II. LA POLICE JUDICIAIRE : UNE DYNAMIQUE FORTE

L'action « police judiciaire et concours à la justice » se retrouve dans les deux programmes. L'objectif et les indicateurs sont quasi-identiques.

Cette action englobe la totalité des missions judiciaires de la police et de la gendarmerie menées sous l'autorité des services du ministère de la justice. Ces missions visent à constater les infractions pénales , rassembler des preuves, rechercher les auteurs et procéder à leur arrestation. Ces missions concernent essentiellement les services de police judiciaire. Mais elles intéressent l'ensemble des services. Ainsi, la direction centrale de la sécurité publique y consacre 22 % de son activité.

Cette action englobe également les missions de transfèrements et d'escortes des détenus , de garde des palais de justice ainsi que d'exécution des décisions de justice.

A. UN OBJECTIF : AMÉLIORER LE TAUX D'ÉLUCIDATION

1. Un seul type d'indicateur : le taux d'élucidation selon la catégorie d'infraction

Selon les deux programmes, le suivi de l'évolution des taux d'élucidation des grandes catégories d'infraction est le meilleur moyen de juger la performance dans ce domaine.

Tous les taux d'élucidation progressent, quelle que soit la catégorie considérée (vols y compris recels, infractions économiques et financières, crimes et délits contre les personnes, autres infractions dont stupéfiants). Il en est de même pour le taux d'élucidation de la délinquance de voie publique, bien que ce type de délinquance soit par nature difficile à élucider en raison de la difficulté à recueillir des éléments d'identification des auteurs.

On regrettera que le programme « gendarmerie nationale » ne calcule pas le taux d'élucidation des violences contre les personnes, à l'inverse de celui de la police nationale 14 ( * ) .

On peut également regretter qu'un autre indicateur, différent des taux d'élucidation, n'ait pas été aussi retenu. Le taux d'élucidation est un très bon indicateur. Mais il est toujours préférable de pouvoir appréhender un sujet sous plusieurs angles de vue.

Les faits élucidés sont ceux qui peuvent être imputés à une ou plusieurs personnes mises en cause. Les données sont recueillies au niveau des enquêtes et ne tiennent pas compte des décisions de justice ultérieures.

Il serait intéressant de faire le lien entre les affaires élucidées et les condamnations prononcées et de mesurer le décalage. Celui-ci pourrait s'expliquer soit par des dysfonctionnements de la justice, soit par des enquêtes de qualité moyenne, notamment pour la petite délinquance. Cette préoccupation rejoint celle exprimée précédemment sur la formation juridique et l'encadrement insuffisants, selon de nombreux magistrats, des agents de police judiciaire.

Un indicateur intéressant serait de mesurer la proportion de procédures annulées pour vice de procédure imputable aux services de police et de gendarmerie 15 ( * ) .

2. Le résultat d'une priorité affichée en direction de la police d'investigation

Ce succès de la police d'investigation et de recherche résulte tout d'abord d'un rééquilibrage entre police de proximité et police judiciaire.

A la suite du Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999, la réforme de la police de proximité a été menée, dans l'ensemble des circonscriptions de sécurité publique jusqu'au début de l'année 2002.

Les données chiffrées montrent que c'est au moment où se développe la police de proximité et où les renforts en personnel arrivent dans les commissariats que l'on observe une montée de la délinquance et un recul de l'élucidation. Sur la période précitée, la hausse des effectifs de police de + 4,43 % est concomitante à une hausse de la délinquance de + 9,64 % et à une baisse du taux d'élucidation de 5 points. Une étude de la direction centrale de la sécurité publique portant sur treize circonscriptions importantes a confirmé cette évolution contradictoire.

Par nature, l'activité de sécurité publique correspond à une activité de proximité, dont la notion inscrite dans la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 modifiée d'orientation et de programmation relative à la sécurité, a été confirmée par la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Elle doit toutefois être appliquée au sens de « sécurité de proximité », c'est-à-dire sans remettre en cause la capacité d'investigation et de présence aux heures les plus sensibles, en particulier la nuit.

La présence visible et directe obtenue au plus près de la population dans les secteurs de police de proximité, qui reste bien entendu un outil efficace de prévention et de dissuasion, n'a en effet de sens que si elle prolongée par un travail systématique de recherche, d'identification et d'interpellation des délinquants. Celui-ci constitue au demeurant la mission fondamentale des policiers et des gendarmes, et la condition même du maintien de la police de proximité dans les quartiers.

C'est pourquoi un rééquilibrage du dispositif de la sécurité publique, privilégiant les principes de mutualisation et de mobilité des moyens au travers de la fusion ou la suppression de secteurs, a été engagé depuis la fin 2002 : réduction du nombre d'implantations immobilières, création des GIR, regroupement des moyens de la police scientifique au sein de l'Institut national de police scientifique (INPS).

