III. DES JURIDICTIONS POUR MINEURS EN PLEIN QUESTIONNEMENT

A. UNE ACTIVITÉ PÉNALE EN PROFONDE ÉVOLUTION

1. Un parquet des mineurs de plus en plus présent

L'analyse de la justice pénale des mineurs au cours des dix années passées met en évidence l'importance croissante du parquet des mineurs dans le traitement de la délinquance juvénile. Cette intervention croissante du parquet résulte :

- d'une part, de directives de politique pénale demandant aux parquets de poursuivre plus systématiquement les mineurs mis en cause. Ainsi le taux de réponse pénale est-il passé de 78,5 % en 2002 à 95% en 2011 , en raison, notamment, d'une très forte diminution des classements pour inopportunité des poursuites ;

- d'autre part, d'un recours croissant aux procédures alternatives aux poursuites et à la composition pénale. En 2011, 57,6% des affaires mettant en cause des mineurs ont été classées après réussite d'une procédure alternative aux poursuites (dans deux tiers des cas, la procédure a été classée après un rappel à la loi par un délégué du procureur). En 2010, cette part était de 53,6% ; elle était de 41,4% en 2004.

A cet égard, la part des procédures alternatives aux poursuites mises en oeuvre par les parquets est significativement plus élevée s'agissant des affaires mettant en cause des mineurs (57,6 % des affaires poursuivables) que pour l'ensemble des affaires traitées par les parquets (39,6 %).

Les principales mesures alternatives aux poursuites sont le rappel à la loi par un délégué du procureur, la mesure de réparation, le stage de citoyenneté ainsi que les stages de sensibilisation aux dangers des produits stupéfiants ainsi qu'à la sécurité routière.

Depuis 2002, le législateur a conforté ce rôle croissant joué par le parquet dans le traitement de la délinquance des mineurs, en lui ouvrant deux possibilités de saisir directement la juridiction pour mineurs sans instruction préalable par le juge des enfants :

- la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a créé la procédure de présentation immédiate 12 ( * ) , inspirée de la procédure de comparution immédiate applicable aux majeurs. Cette procédure permet au procureur de la République de traduire directement un mineur devant le tribunal pour enfants, lorsque des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et que des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents. Alors que la circulaire d'application du 7 novembre 2002 prévoyait que cette procédure pourrait s'appliquer « avec discernement » à des primodélinquants, le législateur a souhaité, dans la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, à l'initiative du Sénat, qu'il ne puisse être recouru à cette procédure que lorsque le mineur fait l'objet ou a déjà fait l'objet d'une ou plusieurs procédures judiciaires ;

- par ailleurs, la loi du 10 août 2011 précitée a ouvert au parquet la possibilité de recourir à la procédure de convocation par officier de police judiciaire (COPJ) , dans les mêmes conditions que celles prévues pour la procédure de présentation immédiate. Cette procédure permet au parquet de faire comparaître le mineur devant la juridiction pour mineurs dans un délai de dix jours à deux mois.

Comme l'a confirmé à votre rapporteur pour avis le ministère de la Justice, les procédures rapides de poursuite et de jugement demeurent les procédures les plus utilisées par les parquets, au détriment du mode plus classique que constitue la requête pénale simple. Ainsi, les convocations par officier de police judiciaire et requêtes pénales avec défèrement ont-elles représenté 71% des saisines en 2011 ; cette part s'accroît chaque année.

Les requêtes pénales ordinaires des parquets, qui laissent au juge des enfants le choix de la date de convocation du jeune, constituent seulement 21% des modes de saisines.

2. Des interrogations sur l'articulation du juge des enfants et du tribunal pour enfants après la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011

Clé de voûte de la justice des mineurs, le juge des enfants s'est vu doter par le législateur d'une double compétence en matière de protection de l'enfance en danger (article 375 du code civil) ainsi qu'en matière de droit pénal des mineurs (ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante), lui permettant de mettre en oeuvre un véritable suivi éducatif du mineur, tenant compte de sa personnalité et des difficultés sociales et familiales qu'il rencontre.

En outre, le législateur a permis à ce magistrat de cumuler, de façon dérogatoire avec les règles applicables en matière de justice pénale des majeurs, les fonctions de magistrat instructeur, de juge du fond et de juge d'application des peines. Ainsi le même juge des enfants pouvait-il, jusqu'à récemment, instruire une affaire, juger le mineur et suivre ce dernier dans le cadre de l'application des peines - contribuant ainsi à mettre en oeuvre un suivi éducatif dans la durée.

Le Conseil constitutionnel a partiellement remis en cause cet état du droit dans sa décision n°2011-147 QPC du 8 juillet 2011.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé que si « aucune disposition de l'ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne [faisait] obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu'il a instruites » et que « le principe d'impartialité des juridictions ne [s'opposait] pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l'issue de cette instruction, prononcer des mesures d'assistance, de surveillance ou d'éducation », en revanche, « en permettant au juge des enfants qui a été chargé d'accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d'impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ». Le Conseil constitutionnel a fixé au législateur jusqu'au 1 er janvier 2013 pour adapter l'organisation de la justice pénale des mineurs à ces exigences.

Afin d'adapter notre droit à cette décision, l'article 5 de la loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants a modifié l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire afin de prévoir, à compter du 1 er janvier 2013, que « le juge des enfants qui a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction.

« Lorsque l'incompatibilité prévue au [précédent] alinéa et le nombre de juges des enfants dans le tribunal de grande instance le justifient, la présidence du tribunal pour enfants peut être assurée par un juge des enfants d'un tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d'appel et désigné par ordonnance du premier président ».

