour la province Sud, M. Paul Neaoutyine (Palika) pour la province Nord, M. Robert Xowié (FLNKS) pour la province des îles- constituent un facteur déterminant du rééquilibrage de la vie politique calédonienne.

Au delà des tensions inhérentes aux rivalités des partis, la mission de votre commission a pu prendre la mesure du consensus politique autour des institutions actuelles de Nouvelle-Calédonie. Le relevé des conclusions de la troisième réunion du comité des signataires des accords de Nouméa tenue à Koné, chef-lieu de la province Nord, sous la présidence de la ministre de l'outre-mer, Mme Brigitte Girardin, a mis en évidence le constat partagé que les institutions fonctionnaient et qu'elles exerçaient les compétences dévolues par la loi organique du 19 mars 1999. Par ailleurs, des rencontres informelles entre les représentants du Rassemblement, d'une part, et les indépendantistes, d'autre part, ont lieu chaque semaine afin de surmonter les désaccords qui peuvent s'exprimer dans le cadre des organes représentatifs.

Le point de désaccord le plus saillant se cristallise sur la question du corps électoral . Conformément à l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, la loi organique du 19 mars 1999 a institué une « citoyenneté » de la Nouvelle-Calédonie : la composition du corps électoral distingue donc un corps électoral « général » appelé à voter pour l'ensemble des scrutins sauf pour les élections des membres du Congrès et des assemblées de province auxquelles ne peut participer qu'un corps électoral restreint composé des électeurs établis dans la collectivité avant 1998 s'ils justifient dix années de résidence à la date de l'élection.

Le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision n° 99-410 du 15 mars 1999, que ces dix années devaient s'apprécier à la date de l'élection « quelle que soit la date de l'établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ». Cette interprétation contredit le voeu des indépendantistes de figer le corps électoral. Le gouvernement précédent avait entendu la surmonter par le projet de loi constitutionnelle déposé le 31 mai 1999, mais jamais adopté faute de convocation du Congrès.

La question du corps électoral reste donc en suspens. Néanmoins, le président de la République lors de son déplacement, en juillet dernier, en Nouvelle-Calédonie a pris « l'engagement d'avoir réglé ce problème en concertation étroite et avec un accord très étroit avec l'ensemble des Calédoniens avant la fin de son mandat ».

2. Le nécessaire accompagnement financier du transfert de compétences

La loi organique n° 99-209 du 13 mars 1999 prévoit le transfert des services ou parties de services de l'Etat chargés de la mise en oeuvre d'une compétence attribuée à la Nouvelle-Calédonie. Une commission consultative d'évaluation des charges 2( * ) , présidée par le président de la chambre territoriale des comptes de Nouméa et composée à parité de représentants de l'Etat et de représentants des collectivités locales -soit douze membres au total- est chargée de donner un avis préalable sur la compensation financière par l'Etat des transferts de compétence.

Lors de sa dernière réunion du 6 novembre 2002, cette commission a arrêté définitivement le montant de la compensation due au titre des trois services : deux dont le transfert a été décidé sur le fondement de conventions  -les services du vice-rectorat, de l'inspection du travail et du commerce extérieur- et l'institut de formation des personnels administratifs dont le transfert a été décidé par décret, en juillet 2003 soit au total un montant de 2,709 millions d'euros en base 2000.

D'après les informations fournies à votre rapporteur, les retards pris par les travaux de la commission d'évaluation des charges, puis le long délai de signature par le ministère des finances des arrêtés financiers n'ont pas permis à ce jour le versement des montants dus au titre de la dotation globale de compensation. Au total, le besoin de financement en année pleine pour l'année 2003 est de 3.461 millions d'euros (soit 507.000 euros au titre de 2002 et 2.954 millions d'euros au titre de 2003).

Les nouveaux moyens dégagés dans le projet de budget 2004 devraient permettre de remédier à cette anomalie.

3. L'enjeu essentiel aujourd'hui : le rééquilibrage économique entre les provinces

La Nouvelle-Calédonie souffre d'un déséquilibre ancien et profond entre une province sud, dynamique, et des provinces Nord et des Iles, enclavées.

L'agglomération de Nouméa concentre à elle seule plus de la moitié de la population (soit 120.000 habitants sur 215.000). La province Sud regroupe 70 % des établissements industriels et commerciaux. Le taux de chômage est en moyenne deux à trois fois plus élevé dans les provinces Nord et des îles qu'en province Sud.

