II. DES RÉFORMES STRUCTURELLES AUSSI IMPORTANTES QUE LES ENVELOPPES DE CRÉDITS

Dans un contexte de budget contraint, les acteurs patrimoniaux sont plus enclins à mieux dépenser pour gagner en efficacité. Sont alors envisagées des alternatives à la dépense, afin d'optimiser les ressources disponibles.

Plusieurs pans de la politique patrimoniale peuvent être appréhendés sous ce prisme, qu'il s'agisse de l'assistance à maîtrise d'ouvrage devant soutenir une meilleure consommation des crédits, ou de la circulation des collections publiques envisagée pour pallier les fortes baisses de crédits destinés aux acquisitions.

L'analyse budgétaire doit nécessairement s'accompagner de l'observation des politiques publiques visant à optimiser l'utilisation des crédits. En dernier lieu, il convient de prévoir, le cas échéant, les réformes législatives nécessaires, ce qui est d'ores et déjà annoncé par le ministère pour 2014 dans le cadre d'un projet de loi sur les patrimoines.

A. LA MAÎTRISE D'OUVRAGE SUR LES MONUMENTS HISTORIQUES : UNE PRISE DE CONSCIENCE, DES RÉSULTATS TRÈS ATTENDUS

L'article L. 621-29-2 du code du patrimoine , introduit par l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés, affirme les prérogatives du propriétaire pour assurer la maîtrise d'ouvrage des travaux de restauration des monuments historiques, mettant fin à une interprétation de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques qui autorisait les services de l'État à assurer la maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments classés, quel que soit leur propriétaire. Le code ouvre la possibilité d'une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) des services de l'État, exercée à titre onéreux ou gratuit, et à la demande du propriétaire. Ce mécanisme a été institué afin de venir en aide aux propriétaires publics ou privés qui ne seraient pas en mesure de faire face à la responsabilité de mettre en oeuvre un programme de travaux sur un monument historique.

Les articles R. 621-71 et suivants du code du patrimoine précisent, d'une part, les conditions d'accès des propriétaires de monuments à ces prestations d'AMO et, d'autre part, les modalités d'exercice de ces missions.

La circulaire n° 2009-023 du 1 er décembre 2009 relative à la maîtrise d'ouvrage indique les modalités de mise en oeuvre de cette assistance par les services de l'État, comme les modalités de rémunération de ces derniers si l'AMO est assurée à titre onéreux, et offre un modèle de convention avec les propriétaires.

1. La prise de conscience de l'administration centrale

En 2010, une enquête a été réalisée auprès des services déconcentrés et a démontré que l'assistance à maîtrise d'ouvrage était relativement peu sollicitée, du moins de façon formelle . Les 55 conventions passées par la totalité des régions pour des travaux sur des monuments classés n'appartenant pas à l'État l'ont toutes été à titre gratuit, majoritairement en raison de l'insuffisance de moyens des propriétaires et plus marginalement en raison de la complexité des opérations. En revanche, les services sont très souvent sollicités par les maîtres d'ouvrage pour les guider dans un rôle qu'ils appréhendent encore difficilement.

Les premiers résultats partiels d'une nouvelle enquête menée sur les années 2012-2013 montrent une augmentation sensible du nombre de convention d'AMO dans certaines régions (37 en 2012-2013 pour l'ensemble des régions ayant répondu contre 17 pour les mêmes régions en 2010-2011).

En ce qui concerne la maîtrise d'oeuvre, l'enquête montre que sur les monuments concernés plus de 80 % des contrats de maîtrise d'oeuvre sont passés avec des architectes en chef des monuments historiques (ACMH), les 20 % restants étant confiés à des architectes du patrimoine selon les modalités de la nouvelle réglementation . Compte tenu des dispositions permettant aux ACMH de conserver la maîtrise d'oeuvre des travaux dont ils ont assuré les études préalables moins de 3 ans avant la promulgation du décret (en juin 2009), ce pourcentage est significatif de la réalité de l'ouverture de la maîtrise d'oeuvre. Une nouvelle enquête est en cours concernant l'année 2013.

