B. UNE RUPTURE DANS LES PRIORITÉS ASSIGNÉES À LA PJJ

1. Un accent précédemment mis sur la prise en charge des mineurs délinquants les plus difficiles

Sous la précédente législature, la PJJ s'est vue assigner pour objectif de renforcer son offre de prise en charge à destination des mineurs les plus ancrés dans la délinquance. Cette priorité s'est traduite par une montée en charge du dispositif des centres éducatifs fermés (CEF) ainsi que par une présence accrue de la PJJ en détention.

a) Les centres éducatifs fermés (CEF)

La part des crédits consacrés par la PJJ aux centres éducatifs fermés (CEF) n'a cessé d'augmenter, passant de 49 millions d'euros en 2007 (soit 6 % du budget global de la PJJ) à 89,6 millions d'euros en 2012 (soit 11,6 % du budget global).

Créés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, ces établissements ont été conçus afin d'offrir aux magistrats une solution éducative alternative à l'incarcération à destination des mineurs délinquants les plus difficiles.

Ce sont de petites structures, pouvant accueillir une douzaine de mineurs, relevant soit du secteur public (11 établissements), soit du secteur associatif habilité (34 établissements), soit 45 CEF actuellement en fonctionnement.

Les mineurs placés y font l'objet d'une prise en charge éducative renforcée, assurée au quotidien par une équipe de 24 à 27 éducateurs, à laquelle s'ajoutent souvent un enseignant et, le cas échéant, un ou plusieurs personnels de santé (notamment dans les centres dits « renforcés en santé mentale »).

En raison de ce fort taux d'encadrement, le coût d'un placement en CEF est élevé : 607 euros en moyenne par jour et par mineur en 2011, contre 510 euros par jour et par mineur en centre éducatif renforcé et 536 euros par jour et par mineur en établissement de placement éducatif. Le projet annuel de performances prévoit toutefois de ramener ce coût à 570 euros par jour en 2012, en contraignant notamment les associations gestionnaires à faire passer leurs effectifs de 27 à 24 ETP par centre, sur le modèle des CEF publics.

Ce dispositif a fait l'objet d'une évaluation, conduite par nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet dans le cadre d'une mission d'information confiée par votre commission des lois 3 ( * ) .

Dans leur rapport d'information, nos collègues soulignent la nécessité de mieux évaluer ce dispositif. Un tel exercice s'avère délicat à mettre en oeuvre, en raison du passé judiciaire et institutionnel souvent très lourd des mineurs placés en CEF. Les trop rares informations disponibles mettent en évidence l'existence d'une corrélation inverse entre le taux de réitération et la durée du placement : les mineurs restés plus de 170 jours (cinq mois et demi) en CEF réitèrent significativement moins que les autres. Toutefois, seul un tiers des mineurs placés en CEF restent plus de six mois. En 2011, la durée moyenne de placement en CEF est de quatre mois.

En dépit de ces incertitudes, nos collègues ont estimé que le dispositif des CEF méritait d'être conservé et étendu, car il est fortement sollicité par les juges des enfants et, dans certaines régions, proche de la saturation. En outre, il permet d'offrir à ces mineurs une « dernière chance » avant la prison, contribuant ainsi à la diminution du nombre de mineurs détenus.

Néanmoins, ils ont considéré qu'un certain nombre d'aménagements devraient être apportés. En particulier, ils ont considéré qu'un effort devrait être consenti afin d'améliorer le pilotage du dispositif et le soutien aux équipes éducatives, et que les échanges de « bonnes pratiques » entre établissements devraient être encouragés.

Ils sont par ailleurs parvenus à la conclusion que ce dispositif devrait continuer à prendre en charge les adolescents les plus difficiles (le cas échéant, en continuant à les accueillir après l'âge de la majorité lorsque le placement a été commencé avant cet âge), et que son extension ne devrait pas se faire au détriment des autres modes de prise en charge de la PJJ .

b) Une présence accrue de la PJJ en détention

Au 1 er juillet 2012, 810 mineurs étaient détenus en France, dont 278 (soit 34,3%) en établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Les détenus mineurs représentent entre 1,1% à 1,3% des personnes détenues en France.