Dans ce contexte, la mise en oeuvre des grands projets métallurgiques revêt une importance cruciale pour le rééquilibrage économique du territoire.

Le nickel constitue en effet la principale activité productive de la Nouvelle-Calédonie : il représente 90 % de la valeur des exportations et quelque 3.000 emplois. La ressource en nickel est évaluée au quart des réserves mondiales. Une extension et deux nouveaux projets sont actuellement en cours.

L'extension concerne la seule usine métallurgique sur le territoire, celle de Doniambo (société Le Nickel) à Nouméa : elle représente un montant de 190 millions d'euros qui devrait permettre de porter la production de 60.000 à 75.000 tonnes de métal contenu.

Par ailleurs, le groupe canadien Inco au travers de la société Goro-Nickel, a engagé un vaste projet d'usine hydrométallurgique dans le Sud du territoire. Face à l'augmentation des coûts prévisionnels du projet, Inco a décidé à la fin de l'année 2002, de suspendre les travaux et de procéder à son réexamen complet afin d'en réduire le coût, évalué initialement à 1,5 milliard de dollars et qui pourrait dépasser 1,8 milliards de dollars.

Enfin, au Nord, la société minière du Sud Pacifique (SMSP), contrôlée par la Province Nord, forte des ressources obtenues grâce à l'accord de Bercy de février 1998, s'est engagée dans un partenariat majoritaire avec le groupe canadien Falconbridge afin de réaliser à Koniambo une usine pyrométallurgique dont la capacité sera au minimum de 54.000 tonnes de nickel, une usine électrique et un port en eaux profondes. L'investissement, du même ordre que celui du Sud, devrait entraîner l'arrivée de 8.000 habitants supplémentaires dans la région de Koné. S'il est encore en phase d'études, la décision opérationnelle de lancement est attendue en 2004 à l'issue des études techniques, économiques et financières. Ce projet participera de manière déterminante au développement de la province Nord.

Au total, les trois projets généreront près de 3.500 emplois directs et portera de 4 à 10 % la part de la population active concernée par ce secteur. En outre, la balance commerciale deviendrait structurellement excédentaire.

Le rééquilibrage économique en Nouvelle-Calédonie passe aussi par une action volontariste des pouvoirs publics . La loi organique du 19 mars 1999 prévoit dans le cadre du titre VIII, « le rééquilibrage et le développement économique, social et culturel », l'élaboration d'un schéma d'aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie, encore en cours d'élaboration par le Haut commissaire de la République et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Il devra être approuvé par le Congrès, après avis des assemblées de province, du conseil économique et social et du Sénat coutumier et après consultation des communes.

Les orientations de ce schéma devront être compatibles avec celles retenues par l'Etat, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les provinces sur la base du contrat de développement 2000-2004 pour lesquels une enveloppe de 289,65 millions d'euros a été prévue, accordée à hauteur de 70 % à la province Nord et à la province des îles Loyauté.

4. L'augmentation des faits de délinquance

- Une évolution préoccupante de la délinquance

En dix ans (1993-2002), les crimes et délits ont augmenté de 269 % avec un pic important en 1995 (+ 43,91 %). L'année 2002 confirme la tendance observée au cours de la décennie avec une progression de 16,50 % des faits constatés (8.119 contre 6.989 en 2001). Les cambriolages en particulier enregistrent une forte hausse (+ 38 %) tandis que les dégradations ont plus que doublé (+ 110 %). Le taux de criminalité passe ainsi de 87 à 97,5 pour 1.000 habitants, dépassant largement le taux national (69,32 %o).

La délinquance en chiffres sur la période 1992-2002



L'évolution de la délinquance est amplifiée par l'enregistrement systématique des dégradations depuis le deuxième trimestre de l'année 2001. Sans la prise en compte de cette nouvelle donnée statistique, la délinquance augmenterait de 9,6 % en 2002.

