TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre
de la transition écologique et de la cohésion des territoires,
chargé des transports

Mardi 31 octobre 2023

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir, pour ouvrir le cycle des auditions budgétaires, Monsieur Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.

Monsieur le ministre, avant d'entrer dans les détails du volet du projet de loi de finances pour 2024 relatif aux transports, je souhaite aborder la question de la révision de la trajectoire d'investissement de l'État en faveur des infrastructures de transport prévue par la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019, un sujet qui tient à coeur aux membres de notre commission. Rappelons que l'article 3 de la LOM prévoyait une actualisation de cette trajectoire au plus tard avant le 30 juin 2023, puis tous les cinq ans.

Cette échéance est à présent dépassée et l'actualité de l'année 2023 a confirmé l'obsolescence de la trajectoire élaborée en 2019. Dans la foulée de la remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) en février dernier, qui a proposé plusieurs scénarii de programmation en matière d'infrastructures de transport à l'horizon 2042, la Première ministre a présenté le plan d'avenir pour les transports, dont la régénération, la modernisation et le développement des réseaux de transport, ainsi que le soutien à l'intermodalité, constituent des axes majeurs.

La mise en oeuvre de cette nouvelle feuille de route a d'ailleurs déjà commencé : j'en veux pour preuve l'examen récent, par notre commission, de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains (Serm). Comme l'a rappelé Philippe Tabarot, rapporteur de ce texte, le choc d'offre en matière de transports collectifs que ce texte tend à provoquer dans dix métropoles nécessitera des investissements majeurs. L'État n'a pourtant pas encore précisé l'ampleur de son engagement financier sur ce sujet.

Or, les acteurs réclament une visibilité de long terme concernant la trajectoire d'investissement de l'État en matière d'infrastructures de transport, à commencer par l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) et les collectivités territoriales. Surtout, il est urgent de mettre cette trajectoire en cohérence avec les objectifs et priorités déjà annoncés par le Gouvernement.

Dès lors, où en est la préparation de la révision de la trajectoire financière de la LOM ? S'agissant des modalités de cette révision, envisagez-vous de passer par une loi portant spécifiquement sur les infrastructures de transport qui prendrait la forme d'une « LOM 2 », ou par un autre véhicule législatif qui ne serait pas spécifique aux transports ? Avez-vous d'ores et déjà une idée du calendrier d'examen de ce futur texte ?

J'en viens au sujet qui nous réunit, à savoir le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Les trois rapporteurs pour avis vous interrogeront tout à l'heure sur les dispositions qui concernent leurs secteurs respectifs. Je souhaite pour ma part vous entendre sur l'article 15 du texte, qui a une portée plus transversale. Cet article vise en effet à instaurer une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance à laquelle seraient assujetties les entreprises dont les revenus d'exploitation excèdent 120 millions d'euros par an.

Si le dispositif concerne en principe tous les modes de transport, l'exposé des motifs indique que la taxe pèsera uniquement sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes et sur les plus grands aéroports. Pouvez-vous préciser le champ des acteurs concernés par cette nouvelle taxe ? Est-il certain qu'elle n'aura pas de répercussions sur les modes massifiés que sont le mode ferroviaire et le mode fluvial ?

Dans le prolongement de cette question et du cycle d'auditions mené par notre commission avant l'été sur l'avenir des concessions autoroutières, je souhaite évoquer la fin des contrats de concession, dont la première échéance est prévue dès 2031. L'État dispose de peu de temps pour mener à bien ce chantier d'ampleur. Tout d'abord, pourriez-vous nous indiquer où en sont les travaux s'agissant de la définition du « bon état de retour » des infrastructures au concédant ? Dans son rapport de 2023 portant sur l'économie des concessions autoroutières, l'Autorité de régulation des transports (ART) a rappelé l'importance de cette question afin d'assurer la continuité du service autoroutier par-delà la fin des contrats en cours.

S'agissant de la préparation des futurs contrats, le régulateur a recommandé de réinterroger certains postulats du modèle concessif actuel. En particulier, il préconise de recourir à des contrats plus courts - d'une durée de vingt ans - pour permettre une remise en concurrence plus régulière.

À défaut d'une réduction de la durée des futurs contrats, l'ART préconise un renforcement de la régulation, au travers une revue périodique des paramètres des contrats et le renforcement des pouvoirs du régulateur, qui pourrait rendre des avis plus contraignants. Quel est l'état de la réflexion du Gouvernement s'agissant des modalités des futurs contrats concessifs et quel regard portez-vous sur ces propositions ?

Pour terminer, je souhaiterais vous interroger sur l'avenir du fret ferroviaire dans notre pays. Comme vous le savez, il s'agit d'une préoccupation majeure pour notre commission, qui conduit un cycle d'auditions sur ce sujet dans le contexte de la procédure engagée par la Commission européenne sur les conditions de financement de Fret SNCF sur la période 2007-2019. Nous nous inquiétons de l'avenir de Fret SNCF et, au-delà, des conséquences de cette procédure pour le fret ferroviaire, qui semblait pourtant enfin renouer avec une dynamique positive. Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous dresser un état des lieux des discussions en cours sur l'avenir de Fret SNCF et sur les modalités du plan de discontinuité envisagé ?

M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. - Je suis heureux d'évoquer devant vous le PLF pour 2024 et les priorités retenues dans ce texte. Je rappelle en premier lieu qu'il importe, depuis la LOM, de conserver une perspective pluriannuelle et exhaustive quant aux investissements de l'État en matière de transports.

Le PLF pour 2024 est marqué - j'insiste sur ce point - par une très forte augmentation des moyens dédiés aux transports. L'année précédente, j'avais déjà présenté un budget en augmentation de 13 % et une hausse équivalente est prévue en 2024. Sur une période de deux ans, les engagements financiers de l'État en faveur des mobilités auront donc connu une progression de près de 30 %.

Dans le cadre de la planification écologique, la Première ministre a annoncé un renforcement des moyens consacrés à la transition écologique avec 7 milliards d'euros en crédits de paiement et 10 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Les transports représentent la majeure partie de cette hausse, avec 1,6 milliard d'euros prévus dans le PLF. Plus largement, il faut considérer l'ensemble du périmètre consolidé : outre le programme 203, d'autres outils budgétaires sont concernés, dont le bonus écologique, les aides à l'aéronautique ou encore l'Agence de financement des infrastructures de France et la Société du Grand Paris (SGP), ce qui porte l'effort total en faveur des transports à 13,6 milliards d'euros.

Ce budget se concentre sur les grandes priorités que j'avais décrites lors de ma prise de fonction, à savoir les transports du quotidien et la décarbonation transversale des transports. Quelque 8 milliards d'euros sont ainsi alloués aux mobilités vertes, c'est-à-dire principalement les transports ferroviaires et collectifs, mais aussi le transport fluvial et le vélo ; environ 2 milliards d'euros sont consacrés au verdissement de secteurs fortement polluants, à commencer par le transport aérien et le transport routier ; enfin, l'enveloppe restante sera dédiée à la modernisation du réseau routier. Par ailleurs, un budget annexe prévoit 1 milliard d'euros pour soutenir la modernisation et l'amélioration de la sécurité de la navigation aérienne.

Au-delà de ces axes de la décarbonation et des transports du quotidien, une attention particulière est apportée au transport ferroviaire et aux transports collectifs, qui représentent 85 % du coeur des crédits du ministère des transports, à savoir le programme 203.

Parmi les lignes directrices de cet effort essentiel en faveur du transport ferroviaire, j'insiste sur le chantier crucial de la régénération et de la modernisation du réseau ferroviaire, invisible mais dont les conséquences se font sentir dès lors que les investissements sont trop faibles. Nous atteignons désormais le niveau d'investissement le plus élevé depuis plusieurs décennies, avec 3,5 milliards d'euros l'an passé. L'objectif fixé par la Première ministre est d'atteindre 4,5 milliards d'euros d'ici à la fin de la législature en 2027.

En 2024, 300 millions d'euros supplémentaires sont consacrés à la régénération ferroviaire, un montant très vraisemblablement appelé à être pris en charge par le groupe SNCF compte tenu de ses résultats : au lieu de verser ses dividendes à l'État, il lui sera demandé d'investir dans ladite régénération, avant de définir ensuite une trajectoire pluriannuelle lisible, dans le cadre d'un contrat de performance révisé.

Une enveloppe de 3 milliards d'euros est aussi prévue pour les trains d'équilibre du territoire (TET), avec d'importants investissements pluriannuels sur des lignes trop longtemps négligées. Parmi elles, la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt), la ligne reliant la capitale à Clermont-Ferrand ou encore la ligne Bordeaux-Marseille, sur lesquelles les travaux de modernisation et de régénération s'accompagnent du rachat de nouvelles rames.

Le fret ferroviaire est également inscrit au coeur de nos priorités. Comme je l'avais annoncé le 23 mai dernier, des investissements à hauteur de 4 milliards d'euros sont prévus sur dix ans dans les infrastructures, qui sont la clé de l'augmentation de la part modale du fret ferroviaire, conformément à la stratégie visant à doubler celle-ci dans le volume total du fret d'ici à la fin de la décennie.

J'insiste, en outre, sur les Serm, qui s'inscrivent dans les deux grands axes des transports du quotidien et de la décarbonation. Près de 800 millions d'euros sont prévus dans les contrats de plan État-région (CPER) en cours de discussion. Il s'agit d'un premier effort significatif de l'État qui sera ensuite complété pour chacun des Serm, schéma par schéma.

Je n'oublie pas l'enjeu de la qualité de service, le choc d'offre amorcé par les investissements devant se conjuguer au déploiement de nouveaux outils. Des polémiques ont été lancées au sujet du PLF pour 2024, dont seraient absents des crédits destinés au financement du Pass Rail ou du titre unique de transport. L'État mobilisera bien des crédits pour les financer, dans le cadre d'une discussion avec les régions qui doit permettre de rendre le Pass Rail opérationnel dès 2024. Parallèlement, nous expérimenterons, avec les collectivités volontaires, le titre unique que j'ai souhaité lancer en février 2023.

J'en viens à vos questions, monsieur le président. Tout d'abord, la visibilité pluriannuelle sur notre effort en matière de transports est non seulement une obligation prévue par la LOM, mais aussi un impératif politique, puisque nous devons présenter avec clarté notre engagement sur la durée.

Dans le prolongement du rapport du COI, la Première ministre a indiqué en février 2023, à l'occasion de la présentation du plan d'avenir pour les transports, que le scénario de la planification écologique nous sert de boussole. Celui-ci implique des investissements compris dans une fourchette de 25 milliards à 30 milliards d'euros d'ici à 2027. Cet engagement pourrait se matérialiser dans un document stratégique, mais ma préférence va à une loi de programmation. À cet effet, je consulte actuellement les groupes politiques du Sénat et de l'Assemblée nationale afin de trouver une voie de passage au milieu d'un agenda parlementaire fort chargé et de faire aboutir un tel texte. Une visibilité pluriannuelle consolidée sera présentée dans les prochaines semaines.

Compte tenu de l'ampleur de ces investissements, nous assumons de demander une contribution supplémentaire à certains acteurs du secteur des transports, avec la taxe sur les grandes concessions figurant à l'article 15. Les secteurs autoroutier et aéroportuaire devront ainsi contribuer au financement de la décarbonation pour un montant estimé à 600 millions d'euros par an, soit une recette estimée à 2,5 milliards d'euros d'ici à 2027 qui représenterait environ 10 % des investissements prévus par le scénario de planification écologique.

Ces recettes seraient affectées à l'Afit France, afin de clairement démontrer qu'elles sont destinées à financer les investissements dans les transports, et plus largement la décarbonation. Cette taxe n'a pas manqué de susciter des questions et des inquiétudes : je réaffirme, en particulier pour le secteur autoroutier, que l'évolution des tarifs des péages est encadrée par des contrats, et entérinée chaque année par des arrêtés du Gouvernement.

Même si certains représentants du secteur soutiennent une interprétation contraire, le Gouvernement estime que cette taxe est parfaitement conforme auxdits contrats. Il ne sera donc pas possible d'augmenter des tarifs au titre de cette taxe. Aussi, si certains représentants du secteur ont évoqué la perspective d'un recours ou d'une procédure contentieuse, j'affirme avec confiance que nous avons pris toutes les précautions juridiques garantissant la robustesse juridique de la taxe proposée, qui ne modifie aucunement la formule d'évolution des tarifs des péages autoroutiers.

J'en viens à la question, plus stratégique, de la fin des concessions, appelées à expirer à partir de 2031. Si la décision concernant leur avenir ne peut pas être prise au cours de cette législature, il importe de la préparer, de la manière la plus sereine possible. À cet effet, j'ai évoqué la piste d'une commission la plus ouverte possible - à des ONG, à des économistes et à des représentants des sociétés concernées - qui étudierait toutes les options juridiques, économiques et stratégiques qui s'offrent à nous pour l'après 2031. Ce travail doit être lancé dès à présent et je vous apporterai des précisions dans les prochaines semaines sur les modalités de ce travail de prospective.

J'ai toujours considéré que le modèle concessif présente de nombreux avantages, notamment celui de nous fournir des perspectives de long terme. Pour autant, ses paramètres peuvent être débattus et évoluer. Vous avez évoqué les préconisations de l'ART, dont celle qui vise à réduire la durée des contrats : il s'agit d'une des pistes à explorer pour cette future commission de travail.

S'agissant du fret ferroviaire, la Commission européenne a lancé une procédure le 18 janvier 2023 au titre des aides d'État supposées, ce que le Gouvernement déplore. Nous devons cependant en prendre acte, puisque nous sommes dans un État de droit.

Nous avons désormais le choix entre deux options, la première consistant à ignorer la procédure ou à se battre pied à pied avec la Commission européenne pendant de longs mois. Un tel positionnement nous expose au risque de devoir rembourser 5,3 milliards et, même s'il fallait ne s'acquitter que d'une partie de cette somme, l'opérateur public de fret ferroviaire n'y survivrait pas.