Le taux d'occupation, en moyenne, des établissements pénitentiaires habilités à accueillir des mineurs est de 70%.

Près de 90% des mineurs écroués le sont en procédure correctionnelle, 60% étant prévenus et 40% condamnés. Pour les condamnés, la durée moyenne de condamnation est de deux mois et demi.

Depuis 2007, les établissements pénitentiaires pour mineurs (six établissements au total, répartis sur l'ensemble du territoire national) permettent d'accueillir une soixantaine de mineurs détenus chacun. Placés sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire, ils ont été conçus pour placer l'éducatif au coeur de la prise en charge des mineurs détenus, en s'appuyant sur un encadrement renforcé.

Ainsi, alors que les mineurs représentaient 1,2% de la population pénale en 2011, l'ensemble des heures d'enseignement qui leur a été consacré (2 079 heures hebdomadaires) a représenté 14,9% de l'encadrement pédagogique total en prison (13 903 heures). En 2011, les seuls EPM concentraient 43% des heures hebdomadaires consacrées aux seuls mineurs alors que leurs « effectifs » représentaient 34% de l'ensemble des mineurs détenus.

Les EPM permettent en effet d'offrir aux mineurs détenus un encadrement éducatif renforcé : en 2010, les détenus y bénéficiaient de 4,5 demi-journées d'activités socio-éducatives hebdomadaires, contre 2,5 demi-journées en quartiers mineurs. L'objectif du ministère de la Justice est de faire passer ces durées à respectivement cinq et trois demi-journées dès 2012.

De ce fait, le coût d'une journée de détention en EPM est élevé : le ministère de la Justice l'évalue à 496,05 euros en 2011, mais ce chiffre ne tient pas compte des effectifs relevant du ministère de la Santé et du ministère de l'Éducation nationale.

En 2011, la carte des emplois prévoyait l'affectation de 228 éducateurs en EPM et de 126 équivalents temps plein d'éducateurs en quartiers mineurs. En EPM, l'équipe est composée d'un directeur, de deux responsables d'unité éducative, de deux professeurs techniques, d'un psychologue, d'un adjoint administratif et de 36 éducateurs. Dans les quartiers mineurs, un responsable d'unité éducative est affecté au prorata de la capacité d'accueil en plus des éducateurs. Certains quartiers mineurs bénéficient de l'intervention d'un psychologue et d'un professeur technique. Au total, plus de 400 emplois ont été consacrés en 2011 à l'intervention continue de la protection judiciaire de la jeunesse en détention.

2. Un rééquilibrage opportun

Votre commission des lois approuve ce renforcement de la prise en charge éducative des mineurs délinquants les plus difficiles, qui constitue une mesure essentielle pour lutter contre la récidive et favoriser la réinsertion des mineurs concernés.

Elle s'est toutefois à plusieurs reprises inquiétée des conséquences de cette évolution pour les services de milieu ouvert et pour les foyers « classiques » de placement éducatif . Elle avait en particulier souligné les risques engendrés par le projet du précédent Gouvernement de créer 20 nouveaux CEF par transformation d'unités d'hébergement existantes . Dans un contexte de réductions budgétaires, ce projet lui paraissait de nature à appauvrir la « palette » des réponses ouvertes aux juges des enfants, au préjudice de l'ensemble des mineurs concernés.

Il convient en effet de rappeler que 95% des mineurs suivis par les établissements et services de la DPJJ le sont au titre de mesures de milieu ouvert et d'investigation. S'il est nécessaire d'accorder une attention particulière aux mineurs délinquants les plus difficiles, cela ne saurait se faire au détriment de la grande majorité des mineurs confiés à la PJJ.