Les organisations spécialisées en maîtrise d'ouvrage (Agences départementales d'accompagnement des collectivités - ADAC) interviennent encore peu sur les monuments historiques. De plus, l'enquête faite par l'association des maires de France dans le cadre de l'Observatoire de la réforme des monuments historiques en 2012 montre que de nombreuses collectivités sont réticentes à transférer cette compétence , le patrimoine constituant un élément identitaire fort.

Afin de mieux cerner les conséquences de la réforme et apporter des améliorations à sa mise en oeuvre, un Observatoire de la réforme a en effet été mis en place courant 2011 par la direction générale des patrimoines du ministère chargé de la culture, et plusieurs groupes de travail regroupant toutes les composantes du secteur « patrimoine monumental » se sont réunis jusqu'en décembre 2012. Le travail de l'Observatoire a permis de mieux cerner les attentes des collectivités . Les représentants des maires de France et des départements de France, sur la base des discussions menées avec la direction générale des patrimoines, ont pu interroger leurs adhérents sur leurs pratiques, leur connaissance et leur perception des réformes. Les premiers résultats , non complets, permettent d'ores et déjà de confirmer l'attente très forte des collectivités vis-à-vis des services de l'État . Tant en matière d'AMO qu'au travers du contrôle scientifique et technique, elles attendent l'affirmation de la fonction de conseil de l'État, afin qu'il soit en mesure de les accompagner dans l'élaboration des projets et le suivi technique des travaux.

Le travail mis en oeuvre dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP) s'est appuyé sur les réflexions de l'Observatoire. Plusieurs documents ont été remis au secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) : un premier diagnostic au printemps 2013 puis des propositions d'aménagement de la réforme à l'été 2013.

Le diagnostic a identifié certains points nécessitant des aménagements pour une meilleure mise en oeuvre de la réforme :

- hétérogénéité et insuffisance d'AMO pour les petites communes et les propriétaires privés pouvant compliquer l'instruction des dossiers par les services de l'État, décourager les maîtres d'ouvrage et porter préjudice à une restauration de qualité des monuments ;

- désengagement de certains co-financeurs pouvant conduire à devoir disposer, en matière de programmation, d'une liste importante d'opérations alternatives pour neutraliser les reports d'opérations de plus en plus fréquents, ce qui occasionne une charge de travail supplémentaire pour les services de l'État ;

- risque de perte de mémoire quant à l'histoire des monuments et aux interventions dont ils ont fait l'objet, en raison d'un plus grand éparpillement de la documentation et des archives sur les édifices et les travaux effectués ;

- marge de progression pour une évaluation plus homogène des diplômes et expériences présentés par un architecte répondant à un marché public de travaux sur monument historique ;

- nécessité de mieux définir et encadrer le contenu de certains segments de la mission de maîtrise d'oeuvre ;

- difficulté à évaluer les qualifications des entreprises intervenant sur les monuments et constat d'une disparité entre les réponses faites par certaines entreprises prestataires lors de la passation du marché et la réalité du chantier, notamment concernant les qualités des intervenants sur le monument ;

- la mise en place du contrôle scientifique et technique (CST) a été le corollaire du transfert de la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires. Réforme récente et qui a profondément modifié les postures et les pratiques de tous les acteurs, elle a pu entraîner des difficultés, notamment dans la définition de l'acceptation du rôle des différents acteurs, des objectifs et du contenu du CST.

La question particulière des études mérite un développement spécifique. La circulaire n° 2009-024 du 1 er décembre 2009 relative au contrôle scientifique et technique indique aux DRAC l'intérêt de réaliser un diagnostic le plus en amont possible du projet . Elle détermine notamment « le rôle des services de l'État durant la phase précédant la délivrance d'une autorisation de travaux sur monument historique classé ou d'un accord pour les travaux sur monuments historiques inscrits ». Par ailleurs, ce texte organise la transmission des informations relatives au monument au maître d'ouvrage. La connaissance du monument est en effet la condition sine qua non pour obtenir un niveau d'études satisfaisant.

