INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois s'est saisie pour avis des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2020, ainsi que des articles rattachés à cette mission.

Soyons francs : l'examen de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » sera cette année plus frustrant encore que par le passé. Alors même que l'essentiel pour les finances des collectivités territoriales semble se jouer ailleurs, sur la réforme de la fiscalité prévue dans la première partie du présent projet de loi de finances, il ne saurait en être question dans ce rapport. Pourtant, les multiples implications de la suppression prématurée de la taxe d'habitation ne semblent pas être totalement prises en compte, ni même tout à fait connues. À titre d'exemple, la perte d'un pouvoir de taux des départements, et avec lui d'un lien avec le contribuable local, par le transfert de leur part de taxe foncière sur les propriétés bâties au bloc communal, ne peut qu'être regrettée par votre commission, qui y perçoit une évolution institutionnelle significative. Néanmoins, ses dispositions relevant de la première partie du projet de loi de finances, cette réforme ne sera l'occasion ici que de déplorer la prise en compte tardive par le Gouvernement des effets de bord qu'elle induit sur les indicateurs financiers des collectivités concernées.

Plus largement, l'examen des crédits inscrits au titre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » sera l'opportunité de souligner l'inquiétante perte de visibilité des collectivités territoriales sur leurs finances. Prises dans une litanie de réformes de la fiscalité locale, source d'insécurité juridique et d'incertitude financière, tributaires de dotations de l'État sur lesquelles elles n'ont aucun contrôle, les collectivités sont incapables de se doter d'une programmation budgétaire pérenne et sereine. Votre commission des lois, attachée aux conditions dans lesquelles s'exerce la libre administration des collectivités territoriales, est attentive à ce que celles-ci puissent retrouver un rapport apaisé à leurs finances et formule en ce sens plusieurs recommandations.

Cela conduit votre commission à rappeler au Gouvernement, mais également au Parlement dans son ensemble, le nécessaire respect du cadre constitutionnel dans lequel s'inscrivent les relations entre l'État et les collectivités territoriales. En particulier, l'application des règles fixées par l'article 72-2 de la Constitution, dont celle de compensation financière intégrale des transferts de compétences de l'État n'est pas des moindres, ne saurait souffrir de la moindre ambiguïté.

Votre commission est également attentive, au-delà des montants de crédits ouverts au titre de la mission, pour lesquels les analyses de la commission des finances font autorité, aux stratégies de recentralisation que peuvent masquer les modalités de répartition de ces crédits. Il est à cet égard de la première importance que les dotations d'investissement versées par l'État aux collectivités ne servent d'autre but que celui de soutenir l'investissement local, au plus près des besoins du terrain. Votre commission est tout particulièrement attachée à ce qu'aucun « pré-fléchage », décidé à Paris, ne dévoie ces dotations de leur objectif premier.

Enfin, votre commission des lois se doit aussi de veiller à l'incidence que des dispositions financières peuvent avoir sur l'architecture institutionnelle locale, incidence qui n'est pas toujours souhaitée ni souhaitable, comme nous le verrons à propos de la dotation d'intercommunalité.

Frustrant s'avère décidément l'examen de cette mission, qui laisse entrevoir la possibilité d'une confiance retrouvée dans les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Il nous appartient désormais d'en prendre, au plus vite, le chemin...

I. LA MISSION « RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES », PÔLE DE STABILITÉ AU SEIN DES FINANCES LOCALES

A. LES DÉPENSES ET RECETTES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ONT CONNU DES BOULEVERSEMENTS RÉCENTS

1. La maîtrise forcée des dépenses et les « contrats de Cahors »

Les dépenses des collectivités territoriales ont connu depuis 2014 une très forte contrainte de la part de l'État . La baisse de 10 milliards d'euros, entre 2014 et 2017, des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales répondait ainsi à la volonté de voir les collectivités diminuer leurs dépenses d'autant.

Cette logique coercitive a culminé avec les contrats de maîtrise des dépenses réelles de fonctionnement prévus par la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 , qui prévoit un dispositif de contractualisation destiné à maîtriser les dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales.

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de critiquer ce dispositif dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2019 2 ( * ) . Sous couvert de démarche partenariale, ces contrats léonins n'offrent pas de réel choix aux collectivités signataires puisqu'ils sont signés sous la contrainte. Ils reviennent à une mise sous tutelle des collectivités signataires, l'État acquérant par ce moyen un droit de regard sur leur gestion financière contredisant le principe constitutionnel de libre administration. Enfin, leurs clauses ne répondent pas toujours à la logique de bonne gestion financière qu'ils promeuvent.

Il souhaiterait néanmoins insister sur deux effets pervers de la maîtrise contrainte des dépenses et des « contrats de Cahors » , qui affectent directement l'évaluation portée sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Premièrement, le respect de ces contrats peut avoir une incidence sur l'attribution de dotations relevant du programme 119 de la mission : les représentants de l'État ont ainsi la possibilité de majorer le taux de subvention des collectivités territoriales respectant leur « contrat de Cahors » 3 ( * ) , ce sur quoi votre rapporteur aura l'occasion de revenir. Deuxièmement, cet effort continu de maîtrise des dépenses a empêché les collectivités territoriales concernées d'avoir une visibilité pluriannuelle sur l'évolution de leurs dépenses .