Au cours de la séance publique du 16 novembre 2005 sur le projet de loi prorogeant l'application de l'état d'urgence, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a rappelé le bilan des GIR : 1600 enquêtes, 12 000 interpellations, 3205 incarcérations, 27 millions d'euros saisis, 1500 armes confisquées ainsi que cinq tonnes de cannabis et 1300 véhicules volées et trafiqués saisis.

Par ailleurs, le nombre et les pouvoirs des officiers de police judiciaire ont été considérablement accrus. La compétence territoriale des OPJ a été élargie à l'ensemble du département et plusieurs textes ont créé de nouvelles infractions et doté les OPJ de pouvoirs d'investigation supplémentaires.

Les moyens spécifiques des services de la Police judiciaire ont également été considérablement renforcés : ses effectifs sont ainsi passés de 4 293 à 4 898 entre 2002 et 2005, soit une hausse de 14 % en trois ans. Dans la gendarmerie nationale, un effort important a également été consacré au renforcement de l'action judiciaire. Les sections de recherches (SR) ont vu leurs effectifs passer de 864 à 1 122 personnels entre 2001 et 2004.

Enfin, la qualification d'officier de police judiciaire est attribuée à un nombre croissant de fonctionnaires du corps de maîtrise et d'application 16 ( * ) . Alors qu'en 2002, seuls 2 868 d'entre eux avaient cette qualification, en 2005 ils sont 7 800. En 2006, 3 000 habilitations supplémentaires sont prévues.

3. Faire travailler ensemble policiers et gendarmes

Au coeur de la LOLF et de la LOPSI, le rapprochement police-gendarmerie est particulièrement fort en matière de police judiciaire.

Outre la création des GIR, trois offices centraux de police judiciaire rattachés à la gendarmerie nationale ont été créés depuis 2004 associant policiers et gendarmes.

L'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique a été créé par le décret n° 2004-612 du 24 juin 2004. Au cours de la période 2005-2006, des protocoles d'accord entre l'office central, l'office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture devraient être établis afin de renforcer la coordination inter-services.

L'office central a, au cours de l'année 2004-2005, dans le domaine de la sécurité alimentaire et de la santé publique, été très rapidement saisi, par les magistrats du pôle santé publique du TGI de Paris, d'enquêtes judiciaires complexes. Le démarrage du pôle santé publique du TGI de Marseille, en septembre 2005, devrait conduire à un renforcement du nombre de saisines.

L'office central de lutte contre la délinquance itinérante , créé par le décret interministériel n° 2004-611 du 24 juin 2004, a pour domaine de compétence la lutte contre la criminalité et la délinquance commises par des malfaiteurs d'habitude, auteurs, co-auteurs ou complices qui agissent en équipes structurées et itinérantes en plusieurs points du territoire. Il bénéficie par ailleurs du concours des agents des administrations partenaires : la direction nationale des enquêtes fiscales et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. Sur le plan opérationnel, l'office a traité conjointement plusieurs affaires liées à la criminalité organisée avec l'office central pour la répression du banditisme et l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels de la direction centrale de la police judiciaire. Au titre du premier semestre 2005, il a animé et coordonné 21 cellules d'enquêtes qui ont abouti à l'interpellation de 294 personnes, dont 97 ont fait l'objet d'un mandat de dépôt et 27 ont été placées sous contrôle judiciaire.

L'office central de lutte contre le travail illégal a été créé par le décret n° 2005-455 du 12 mai 2005. Il sera amené à coopérer avec l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre qui est rattaché au ministère de l'intérieur. Son action répressive doit être complémentaire de celle de la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal chargée des actions de formation, de la réglementation et de l'animation des structures locales. La participation combinée des ministères partenaires pourrait être de l'ordre de dix fonctionnaires (police, URSSAF, impôts et douanes). L'office devrait aboutir à un format définitif proche de 30 personnes en 2007.

La multiplication des offices centraux permet de lutter contre des formes de délinquance spécifiques qui se développent à l'échelle du territoire national. Ils permettent de faire travailler ensemble des services différents, comme les GIR au niveau local. Toutefois, il faut veiller à ce que leur nombre croissant n'ait pas pour effet paradoxal de recréer des cloisonnements. Ainsi, la répartition des rôles doit être claire entre l'office central de lutte contre le travail illégal récemment créé et l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre, chacun étant rattaché à un ministère différent.

Ce rapprochement des compétences et des hommes se décline également au niveau des moyens.

La coopération police-gendarmerie, sous l'angle technique, est un des objectifs majeurs du plan stratégique des systèmes d'information et de communication du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire , préparé et piloté par le service de la modernisation et de la prospective de la direction de l'administration de la police nationale.

Elle vise notamment à rendre « interopérables » les systèmes d'information et de sécurité de la gendarmerie et de la police nationale, par la mise en place d'un système d'information commun après avoir étudié les conditions de mutualisation des fichiers, des hébergements et des procédures de sauvegarde. De nombreux fichiers sont déjà partagés (fichier des véhicules volés, fichier des personnes recherchées).

