II. LA SITUATION PÉNITENTIAIRE DANS LES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER ET EN NOUVELLE-CALÉDONIE

En accord avec notre collègue Félix Desplan, rapporteur pour avis pour les crédits destinés aux départements d'outre-mer, votre rapporteur pour avis a souhaité cette année s'intéresser spécifiquement aux conditions de détention outre-mer. Ce sujet concerne avec une certaine acuité les établissements pénitentiaires de Faa'a en Polynésie française et du Camp Est à Nouméa qui connaissent depuis plusieurs années une surpopulation carcérale dont votre rapporteur s'était déjà fait l'écho l'an dernier. Comme l'ont souligné devant vos rapporteurs, les représentants du ministère de la justice, s'il existe une spécificité ultramarine, elle réside dans le fait que la surpopulation carcérale, même légère, existe également dans les établissements pour peine et non pas seulement dans les maisons d'arrêt, comme en métropole.

A. DES CONDITIONS DE DÉTENTION ALARMANTES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE ET EN NOUVELLE-CALÉDONIE

La situation des établissements pénitentiaires varient fortement entre les collectivités ultramarines, allant d'établissements aux capacités réduites à des établissements d'importance et confrontés à une surpopulation inquiétante et chronique .

Certains établissements pénitentiaires connaissent un faible taux d'occupation et ne disposent au demeurant que d'une capacité d'accueil limitée avec 11 places disponibles à Saint-Pierre et 6 places à Mata-Utu.

Cette situation s'explique essentiellement par une délinquance et une criminalité réduite, du moins celle rapportée à la justice de droit commun, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon ou aux îles Wallis et Futuna. De taille modeste, ces établissements se situent dans l'emprise des casernes du commandement de la gendarmerie locale.

À Saint-Pierre, dans le cadre d'une convention du 19 juillet 2011 valable pour 50 ans, la prison est abritée par la gendarmerie mais reste gérée par l'administration pénitentiaire, la gendarmerie étant, dans le cadre d'un protocole d'accord du 28 février 2012, en charge de la formation des personnels et pouvant être requise pour le rétablissement de l'ordre ou la fouille de cellules.

En revanche, par dérogation au droit commun, la gestion de l'établissement de Mata-Utu est assurée par le territoire de Wallis-et-Futuna qui emploie à cet effet des gardes territoriaux ; elle est dirigée de fait par le commandant de la compagnie de gendarmerie. Dans le cadre d'une convention financière, le ministère de la justice rembourse les frais exposés par le territoire pour cette mission.

De même, en Polynésie française outre le centre pénitentiaire de Faa'a à Tahiti comportant 171 places, une maison d'arrêt existe à Taiohae aux îles Marquises avec 5 places et une autre à Uturoa à Raiatea dans les îles sous le vent avec 20 places. Ces petites structures ne comptent qu'un nombre limité de détenus qui sont accueillis dans de bonnes conditions, l'éloignement et l'isolement de ces établissements permettant des adaptations aux conditions ordinaires de détention.

A l'inverse, deux établissements pénitentiaires en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie sont en proie à une situation préoccupante.

Les établissements pénitentiaires de Papeete, le centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania, et de Nouméa, le Camp Est, connaissent des situations alarmantes en termes de surpopulation carcérale et de conditions de détention.

La surpopulation carcérale est manifeste dans ces deux établissements avec un taux d'occupation de 254 % à Papeete et de 220 % dans le quartier maison d'arrêt de Nouméa et 161 % dans la partie centre de détention. Au 1 er août 2012, c'étaient ainsi 419 détenus qui occupaient 165 places à Faa'a et 443 détenus pour seulement 238 places au camp Est. Déjà soulignés avec force par votre rapporteur et notre ancien collègue Bernard Frimat en 2011 s'agissant du Camp Est 4 ( * ) et dès 2008 pour le centre de Faa'a 5 ( * ) , ces phénomènes de surencombrement ne sont pas nouveaux et laissent apparaître un manque structurel de places dans ces deux territoires.

Au Camp Est, si la question des évasions multiples qui s'était posée au cours des années 2008 et 2009 semble résolue à la suite de travaux de renforcement de la sécurité, la surpopulation carcérale entraîne désormais des désordres au sein de l'établissement. Des mutineries ont ainsi éclaté en août 2012 et en juillet 2013.

À cette surpopulation carcérale, s'ajoutent au Camp Est à Nouméa des conditions particulièrement indignes qui ont d'ailleurs été relayées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté ou de la mission diligentée par la garde des Sceaux.

Les conditions de détention dégradées du Camp Est à Nouméa

Du 11 au 17 octobre 2011, les équipes du contrôleur général des lieux de privation de liberté ont visité inopinément l'établissement pénitentiaire situé à Nouméa. En effet, l'article 8 de loi n° 2007-545 du 30 octobre 2007 donne compétence au contrôleur général pour exercer ses contrôles sur l'ensemble du territoire de la République. Fait exceptionnel, le contrôleur général a usé pour la première fois, comme l'y autorise l'article 9 de la loi du 30 octobre 2007, de la procédure d'urgence, en publiant, le 6 décembre 2011, ses recommandations au journal officiel 6 ( * ) pour rendre compte de la violation grave des droits fondamentaux alors constatée.