L'autre option, qui a ma préférence, a été retenue par le Gouvernement. Difficile, elle vise à parvenir à un accord rapide avec les autorités européennes afin d'assurer la pérennité de l'opérateur de fret ferroviaire. Des garanties sont d'ores et déjà actées, à commencer par l'absence de licenciements et le maintien de 90 % des emplois au sein de la nouvelle structure de fret ferroviaire, les autres agents devant rester au sein du groupe SNCF.

Un opérateur public pourra continuer son activité sur une partie du périmètre actuel, et il faudra éviter un report modal inversé, ce qui explique le plan de réinvestissement massif dans le fret, non seulement au moyen d'aides à l'exploitation augmentées et pérennisées, mais aussi et surtout par le biais de la rénovation des grandes gares de fret ferroviaire telles que celles de Miramas ou de Woippy. Nous mettrons ainsi un terme au sous-investissement en consacrant les sommes nécessaires.

Voilà, en résumé, les mesures que je pense être les plus protectrices des agents, de l'écologie et du fret ferroviaire. Vous l'aurez compris, je crois dur comme fer dans ce mode de transport.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. - Avant de vous interroger sur les dispositions et crédits du PLF pour 2024 consacrés aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, monsieur le ministre, je me félicite de constater que nos multiples alertes, conjuguées au rapport du COI, ont enfin servi d'électrochoc. La Première ministre a ainsi présenté le 24 février dernier un plan d'avenir pour les transports prévoyant 100 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2040. Bien que de nombreuses zones d'ombre subsistent, dont l'épineuse question du partage du financement, cette perspective de long terme mérite d'être saluée.

Horizon inédit pour certains, communication de plus pour d'autres, je souhaite pour ma part vérifier la force de cette ambition. Vous évoquez un effort sans précédent pour 2024, nous y voyons bien plus une progression de petits pas. Placé au carrefour des enjeux de la décarbonation, de la hausse des prix des carburants, de l'accessibilité aux zones peu denses ou encore de la décongestion des métropoles, le secteur des transports doit désormais progresser bien plus vite.

S'agissant du transport ferroviaire, je m'interroge sur la déclinaison concrète du plan d'avenir pour les transports et de cette « nouvelle donne ferroviaire » annoncée par la Première ministre en février dernier. Plus de huit mois plus tard, où en sommes-nous ? Certes, nous observons dans le PLF pour 2024 une augmentation des crédits consacrés aux transports ferroviaires, et je m'en réjouis.

Pour autant, les moyens déployés ne sont pas encore à la hauteur des objectifs. Nous le voyons dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative aux Serm dont je suis le rapporteur et qui ne prévoit aucunement les modalités de financement de ces projets. Certes, près de 800 millions d'euros de crédits devraient être engagés pour les études préalables dans les CPER, mais nous ne savons rien de l'engagement de l'État afin de financer les travaux.

Ce constat pourrait être décliné à bien d'autres égards : pour ne prendre qu'un exemple, nous n'avons toujours ni visibilité ni trajectoire de financement précise pour la modernisation du réseau ferroviaire, alors que nous accusons un retard considérable sur le déploiement de l'European Rail Traffic Management System (ERTMS) et de la commande centralisée du réseau.

Comme vous le savez, le transport ferroviaire est un secteur de temps long. À la fois pour conserver notre filière industrielle d'excellence, mais aussi pour permettre aux transporteurs et aux gestionnaires d'infrastructures d'assurer leurs missions dans de bonnes conditions, Nous avons donc besoin de visibilité. Aussi - je rejoins le président sur ce point -, à quand une nouvelle loi de programmation pour les infrastructures de transports ou, a minima, une ventilation des dépenses des 100 milliards d'euros annoncés par la Première ministre ? Et à quand une révision du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État qui a fait l'unanimité contre lui ?

Par ailleurs, pourriez-vous faire le point sur l'avancée du chantier Lyon-Turin, qui est un sujet de préoccupation majeur pour notre commission ?

Pour ce qui concerne le transport fluvial, je rappelle que la révision du contrat d'objectifs et de performance de Voies navigables de France (VNF), conclu en avril 2021, a permis de fixer un cap au développement du transport fluvial pour la période 2020-2029.

En application de la LOM, ce document doit être révisé en 2023 pour la première fois : où en sont les travaux d'actualisation de ce document ? Dans ce cadre, prévoyez-vous de revoir à la hausse la trajectoire d'investissements de VNF en faveur du réseau fluvial - qui s'établit actuellement à 3 milliards d'euros d'ici à 2030 -, afin de tenir compte du plan d'avenir pour les transports et des nouvelles recettes qui seront dégagées grâce à la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance que vous avez évoquée ?

S'agissant du transport maritime et des ports, je souhaite évoquer le règlement européen sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs, adopté en septembre dernier. Ce texte fixe notamment des objectifs ambitieux en matière de déploiement d'infrastructures de recharge dans les ports maritimes pour permettre l'alimentation électrique des navires à quai. Il est par exemple prévu, d'ici à 2030, que les ports appartenant au réseau central du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), les plus fréquentés, soient équipés pour fournir chaque année l'alimentation électrique à quai pour au moins 90 % des escales effectuées par des navires porte-conteneurs de plus de 5 000 tonnes.

Le projet de loi de finances pour 2024 ne comporte aucune mesure sur ce point, si ce n'est l'enveloppe de 175 millions d'euros prévue par le plan de relance depuis 2021, désormais presque intégralement consommée. Comment le Gouvernement envisage-t-il d'accompagner financièrement les ports maritimes dans cette transition ?

Enfin, allez-vous vous mobiliser aux côtés des élus pour contester la suppression, sans aucune concertation préalable, des lignes régulières d'Air France depuis Nice vers Orly ? Véritable faute, cette décision met en danger l'attractivité de notre merveilleuse Côte d'Azur : nous ne pouvons l'accepter.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien. - Monsieur le ministre, après avoir traversé les turbulences de la crise sanitaire, le transport aérien entre aujourd'hui dans une période plus sereine. Selon la direction générale de l'aviation civile (DGAC), le trafic aérien devrait atteindre en 2024 son niveau de 2019. Le ciel n'est toutefois pas encore pleinement dégagé pour le secteur, et je m'interroge sur plusieurs mesures fiscales du PLF pour 2024 qui le concernent.

L'article 13 du PLF prévoit des mesures relatives à la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert). L'objectif cible d'incorporation de carburants aériens durables passe ainsi de 1,5 % en 2024 à 2 % en 2025.

Autrement dit, si les compagnies aériennes n'atteignent pas la cible, elles paieront une pénalité équivalente au montant du manque de carburant durable, lui-même multiplié par un coefficient d'une pénalité de non-respect des règles. Sans oublier le fait que, sur le plan fiscal, le double compte, c'est-à-dire la multiplication par deux des montants incorporés, disparaît : seule l'incorporation réelle de carburant durable sera dorénavant prise en compte.

Or la plupart des compagnies s'acquittent du paiement de la taxe et n'incorporent pas le pourcentage cible actuel, qui n'est que de 1 %. Le Président de la République a dévoilé à l'occasion du salon du Bourget un plan, qui me semble encore timide, en faveur des carburants aériens durables. D'où ma première question : comment comptez-vous accompagner ces objectifs d'incorporation ?

Ma deuxième interrogation porte sur la taxe sur l'exploitation d'infrastructures de transport de longue distance, un intitulé assez long qui signifie en clair que l'on souhaite mettre à contribution les grands aéroports tels que ceux de Paris et de Nice.

Les aéroports me semblent être les victimes collatérales d'une collision malheureuse entre la volonté gouvernementale de taxer les profits des concessions autoroutières et l'analyse du Conseil d'État qui considère qu'il ne peut y avoir qu'un seul « mouton noir » dans le transport. Il en résulte une nouvelle offensive contre le transport aérien, déjà victime, pourtant, d'une transition énergétique particulièrement coûteuse.

L'impact de cette taxe devrait avoisiner une centaine de millions d'euros sur les aéroports du groupe Aéroports de Paris (ADP), qui seront ensuite naturellement répercutés sur les redevances payées par les compagnies aériennes, et au premier chef par Air France.

Comment comptez-vous limiter les effets de distorsion de concurrence de ce dispositif au détriment d'Air France et au profit des compagnies étrangères low cost présentes dans les aéroports régionaux ?

Par ailleurs, des amendements visant à accroître les prélèvements fiscaux sur l'aviation d'affaires ont été adoptés par nos homologues de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale. Quelle est votre position personnelle sur ces propositions ?

Toujours au sujet du transport aérien, je me réjouis de la stabilité des crédits consacrés aux lignes d'aménagement du territoire (LAT). Je tiens à vous rappeler, monsieur le ministre, que la commission fait preuve d'une vigilance renforcée sur ces lignes essentielles au désenclavement de certains territoires.

Notre instance est également particulièrement investie sur un sujet central pour nos concitoyens, à savoir la limitation des nuisances sonores aéroportuaires. La taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) souffre d'un rendement en berne depuis la crise sanitaire. À l'inverse, le niveau de nuisances ne diminue pas.

Pour rattraper le retard pris dans les travaux d'isolation phonique des bâtiments, un abondement budgétaire important est nécessaire, mais celui-ci ne semble pas figurer parmi les mesures. S'agit-il d'un oubli délibéré de votre part ?

J'en viens maintenant à la situation de la DGAC. Je tiens à saluer l'ambition affichée concernant sa trajectoire de désendettement. La commission veillera à ce que cette dernière soit respectée, sans pour autant obérer les nécessaires investissements de modernisation.

Néanmoins, je m'inquiète du risque de dérapage des dépenses de personnel, d'où ma cinquième question : quel est le coût de l'accord de « trêve olympique » conclu avec le principal syndicat des contrôleurs aériens et la DGAC en septembre dernier, que l'on pourrait qualifier de paix négociée ?

Enfin, et pour conclure, permettez au sénateur de la Somme que je suis de vous poser une dernière question sur le projet de barreau ferroviaire Roissy-Picardie et la ligne ferroviaire de 6,5 kilomètres reliant Vémars et Marly-la-Ville dans le Val-d'Oise. La signature d'un accord européen est évoquée afin de boucler, à fin 2026, le financement d'un projet qui est passé de 350 millions d'euros en 2017 à 570 millions d'euros aujourd'hui. Confirmez-vous cette information ?

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports routiers. - Je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur quatre points.

Le premier concerne les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). D'une part, l'article 26 du PLF pour 2024 prévoit la rétrocession du produit des amendes prononcées en ZFE-m aux collectivités territoriales. À ce sujet, où en est le développement de l'outil de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (Lapi), dont le déploiement accuse déjà plusieurs années de retard ? La nouvelle échéance du deuxième semestre 2024 sera-t-elle respectée ? S'agissant de l'acquisition du dispositif, sera-t-elle entièrement à la charge des collectivités territoriales ou un soutien financier est-il à l'étude ?

D'autre part, Madame Barbara Pompili a rendu il y a quelques jours son rapport consacré à l'acceptabilité des ZFE-m. Elle y recommande notamment d'inscrire ces zones dans une politique globale de mobilité, afin de développer les alternatives à l'usage individuel de la voiture. Dans cette perspective, il me semble indispensable de renforcer l'interopérabilité des titres de transport : la billettique peut en effet être un levier efficace pour encourager l'intermodalité et tendre vers des mobilités « sans coutures » à l'échelle des bassins de vie.

Identifiez-vous des pistes pour encourager le développement de systèmes billettiques interopérables au niveau local, en intégrant l'ensemble des services de transport alternatifs à l'autosolisme et en articulant les offres de transport relevant des différentes autorités organisatrices de la mobilité ?

Le deuxième point concerne les aides à l'acquisition de véhicules propres pour les usagers, et plus particulièrement le leasing social qui doit permettre aux ménages les plus modestes de louer un véhicule électrique pour 100 euros par mois. Les documents budgétaires indiquent que ce dispositif, annoncé depuis le printemps 2022 par le Gouvernement, entrera en vigueur au 1er janvier 2024.

Or, en dépit de l'imminence de cette échéance, les paramètres et les modalités de mise en oeuvre du dispositif n'ont toujours pas été clarifiés. Pourriez-vous nous présenter les règles d'éligibilité à ce leasing social, et nous indiquer si des critères spécifiques sont prévus pour tenir compte de la proximité d'une ZFE-m ?

En complément, où en est-on de la mise en oeuvre de l'expérimentation sur le prêt à taux zéro sur l'acquisition de véhicules peu polluants pour les personnes travaillant ou résidant en ZFE-m, introduit dans la loi « Climat et résilience » d'août 2021 sur l'initiative de notre commission ?

J'en viens à présent aux infrastructures de transport routier, en vous interrogeant à mon tour sur l'article 15 du PLF pour 2024, qui porte création d'une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance. Il est prévu d'affecter le produit de cette taxe, qui pourrait s'élever à 600 millions d'euros pour la première année, à l'Afit France, ce dont on peut a priori se réjouir tant son action constitue un levier de report modal au bénéfice des modes massifiés.

Cela étant, la mise en oeuvre de cette nouvelle taxe suscite plusieurs interrogations. Tout d'abord, comment pouvez-vous garantir concrètement que cette taxe ne sera pas répercutée sur les usagers des autoroutes, qui ont déjà subi d'importantes augmentations des péages ces dernières années ?

Ensuite, plusieurs dirigeants de sociétés concessionnaires d'autoroutes ont fait publiquement part de leur intention de porter cette taxe au contentieux si elle venait à être instaurée, considérant qu'elle n'est pas conforme à la clause de neutralisation fiscale prévue par les contrats de concessions. Ces déclarations sont de nature à nous inquiéter quant à la solidité juridique du dispositif. Comment pourrions-nous renforcer la robustesse de cet article ?

J'en arrive à la problématique du financement des mobilités en zones peu denses. Nous nous réjouissons de l'introduction de l'article 27 bis, qui porte relèvement du taux plafond du versement mobilité de 0,25 point à Paris et dans les trois départements de la petite couronne.