Sans attendre la date du 1 er janvier 2013, les juridictions pour mineurs se sont efforcées de s'organiser pour mettre en oeuvre ces nouvelles dispositions.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, l'interprétation qu'en ont faite les juridictions donne lieu à des organisations très diverses d'un tribunal à l'autre.

A Douai, où votre rapporteur pour avis s'est rendu, les trois juges des enfants se sont organisés de façon à regrouper l'ensemble du suivi présententiel au pénal auprès de deux juges des enfants et à permettre au troisième de présider le tribunal pour enfants.

La situation est particulièrement compliquée dans les 34 juridictions qui ne comportent qu'un seul juge des enfants , mais celles comportant deux juges des enfants risquent de rencontrer les mêmes difficultés dès que l'un des deux juges sera indisponible ou en congé.

Le recours à la mutualisation entre juges des enfants relevant de la même cour d'appel se traduira inévitablement par des contraintes de transport (éloignement des juridictions et inaccessibilité) et par un coût significatif. Cette réforme alourdira par ailleurs le temps de travail des magistrats.

D'ores et déjà, le projet de loi de finances prévoit de créer 10 nouveaux postes de juges des enfants afin de faciliter la mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions.

Afin de réfléchir à la mise en place de solutions appropriées, la DPJJ a constitué un groupe de travail en novembre 2011, auquel ont participé magistrats, greffiers, représentants de l'administration centrale et organisations syndicales. Au-delà de la création de postes supplémentaires, ce groupe de travail préconise la mise en place de binômes de juges des enfants , qui seraient compétents sur un même secteur géographique. Cette solution permettrait d'assurer une continuité et une proximité de l'intervention auprès du mineur puisqu'elle permettrait au juge des enfants habituellement chargé de son suivi de poursuivre son action indépendamment de l'audience de jugement ; concomitamment, l'autre juge pourrait acquérir, au fil des procédures, une bonne connaissance des mineurs suivis par son collègue.

Il convient de souligner que la décision du Conseil constitutionnel n'a pour effet que d'interdire au juge des enfants qui a instruit une affaire et renvoyé le mineur devant la juridiction de jugement de présider cette dernière.

Elle ne s'applique en revanche pas :

- au juge des enfants qui a déjà connu le mineur dans des procédures distinctes ;

- au juge des enfants qui a instruit le dossier et décidé de le juger en audience de cabinet (où il ne peut prononcer que des mesures éducatives) ;

- lorsque la juridiction de jugement a été saisie par une ordonnance de renvoi du juge d'instruction (obligatoirement compétent en matière criminelle), et non du juge des enfants ;

- enfin, lorsque la juridiction n'est pas saisie par le juge des enfants mais par le procureur de la République par COPJ ou par voie de présentation immédiate.

3. Quelle utilité pour les tribunaux correctionnels pour mineurs ?

Créé par la loi n°2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs (TCM) est une formation spécialisée du tribunal correctionnel présidée par un juge des enfants assisté de deux juges professionnels.

Sa composition est donc différente du tribunal pour enfants dans lequel le président, juge des enfants, est assisté de deux assesseurs, magistrats non professionnels, choisis en raison de leurs compétences et de l'intérêt particulier qu'ils portent aux questions de l'enfance.

Dans les juridictions expérimentant la mise en place de citoyens assesseurs (Dijon et Toulouse), le tribunal correctionnel pour mineurs est, en outre, composé de deux citoyens assesseurs.

Il est compétent pour juger les mineurs âgés de plus de seize ans (à la date des faits) poursuivis pour un ou plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans et commis en état de récidive légale.

Il est également compétent pour connaître des délits connexes ainsi que pour juger les complices ou co-auteurs majeurs.

Il statue et prononce des peines, ou, le cas échéant, des mesures éducatives ou des sanctions éducatives, dans les mêmes conditions que le tribunal pour enfants.

Les dispositions relatives au tribunal correctionnel pour mineurs sont entrées en vigueur le 1 er janvier 2012.

Un premier bilan provisoire permet de constater que, comme cela était prévisible, cette juridiction est peu sollicitée. Notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la loi du 10 août 2011 précitée, avait estimé que la création de cette nouvelle juridiction concernerait tout au plus 600 à 700 mineurs, en raison des conditions restrictives de définition de la notion de récidive légale 13 ( * ) .

D'après les informations communiquées par le ministère de la Justice à partir de renseignements transmis par deux tiers des juridictions, entre janvier et mai 2012, 57 audiences du tribunal correctionnel pour mineurs ont permis de juger 127 personnes. Ce chiffre est à comparer avec les quelques 33 000 mineurs jugés chaque année devant le tribunal pour enfants.

Les magistrats que votre rapporteur pour avis a rencontrés à Douai lui ont indiqué qu'entre janvier et octobre 2012, aucune audience du tribunal correctionnel pour mineurs n'avait été tenue dans ce ressort.

La sévérité des peines prononcées (une peine d'emprisonnement ferme total ou partiel dans deux tiers des cas) s'explique par la compétence d'attribution de cette juridiction, limitée aux délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement et commis en état de récidive légale - susceptibles, à ce titre, de se voir appliquer les dispositions relatives aux peines planchers.


* 12 Au départ, cette procédure s'appelait « procédure de jugement à délai rapproché ». Elle a été réformée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui l'a renommée procédure de présentation immédiate.

* 13 Rapport n° 489 (2010-2011), fait au nom de la commission des lois, de M. Jean-René Lecerf sur la loi du 10 août 2011 relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, page 130 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l10-489/l10-489.html .

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