La circulaire précise notamment la nécessité d'une instruction collégiale des programmes d'études et des projets au sein des services de l'État. Ce texte préconise également de favoriser le dialogue en amont avec la maîtrise d'ouvrage dans l'intérêt du monument historique et de son usager.

Ces deux aspects du CST ont fait l'objet d'une réflexion approfondie lors des travaux de l'Observatoire, notamment grâce au travail mené par l'inspection des patrimoines sur les archives des travaux sur monuments historiques.

Les trois champs de la réforme des monuments historiques (AMO, contrats de maîtrise d'oeuvre, CST) nécessitent une évolution des pratiques des différents acteurs de cette politique , qu'il s'agisse des services déconcentrés de l'État, des maîtres d'ouvrage - collectivités territoriales ou propriétaires privés -, des maîtres d'oeuvre ou des entreprises en charge des travaux.

Le ministère de la culture et de la communication doit les aider et les accompagner pour que chacun d'entre eux prenne possession de son nouveau rôle dans un champ de compétences techniquement et scientifiquement atypique.

La clarification et la définition des missions de chaque acteur, l'impact sur l'organisation des services, la mise à disposition de guides de bonnes pratiques et de modules de formation, la mise en place d'une meilleure politique d'archivage de l'information existante sur les monuments historiques et les travaux antérieurs dont ils ont bénéficié, sont les pistes d'amélioration qui ont fait l'objet de propositions dans le cadre de la MAP.

Elles reposent sur deux axes déclinés au sein de chacun des champs de la réforme. Il s'agit des plans de formations et des outils pratiques.

Sur l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO)

Un premier axe vise à mettre en place un plan de formations « maîtrise d'ouvrage » à destination des propriétaires de monuments historiques tant privés que publics et à envisager, à la demande de ces derniers, la possibilité de formations mixtes afin qu'ils puissent échanger et mieux partager leurs expériences.

Un second axe a d'ores et déjà été constitué par la mise à disposition d'outils et de documents placés sur le site du ministère à destination des propriétaires (leur liste figure en annexe 3).

Sur la maîtrise d'oeuvre

L'axe formation à destination des maîtres d'oeuvre non ACMH devra porter notamment sur le contenu d'une prestation de maîtrise d'oeuvre sur monument historique, le contenu et le format d'un diagnostic, d'une étude historique et patrimoniale, mais aussi sur des questions diverses et cruciales pour la réforme telles que le champ de la responsabilité de l'architecte ou la documentation et l'archivage relatifs à un monument historique.

Dans le cadre de la mise en place d'outils, des documents, des modèles de courriers relatifs à la vérification des qualifications des entreprises et des qualifications des architectes ont été diffusés.

Sur le contrôle scientifique et technique (CST)

Le plan de formation des services de l'État relatif à la mise en oeuvre et aux bornes du CST serait étendu aux autres acteurs : propriétaires, architectes et entreprises.

Un glossaire des termes d'intervention sur monument historique, élaboré à destination de tous les acteurs du secteur, est en ligne sur le site du ministère de la culture et de la communication 3 ( * ) .

Enfin, deux axes transversaux ont été retenus, à la suite des travaux de l'inspection des patrimoines :

- le premier concerne les archives « travaux » en DRAC : en leur sein, l'archivage, le versement et la mise à disposition doivent être améliorés afin de conserver la mémoire des travaux exécutés sur les monuments. Les recommandations, établies sur le fondement de l'enquête menée dans les services par l'inspection, visent à une amélioration du mode de traitement des archives en DRAC. Cet aspect de la mise en oeuvre de la réforme touche tant la maîtrise d'ouvrage, par une meilleure information du propriétaire concernant le monument, son histoire, ses besoins et ses pathologies, que la maîtrise d'oeuvre qui doit pouvoir accéder aux informations sur les interventions déjà réalisées antérieurement, ainsi que le CST ;

- le second est relatif au CST : le diagnostic et les préconisations en matière de monument historique visent à affirmer les principes de collégialité et de subsidiarité, à homogénéiser la pratique du CST sur l'ensemble du territoire, à clarifier et organiser plus précisément la mise en oeuvre du CST en régions. Cet axe s'inscrit donc dans la logique de la circulaire n° 2009-024 précitée.