Pour autant, cela ne règle pas la question plus profonde du financement des mobilités dans les zones les moins denses, dont la base fiscale ne suffit pas à lever le versement mobilité et qui sont marquées par une plus grande dépendance à l'automobile que les zones urbaines. Comment envisagez-vous de soutenir ces territoires dans leur marche vers des transports moins carbonés ?

Pour finir, je relaie une interrogation de mon collègue Olivier Jacquin qui rappelle que la transition écologique et le déploiement des ZFE-m nécessitent une augmentation considérable des moyens financiers dédiés aux transports collectifs. Le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) sollicite une concertation nationale sur le versement mobilité : êtes-vous prêt à répondre à cette demande et à débattre, sans tabou, d'une révision de l'ensemble des paramètres, à commencer par le seuil d'assujettissement et la liberté de fixer les plafonds localement, en particulier lorsque les territoires sont dépourvus d'une base fiscale adéquate ?

M. Clément Beaune, ministre délégué. - Monsieur le sénateur Philippe Tabarot, vous m'avez interrogé sur le choix du support du plan d'avenir pour les transports, afin de lui conférer la plus grande visibilité possible. Vous aurez compris mon intérêt pour une loi de programmation, qui reste à ce stade une hypothèse de travail étudiée avec l'ensemble des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Quoi qu'il arrive, le scénario de planification écologique servira de référence au Gouvernement. Le PLF pour 2024 se fonde bien sur cette trajectoire.

J'insiste, de plus, sur le fait que différentes briques du plan d'avenir ont d'ores et déjà été posées, dont la nouvelle génération des CPER. Le montant annuel, tel qu'il ressort de deux tiers des mandats adressés aux préfets pour la part de l'État, connaît ainsi une augmentation de 50 % par rapport à la génération précédente, traduisant bien la priorité accordée à des investissements renforcés, en particulier dans le ferroviaire et les transports collectifs.

De surcroît, nous avons lancé le chantier des Serm, dont une première part du financement est intégrée aux CPER. La deuxième part ne peut quant à elle pas être déterminée dans l'immédiat puisqu'elle dépendra de la nature des projets portés par les collectivités locales, plus ou moins avancés selon les cas. Une fois la loi votée, un délai de quelques mois leur sera accordé afin qu'elles soumettent leurs projets. Après validation par le ministère, les études et les premiers travaux suivront, en mobilisant d'abord les crédits des CPER puis en prévoyant une étape de négociations financières, qui pourrait prendre la forme de conférences de financement.

Pour ce qui concerne la régénération du réseau ferroviaire, je rappelle que l'objectif consiste à augmenter les investissements annuels de 3 à 4,5 milliards d'euros d'ici à 2027, le PLF pour 2024 permettant de franchir la première marche. Cet effort revêtira dans un premier temps la forme d'investissements internes au groupe SNCF ; dans un second temps, il conviendra d'actualiser un contrat de performance qui a au moins le mérite de donner une perspective sur dix ans.

Le secteur des transports est indéniablement complexe de par la diversité des outils budgétaires et la décentralisation des compétences. Néanmoins, mis bout à bout, ces outils traduisent concrètement l'ambition du plan d'avenir pour les transports.

S'agissant du projet Lyon-Turin, l'État a pris un engagement clair sur le financement des accès. J'ajoute qu'une discussion constructive a été relancée avec le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, en particulier au sujet du financement des études des accès, discussion qu'il conviendra de faire aboutir d'ici à la fin 2023. Le scénario du grand gabarit étant retenu, il faut désormais en assurer le financement : l'État est prêt à aller jusqu'à 3 milliards d'euros, tandis que la région est prête à cofinancer la phase d'études.

Pour ce qui concerne VNF, le schéma d'emploi retenu signifie que l'État ne demandera pas à l'établissement public de « rendre » des emplois, malgré le fait que la modernisation et l'automatisation libèrent des effectifs. Ce geste significatif, qui répond à une demande formulée par le Sénat, démontre l'importance que nous accordons au transport fluvial.

Par ailleurs, la révision du contrat d'objectifs et de performance (COP) de VNF est engagée et doit aboutir d'ici à la fin de l'année. Conformément aux travaux du COI, la trajectoire d'investissements sera rehaussée, tout en poursuivant la modernisation de l'établissement. Je souhaite d'ailleurs rendre ici hommage à son directeur général Thierry Guimbaud, qui a accompli un travail remarquable.

L'électrification des ports maritimes découle quant à elle de la réglementation européenne, qui fixe l'horizon de 2030 pour l'ensemble des ports du réseau transeuropéen. Nous avons mobilisé à cette fin 175 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, 115 millions d'euros au titre des CPER et parfois d'autres crédits tels que le fonds vert, utilisé par exemple à Marseille-Fos pour accroître l'effort de l'État en complément des actions de la région et de la ville.

Comme l'a annoncé le Président de la République lors de sa visite dans la cité phocéenne, nous devrions même être en avance par rapport à nos obligations européennes en matière d'électrification à quai. Cela devrait être également le cas des ports du Havre et de Dunkerque.

J'en viens aux lignes aériennes en remarquant que le Gouvernement, accusé à la fois de fermer et de maintenir des lignes, porte sans doute une position de juste milieu. Si la décision incriminée a été prise non pas par l'État mais par Air France, je regrette avec vous la méthode retenue, trop rapide. Une discussion approfondie en amont avec les élus concernés aurait été préférable.

Néanmoins, il s'agit d'une étape de travail et j'ai demandé à la direction d'Air France de mener des discussions afin que la desserte soit assurée au bon niveau, y compris au-delà de l'horizon de 2026 annoncé par la compagnie. Cette desserte pourrait être assurée par Transavia, mais la discussion ne fait que commencer et je souligne qu'Air France est attachée
- et les élus, de façon légitime, encore davantage - à la qualité d'une desserte vers Paris, indispensable tant sur le plan économique que touristique. Je suivrai ces travaux de concertation de près.

Monsieur le sénateur Stéphane Demilly, la filière des carburants durables est appelée à devenir stratégique et j'appelle à la cohérence dans ce domaine : on ne peut pas demander des efforts à l'aviation si on ne soutient pas, y compris par des aides publiques, sa stratégie de décarbonation. Ces aides recouvrent les 300 millions d'euros annuels versés par le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), ainsi que l'enveloppe de 200 millions d'euros annoncée par le Président de la République au Bourget afin de financer des investissements sur des sites de production de carburants durables.

Concernant la Tiruert, il nous faut mettre en adéquation la réglementation française avec le système européen. Si nous avons été pionniers dans ce domaine en mettant en place des mandats d'incorporation de ces carburants durables, la réglementation européenne va désormais plus loin en durée et en ambition. Il est bien sûr exclu d'imposer à nos compagnies des systèmes contradictoires, et c'est bien le système issu du règlement ReFuelEU qui sera appliqué.

J'en viens à la taxe sur les infrastructures et en particulier aux aéroports. Le débat sur les seuils est légitime : s'ils avaient été fixés à un niveau trop bas, les aéroports régionaux, mais aussi certains ports, auraient été mis à contribution alors qu'ils ne disposent pas des mêmes capacités contributives, avec de possibles répercussions sur l'emploi et la desserte. D'où ce choix du Gouvernement de proposer une taxe assortie d'un seuil.

Il faudra évaluer ses effets dans les années à venir, notamment en déterminant si le mécanisme profite à des compagnies low cost qui opèrent plutôt dans les aéroports régionaux que dans ceux concernés par la taxe. Attaché au pavillon français, je serai très vigilant quant à ces effets induits de compétitivité relative. Je note d'ailleurs avec satisfaction que la compétitivité d'Air France s'est rétablie, notamment grâce au soutien de l'État.

Pour ce qui est de ma position sur l'aviation d'affaires, elle n'a pas varié depuis le mois d'avril dernier : je souhaite pouvoir compléter la taxe portée par la dernière loi de finances sur les avions détenus en propre par une taxe équivalente sur les avions loués.

La TNSA, ensuite, mériterait effectivement d'être refondue afin de continuer à financer les travaux nécessaires contre les nuisances aéroportuaires. Des difficultés de délai de financement existent depuis la sortie de la crise du covid.

Pour en venir à l'accord de « trêve olympique » conclu dans le secteur du contrôle aérien, je considère qu'il n'est ni une rançon ni une honte, mais qu'il est au contraire un motif de fierté. Les syndicats signataires l'ont en partie rendu public, et je ne communiquerai pas de chiffres précis aujourd'hui dans la mesure où les négociations sociales se poursuivent. Le syndicat majoritaire, dont le courage doit être salué, a fait preuve de responsabilité, ce qui a permis d'aboutir à un accord raisonnable tenant compte de l'inflation.

Dans la perspective des jeux Olympiques, il est de notre responsabilité collective de nous prémunir contre tout blocage des transports aériens qui nuirait à l'image de la France. Cet accord, aussi majeur qu'équilibré, a au contraire permis d'anticiper les difficultés et doit être salué. De la même manière, le Sénat a voté la proposition de loi de Vincent Capo-Canellas qui réforme le contrôle aérien tout en respectant le droit de grève. Prenons de la hauteur et considérons l'image d'ensemble : le secteur aérien se modernise grâce aux efforts de ses salariés et agents, dans le cadre d'un dialogue social qui s'est amélioré.

S'agissant du projet Roissy-Picardie, une solution de financement des surcoûts devra être trouvée pour ce chantier majeur. Si nous n'avons pas obtenu un financement européen pour l'instant, l'État assumera une part importante afin de permettre l'aboutissement du projet dans les délais prévus.

Monsieur le sénateur Hervé Gillé, le marché de la Lapi a été lancé et l'horizon fixé reste celui de 2024. Pour ce qui est de l'interopérabilité des titres de transport, plusieurs régions et métropoles sont volontaires pour expérimenter le titre unique de transport avant sa généralisation dans les deux années à venir, ce qui permettra de roder ce dispositif.

Concernant le leasing social, les paramètres seront présentés dans les prochaines semaines. En effet, les réservations devront être ouvertes avant la fin de l'année afin que les premiers véhicules soient disponibles en 2024. Nous avons retenu un critère environnemental qui conduira à privilégier des véhicules produits en France et en Europe : personne ne comprendrait, en effet, que des subventions écologiques soient accordées à des industries étrangères.

Ce choix assumé de souveraineté aura pour conséquence de ne mettre à disposition du public, dans un premier temps, qu'un nombre relativement réduit de véhicules, qui se compteront par dizaines de milliers plutôt que par centaines de milliers. La montée en puissance de ce dispositif devra néanmoins permettre d'atteindre 100 000 véhicules d'ici à la fin de la législature. Il est aussi appelé à être très attractif, puisque certains véhicules seront accessibles à moins de 100 euros par mois. Enfin, le débat sur la priorité à accorder à certains territoires pourra être mené. 

La taxe sur les infrastructures, de nouveau, n'entraînera pas une augmentation du prix des péages. Je tiens à réaffirmer - peut-être est-ce une conception surannée - que le Gouvernement conçoit les projets de taxe ensuite votés par le Parlement, et que les assujettis doivent ensuite s'y plier.

Concernant les zones peu denses, je partage votre avis au sujet du versement mobilité et des limites de leur potentiel fiscal. Néanmoins, d'autres solutions existent : dans le cadre du plan France Ruralités, 90 millions d'euros de crédits spécifiques sont ainsi prévus pour financer et soutenir des solutions de mobilité rurale développées par les intercommunalités. Il peut s'agir, par exemple de l'autopartage ou du déploiement de bornes électriques.

Sur la question de Monsieur le sénateur Olivier Jacquin relayée par Hervé Gillé, je suis favorable à la proposition du Gart d'organiser une concertation nationale. L'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France m'ont également sollicité sur le sujet.

La question du financement des mobilités doit être posée, notamment dans le cadre des Serm, mais pas seulement. Monsieur le sénateur Philippe Tabarot a poussé l'idée d'une conférence de financement ; je ne sais pas ce que décidera la commission mixte paritaire, mais je suis ouvert à ce que l'État assume cette discussion de manière globale avec l'ensemble des collectivités.

M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur le ministre, vous avez fait part de votre engagement pour les transports du quotidien avec une part importante pour le ferroviaire. En Mayenne, le TGV est très fréquenté ; les trains sont complets. La région des Pays de la Loire va annoncer la commande d'une trentaine de nouvelles rames. Allez-vous la soutenir pour améliorer la desserte ferroviaire dans le Grand Ouest ?

Je rappelle que cette même région a subi l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes et que les engagements du contrat d'avenir signé il y a quatre ans ne sont pas tenus, notamment en ce qui concerne le réaménagement de l'aéroport.

Je siège au Conseil national de l'air. La RATP s'est engagée pour améliorer la qualité de l'air dans les transports souterrains parisiens. L'Europe est également mobilisée pour relever ces ambitions. Quel accompagnement le Gouvernement entend-il apporter à la RATP sur ce sujet ?

M. Clément Beaune, ministre délégué. - Oui, il y a des progrès à faire sur la desserte à grande vitesse, qui rencontre des problèmes de fiabilité depuis cette année. J'ai engagé un travail avec la SNCF pour comprendre les dysfonctionnements. Des problèmes conjoncturels doivent être résolus et, de manière générale, il faut conserver et améliorer cette desserte.

Nous devons investir encore davantage dans les mobilités, et ce d'autant plus dans la région Pays de la Loire, envers laquelle l'État à une dette. Cela veut dire assumer et avancer sur la question de l'aéroport Nantes-Atlantique, comme je l'ai fait à Nantes en annonçant que nous devions relancer la procédure d'appel d'offres concernant sa modernisation. Je préfère lancer une concertation avec les élus pour améliorer la nouvelle procédure et la réengager le plus rapidement possible plutôt que de tergiverser.