C'est pourquoi votre commission salue les orientations retenues par le présent projet de budget qui, sans remettre en cause l'intensité de la prise en charge des mineurs placés en CEF ou détenus, tend à préserver, voire à renforcer, les moyens alloués à d'autres solutions éducatives.

a) Les CEF : une évaluation nécessaire avant l'extension du dispositif

Le Président de la République a fait de l'extension du dispositif des CEF un de ces engagements de campagne. Comme l'ont estimé nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet dans leur rapport d'information précité, les CEF constituent, sous réserve des adaptations nécessaires, un outil intéressant de lutte contre la récidive et d'alternative à l'incarcération. Il est toutefois nécessaire de mieux les évaluer afin de pouvoir adapter le cahier des charges au plus près de la spécificité du public accueilli dans ces établissements.

Le nouveau Gouvernement a fait siennes ces conclusions.

Sans doute, quatre nouveaux CEF seront-ils ouverts en 2013 à Angoulême, Epinay-sur-Seine, Cambrai et Marseille, après l'ouverture, prévue d'ici la fin de l'année 2012, de trois établissements (Bures sur Yvette, Laon et Bruay le Buissière). Cela correspond à la transformation de sept « foyers classiques » en CEF, sur les 20 transformations prévues par le précédent Gouvernement.

En outre, 46 ETP seront spécialement affectés au renforcement « en santé mentale » des CEF relevant du secteur public .

Rappelons en effet qu'en 2008, sept établissements 4 ( * ) ont bénéficié de la mise en oeuvre d'une expérimentation visant au renforcement du CEF en moyens de santé mentale (soit 2,5 équivalents temps plein de psychiatre, psychologue ou infirmier répartis selon les besoins de la structure). Les résultats de cette expérimentation ont montré toute l'utilité de ce renforcement, qui, notamment, permet soit de diminuer les incidents, soit d'améliorer la capacité des professionnels à les contenir. Ce dispositif a été étendu en 2011 à six nouveaux établissements 5 ( * ) , soit environ un centre éducatif fermé par direction interrégionale.

Le projet de budget pour 2013 prévoit d'achever ce dispositif en dotant l'ensemble des CEF publics d'un maximum de 2,5 ETP de personnels en santé mentale.

Votre commission, qui a fréquemment dénoncé les insuffisances de la prise en charge psychiatrique des mineurs délinquants montrant des troubles du comportement, ne peut que saluer cette évolution.

Tout en adoptant ces orientations, la garde des Sceaux a souhaité marquer une pause dans la mise en oeuvre du projet engagé par le précédent Gouvernement tendant à transformer 20 foyers classiques en centres éducatifs fermés. Elle a en effet souhaité qu'une évaluation des CEF soit menée au préalable et que soient étudiées les voies permettant de développer ces établissements sans pour autant porter atteinte aux autres formes de placement proposées par la PJJ .

Votre commission ne peut que rejoindre le Gouvernement sur ce point.

Elle se félicite par ailleurs de l'attention accordée à d'autres formes de prise en charge.

b) Un accent mis sur l'amélioration des délais de prise en charge des mesures pénales de milieu ouvert

Les mesures pénales de milieu ouvert (hors investigation) représentent, au 31 décembre 2011, 58% de l'ensemble des mesures effectuées par le service public de la PJJ.

Des évolutions législatives et réglementaires sont intervenues au cours de ces dernières années pour améliorer le contenu des prises en charge proposées par les éducateurs de la PJJ et du secteur associatif habilité, notamment en prévoyant que les mineurs sans activité ou ne pouvant intégrer d'emblée les dispositifs de droit commun devraient bénéficier d'activités de jour.

Parallèlement, de sérieux efforts ont été accomplis pour diminuer les délais de prise en charge. Entre 2008 et 2012, le délai de prise en charge des décisions judiciaires imputable aux services de la PJJ est passé de 18,7 jours à 13,3 jours.

Le projet stratégique national 3 (2012-2014) a fixé comme objectif de réduire ce délai à 12 jours ouvrables au 1 er janvier 2014. Cet objectif devra être revu au regard de celui posé par la loi de programmation relative à l'exécution des peines du 27 mars 2012, qui a prévu qu'à partir du 1 er janvier 2014, le mineur faisant l'objet d'une mesure éducative, d'une sanction éducative ou d'une peine exécutable en milieu ouvert devrait se voir délivrer, ainsi qu'à ses parents, une convocation devant le service de la PJJ compétent pour la mise en oeuvre de la décision dans un délai maximal de cinq jours ouvrables .

