II. BRISER LA FATALITÉ DE L'ORIENTATION PAR DÉFAUT

A. REDÉCOUVRIR LE SENS DE L'ORIENTATION

1. Les poids des déterminants sociaux

Les phénomènes de reproduction sociale à l'oeuvre au sein du système scolaire sont désormais bien connus. Ils se révèlent particulièrement lors de l'orientation des élèves à l'issue de la 3 e .

Plus de la moitié des élèves s'oriente vers une Seconde générale et technologique. Avant la rentrée 2009, l'orientation vers le second cycle professionnel se faisait, soit vers un BEP ou un CAP en deux ans, soit vers une première année de baccalauréat professionnel en trois ans, dispositif mis en place dans le cadre de la rénovation de la voie professionnelle et expérimenté depuis la rentrée 2005. De 2006 à 2008, le taux d'orientation vers la voie professionnelle est demeuré stable : plus de 26 % des élèves de 3 e ont intégré ces formations dont 15,4 % en première année de BEP en deux ans, 4 % en première année de CAP en deux ans et 7 % en seconde professionnelle.

ORIENTATION EFFECTIVE DES ÉLÈVES APRÈS LA TROISIÈME (EN %) FRANCE MÉTROPOLITAINE + DOM - PUBLIC ET PRIVÉ

2000

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Seconde générale et technologique

56,7

56,2

56,6

56,4

56,6

56,5

56,7

57,2

Second cycle professionnel dont :

26,3

26,9

26,8

26,8

26,7

26,3

26,3

26,3

- Première année de BEP en 2 ans

23,7

23,8

23,4

23,2

23,0

22,4

22,2

15,4

- Première année de CAP en 2 ans

2,4

2,9

3,2

3,3

3,4

3,4

3,5

3,9

- 2nde professionnelle

(Première année de BPRO en 3 ans) (1)

`-

`-

`-

`-

0,2

0,4

0,5

7,0

- Autres formations professionnelles (2)

0,2

0,2

0,2

0,3

0,1

0,1

0,1

0,0

Redoublement de la troisième

6,6

6,5

6,3

6,5

6,1

6,2

5,8

5,4

Entrées en apprentissage, orientations hors éducation nationale et sorties du système éducatif

10,4

10,4

10,4

10,3

10,5

10,9

11,0

11,0

(1) Première année de baccalauréat professionnel en 3 ans à partir de la classe de 3e

(2) Première année de CAP en 3 ans ou CAP en 1 an.

Si l'on analyse ces flux au travers du prisme de la catégorie socioprofessionnelle des parents, il apparaît très clairement que l'orientation dans le second cycle du secondaire se caractérise par des disparités sociales très marquées.

ÉLÈVES DU SECOND DEGRÉ SELON LA CATÉGORIE SOCIALE
DE LA PERSONNE RESPONSABLE DE L'ÉLÈVE EN 2008-2009 (en %)

Agricul-teurs

Artisans, commerçants

Prof.lib., cadres

Prof. interméd.

Enseignants

Employés

Ouvriers

Sans activité

Second cycle GT

2,2

10,5

24,8

15,8

4,7

15,6

18,9

4,8

CAP

1,2

7,3

4,6

8,8

0,8

16,7

37,7

19,0

BEP

1,5

8,7

6,2

11,4

0,9

18,3

37,5

12,0

Bac pro

1,7

9,1

7,3

12,2

1,0

18,8

34,6

10,8

Ensemble

2,2

10,1

17,8

13,6

3,3

16,5

26,7

7,8

Source : RERS 2009 - ministère de l'éducation nationale

Les enfants d'ouvriers, de chômeurs n'ayant jamais travaillé ou de personnes sans activité, sont surreprésentés dans le second cycle professionnel, ainsi que les enfants d'employés dans une moindre mesure. Près d'un élève sur deux en voie professionnelle est issu d'une famille d'ouvriers ou de personnes sans activité, alors que ces enfants ne représentent qu'un peu plus d'un tiers de l'effectif global du secondaire.

La direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale a publié en 2008 une étude 21 ( * ) qui signalait les fortes différences dans la composition sociale des différentes classes de 3 e (générales, d'insertion ou de SEGPA). Elle confirmait également que la part des secondes générales et technologiques, au sein des formations de l'éducation nationale ensuite suivies par les lycéens, variait quasiment du simple au double selon leur origine sociale : de 85 % parmi les enfants de cadres supérieurs, professions libérales ou chefs d'entreprise à 45 % parmi les enfants d'ouvriers ou d'inactifs.

Les écarts observés à l'issue de la 3 e se prolongent dans la suite du cursus scolaire. Non seulement l'origine sociale pèse sur la répartition des bacheliers selon les trois voies générale, technologique et professionnelle, mais de surcroit les enfants de cadres et d'enseignants accèdent plus souvent au niveau du baccalauréat et présentent régulièrement de meilleurs taux de succès à l'examen.

En 2008, 90 % des enfants d'enseignants et de cadres obtenaient le baccalauréat contre moins de 50 % des enfants d'ouvriers. À l'inverse, un peu moins d'un tiers des enfants d'ouvriers ont comme diplôme un CAP ou un BEP contre 5 % seulement des enfants d'enseignants et de cadres.

Dans son rapport sur l'orientation de juillet 2008, le Haut conseil de l'éducation relevait que : « Même à résultats scolaires comparables, l'orientation varie en fonction de la profession des parents et de leurs diplômes. Parmi les élèves de troisième qui ont des résultats moyens, ceux dont les parents sont cadres demandent quasi tous une seconde générale et technologique, mais, quand leurs parents sont ouvriers, six sur dix seulement expriment ce voeu. En classe de seconde, à résultats scolaires comparables, les enfants de cadres sont plus orientés en première générale que les enfants d'ouvriers, d'agriculteurs et de personnes inactives. L'institution scolaire a encore des progrès à faire pour que les décisions d'orientation encouragent, lorsqu'elles sont légitimes, les ambitions des élèves des milieux les moins favorisés, les moins diplômés, et aussi les moins informés. » 22 ( * )

Votre rapporteure souligne que les divergences d'orientation en fonction de l'origine sociale ne traduisent pas uniquement des différences de performance scolaire, mais participent aussi d'une certaine autocensure, caractéristique du pessimisme social dont sont victimes les milieux défavorisés.

C'est notre conception même de l'orientation qu'il faut remettre à plat pour remédier à ces effets de sélection sociale et accroître l'équité du système scolaire. Il serait faux de prétendre par ailleurs que l'équité augmente au détriment de la performance du système : les enquêtes PISA de l'OCDE ont souligné bien au contraire que les systèmes les plus performants comme ceux de la Finlande, du Canada, de la Nouvelle-Zélande ou de la Suède étaient aussi les moins discriminants.

Votre rapporteure estime que l'orientation ne devrait pas être conçue comme un mécanisme de sélection des meilleurs et d'affectation des plus mauvais en fonction des variations de la demande de main-d'oeuvre des employeurs. Elle doit rompre avec l'utilitarisme pour devenir un levier d'accroissement des qualifications de tous les jeunes et une étape dans la construction de leur projet de vie personnel.

* 21 « Évolution et disparités d'orientation en fin de 3 e », Isabelle Paulin, Education & formations n° 77, novembre 2008.

* 22 Haut conseil de l'éducation, L'orientation scolaire , 11 juillet 2008, p.12.

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