Concernant les modalités de subventionnement des propriétaires, l'État subventionne uniquement les travaux sur monuments historiques, en particulier le clos et couvert. Si le maître d'ouvrage a choisi de faire appel à une AMO, les honoraires de celle-ci sont compris dans le montant subventionnable des travaux et selon les mêmes principes.

Par ailleurs, le montant des avances de subventions à hauteur de 30 % , mécanisme permettant au maître d'ouvrage, si nécessaire, de disposer d'une avance de trésorerie et d'engager les travaux , est une pratique de plus en plus utilisée par les services déconcentrés . Mais il n'est pas identifiable en tant que tel au niveau national.

Le taux des subventions versées à l'initiative des DRAC varie selon le type de monument - classé ou inscrit - et la nature des travaux, soit de 12 % à 50 % du montant des travaux éligibles.

Le taux moyen de subventionnement sur monument historique est de 32 %, taux stable depuis 2007. De même, le taux de subvention appliqué en 2012 est de 39 % sur monuments historiques classés et 22 % sur monuments historiques inscrits. Il était de 40 % sur monuments historiques classés et de 19 % sur monuments historiques inscrits en 2007.

L'aide des conseils généraux et des conseils régionaux est fréquente mais parfois absente. Elle varie très sensiblement en fonction de leurs politiques et du type de travaux.

2. Des attentes encore très fortes de la part des plus petites collectivités

Malgré cette prise de conscience claire des services de l'État, les plus petites collectivités sont restent démunies face à la réforme de la maîtrise d'ouvrage et n'ont accès à aucune information. Auditionnés par votre rapporteur pour avis, les représentants de l'Association des maires de France (AMF), comme ceux de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) ont relayé la forte inquiétude des élus locaux, en particulier les maires des petites communes qui ne connaissent pas l'existence de l'AMO .

Fort de ce constat, votre rapporteur pour avis s'est interrogé sur le rôle éventuel que pourrait jouer l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC). En effet, le décret n° 2010-818 du 14 juillet 2010 relatif à l'OPPIC ouvre la possibilité à cet établissement d'assurer « la réalisation d'opérations de construction, de restauration, de réhabilitation, d'aménagement ou de maintenance d'immeubles pour le compte des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou d'autres personnes publiques ».

Si l'idée d'une mission de conseil ou de formation pourrait apparaître comme une voie à explorer, la ministre 4 ( * ) de la culture et de la communication a estimé, lors de son audition du 14 novembre 2013, que cet établissement était trop centralisé et de taille trop importante pour pouvoir utilement accompagner les plus petites collectivités.

Les guides relatifs à l'AMO doivent en revanche être mieux diffusés sur l'ensemble du territoire selon l'avis de la ministre.

En outre, le ministère estime qu'une telle mission ne manquerait pas de soulever des interrogations au regard des contraintes du droit européen de la concurrence. L'expertise de cet opérateur pourrait toutefois être mieux valorisée compte tenu de la possibilité offerte par le décret précité.


* 3 http://www.culturecommunication.gouv.fr/Disciplines-et-secteurs/Monuments-historiques/Intervenir-sur-un-monument-historique/Conservation-Restauration-Ouvrages-techniques

* 4 Le compte rendu de l'audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, est consultable à l'adresse suivante : http://senat.fr/compte-rendu-commissions/20131111/cult.html#toc9

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