J'ai assumé ce choix et me rendrai de nouveau à Nantes à la mi-novembre pour m'entretenir avec l'ensemble des élus concernés. J'espère que nous aurons, d'ici là, abouti sur le contrat de plan État-région, qui traduira concrètement - et non de manière « éthérée » comme dans un slogan - la priorité donnée aux mobilités en région Pays de la Loire dans la relation avec l'État.

Sur la qualité de l'air, qui ne concerne pas que la région parisienne, je remercie la région Île-de-France et Île-de-France Mobilités, laquelle a renforcé les moyens donnés à son opérateur principal et historique pour déployer des moyens de ventilation et de filtration innovants et améliorer, comme l'ont annoncé Jean Castex et Valérie Pécresse, la transparence sur la qualité de l'air.

L'un des problèmes à cet égard est que nous ne disposons pas de normes de référence pour mesurer la qualité de l'air dans un réseau souterrain comme le métro. L'établissement de normes européennes mettrait fin aux fantasmes.

Je redis que, si des efforts pour améliorer la qualité de l'air sont nécessaires, il n'y a pas de risques à prendre les transports publics. Le remarquable plan mené par la RATP n'a pas montré de prévalence des maladies respiratoires. Nos transports publics sont un atout pour la santé publique et la décarbonation des mobilités, et non une contrainte.

M. Pascal Martin. - Une nouvelle fois, je souhaite vous interroger sur le projet de contournement est de Rouen, essentiel pour les 500 000 habitants de la métropole et pour la région Normandie. Les conditions de circulation actuelle sont intolérables, tant pour les particuliers que pour les entreprises.

Cela fait cinquante et un ans que ce contournement est attendu. Tous les recours ont été purgés par le Conseil d'État, validant la déclaration d'utilité publique de 2020. En 2021, le Premier ministre Jean Castex avait engagé une consultation en vue de la mise en concession pour « engager très concrètement » le projet, ce que le Président de la République a confirmé à Rouen.

Les collectivités territoriales se sont engagées financièrement à hauteur de 245 millions d'euros. Un courrier, cosigné par plus de mille élus locaux, traduisant l'impérieuse nécessité du projet a été adressé à la Première ministre.

Quand l'État, maître d'ouvrage de ce projet, s'engagera-t-il concrètement et définitivement sur ce projet ?

M. Jacques Fernique. - L'augmentation des crédits se décline-t-elle concrètement dans le scénario retenu de planification écologique ? Il y a certes des signaux : CPER, nouvelles taxes... Pour autant, si vous affirmez qu'il y aura moins de projets routiers, celui de l'A69 est maintenu et l'importance du secteur routier se maintient, voire augmente - les crédits sont stables en euros constants.

Pour le rail, nous n'avons pas d'éléments tangibles prouvant que le plan de 100 milliards d'euros est engagé. En février dernier, la Première ministre nous annonçait que la déclinaison opérationnelle du plan d'avenir pour les transports serait construite d'ici à l'été ; manifestement, ce n'est toujours pas le cas. Nous avons vu que les 300 premiers millions étaient destinés à abonder le fonds de concours de la SNCF.

Au regard de la planification écologique, ne s'agit-il pas d'un budget d'attente ? Notre rapporteur a évoqué une progression par petits pas. Des arbitrages déterminants doivent être pris pour que la loi de programmation pluriannuelle soit effective : financement des Serm, versement mobilité, principe du pollueur-payeur pour le kérosène...

M. Éric Gold. - Monsieur le ministre, vous êtes venu récemment à Clermont-Ferrand, où vous avez pu mesurer les fortes attentes, légitimes, des usagers de la ligne Clermont-Paris. Le temps de trajet régresse et les incidents se répètent - irrégularités et suppressions de trains - la faute à un matériel inadapté et vieillissant. Notre ville est le chef-lieu de département le plus mal relié à la capitale.

Le schéma directeur de la ligne porté par l'État et SNCF Réseau prévoit d'importants travaux de modernisation de la voie ferrée pour près de 900 millions d'euros. La livraison des nouvelles rames Oxygène, prévue pour la fin de 2023, a été largement différée. Pouvez-vous m'apporter des éléments de calendrier précis et nous rassurer sur le budget et la disponibilité des crédits ?

M. Jean-Claude Anglars. - Mon collègue Éric Gold a parlé de la ligne Paris-Clermont ; pour ma part, j'irai jusqu'à Rodez. En effet, le train de nuit Paris-Rodez est une catastrophe.

L'an dernier, vous m'avez indiqué que vous étudiiez la possibilité de renouveler le matériel roulant. Pouvez-vous nous donner un calendrier sur ce sujet ?

Par ailleurs, le tronçon Rodez-Sévérac-le-Château constitue un chaînon manquant sur la RN 88. L'État vient de concéder ce tronçon à la région Occitanie et au département. Ce dernier s'est engagé à réaliser les travaux. Cet itinéraire est particulièrement accidentogène : deux décès ont encore eu lieu la semaine dernière sur cette ancienne route nationale, qui doit être transformée en deux fois deux voies. Où en sont les discussions dans le cadre du CPER ?

M. Franck Dhersin. - Chacun connaît la situation de Fret SNCF : injonctions de l'Europe, déficit... Comment la voyez-vous évoluer dans les mois à venir ? C'est important pour les trois ports de mon département, qui utilisent le fret.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Il y a un an, le Président de la République annonçait sa volonté de relancer les RER métropolitains, volonté qui s'est récemment traduite par des engagements financiers lors du Conseil de planification écologique.

Je me réjouis que le Serm de Lille soit concerné. Au-delà de la création d'une voie entre Lille et Hénin-Beaumont, une nouvelle gare doit être créée à Lille. L'enveloppe prévue dans le CPER est estimée à 700 millions d'euros de subventions de la part de l'État pour un projet coûtant de 7 milliards à 9 milliards d'euros.

Pouvez-vous confirmer que ce premier versement permettra de lancer les études préalables et les premiers investissements et que le ministère continuera de suivre ce projet dans le temps ?

Mon département compte une plateforme trimodale, Delta 3, terminus des trains de la soie. Or lorsque les entreprises de mon département veulent utiliser le fret ferroviaire, on les renvoie d'office vers Geodis, la filiale de transport routier de la SNCF. Comment comptez-vous intervenir pour rendre le fret accessible au plus grand nombre ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - L'avancement des travaux de la ligne Lyon-Turin me semble difficile à cerner. En toute logique, les accès au tunnel devraient être livrés en même temps que le tunnel de base, en 2030. Or, nous sommes loin de tenir ce calendrier.

Vous avez répondu à Philippe Tabarot que le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes envisageait de participer au financement des études, mais ce dernier a posé la condition que d'autres collectivités territoriales le fassent également. Où en sont les négociations avec les départements ?

Dans le même temps, SNCF Réseau envisage de moderniser la ligne historique Modane-Dijon. J'ai lu que le COI aurait souhaité limiter l'accès à ce futur tunnel par cette liaison. Avouez que des précisions s'imposent !

M. Pierre Barros. - On peut se féliciter de la centaine de milliards d'euros mis sur la table, même si le sujet est inépuisable en matière de financement. Toutefois, je m'interroge sur la rénovation des réseaux existants. Des moyens sont nécessaires pour que les Serm historiques fonctionnent mieux, notamment pour réaliser des travaux d'électrification
- je pense notamment au secteur de Périgueux, dans la circonscription de Marie-Claude Varaillas.

Le plus gros Serm de France, c'est la région parisienne. Il existe et doit être remis à niveau. Où en est-on de la rénovation des réseaux RER et Transilien ? Les délais ne cessent de s'allonger, à la fois sur le matériel roulant, les infrastructures et les systèmes de régulation. Il s'agit d'une question stratégique, le réseau national étant fait de telle sorte que tout transite par Paris.

Je constate que le projet de CDG Express, qui fait l'objet de financements publics et privés, avance plus vite que la remise à niveau du RER B.

Par ailleurs, la ligne TGV Amiens-Creil-Roissy est un très mauvais exemple. En tant que maire de Fosses, j'ai participé aux travaux avec les élus pour déterminer par où passerait la ligne, et le tracé retenu par SNCF Réseau n'est pas celui des élus. C'est regrettable.

M. Cédric Chevalier. - Le fret aérien se développe fortement et entraîne la création de nouvelles pistes, ce qui va à l'encontre de la politique environnementale du Gouvernement en matière de consommation du foncier.

Des solutions existent en province pour seconder les plateformes parisiennes. Parmi elles, l'aéroport de Vatry, situé à moins de 150 kilomètres de la capitale, présente de nombreux avantages : il comporte la plus longue piste d'atterrissage d'Europe et une plateforme pouvant traiter 200 000 tonnes de fret par an. Il peut accueillir tous types d'avions, tous les jours de l'année, en limitant les nuisances pour les riverains.

Les collectivités soutiennent à bout de bras cet aéroport ; elles ne peuvent pas faire plus. Le président du conseil départemental a même évoqué au début de l'année sa mise en vente à des opérateurs chinois.

L'État doit trouver des solutions pour réinternaliser les flux de fret en France et réduire l'impact carbone. Quelle est votre position sur ce sujet, et en particulier sur l'aéroport de Vatry ?

M. Fabien Genet. - En Saône-et-Loire et en Bourgogne du sud, la liaison entre Moulins-sur-Allier, Paray-le-Monial et Lyon fait l'objet d'une grande mobilisation des cinq intercommunalités irriguées par cet axe. C'est une question d'aménagement du territoire : les métropolitains installés en Bourgogne du sud doivent pouvoir aller travailler à Lyon.

Or le constat est sans appel : sous-utilisation du matériel roulant, pas d'aller-retour Lyon-Paray-le-Monial dans la journée... La ligne compte l'un des plus forts taux d'irrégularité, ce qui dissuade les habitants de prendre le train.

L'an dernier, vous m'aviez dit qu'une rénovation était prévue en 2025 et que des études étaient en cours. Certes, nous ne sommes pas encore en 2025, mais le dossier a-t-il avancé ? Les travaux nécessaires d'urgence entre Saint-Agnan et Gilly-sur-Loire pourront-ils être réalisés dès 2024 ?

Enfin, la ligne entre Étang-sur-Arroux et Autun - ville sous-préfecture, soeur de Rome il y a deux mille ans et porte du Morvan - a été neutralisée pour travaux en mars 2020, puis jamais rouverte.

L'expérimentation d'une navette autonome, qui serait capable de rouler et sur la route et sur le rail, est évoquée. Soutenez-vous cette innovation ? Se concrétisera-t-elle ?

M. Alexandre Ouizille. - Ma question prolonge celle de mon collègue de la Somme sur la ligne Roissy-Picardie. Vous avez eu des mots apaisants, mais où en sommes-nous des discussions avec l'Union européenne sur le financement ? Quid de l'engagement pris par l'État de boucler le tour de table des financements ?

En pétitionnant en gare de Creil, j'ai été interpellé par des habitants me disant qu'ils avaient acheté dans cette ville en pensant que la ligne arriverait bientôt. Quels délais avez-vous en tête pour l'achèvement de cette ligne ?

M. Sébastien Fagnen. - Depuis de trop nombreuses années, la Normandie pâtit d'une desserte ferroviaire changeante et irrégulière. Il y a une quinzaine d'années émergeait l'idée d'une ligne Paris-Normandie, qui apporterait de nombreux bénéfices - meilleure qualité de service, ponctualité, augmentation du trafic - et renforcerait l'attractivité de la région, qui compte des ports investis pour le développement des énergies marines renouvelables, en particulier celui de Cherbourg.

Toutefois, pour que cette ligne devienne réalité, un fort volontarisme doit prévaloir. Les collectivités normandes se sont investies, notamment pour la réalisation du saut-de-mouton près de la gare de Clichy-Levallois. Quel est le plan de financement de l'État pour concrétiser la ligne Paris-Normandie et selon quel calendrier ?

M. Alain Duffourg. - Je termine ce tour de France avec l'Occitanie : qu'en est-il du CPER ? Jean Castex avait permis de financer la deux fois deux voies entre Auch et Toulouse, dans une zone enclavée. Des financements sont-ils prévus pour poursuivre cette route jusque dans les Landes ? Où en sont les travaux de la RN 21, promis depuis environ cinquante ans ?

M. Clément Beaune, ministre délégué. - Je répondrai rapidement à vos questions et vous propose, si nécessaire, de compléter mes propos par des échanges directs ou écrits.

Sur le contournement est de Rouen, la priorité que vous avez affirmée est très claire, monsieur le sénateur Pascal Martin. Je n'entrerai pas dans le détail de chaque projet autoroutier car sous quelques semaines, une revue d'ensemble permettra de faire le point sur l'avancement des projets en cours. J'ai bien entendu votre position et celles relayées par d'autres acteurs récemment.

Monsieur le sénateur Jacques Fernique, en ce qui concerne les routes, les injonctions contradictoires font partie de la vie démocratique. (.)Il y a toujours des projets routiers ou autoroutiers, mais nous réduisons de 50 % la part des crédits routiers dans les CPER. Il s'agit d'un engagement de rééquilibrage modal très clair au profit du ferroviaire.

Je ne reviens pas sur nos engagements pour moderniser le réseau ferroviaire : le contrat de performance doit être ajusté pour graver dans le marbre l'effort progressivement et significativement accru en ce sens.

Le principe de pollueur-payeur se traduit dans la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance qui vous est soumise : nous faisons contribuer les secteurs les plus polluants pour décarboner l'ensemble du secteur et développer les modes les moins polluants.

Sur le kérosène, les négociations se tiennent à l'échelle européenne. La France a demandé qu'un texte soit proposé par la Commission européenne. Les négociations sont en cours pour une taxation européenne, au-delà de la réforme de la directive ETS (European Trading Scheme).

Sur les lignes jumelles Paris-Clermont et Polt, monsieur le sénateur Éric Gold, mon engagement est clair. Je préside moi-même tous les trois mois le groupe de travail pour suivre les améliorations de qualité de service à court terme. Le schéma directeur à moyen terme est le suivant : premières livraisons de nouvelles rames en 2025, fin des livraisons en 2026 et fin des travaux en 2027.