Afin de tendre vers cet objectif, le projet de loi de finances prévoirait d'affecter 178 emplois aux services de milieu ouvert situés dans les territoires les plus sollicités .

En effet, les délais moyens précités cachent de fortes disparités : alors que les services de milieu ouvert situés dans six directions interrégionales parviennent à prendre en charge les mesures pénales de milieu ouvert en moins de 12 jours, ce délai atteint toutefois 13,5 jours dans la DIR sud-ouest, 18,6 en Ile de France et 20,5 dans le grand ouest.

Cet effort poursuit celui déjà engagé dans le cadre de la précédente loi de finances pour 2012, qui avait prévu d'affecter 50 emplois à la prise en charge des mineurs en milieu ouvert.

c) Le développement des familles d'accueil

Le juge des enfants a la possibilité de placer un mineur délinquant dans une famille d'accueil.

Cette dernière, bénévole mais qui perçoit une indemnité journalière, partage sa vie quotidienne avec le mineur en lui donnant des repères pour l'aider à se construire. Elle offre à l'adolescent l'occasion de vivre dans un cadre apaisé et joue un rôle de médiateur et une fonction réparatrice. L'objectif est de faire progresser l'adolescent dans la compréhension de sa situation pénale, individuelle et familiale afin de l'aider à se réinsérer.

Une convention conclue entre la famille d'accueil et la PJJ organise les droits et obligations de chacun durant la prise en charge du mineur.

Les familles d'accueil ne bénéficient pas de formations spécifiques, mais elles sont épaulées par la PJJ dans l'exercice de leur tâche par des réunions d'information, des groupes de parole et l'organisation d'entretiens réguliers en présence du mineur.

Fin 2011, 354 familles ont accueilli 472 mineurs sur l'ensemble de l'année.

Le ministère de la Justice s'est fixé pour objectif de développer ce type de placement . En effet :

- celui-ci permet d'éviter à des adolescents particulièrement fragiles ou exposés à des menaces un placement collectif qui pourrait les mettre en danger ;

- il offre à des mineurs en formation la possibilité d'être hébergés au plus près de leur lieu de travail dans des conditions plus favorables qu'un hébergement collectif ;

- enfin, il répond à la volonté de diversifier les offres de placement afin de répondre au mieux à la variété des situations de chaque mineur confié à la PJJ.

Pour ce faire, le montant de l'indemnité journalière , qui avait été fixé à 31 euros par jour à compter du 1 er avril 2011, sera porté à 36 euros par jour en 2013 . Le but de la DPJJ est de porter le nombre de familles ressources à environ 450 dans le courant de l'année prochaine.

L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur pour avis a salué le grand intérêt de ce type de placement pour les adolescents fragiles, mais également pour les adolescents les plus durs qu'il est préférable d'isoler des autres mineurs pour éviter des effets d'entraînement néfastes.

Pour autant, une interrogation persiste quant au statut de ces dernières. M. Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ, s'est inquiété de l'éventuelle fragilité de ces familles bénévoles, en cas d'incidents notamment.

D'après les informations communiquées par le ministère de la Justice, une étude a été confiée en janvier 2012 à l'Inspection générale des services judiciaires sur les perspectives de développement de cette modalité d'accueil. Comme l'a indiqué Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, lors de son audition par votre commission, cette étude étudiera notamment l'opportunité de changer le statut de ces familles d'accueil, en l'alignant sur celui des familles avec lesquelles les conseils généraux travaillent dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance.


* 3 « Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? », rapport d'information n° 759 (2010-2011), juillet 2011. http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-759-notice.html .

* 4 Moissannes, Soudaine la Vinadière, La Jubaudière, Liévin, Saint Venant, Valence et Savigny.

* 5 Brignoles, Sainte-Ménéhould, L'Hôpital le Grand, Chatillon sur Seine, Allonnes, Saverne.

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