Les deux principaux facteurs de délinquance demeurent d'une part, la consommation excessive d'alcool, sujet majeur de préoccupation en particulier au regard de la sécurité routière et, d'autre part, la progression des faits de voie publique (dégradations, cambriolages, vols divers...). Même si la part des mineurs parmi les mis en cause a légèrement diminué (de 23 % à 20,74 %), elle reste importante notamment pour les cambriolages (42,5 %), les vols à la roulotte (37 %) et les vols simples (27 %). Ce phénomène paraît révélateur de la perte des valeurs coutumières au sein d'une jeunesse qui, comme dans les autres collectivités ultramarines, peut être tentée par la délinquance acquisitive.

Le taux d'élucidation global a progressé (+ 17,28 %) en particulier pour la délinquance de voie publique (24,35 % de faits élucidés contre 18,9 % en 2001) malgré l'augmentation des faits constatés.

Il convient de signaler par ailleurs la baisse de l'immigration irrégulière en Nouvelle-Calédonie : 15 étrangers en situation irrégulière en 2002 contre 103 en 2000.

Dans le domaine de la lutte contre le travail clandestin, le nombre de procédures établies par les services de la police aux frontières à l'encontre des employeurs s'est établi à 8 en 2002 contre 26 en 2000.

- La situation de l'établissement pénitentiaire de Nouméa

D'une capacité de 192 places, le centre pénitentiaire de Nouméa que la mission de votre commission a pu visiter, accueillait 331 détenus au 1 er juillet 2003 (contre 299 au 1 er juillet 2002) soit une progression, en un an, de plus de 10 % aggravant un taux d'occupation désormais supérieur à 172 %.

Malgré la mise en service du nouveau quartier des femmes en décembre 2001, les infrastructures apparaissent dans leur ensemble vétustes et insuffisantes.

Le traitement de la surpopulation chronique de l'établissement représente la priorité de l'administration pénitentiaire : la construction d'un centre de semi-liberté est programmé, et le centre pénitentiaire a par ailleurs été retenu dans le cadre du programme de rénovation lourde du parc pénitentiaire (un bureau d'études sera chargé de rédiger un schéma directeur pluri-annuel de restructuration et de rénovation).

- Les moyens et l'activité des juridictions

La Nouvelle-Calédonie est dotée pour l'ordre judiciaire d'un tribunal de première instance et d'une cour d'appel (dont le ressort couvre également les îles Wallis et Futuna) disposant en 2002 d'un effectif réel de 27 magistrats (effectif budgétaire : 30) et de 75 fonctionnaires dont 36 greffiers (effectif budgétaire : 30).

Les dotations de fonctionnement continuent de progresser pour les juridictions de l'ordre judiciaire de Nouméa et Wallis.


Ressort de cour d'appel ou de TSA

Dotation initiale 1998

Dotation initiale 1999

Dotation initiale 2000

Dotation initiale 2001

Dotation initiale 2002

Dotation initiale 2003

Nouméa et Wallis

952.202

992.730

9.816.199

1.029.641

1.049.418

1.156.000

En outre, les juridictions d'outre-mer ont bénéficié au titre des exercices 1999, 2000, 2001 et 2002, de nombreuses mesures de modernisation s'inscrivant dans le cadre d'actions soit impulsées au niveau national, soit de projets d'initiative locale.

Selon les informations communiquées par le premier président de la cour d'appel de Nouméa, la structure du contentieux judiciaire civil a évolué de la façon suivante depuis 1996 :



L'année 2002 semble marquer une inversion de tendance par rapport à la décrue du nombre annuel d'affaires nouvelles en matière de contentieux civil observée au cours des trois dernières années.

Quant au contentieux pénal, le nombre d'affaires portées en 2002 devant la cour d'appel (correctionnel) confirme la remontée déjà relevée l'an passé (206 affaires nouvelles contre 196 en 2001).

- La juridiction administrative

Un tribunal administratif est implanté à Nouméa. L'affectation d'un nouveau conseiller à compter du 1 er septembre 2003 a porté l'effectif du tribunal à 5 magistrats. Malgré la décharge partielle dont bénéficiera parallèlement un magistrat en fonction pour assurer en qualité de chef de projet, la création du site en ligne de diffusion du droit juridique applicable en Nouvelle-Calédonie, ce « demi-poste » supplémentaire devrait permettre de retrouver des délais de jugement satisfaisants, inférieurs à 6 mois.

Par ailleurs, la mise en place du tribunal administratif de Wallis et Futuna devrait intervenir avant la fin de l'année et les locaux destinés à la nouvelle juridiction sont désormais achevés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page