Je suis conscient des perturbations tant que le réseau n'est pas finalisé, mais les rames Oxygène existent. Je vous propose d'ailleurs d'aller les voir en test avec d'autres élus. Je rappelle que l'État investit 1,3 milliard d'euros rien que pour la ligne Paris-Clermont.

Ma réponse vaut également pour la ligne Polt.

Pour être clair sur la RN88, il s'agit en effet, dans le cadre de la loi 3DS de février 2022 (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification), de l'une des routes que nous transférons en partie à la région et en partie au département de l'Aveyron, car le président du conseil départemental Arnaud Viala y tient particulièrement. Sur le volet budgétaire, la discussion se tiendra, dans le cadre du CPER, avec la région, en association avec le département pour déterminer les crédits qui seront mobilisés.

Monsieur le sénateur Franck Dhersin, sur le fret, la situation évolue. L'opérateur Fret SNCF doit, selon l'équilibre que je défends, remettre des trains sur le marché. Les contacts ont été pris avec les clients depuis la fin du mois de juillet, pour qu'il n'y ait pas de report inversé. Nous devons conserver un opérateur ferroviaire public viable dans les prochains mois. Il s'agit d'assurer son avenir, et non de le laisser rembourser 5,3 milliards d'euros dans quelques mois, ce qui serait sa perte assurée.

Sur le RER métropolitain lillois, monsieur le sénateur Jean-Pierre Corbisez, il s'agit de l'un des projets les plus ambitieux et donc l'un des plus coûteux. Le CPER prévoit un financement important au titre du Serm, mais qui ne couvrira pas l'intégralité du financement de l'État. Nous devons définir avec le président de région, le président de la métropole et la Société du Grand Paris (SGP) le plan d'investissement et de financement, par étapes, dans les prochains mois.

Sur le manque d'accès au fret des entreprises locales, je reviendrai vers vous pour identifier les leviers que nous pouvons mobiliser.

Sur les accès au tunnel de la ligne Lyon-Turin, des travaux du COI ont préconisé ce décalage dans le temps de leur réalisation, mais ce n'est pas la position du Gouvernement. La priorité est d'assurer le financement du scénario du grand gabarit. C'est l'objet de la négociation que nous conduisons avec la région et les autres collectivités, notamment les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie.

Monsieur le sénateur Pierre Barros, en effet, le Serm francilien existe : cela s'appelle le Grand Paris Express, projet déjà en route et entièrement financé. La prolongation de la ligne 14 du métro ouvrira dès l'an prochain. Sur le reste, l'investissement relève de la région et de l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM), mais l'État est en accompagnement. C'est le principal objet de la négociation du CPER francilien que nous espérons finaliser, avec Valérie Pécresse, d'ici à la fin de l'année.

S'agissant de l'aéroport de Vatry, l'engagement est clair : il ne faut pas qu'il devienne chinois. À ma demande, le président d'Aéroports de Paris (ADP) étudie les complémentarités que nous pouvons déployer sur le fret aérien. L'aéroport a rendu de précieux services pendant la crise sanitaire liée à la covid-19 ; il convient de mettre sur pied un projet pérenne au-delà de cette période. Les équipes de gouvernance ont été renouvelées. Des perspectives existent en complément du fret de Roissy, j'en suis persuadé.

Monsieur le sénateur Fabien Genet, pour les projets en Bourgogne du sud, je reviendrai vers vous. Pour la ligne Étang-sur-Arroux-Autun, la fraternité - ou sororité - qui nous lie à Rome exige que nous soyons à la hauteur.

Pour la ligne entre Moulins-sur-Allier, Paray-le-Monial et Lyon, la discussion se poursuit dans le cadre du CPER et nous devrions avoir plus de visibilité sur le plan d'investissement partagé d'ici la fin de l'année.

S'agissant de la ligne Roissy-Picardie, je le redis : je préfère que nous ne fassions pas de plans sur la comète. C'est une déception, mais nous n'avons pas obtenu de financement européen et devons donc élaborer un plan de financement indépendant et robuste. Nous nous y attelons avec la région et le préfet de région pour que le calendrier soit tenu, c'est-à-dire la fin de la législature. Si de bonnes nouvelles nous parviennent, les sommes seront déduites des contributions des uns et des autres.

S'agissant de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), nous avons une dette ferroviaire à l'égard de la Normandie, qui est mal desservie. Je me suis rendu en juillet au Havre avec la Première ministre, qui y a réaffirmé l'engagement de l'État sur ce projet prioritaire.

Enfin, s'agissant du CPER Occitanie, je crois pouvoir dire, monsieur Duffourg, que nous sommes proches d'un consensus avec Carole Delga sur le volet ferroviaire. Des discussions sont toujours en cours sur le volet routier, qui est plus contraint. J'espère signer un accord politique avec elle avant la fin de l'année.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces réponses, monsieur le ministre. Nous vous transmettrons nos demandes sur les points spécifiques pour obtenir des réponses plus détaillées.

Examens en commission
Crédits « Transports aériens »
Mercredi 15 novembre 2023

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous entamons ce matin le traditionnel cycle d'examen automnal des avis budgétaires de notre commission, qui nous occupera pendant les trois prochaines semaines. Cette séquence nous permettra d'examiner huit rapports pour avis, retraçant non seulement les crédits, mais également, et surtout, les politiques publiques thématiquement liées aux compétences socles de notre commission, à savoir l'aménagement du territoire, les transports et l'environnement.

Pour nos collègues nouvellement élus, je ne crois pas inutile de rappeler brièvement les règles de la discussion budgétaire et l'esprit des rapports pour avis. Comme vous le savez, l'examen du projet de loi de finances se décompose en deux parties, la première consacrée principalement aux recettes et aux conditions générales de l'équilibre financier, et la seconde relative aux dépenses et aux moyens des politiques publiques. C'est au sein de cette partie que les crédits sont regroupés en missions, en programmes et en actions selon la finalité de la dépense, conformément à la nomenclature établie par la LOLF (loi organique relative aux lois de finances).

Les missions correspondent aux grandes politiques publiques de l'État, les programmes sont l'unité de l'autorisation parlementaire des dépenses afin de définir le cadre de mise en oeuvre des politiques publiques : ils constituent une enveloppe globale et limitative de crédits, relevant d'un seul ministère. Les programmes regroupent un ensemble cohérent d'actions qui permettent de préciser la destination prévue des crédits et d'améliorer la lisibilité des dépenses budgétaires en fonction de leur finalité.

Parmi nos moyens d'action figure le traditionnel droit d'amendement : il nous est loisible de modifier la répartition des crédits entre les programmes d'une même mission, mais également de créer, modifier ou supprimer un programme, dans le respect du fameux article 40 de la Constitution qui définit les règles de recevabilité financière des initiatives d'origine parlementaire.

Les rapports pour avis de notre commission n'ont pas vocation à être des rapports spéciaux bis. Les commissaires des finances s'appuient sur une approche budgétaire, financière et comptable pour analyser les crédits des missions budgétaires. Ils s'intéressent à l'ingénierie du projet de loi de finances, en visant l'exhaustivité des mouvements et des crédits. Notre démarche à nous est transversale et thématique : nous sommes plus enclins à interroger la pertinence des politiques publiques climatiques et environnementales, à expertiser la cohérence des trajectoires de décarbonation, à évaluer les stratégies de développement et d'évolution des infrastructures de transport, et à porter un regard critique sur les stratégies budgétaires et sectorielles d'adaptation au changement climatique.

C'est ainsi que les rapporteurs pour avis concentrent leur travail d'analyse sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui est le réceptacle budgétaire d'une partie substantielle des crédits affectés aux thèmes de compétence de notre commission. Les rapporteurs s'intéressent également aux missions « Cohésion des territoires » et « Relations avec les collectivités territoriales », supports du financement de stratégies d'aménagement du territoire, notamment des ZRR, mais également à toutes les autres missions susceptibles d'héberger des crédits relatifs à nos champs de compétence.

En outre, la budgétisation environnementale fait l'objet d'un examen attentif, dans le cadre de l'évaluation de l'impact des dépenses budgétaires et fiscales sur l'environnement et la biodiversité. Les politiques publiques mises en oeuvre grâce aux 2,5 milliards d'euros du « fonds vert » sont également scrutées avec la plus grande attention par les rapporteurs pour avis, afin de s'assurer de la cohérence des dépenses avec les objectifs que notre pays s'est fixés. Les stratégies climatiques et environnementales - stratégie nationale bas-carbone, stratégie nationale pour la biodiversité, plan eau, décarbonation du secteur des transports - sont évaluées sous l'angle de leur cohérence, afin de vérifier que les crédits consacrés à une stratégie ne soient pas remis en cause par des dépenses qui iraient à l'encontre des buts recherchés.

Voilà, mes chers collègues, les quelques informations de cadrage dont je voulais vous faire part concernant la finalité des rapports budgétaires pour avis de notre commission. Sans plus tarder, je laisse la parole à notre collègue Stéphane Demilly pour qu'il nous présente l'examen des crédits relatifs au transport aérien.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien. - Le secteur aérien ne sortira que l'année prochaine de la crise sanitaire. Le niveau de trafic sur les 150 aéroports français à fin septembre est en moyenne à 93,5 % de celui de 2019. Dans le détail, le trafic loisir a retrouvé une forte dynamique. Le trafic vers les départements et régions d'outre-mer (DROM) ou depuis les DROM est à plus de 110 % du fait d'un rattrapage des contacts familiaux. Quant au « trafic affaires », il reste en berne : il oscille à un niveau compris entre 70 et 80 % de son niveau de 2019. De nouvelles méthodes de travail sont entrées dans les habitudes. Retenons globalement que le retour à la normalité est attendu en 2024 : tel est mon premier constat.

Deuxième constat : la course contre la montre en faveur de la décarbonation du secteur est lancée, avec un objectif « aspirationnel » d'une décarbonation en 2050.

Ces deux constats ont guidé mon avis, dont les trois axes principaux sont les suivants :

- être exigeant envers les pouvoirs publics, en particulier la direction générale de l'aviation civile (DGAC) concernant sa trajectoire de dette et ses investissements de modernisation ;

- assumer la nécessité de limiter les impacts environnementaux du secteur le plus rapidement possible, sans toutefois le sacrifier ;

- veiller à limiter les nuisances, et notamment sonores, dues au transport aérien.

D'un point de vue budgétaire, la situation du bras armé de l'État en ce qui concerne le secteur aérien, la DGAC, est aujourd'hui assez critique. Cas de figure presque unique, cette administration n'est pas financée par le budget général de l'État, mais par les taxes et redevances versées par le secteur qu'elle administre. Or, avec la crise sanitaire, elle a eu très largement recours à l'endettement, si bien que l'encours de la dette a explosé de près de 700 millions d'euros en 2019 à 2,7 milliards d'euros fin 2022. Une trajectoire ambitieuse de désendettement a toutefois été amorcée pour atteindre un niveau de dette de 1,5 milliard d'euros en 2027. Saluons cet engagement volontariste et souhaitons qu'il soit tenu.

Néanmoins, les pouvoirs publics doivent faire face à une autre difficulté. Le contrôle aérien français utilise des outils obsolètes, qui en font l'un des moins performants d'Europe, et ce de l'aveu même des acteurs concernés.

Un programme de modernisation a donc été engagé - probablement tardivement, assurément trop lentement -et représente un coût très élevé. Comme l'a souligné Vincent Capo-Canellas dans son rapport d'information sur cette question, le tir est donc corrigé, mais il faut rester vigilant afin d'éviter de nouveaux retards et de nouveaux surcoûts. Retenons donc de mes propos que l'effort de désendettement ne doit pas se faire au détriment de cette urgente et nécessaire modernisation...

Vaste défi ! Vaste défi en effet, car les dépenses de fonctionnement risquent, elles, d'être inflationnistes. Le principal syndicat de contrôleurs aériens a ainsi récemment signé un accord de « trêve olympique » avec sa direction tandis que, parallèlement, se tiennent des négociations sociales avec la DGAC dont on attend le résultat pour fin décembre. Vous l'avez compris, je m'inquiète d'un risque de dérapage des dépenses de personnel, certains considérant que le moment est opportun pour faire monter le curseur.

J'en viens maintenant au deuxième axe de mon avis : l'impératif de réduire l'impact environnemental du transport aérien. Au-delà de la modernisation des opérations au sol, au-delà des changements de pratique de vols (notamment la descente continue), deux leviers de décarbonation du secteur se dégagent à ce jour :

- la sobriété énergétique des aérostructures et des moteurs ;

- la moindre intensité en gaz à effet de serre des carburants, autrement dit l'usage de carburants aériens durables.

Tout d'abord, rappelons en effet que les constructeurs et les motoristes, et notamment Airbus et Safran, réalisent des progrès rapides concernant l'efficacité énergétique des appareils. Par exemple, les constructeurs font évoluer l'architecture des aérostructures, et notamment les SMR (small and medium range, avions à faible et moyen rayon d'action), qui pourraient consommer 25 à 30 % de carburant en moins par passager. Comment me direz-vous ? Avec des voilures plus efficaces réduisant de 20 % les traînées (elles concourent au moins autant que le carburant consommé au réchauffement climatique), ou encore avec des aérostructures plus légères de 20 à 30 %, donc moins consommatrices de carburant. Les motoristes, vous l'avez compris, ne sont pas en reste non plus. J'en veux pour preuve l'arrivée de nouveaux moteurs dont l'efficacité énergétique est supérieure de 15 % à 20 %, comme le LEAP 1A de chez SAFRAN, qui équipe l'A320. Tous ces efforts ne doivent pas nous faire oublier qu'il faut encore et toujours poursuivre le renouvellement des flottes par des avions plus vertueux. C'est la raison pour laquelle je vous inviterai à adopter un amendement y contribuant.