2. La réforme de la fiscalité locale

En ce qui concerne les recettes des collectivités territoriales, la réforme de la fiscalité locale prévue dans le cadre de la première partie du présent projet de loi de finances suppose un nouveau bouleversement auquel devront s'adapter les collectivités.

Principales dispositions et mesures de l'article 5
du présent projet de loi de finances

La suppression de la taxe d'habitation en 2023 :

En 2023, la taxe d'habitation sur les résidences principales serait supprimée, laissant place à une taxe d'habitation sur les résidences secondaires et les autres locaux non affectés à la résidence principale. Cette suppression entraîne une perte de recettes fiscales de l'ordre de 17,6 milliards d'euros, principalement pour le bloc communal.

Pour accompagner cette suppression jusqu'en 2023, diverses dispositions de gel sont proposées pour stabiliser la situation des contribuables et réduire le coût de la réforme pour l'État : gel des taux, gel des abattements, gel de l'effet des délibérations instituant une taxe d'habitation sur les logements vacants, ou encore gel des dispositifs d'intégration fiscale.

Le transfert de la taxe foncière sur les propriétés bâties départementale aux communes :

En 2021, la part de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) affectée jusqu'alors aux départements est affectée aux communes. Ce transfert vise à compenser, en majeure partie, aux communes la suppression de la taxe d'habitation (TH) sur les résidences principales et à renforcer la spécialisation de la TFPB en supprimant un échelon de collectivité bénéficiaire - le département.

L'adaptation des règles de lien et de plafonnement des taux des impositions directes locales :

La TFPB remplace la TH comme impôt pivot : la cotisation foncière des entreprises (dès 2020) et la TH sur les résidences secondaires (dès 2023) ne pourront donc augmenter dans une proportion supérieure à l'augmentation du taux de TFPB ou, si elle est moins élevée, à celle du taux moyen pondéré des deux taxes foncières. Corrélativement, le taux de cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de TH sur les résidences secondaires devra être diminué dans une proportion au moins égale, soit à la diminution du taux de TFPB, soit à celle du taux moyen pondéré des deux taxes foncières, soit à la plus importante de ces deux diminutions lorsque les deux taux sont en baisse.

L'instauration d'un mécanisme de coefficient correcteur destiné à neutraliser les écarts de compensation liés au transfert de la TFPB départementale aux communes :

L'article 5 met en place un mécanisme de coefficient correcteur visant à neutraliser les surcompensations et les sous-compensations, via le compte d'avances aux collectivités territoriales.

Le coefficient correcteur, qui est fixe, doit s'appliquer chaque année aux recettes de TFPB de la commune et le complément ou la minoration qui en résulte a vocation à évoluer dans le temps comme la base d'imposition à la TFPB. Les hausses de taux bénéficient entièrement aux communes qui les ont votées.

Ce coefficient correcteur se traduira chaque année par une retenue sur le versement des recettes de TFPB pour les communes surcompensées ou par le versement d'un complément pour les communes sous-compensées.

Des mesures de compensation pour les EPCI, les départements
et les régions :

Pour compenser les départements et les EPCI, il est proposé de leur affecter une fraction du produit de la TVA à compter de 2021 déterminée par rapport aux recettes perdues en 2020. Un mécanisme de garantie est proposé. Il implique que si les recettes à verser pour une année sont inférieures au montant des recettes perdues en 2020, l'État finance cette différence.

En outre, l'Assemblée nationale a adopté une mesure créant un fonds au profit des départements doté de 250 millions d'euros à répartir entre eux selon des critères de ressources et de charge. La dynamique de la TVA sur cette enveloppe constituera un fonds à mobiliser en cas d'urgence.

Les régions - qui perdent 300 millions d'euros de frais de gestion - seraient compensées par voie de dotation.

Source : commission des finances du Sénat

Les élus font ainsi face à une double incertitude :

- d'une part, la réalité de la compensation « à l'euro près » promise par le Gouvernement sur laquelle, au regard des expériences passées, il est permis d'émettre des doutes ;

- d'autre part, la perte pour les départements d'une ressource sur laquelle ils avaient un pouvoir de taux, ce qui leur fait perdre un lien précieux avec le contribuable.

C'est dans ce contexte mouvant que votre rapporteur a été conduit à émettre un avis sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». À cet égard, les concours financiers et cette mission représentent dans ce paysage troublé un des rares pôles de stabilité .


* 2 Voir l'avis n° 153 (2018-2019), tome XII, de votre rapporteur sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2019, p. 7, déposé le 22 novembre 2018 et consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/a18-153-12/a18-153-12.html .

* 3 Cette possibilité est prévue au VII de l'article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 .

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