Les deux principaux fichiers de police judiciaire, STIC et JUDEX, sont en cours de rapprochement. La réciprocité des accès a ainsi été élargie au niveau central par la mise à disposition des applications STIC et JUDEX à l'ensemble des personnels police et gendarmerie affectés dans les offices centraux et les divisions nationales.

Pour ce qui concerne l'échange des données contenues dans ces deux fichiers, des instructions conjointes des deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales ont été diffusées le 19 janvier 2005, afin d'organiser les échanges permanents entre les groupements de gendarmerie départementale et les directions départementales de sécurité publique.

Parallèlement, la mise en oeuvre expérimentale d'un dispositif transitoire d'accès réciproques, déployé sur un nombre limité de sites, a été engagée fin avril 2005 avec le raccordement au STIC de la brigade départementale de recherches et d'investigations judiciaires de Versailles pour la gendarmerie nationale et l'accréditation des fonctionnaires de la direction régionale de la police judiciaire de Versailles à l'accès JUDIWEB (JUDEX via une interface Web) pour la police nationale. La validation des processus techniques devrait permettre un déploiement sur huit autres sites désignés fin 2005.

Ces différentes mesures constituent un préalable à la réalisation d'une base commune police nationale/gendarmerie nationale de recherches criminelles. Les travaux actuellement engagés devraient aboutir fin 2005/début 2006 à la passation d'un marché pour la réalisation de cette base commune, assurant la synthèse des données actuellement traitées par le STIC et JUDEX et dont le déploiement national est programmé à l'horizon de la fin 2007.

Ce rapprochement des moyens concerne également la police scientifique et technique avec la montée en puissance du fichier national d'analyse des empreintes génétiques (FNAEG) . Alimenté conjointement, ce fichier a dépassé récemment les 100 000 profils génétiques enregistrés. Toutefois, force est de constater un certain décalage par rapport aux objectifs fixés il y a un an. Il est imputable au retard dans la livraison des unités de génotypage de masse. Elles devraient être opérationnelles dans le courant du premier semestre 2006.

Concernant la mutualisation des moyens de la police scientifique, après le regroupement au sein de l'INPS des laboratoires de police scientifique de la police nationale, une réflexion devrait s'engager sur le rapprochement de cet établissement public et de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale .

B. UN OBJECTIF OUBLIÉ : LA RÉDUCTION DE LA CHARGE DES TRANSFÈREMENTS ET EXTRACTIONS

Alors que l'action « Police judiciaire et concours à la justice » regroupe les missions d'appui à l'autorité judiciaire et à l'administration pénitentiaire, aucun objectif ni indicateur n'en rend compte.

Pourtant, il s'agit d'un problème lancinant pour la police et la gendarmerie. La question des charges dites « indues » assumées par les forces de sécurité dépasse celle des concours à la justice (gardes statiques, tâches administratives...). Mais ces concours en représentent la plus grande part. Ils comprennent les présentations, extractions, comparutions et transfèrements, la police des audiences, la tenue des dépôts, la garde des détenus hospitalisés et les conduites aux soins des détenus.

L'ensemble de ces missions correspond à l'emploi de 2510 fonctionnaires de police, principalement des CRS, en 2004 pour l'ensemble des circonscriptions de sécurité publique. Cette charge est à peu près stable depuis plusieurs années.

Pour la gendarmerie, la charge s'est encore alourdie. La gendarmerie y a consacré 1.968.697 « heures gendarme » au lieu de 1.784.198 en 2003, soit une augmentation de 10,34 %. Ce quantum se répartit entre la gendarmerie départementale et la gendarmerie mobile, respectivement pour 1.541.587 et 427.110 « heures gendarmes », à l'exécution des missions de transfèrements et d'extractions.

La LOPSI dispose qu'il convient de rechercher les moyens de transférer à l'administration pénitentiaire la charge des extractions et transfèrements de détenus ainsi que la surveillance des détenus hospitalisés afin de recentrer les forces de l'ordre sur leurs missions de sécurité publique.

Malheureusement, aucune solution de substitution n'a été avancée. Ce transfert de charge vers l'administration pénitentiaire risquerait d'ailleurs d'être plus coûteux que le maintien du statu quo.

Les solutions doivent donc être recherchées ailleurs en diminuant le poids de ces charges plutôt qu'en les transférant à d'autres services. Le développement de la visioconférence est évidemment la piste la plus intéressante. Toutefois, il ne relève pas de la mission « Sécurité ». Il semble que la mission « Justice » prévoit pour l'année 2006 les crédits nécessaires au déploiement de cette technologie.

* 14 Ce taux devrait s'établir autour de 53 % en 2005 contre 48,77 % en 2003. L'objectif pour 2006 est de 54 %.

* 15 Voir également page 32.

* 16 Ce corps se compose des grades de gardien de la paix, brigadier, brigadier-chef et brigadier-major.

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