Vous l'avez compris, les carburants aériens durables seront le fer de lance de la décarbonation du secteur. Le Président de la République a annoncé un plan de 200 millions d'euros en faveur des carburants aériens durables au Salon du Bourget. Cette annonce paraît un peu fade au regard de ce que fait par exemple l'État allemand qui a publié une feuille de route sur le déploiement des carburants de synthèse pour le secteur de l'aérien, d'un montant de 1,3 milliard d'euros pour le développement d'une filière de production de e-fuels et de biocarburants avancés. Il faut donc aller plus vite et plus fort. C'est un enjeu écologique en premier lieu, mais c'est aussi une question de souveraineté, car rien ne serait plus paradoxal que d'importer des carburants aériens durables. C'est pour cela que je propose de créer un dispositif fiscal incitatif à leur achat. L'État doit assumer de façon plus franche son rôle en accompagnant le secteur sur le chemin de la décarbonation. C'est d'ailleurs une recommandation de la mission commune d'information sur les biocarburants.

Une de mes dernières remarques concerne les lignes d'aménagement du territoire, essentielles pour l'équité territoriale dans notre pays. Je tiens à saluer la stabilité des crédits qui leur sont consacrés et la reconduction de la ligne Rodez-Paris. À ce sujet, je m'interroge sur la cohérence qu'il y a à supprimer, comme ce fut le cas dans la loi « Climat et Résilience », les lignes Orly-Nantes, Orly-Lyon et Orly-Bordeaux, et à maintenir la ligne Lyon-Marseille.

Je voudrais maintenant vous dire que je désapprouve totalement le principe même de l'article 15 du projet de budget qui crée une taxe sur les infrastructures de longue distance. Pour les aéroports, seuls ceux du groupe ADP, Orly et Roissy, les plateformes de Nice, Marseille et Lyon ainsi que possiblement Toulouse devraient être concernés. Je me rapprocherai donc de mes collègues rapporteurs sur les crédits relatifs aux transports routiers, fluviaux et ferroviaires afin d'élaborer une position commune sur ce point. Puisqu'il n'était pas juridiquement possible de taxer les seules autoroutes, on est allé chercher un deuxième « larron » : le transport aérien. Ce « bricolage » fiscal, qui pallie les lacunes des contrats de concessions autoroutières qui ont été passés avec l'État, pénalise un secteur qui doit pourtant assumer de lourds investissements de décarbonation. Il eût été bien plus opportun d'utiliser ce potentiel montant payé par les aéroports pour financer la transition écologique du secteur aérien lui-même. Déshabiller Pierre pour habiller Paul, ce n'est pas sérieux, ce n'est pas cohérent, et c'est juridiquement, et à tout le moins moralement bancal. Je souhaite donc à titre personnel la suppression de l'article 15, car il pénalise nos compagnies nationales et fait la part belle à des compagnies étrangères à bas coûts implantées sur des aéroports voisins, non concernés par cette taxe.

J'en viens maintenant à mon troisième axe, la lutte contre les nuisances sonores causées par le transport aérien. Je salue le travail engagé sur ce point par Didier Mandelli, rapporteur de la mission flash d'information sur la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique. Ces nuisances sont un enjeu de santé publique et fragilisent l'acceptabilité sociale du transport aérien. Afin d'y répondre, une taxe versée par les compagnies aériennes, la taxe sur les nuisances aériennes (TNSA), permet de financer en partie des travaux d'insonorisation pour les habitants, mais aussi des établissements scolaires et médicaux à proximité des aéroports. Or, la baisse du trafic lors de la crise sanitaire a grevé son rendement. De nombreux travaux d'isolation phonique restent donc en attente faute de financement alors que le trafic reprend de plus belle. Je proposerai donc d'adopter un amendement qui tend à compenser cette baisse de rendement.

Pour conclure, je tiens à dire un mot sur la démarche qui m'a conduit à élaborer ce premier rapport pour avis au projet de loi de finances au nom de la commission. J'ai adopté une approche équilibrée, afin d'être exigeant avec le secteur, en particulier sur les enjeux de décarbonation, sans pour autant verser dans l'excès. En toute objectivité, quand on liste les investissements nécessaires à la décarbonation pour les constructeurs d'aéronefs, pour les motoristes, pour les aéroports, pour l'industrie naissante des carburants aériens durables, et la recherche d'autres solutions décarbonées, les besoins de financement sont très élevés.

Si parallèlement, on fait preuve d'une créativité extraordinaire de taxation des acteurs de l'aérien, l'effet ciseau sera d'une violence telle que l'atrophie de l'industrie aéronautique et aérienne française entraînera un remplacement des acteurs français par des acteurs étrangers sans bénéfice pour l'environnement. Pour le dire autrement, nous aurons perdu à la fois le beurre et l'argent du beurre !

Sous le bénéfice des observations que j'ai partagées avec vous et des amendements que je vous soumets, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports aériens.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je voudrais remercier Stéphane Demilly de m'avoir associé à ses auditions. Son rapport pour avis reflète bien leur contenu. Ce n'est pas le tout de décoller, mais il faut savoir et pouvoir atterrir vers l'objectif de zéro émission nette du transport aérien à l'horizon 2050. Le secteur aérien a été fortement affaibli par la crise sanitaire. Des compagnies aériennes ont disparu, d'autres ont dû leur survie à l'aide de l'État, à l'instar d'Air France-KLM qui a bénéficié d'un prêt de 3 milliards d'euros. Le groupe l'a remboursé avec 650 millions d'euros d'intérêts. Cela montre que le secteur aérien se porte mieux : en 2023, le trafic est presque revenu à sa situation antérieure à la crise sanitaire. Toutefois, les bons résultats, comme ceux d'Air France-KLM sont aussi dus à une augmentation du prix des billets.

Le secteur doit maintenant mener sa décarbonation à bien, qui pourra également amener une hausse des prix. Plusieurs leviers de décarbonation se dégagent, qui ont en commun leur coût élevé pour le secteur, dont l'avenir est en jeu. Ce sont aussi de véritables paris technologiques.

Concernant le développement des nouveaux carburants alternatifs, la mission que j'ai eu le plaisir de présider sur les biocarburants, qui a été marquée par une forte implication de l'ensemble des sénateurs, a soulevé un certain nombre de difficultés. Leur incorporation a un coût extrêmement élevé, ces carburants étant environ trois à cinq fois plus chers que le kérosène. Dans ce projet de loi de finances, on ne voit pas la volonté de développer une filière nationale de carburants aériens durables. Le rapporteur a soulevé le problème de notre indépendance dans ce domaine. À cela s'ajoutent les risques de pénurie de biocarburants et de conflits d'usages : ces derniers participent aussi à la décarbonation dans le secteur routier et dans le secteur maritime. Au-delà de ces aspects financiers, je m'interroge sur la planification de la décarbonation, compte tenu des besoins très élevés en biomasse : quelle sera la priorité pour l'aérien ? En fonction de cette disponibilité éventuelle de biocarburants, il y aura également des besoins très forts en électricité.

Il faut en outre accélérer le renouvellement de la flotte, ce qui passe par la mise au rebut d'appareils avant leur amortissement au profit d'avions plus sobres en carburant et adaptés aux nouveaux biocarburants. Un autre pari technologique concerne le développement d'une aviation électrique pour les courts trajets, notamment les lignes régionales. Airbus mène aussi un programme de recherche pour introduire des aéronefs à hydrogène.

Le coût de cette transition est donc élevé. À titre d'exemple, le groupe Air France-KLM a indiqué investir un milliard d'euros par an pour le renouvellement de sa flotte et 500 millions d'euros pour celui de celle de sa filiale Transavia. Il y a aussi un coût de recherche et développement : il s'élèverait à 3 milliards d'euros pour Airbus en 2022. Par ailleurs, il me semble nécessaire que cette augmentation des coûts n'induise pas de sélectivité d'accès fondée sur l'accroissement du prix des billets. Je rejoins les inquiétudes liées à l'article 15 du projet de loi de finances qui crée une taxe sur les infrastructures de transport de longue distance : je ne vois pas comment soutenir le secteur aérien vers ses objectifs de décarbonation tout en le taxant pour permettre à d'autres secteurs de se décarboner.

Il me semble nécessaire de planifier cette décarbonation et de disposer d'une feuille de route au long cours. Au regard de tous ces éléments, concernant en particulier la faiblesse du soutien au développement de la filière des carburants aériens durables, les crédits de ce budget me paraissent insuffisants pour accompagner le secteur dans cette obligation de mutation inédite, qui doit pourtant réussir.

M. Ronan Dantec. - Les projets de décarbonation étudiés aujourd'hui sont fantaisistes, folkloriques et dépourvus de sens. Personne n'ignore qu'il n'y a pas de biomasse disponible pour le transport aérien à l'échelle mondiale. Il n'y en a déjà pas assez pour les autres besoins énergétiques. Il est donc étrange d'investir des montants élevés dans une impasse. C'est une opération d'écoblanchiment : pour rendre acceptable le transport aérien, on annonce sa décarbonation à l'échéance de 2050. En outre, les carburants à base d'électricité sont très onéreux (environ 5 000 euros la tonne produite, parfois plus). Par conséquent, quand bien même nous disposerions de l'électricité nécessaire pour les produire, le public utilisera des compagnies extracommunautaires qui continueront de voler au kérosène. Il faut donc assumer que le transport aérien sera un des derniers modes de mobilité à consommer des énergies fossiles parce qu'il n'y a pas d'alternative économiquement viable. Ce secteur, tout comme le transport maritime, doit donc financer les transitions des autres secteurs par la taxation du carbone et être ainsi un vecteur des flux financiers nécessaires pour assurer la transition écologique. C'est la logique même du système mondial de compensation des émissions de gaz à effet de serre Corsia. En outre, on a constaté ces dernières années qu'une augmentation significative du prix n'entraînait pas de baisse du trafic. Les quelques dizaines d'euros de taxation carbone seront absorbées par les passagers sans difficulté, y compris sur un vol international. En somme, il faut tenir un discours clair : la décarbonation du transport aérien ne fonctionne pas compte tenu de la faible disponibilité en biomasse. Il faut cependant poursuivre les efforts en faveur de la sobriété énergétique des aéronefs comme le fait Airbus.

M. Jacques Fernique. - Je ne partage pas l'appréciation du rapporteur sur le fameux article 15 du projet de loi de finances créant une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance. Il me semble excessif de considérer que l'aérien serait empêché d'investir pour sa décarbonation. Il est opportun que la rentabilité forte des secteurs concernés puisse alimenter en partie les investissements nécessaires afin de favoriser un report modal vers des mobilités décarbonées. En outre, les conditions pour être redevables de cette taxe sont proportionnées : il faut avoir des revenus d'exploitation qui excèdent 120 millions d'euros par an et un niveau moyen de rentabilité excédant 10 %. Cette taxe aurait un rendement d'environ 600 millions d'euros, dont l'effort serait réparti entre les concessions autoroutières à hauteur de 480 millions d'euros et les concessions aéroportuaires à hauteur de 120 millions d'euros. C'est le début de la déclinaison d'une partie des préconisations du conseil d'orientation des infrastructures. Si les réticences des secteurs mis à contribution sont compréhensibles, il faut tenir cette orientation nécessaire.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Ronan Dantec ouvre le débat sur l'avenir du transport aérien et rappelle que la voie de la décarbonation est étroite. Le transport aérien est indispensable, mais sa décarbonation hypothétique prendra beaucoup de temps. Concernant l'article 15 du projet de loi de finances, il y a un enjeu de compétitivité des aéroports. Amsterdam Schiphol concurrence fortement Roissy-Charles-de-Gaulle. De nombreux voyages avec une correspondance se font en effet désormais via Amsterdam Schiphol. Je ne suis donc pas favorable à cette nouvelle taxe qui pourrait pousser des compagnies aériennes à s'installer à Amsterdam Schiphol plutôt que sur le hub de Roissy-Charles-de-Gaulle.

M. Pierre Barros. - Je suis membre de la communauté d'agglomération Roissy Pays de France, dont l'activité économique est soutenue par l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, qui est engagé dans une concurrence européenne forte, notamment avec l'aéroport d'Amsterdam Schiphol. Cependant, l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle a des atouts indéniables, ce qui rend improbable un basculement d'ampleur de l'activité vers Amsterdam. Ce sujet, qui porte sur un secteur qui fait figure de fleuron national - souvenons-nous du Concorde - est très technique et a de forts enjeux financiers. Par ailleurs, les conséquences sur le territoire proche ne sont pas neutres. Depuis 50 ans, la technologie des avions a progressé, ces derniers sont devenus beaucoup plus performants et beaucoup moins bruyants. Cependant, l'augmentation du trafic fait perdurer la problématique de la pollution. En dépit d'une amélioration de la technologie, les nuisances restent conséquentes pour les populations aux alentours. Il ne faut pas croire que la technologie peut, à elle seule, améliorer la situation : elle va accompagner l'augmentation du trafic.

En outre, concernant l'aménagement du territoire, la région Île-de-France est impactée par les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle, de Paris-Orly et du Bourget. Les plans d'exposition au bruit sont des outils essentiels pour préserver les populations, mais sont des contraintes fortes pour l'aménagement du territoire et notamment pour les politiques du logement et du renouvellement urbain.

L'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle contribue fortement au développement économique de la région Île-de-France, plus fortement même que le quartier d'affaires de la Défense. Il faut opérer un dosage sur la taxation pour faire en sorte de continuer à bénéficier des retombées économiques de l'aéroport, ce qui doit être mis en balance avec les retombées que celui-ci amène sur le territoire.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - La filière aéronautique représente 300 000 emplois directs en France et environ un million d'emplois indirects. Elle génère un excédent commercial de l'ordre d'une vingtaine de milliards d'euros. Concernant les propos de Gilbert-Luc Devinaz et Ronan Dantec sur la filière des biocarburants, j'ai entendu le groupe de réflexion « Équilibre des Énergies » qui a souligné qu'il n'y aura pas assez de biomasse pour bénéficier à tous les secteurs. Par conséquent, selon eux, il pourrait être intelligent d'orienter la biomasse vers le secteur aérien parce que les autres modes de transport peuvent utiliser des solutions alternatives plutôt matures. Ce n'est pas le cas pour le transport aérien. Selon ce groupe de réflexion, pour répondre à ses besoins en carburants aériens durables en 2050, l'Union européenne devra mobiliser 570 TWh d'électricité bas carbone et 90 millions de tonnes de biomasse. Il y a donc des difficultés de disponibilité de biomasse et d'alimentation électrique.