Outre la surpopulation évidente, qui atteint son paroxysme au sein de la maison d'arrêt avec 300 % d'occupation lors de la visite, le contrôleur général constate, avec force détails, les conditions particulièrement dégradées de détention évoquant les « cellules insalubres » et leur « état répugnant ». Et le contrôleur général de relever de nombreux points problématiques : conduites d'arrivée d'eau des WC détournées pour pouvoir servir de douche, ventilateur hors service malgré la chaleur éprouvante des lieux, grilles obstruées pour empêcher l'entrée des rats, réseau électrique défectueux voire dangereux, etc.

Le contrôleur général concluait ainsi ses recommandations : « l'état et le fonctionnement du centre pénitentiaire sont ainsi apparus comme portant atteinte de manière grave aux droits des personnes qu'il héberge ; le personnel - remarquable de dévouement et d'investissement - est, d'évidence, épuisé et inquiet devant l'absence de perspective d'avenir de l'établissement. »

Cette situation est confirmée par les condamnations récentes de l'État à la demande des détenus, encore en juillet dernier, par le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie en raison de ces conditions de détention. En septembre 2011, la mission diligentée par le ministère de la justice et placée sous la direction de Mme Mireille Imbert-Quaretta, conseillère d'État, s'est rendue pendant une semaine sur place, qualifiant d'inadmissibles et d'indignes ces conditions. Ce rapport indique que 116 détenus envisageraient de saisir la juridiction administrative.

Conscientes de ces conditions de détention, les autorités publiques ont conduit des programmes de rénovation de ces établissements pénitentiaires et envisagé des solutions de reconstruction à plus long terme.

S'agissant du Camp Est, les représentants du ministère de la justice ont indiqué à votre rapporteur que des travaux sur place se poursuivent pour améliorer les conditions actuelles de détention dues à la vétusté extrême de la structure. À plus long terme, le ministère de la justice a engagé une réflexion pour trouver des sites alternatifs de construction ou entamer une restauration du site actuel, notamment face à l'opposition de la ville de Nouméa de délivrer les autorisations d'urbanisme nécessaires à une reconstruction de la prison à Nouville, site de 20 hectares en bords de mer au fort potentiel de développement économique.

Dans son rapport, la mission dirigée par Mme Imbert-Quaretta rappelait que « l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) a été saisie et a travaillé sur la reconstruction d'un nouveau centre pénitentiaire de 490 places à l'horizon 2016 pour un coût estimé à 115 million d'euros ». Dans ce cadre, ce rapport optait davantage pour une solution de reconstruction sur le site actuel que sur un déplacement sur le site dit de Nakutakoin qui semblait satisfaire aux exigences fonctionnelles d'un tel projet. Les auteurs du rapport relèvent que ce projet de déplacement, soutenu par la ville de Nouméa, ne faisait plus consensus et qu'un changement des circonstances de fait rendait le projet plus complexe et plus onéreux (ouverture d'une succession sur le terrain souhaité, modification des règles d'urbanisme par la commune de Dumbéa). En outre, des inconvénients fonctionnels existeraient à l'implantation de la prison sur ce site : délai de transport pour les écrous et les extractions assurées par les forces de l'ordre du fait de l'éloignement du site du centre de Nouméa, difficultés pour les personnels liés à leur déplacement, contraintes pour les avocats et pour les visiteurs, etc. Enfin, selon le rapport, « le coût actuel de construction de l'établissement envisagé a été évalué à 130 millions d'euros » , ce coût s'ajoutant à celui des travaux d'urgence au camp Est et qui ne peuvent être différés au regard des conditions actuelles de détention.

En Polynésie française, un projet de construction est également en cours à Papeari, sur l'île de Tahiti, où les travaux ont débuté en juillet 2013 malgré une forte opposition initiale de la population locale. Permettant la création de 410 places, ce projet dont la livraison est prévue en 2016 devrait représenter un coût de près de 118 millions d'euros. Il permettra de soulager l'actuel établissement pénitentiaire de Faa'a régulièrement considéré comme la prison connaissant la pire situation de surpopulation de l'ensemble du territoire national avec une occupation à hauteur de 250 % de ses capacités normales.


* 4 Rapport d'information n° 593 (2010-2011) de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, Nouvelle-Calédonie : le pari du destin commun, fait au nom de la commission des lois - 8 juin 2011. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-593-notice.html

* 5 Rapport d'information n° 130 (2008-2009) de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, Droits et libertés des communes de Polynésie française de l'illusion à la réalité, fait au nom de la commission des lois - 10 décembre 2008. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-130-notice.html

* 6 Recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives au centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) - JORF n° 0282 - texte n° 72.

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