Il n'est cependant pas nécessaire d'être pessimiste : l'aérien est en train d'opérer sa transition écologique. En outre, les vols domestiques sont en diminution. Par exemple, aujourd'hui, sur des lignes entre Orly et Nice et Marseille, on observe une baisse de 40 % du trafic et de 60 % des allers-retours dans la journée. De nouveaux systèmes de travail ont été mis en place. Il y a une prise de conscience pour un certain nombre de nos concitoyens d'adopter des modes de trajet alternatifs.

Jacques Fernique, le groupe Aéroport-de-Paris est déjà très endetté. Certes, il a renoué avec les bénéfices, mais c'est après avoir eu des déficits élevés pendant la crise sanitaire. L'union des aéroports français m'a indiqué qu'il faudrait environ 27 milliards d'euros d'investissements pour moderniser les plateformes aéroportuaires dans les prochaines années pour les adapter aux carburants d'aviation durable, à l'hydrogène et à la fourniture d'électricité, aux aéronefs. Il ne me semble pas que les taxer davantage soit opportun.

Je partage l'avis de Louis-Jean de Nicolaÿ concernant les billets d'avion. 40 % du tarif d'un billet est aujourd'hui constitué de taxes et de redevances.

Pierre Barros, je vais vous proposer d'adopter un amendement qui vise à compenser le manque de rendement de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) entre 2020 et 2023 par une dotation budgétaire et assurer le financement de l'insonorisation des logements à proximité des aéroports.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Après l'article 5

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - L'amendement I-296 concerne la décarbonation des opérations au sol liées au transport aérien. La décarbonation du transport aérien exige de mobiliser tous les leviers existants afin d'obtenir les résultats les plus élevés le plus rapidement possible. À cet égard, il ne faut pas se concentrer seulement sur la décarbonation des aéronefs en vol, mais veiller aussi à celle des opérations au sol.

Le présent amendement tend à favoriser cette décarbonation des opérations au sol. Il prévoit tout d'abord un dispositif de déduction fiscale favorisant l'achat ou la location de longue durée d'engins de piste utilisant une énergie décarbonée. Favoriser l'achat de ces engins permettrait aussi de limiter les émissions d'oxyde d'azote.

Il tire également les conséquences du règlement européen du 13 septembre 2023 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (dit « règlement Afir »). L'article 12 de ce règlement fixe des objectifs pour la fourniture d'électricité aux aéronefs en stationnement applicables le 31 décembre 2024 ou le 31 décembre 2029 en fonction de type de stationnement.

Cet amendement prévoit ainsi une déduction d'impôt afin de soutenir les aéroports dans la mise en conformité aux obligations fixées dans ce règlement, qui entreront en vigueur dans un très bref délai. Cette fourniture d'électricité permet d'éviter aux aéronefs d'utiliser leurs moteurs auxiliaires de puissance (APU) à l'arrêt. Ces moteurs ont une consommation de kérosène très élevée, sont également source de nuisances sonores et émettent des particules fines, néfastes pour la qualité de l'air. Il est donc nécessaire de donner aux aéroports le moyen de respecter le cadre juridique fixé par le règlement.

L'amendement  I-296 est adopté.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - L'usage des carburants d'aviation durable (CAD) est la seule solution pour décarboner les vols long-courrier. C'est pourquoi le règlement européen ReFuel EU aviation prévoit un usage croissant des CAD entre 2025 et 2050, échéance au-delà de laquelle ils devront représenter 70 % du carburant utilisé par les aéronefs.

Face à cet objectif ambitieux, c'est toute une filière qui devra se structurer. Ces carburants sont, en outre, actuellement particulièrement onéreux. Ils coûtent en effet entre trois et quatre fois le prix du kérosène. Il est donc légitime d'accompagner le secteur aérien dans sa décarbonation.

L'amendement I-297 prévoit un crédit d'impôt équivalent à 50 % du surcoût entre l'achat effectif de carburants d'aviation durables et l'achat théorique de kérosène.

Cette proposition est une reprise d'une recommandation de la mission commune d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert dont je salue le président, Gilbert-Luc Devinaz, que je remercie en outre de m'avoir accompagné tout au long des auditions que j'ai menées en tant que rapporteur pour avis.

M. Ronan Dantec. - Mon groupe s'opposera à cet amendement. L'utilisation de carburant aérien durable implique des coûts de l'ordre de 600 euros la tonne de carbone économisée. Si cet amendement est adopté, la puissance publique se privera de recettes alors que le même montant pourrait être utilisé pour préserver des forêts et développer les mobilités douces, ce qui permettrait de limiter bien plus fortement les émissions de gaz à effet de serre. C'est donc une aberration économique d'investir de tels montants pour économiser si peu de tonnes de gaz à effet de serre. Une approche économique rationnelle de l'action climatique qui concentre les investissements vers les actions où ils seront les plus efficaces est nécessaire.

L'amendement  I-297 est adopté.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - La décarbonation du transport aérien exige d'atteindre un objectif de neutralité carbone en 2050. Toutefois, il est aussi nécessaire, d'ici cette échéance, de parvenir à limiter la quantité de gaz à effet de serre émise par le secteur afin d'en limiter le stock présent dans l'atmosphère en 2050. La lutte contre le réchauffement climatique n'attend pas et exige en effet de limiter le stock total de gaz à effet de serre présent dans l'atmosphère.

Or, le moyen le plus efficace actuellement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur est d'accélérer le renouvellement des flottes : les aéronefs d'ancienne génération émettent bien plus de gaz à effet de serre que ceux qui sont actuellement mis sur le marché puisqu'ils consomment bien plus de carburant.

Cette réduction de la consommation de carburant a un effet connexe bénéfique : elle facilite l'incorporation de carburants d'aviation durable (CAD) à des niveaux plus élevés. En effet, leur disponibilité étant actuellement faible, toute diminution de la quantité de carburant consommée accroît mécaniquement la part de CAD dans le carburant total utilisé.

L'amendement I-298 propose une mesure d'accompagnement nécessaire en créant un dispositif de déduction d'impôt en faveur des compagnies qui achètent ou louent pour une longue durée des aéronefs émettant moins de gaz à effet de serre que ceux qu'elles utilisaient précédemment.

L'amendement I-298 est adopté.

Article 13

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - L'amendement I-299 porte sur la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert). Cette taxe est une taxe dite « comportementale » qui a pour objet d'inciter à intégrer un pourcentage cible de carburants aériens durables (CAD). Elle fixe un objectif d'utilisation de CAD au-delà duquel le montant dû au titre de cette taxe est nul pour le redevable. Ce pourcentage cible est de 1 % pour les carburéacteurs. Il passera à 1,5 % à partir du 1er janvier 2024. En cas de non-atteinte de cette cible, une pénalité de 168 euros l'hectolitre manquant est payée par les redevables. Ce montant prévu par le PLF pour 2024 serait stable en 2023 et 2024. L'article 13 du PLF pour 2024 en revanche propose de le porter brutalement à 280 € en 2025.

La Tiruert poursuit un objectif légitime. Il est opportun d'inciter le secteur aérien à incorporer des CAD. Toutefois, la filière de CAD n'étant pas encore pleinement structurée en France, cette taxe a un effet plus marqué sur les prix que sur les quantités produites. La demande étant bien plus conséquente que l'offre, elle a des effets inflationnistes sur le prix des CAD en France par rapport au prix de marché constaté chez ses voisins européens. Cela nuit à la compétitivité des compagnies basées en France. Un retour au tarif existant en 2022 maintiendrait l'effet incitatif de la Tiruert, tout en limitant ses conséquences inflationnistes.

En outre, l'augmentation à 280 euros du tarif à l'hectolitre de la Tiruert à partir du 1er janvier 2025, prévue à l'article 13 du projet de loi de finances, est doublement problématique. D'une part, ce montant est très élevé. D'autre part, la Tiruert a vocation à être supprimée en 2025 pour être remplacée par un dispositif issu du règlement « ReFuel EU Aviation », qui prévoit des objectifs d'incorporation de CAD au niveau de l'Union européenne. Ce dispositif aura ses propres règles d'application. Dans un objectif de clarté et d'intelligibilité de la loi, il ne paraît pas nécessaire de maintenir dans le PLF ce qui s'apparente à une mesure d'affichage vouée à n'être jamais appliquée.

Le présent amendement tend donc à faire passer le tarif de la Tiruert à l'hectolitre en 2024 de 168 € à 125 € et à de supprimer sa majoration à 280 € pour 2025.

M. Jacques Fernique. - Il me semble qu'il y a une contradiction entre le potentiel considérable annoncé des CAD pour permettre à l'aviation d'atteindre la neutralité carbone et la volonté de réduire les moyens d'incitation fiscaux à leur usage.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Il n'y a pas encore les moyens aujourd'hui de fournir une quantité suffisante de CAD. Si la filière n'est pas encore structurée, ce qui est taxé, c'est la non-incorporation de biocarburants qu'on ne trouve pas sur le marché. Il ne faut pas pénaliser l'aviation française.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - J'écoute les arguments de mes collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. Ce qui est problématique est que l'on ne dispose pas d'une feuille de route de décarbonation. Je comprends donc les amendements, mais cette absence pose quelques difficultés. J'espère que la programmation pluriannuelle de l'énergie y répondra. Notre groupe s'abstiendra sur cet amendement.

L'amendement I-299 est adopté.

Après l'article 16

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Le nouveau plan de gêne sonore de l'aéroport de Bordeaux-Mérignac, qui devrait remplacer sous peu le plan actuel, datant de 2004, inclura dans son périmètre environ 1200 logements supplémentaires. Actuellement, l'aéroport est classé dans le troisième groupe d'aérodromes, celui pour lequel le taux de taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) est le plus faible, entre zéro et dix euros. Il en résulte que, si la taxe se maintient à son niveau actuel, les travaux d'insonorisation des logements et des établissements scolaires et sanitaires financés en partie par la TNSA ne pourraient pas aboutir avant plusieurs décennies. Cette situation n'est pas justifiable au regard des impératifs de santé publique et de l'acceptabilité sociale du transport aérien.

L'amendement I-295 tend donc à classer l'aéroport de Bordeaux-Mérignac au sein du premier groupe d'aéroports au lieu du troisième actuellement, afin que la TNSA puisse financer les travaux d'insonorisation nécessaires dans des délais acceptables. Les ministres chargés respectivement du budget, de l'aviation civile et de l'environnement devront par conséquent prendre un arrêté modificatif afin de fixer un montant de TNSA compatible avec la limite minimum pour ce groupe, qui est de vingt euros par décollage, selon l'article L. 422-54 du code des impositions sur les biens et services.

M.  Hervé Gillé. - Je remercie le rapporteur de m'avoir informé en amont de cette initiative, que je salue. L'aéroport de Bordeaux-Mérignac est de plus en plus enclavé dans la couronne urbaine compte tenu de l'extension de la métropole de Bordeaux. Le département de la Gironde a une croissance démographique de 20 000 habitants par an, dont plus de 10 000 au sein de la métropole bordelaise. Cette problématique est particulièrement sensible, et l'ensemble des communes riveraines sont très attentives à l'évolution du plan de gêne sonore. Je suis favorable à cette proposition et j'espère que le gouvernement le sera également.

L'amendement I-295 est adopté.

Article 35

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Les nuisances sonores aéroportuaires sont un sujet de préoccupation du quotidien majeur pour nombre de riverains. Y apporter une réponse adaptée aux enjeux est donc nécessaire, et ce d'autant plus qu'elles fragilisent l'acceptabilité sociale du transport aérien.

La taxe sur les nuisances sonores aériennes (TSNA) est un outil de lutte contre ces nuisances. Selon la logique « pollueur-payeur », cette taxe, assise sur le décollage des aéronefs dont la masse excède deux tonnes, finance les aides aux travaux d'insonorisation d'environ trois millions de riverains d'aéroports.

Or, la diminution du trafic pendant la crise sanitaire - qui, pendant quelques mois, a permis aux riverains d'expérimenter une situation sans nuisances - a grevé l'assiette de la taxe. Du fait de cette baisse de rendement, de nombreux dossiers d'insonorisation, notamment au bénéfice d'hôpitaux et de logements sociaux, restent en attente. Dans la continuité des recommandations formulées depuis trois ans, la commission juge indispensable de compenser cette diminution de rendement.

La baisse du trafic aérien a généré des pertes de recettes dont le reliquat est évalué à 58 millions d'euros pour la période 2020-2023, en tenant compte des 8 millions d'euros accordés en loi de finances rectificative pour 2021 et des 20 millions d'euros accordés en loi de finances rectificative pour 2022 à l'initiative du Sénat. C'est pourquoi, par coordination, le présent amendement propose que l'État compense à hauteur de 58 millions d'euros la perte des recettes de TSNA pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023. La mesure se traduirait par une hausse de l'action 52 Transport aérien du programme 203 Infrastructures et services de transports de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

L'article 40 de la constitution et l'article 47 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) interdisant aux parlementaires d'augmenter les crédits de la mission, la mesure est gagée sur les crédits de l'action 07 Pilotage, support, audit et évaluations du programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables. Il est suggéré que le Gouvernement puisse lever le gage prévu pour compenser la dépense.

L'amendement II-78 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA).

PLF 2024 - Examen des amendements de séance de la première partie
Mercredi 22 novembre 2023

M. Jean-François Longeot, président. - Nous passons à l'examen des amendements sur la première partie du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

TRANSPORTS FERROVIAIRES, FLUVIAUX ET MARITIMES

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. - Juste avant de présenter les amendements, je souhaite partager avec vous ma position sur les modalités de notre travail avec la commission des finances. Je vous rappelle que la plupart d'entre nous, ici, sont rapporteurs pour avis, un titre qui a du sens, qui représente un travail considérable.

Je souhaite vous faire part de mon souhait de voir évoluer les relations de notre commission avec la commission des finances dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances : l'élaboration d'une méthode de travail partagée avec la commission des finances serait des plus pertinentes et permettrait, grâce à l'organisation d'auditions communes, de ne pas convier un même interlocuteur au Sénat à de multiples reprises. Il me semble aussi que, chaque année, il serait de bonne pratique de renforcer les échanges sur ce texte en amont de son examen en séance publique. Nous pourrions définir une méthode de travail pour les prochains PLF.

Je souhaiterais que les échanges avec la commission des finances soient les plus fructueux possible, et pour ce faire, nous devons faire preuve au sein de la commission de solidarité et de cohérence dans nos positions.

Après l'article 5 octies

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  I-1078 vise à rehausser le plafond concernant l'exonération des plus-values sur la cession de bateaux de navigation intérieure affectés au transport de marchandises. Ce plafond, aujourd'hui fixé à 100 000 euros, constitue une exception par rapport aux régimes applicables dans d'autres pays européens directement en concurrence avec nous sur ce thème, comme l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, où les régimes d'exonération ne prévoient pas de plafond.

Pour autant, le Gouvernement s'oppose depuis plusieurs années à la suppression de ce plafond, au motif qu'une telle mesure ne serait pas conforme au cadre européen sur les aides d'État. On s'aperçoit cependant que cette suppression est possible pour les autres pays de l'Union européenne. Il semble donc essentiel d'assurer à nos entreprises fluviales des conditions de concurrences équivalentes et ce, d'autant plus avec la mise en service du Canal Seine-Nord Europe prévue dans les prochaines années.

Je vous propose donc de doubler le plafond sur l'exonération des plus-values pour qu'il s'établisse à 200 000 euros, pour favoriser la compétitivité de ces entreprises et le renouvellement de leur flotte.

L'amendement n° I-1078 est adopté.

Après l'article 5 nonies

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  I-1079 vise à instituer un mécanisme de suramortissement fiscal au bénéfice des entreprises ferroviaires qui acquièrent du matériel roulant peu polluant, comme les wagons et locomotives décarbonés. Vous le savez, le transport ferroviaire est un levier important de la décarbonation du secteur des transports. Si le ferroviaire est le moyen de transport le plus décarboné, il reste pourtant 45 % du réseau qui n'est, à ce jour, pas électrifié. Le dispositif proposé incitera à la décarbonation du transport ferroviaire. Il a fait l'objet d'échanges avec la fédération des industries ferroviaires.

L'amendement n° I-1079 est adopté.

Après l'article 10 septies

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  I-1077, que je présente avec Hervé Gillé, est un marronnier ! Il vise à appliquer un taux de TVA réduit de 10 % à 5,5 %, comme ce fut le cas par le passé, aux transports collectifs de voyageurs, qu'ils soient routiers, guidés ou ferroviaires, hormis les services librement organisés.

Dans cette commission, nous considérons en effet les transports du quotidien comme un produit de première nécessité. Il s'agit là à la fois d'un message fort et d'une réalité. La présentation de ce PLF a montré que quelques entorses avaient été faites à la règle de ne pas toucher à la TVA, dans des domaines qui me semblent moins prioritaires que le transport quotidien.

Cet amendement aidera également les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) en difficulté financière à proposer une offre élargie et plus qualitative, notamment avec le renouvellement des flottes de bus et leur décarbonation, laquelle a un certain coût, particulièrement dans un contexte d'inflation et de hausse des coûts de l'énergie. Ce message est important et je me réjouis que l'Assemblée nationale, au travers d'une niche parlementaire, s'intéresse à ce sujet que nous avons fait voter depuis plus de trois ans au Sénat, et qui a maintenant enfin trouvé un écho dans l'autre chambre. Il est bon que nous puissions réaffirmer, grâce à cet amendement, notre volonté de voir baisser la TVA sur les transports du quotidien.

M. Jacques Fernique. - Je suis tout à fait favorable à cet amendement, mais je souhaite ajouter une remarque. Vous dites que cette baisse de TVA est un marronnier ; notre travail ici consiste non pas à examiner les mêmes textes tous les ans, mais à obtenir des avancées !

Sur ce sujet, on brandit souvent comme contre-exemple le secteur de la restauration, où la baisse de la TVA n'a ni profité à l'emploi ni fait baisser le coût pour les clients. Mais cet amendement est intéressant car il tend non pas à baisser mécaniquement le tarif du billet pour les usagers, mais à donner de l'oxygène aux AOM, lesquelles restent à mon sens libres de décider de manière autonome du fléchage de la somme dégagée - charges d'exploitation, investissements, signal en direction des usagers. Il est dénué de cette démagogie consistant à faire croire que l'on va baisser le ratio du prix payé par les usagers dans le modèle économique des transports collectifs.

Un autre argument, souvent avancé par le Gouvernement, pour s'opposer à cette proposition consiste à brandir des directives européennes ou la notion de distorsion de la concurrence. Il n'est pas question de cela ici. L'ensemble des transports collectifs de voyageurs routiers et ferroviaires sont concernés par cette mesure. Cet amendement n'introduit aucune préférence et représenterait 280 millions d'euros pour le budget du pays.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Compte tenu des travaux de M. Tabarot et de son engagement, il est le premier signataire de cet amendement, que nous soutenons, bien évidemment. Nous sommes bien dans la perspective, qu'évoquait M. Fernique, de mobiliser des moyens pour essayer de susciter un choc d'offre.

Les conditions d'intermodalité nécessitent d'être travaillées dans tous les aspects de nos politiques publiques. La mobilisation des crédits pour provoquer ce choix d'offre fait aussi partie du coeur de nos travaux.

L'amendement n° I-1077 est adopté.

TRANSPORTS ROUTIERS

Après l'article 5 sexies

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports routiers. - L'amendement n°  I-1080 est présenté en commun avec M. Tabarot, que je salue pour la qualité de nos échanges et de nos travaux. Je me réjouis que nous avancions ensemble sur des lignes de crête partagées, pour tenter de renforcer l'impact de nos travaux sur le PLF.

Cet amendement vise à élargir le champ de l'expérimentation du prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicules peu polluants, prévue à l'article 107 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et à en prolonger la durée.

Il s'agit d'un dispositif dont le périmètre est, pour l'heure, circonscrit aux personnes physiques et morales domiciliées ou travaillant dans l'une des zones à faibles émissions mobilité en dépassement des seuils de qualité de l'air. Ce champ est trop réduit : c'est pourquoi l'amendement tend à l'élargir à l'ensemble des personnes physiques et morales.

En outre, les décrets d'application ont malheureusement été publiés très tardivement, en mai dernier, alors même que l'expérimentation, prévue pour une durée de deux ans seulement, était supposée débuter au 1er janvier 2023. Compte tenu du retard pris, cet amendement propose de prolonger la durée de l'expérimentation.

L'amendement n° I-1080 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  I-1081, également présenté avec M. Tabarot, vise à créer un prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicules lourds de transport de marchandises peu polluants ou pour l'acquisition d'autobus peu polluants.

L'objectif est de répondre à l'impératif de décarbonation des flottes des transporteurs, mais aussi - et c'est là un point central de l'amendement - de faciliter l'acquisition par les AOM d'autobus peu polluants, dans la perspective de la fin de vente des bus urbains thermiques d'ici à 2035. Cette proposition nous semble d'autant plus nécessaire, dans le contexte actuel de taux d'intérêt élevés, que la France est très en retrait sur ces politiques d'accompagnement par rapport à d'autres pays européens.

L'amendement n° I-1081 est adopté.

Après l'article 27 bis

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  I-1083, présenté en commun avec M. Tabarot, a pour objectif d'augmenter le taux maximum de versement mobilité de 1,75 % à 1,85 % des salaires dans les communes et établissements publics de coopération intercommunale ayant mis en place une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) et dont les normes de qualité de l'air ne sont pas respectées au 1er janvier 2024.

Dans ces ZFE-m, le calendrier fixé par la loi impose en effet l'interdiction de circulation des véhicules classés Crit'Air 3 d'ici au 1er janvier 2025. Cette situation concerne cinq métropoles : Paris, Lyon, Aix-Marseille, Rouen et Strasbourg. Elle implique, pour les agglomérations concernées, d'importants investissements pour le développement de solutions alternatives à l'automobile.

C'est pourquoi cet amendement prévoit d'augmenter, à un niveau acceptable, le taux maximum du versement mobilité, hormis à Paris, puisque les taux fixés en Île-de-France sont par ailleurs accrus dans le cadre de ce PLF. Cette hausse est toutefois conditionnée à l'accélération du déploiement d'infrastructures de transport et à la mise en oeuvre de services d'accompagnement des usagers dans le renouvellement de leur véhicule.

L'amendement n° I-1083 est adopté.

Article 28

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  I-1082, toujours présenté en commun avec M. Tabarot, a pour objet d'affecter 100 millions d'euros supplémentaires de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France).

Il vise à tenir compte de la volonté exprimée par la commission des finances d'affecter aux départements et aux communes 100 millions d'euros issus du produit de la taxe créée par l'article 15 du PLF pour 2024. La commission des finances propose que, sur ces 100 millions d'euros, 50 millions d'euros soient réaffectés aux départements, et 50 millions d'euros aux communes. Cette somme ne pourra pas, de fait, bénéficier à l'Afit France. C'est pourquoi le présent amendement tend à conforter le financement de l'Afit France pour financer le choc d'offre dont nous parlions précédemment.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Cet amendement illustre notre volonté commune d'avoir un meilleur fléchage des sommes prélevées au secteur des transports par les différentes taxes : TICPE, TVA... Le retour dans le domaine du transport est très faible. Or ce domaine est l'un des seuls qui n'enregistrent aucune baisse de ses émissions : il a donc besoin d'être soutenu dans sa décarbonation.

Il est de notre mission d'obtenir un meilleur fléchage de ces ponctions, de ces crédits, qui sont alloués aux transports de manière presque symbolique, alors que tout part dans le budget de l'État, lequel a évidemment des besoins dans d'autres nombreux domaines. Mais il semble logique que ce qui est prélevé sur le transport permette en grande partie de financer notre politique de transport. Cette mesure va totalement dans ce sens.

L'amendement n° I-1082 est adopté.

TRANSPORTS FERROVIAIRES, FLUVIAUX ET MARITIMES
TRANSPORTS ROUTIERS
TRANSPORTS AÉRIENS

M. Jean-François Longeot, président. - Nous allons à présent évoquer l'article 15 du projet de loi de finances pour 2024, sur lequel plusieurs de nos collègues souhaitent intervenir.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports aériens. - J'avais eu l'occasion d'exprimer mon sentiment sur l'article 15 du PLF lors de la présentation de mon rapport pour avis. Je ne peux que qualifier cette disposition de « frappadingue », tant sur le fond que sur la forme.

Sur la forme, il a fallu trouver un deuxième « larron », car on ne pouvait pas taxer les seules sociétés d'autoroutes qui étaient ultrabénéficiaires. Le Conseil d'État a donc imposé que l'on trouve un second financeur, et le choix s'est porté sur le secteur aérien.

Sur le fond, je rappelle que tant les plateformes que les compagnies aériennes, comme Air France, sont très déficitaires. Elles ont toutes deux des milliards à investir pour assurer la décarbonation du transport aérien. Les taxer en cette période compliquée pour elles me paraît parfaitement ubuesque.

Surtout, cette mesure laisse le champ libre aux compagnies low cost étrangères qui ne paient pas d'impôts chez nous, et qui ne sont pas installées sur les cinq plateformes concernées. Je ne comprends donc pas du tout le sens de cet article 15, même si je trouve judicieux de taxer les sociétés d'autoroute. C'est l'obligation de trouver un deuxième larron, déjà en difficulté, qui ne me convainc guère, et c'est pourquoi je cosignerai l'amendement que présentera Vincent Capo-Canellas pour supprimer cet article.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Nous avons eu l'occasion d'échanger en détail sur le sujet pour définir les arbitrages les plus pertinents dans le contexte actuel. Il faut cependant faire attention car, si la pandémie de covid a eu un fort impact sur les déplacements, les conditions structurelles du fonctionnement du marché du transport aérien sont aujourd'hui de nouveau réunies pour une évolution particulièrement dynamique du secteur.

C'est le coût du billet qui, en fin de compte, permet le développement ou non du marché. En tout état de cause, il n'impacte pas aujourd'hui l'évolution du transport aérien - bien au contraire, d'ailleurs, si l'on en croit le dynamisme actuel. L'analyse de fond devrait donc porter sur ce coût. Quel impact aurait une augmentation de 5 %, 10 % ou 15 % sur le transport aérien ? Les plateformes aéroportuaires le supportent ; elles sont dans des situations financières très tendues, parfois déficitaires, mais le système tient, pour le moment. Je suis donc beaucoup plus prudent que notre collègue rapporteur Stéphane Demilly dans mes conclusions. La fenêtre de tir actuelle paraît intéressante.

Se pose aussi la question de la qualité des relations avec les sociétés concessionnaires et de la préparation future du renouvellement des concessions. Faire peser une pression supplémentaire sur les concessions d'autoroute semble permettre de poser un cadre pour de futures négociations, ce qui pourrait favoriser la clarification du système général s'agissant des productions d'excédents et de leur répartition.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Certes, il s'agit bel et bien d'une nouvelle taxe mise en place par le Gouvernement, et je partage le constat qu'elle est injuste pour l'aérien. À la différence de M. Gillé, cependant, j'estime qu'elle fragilise notre position dans les rapports contractuels avec les concessions autoroutières, dont il a beaucoup été question au sein de cette commission. Le Gouvernement pourrait profiter de cette nouvelle taxe, dans le cadre du renouvellement des concessions, pour laisser penser qu'on ne respecterait pas nos conditions contractuelles avec les opérateurs autoroutiers. Ces derniers ne manqueront sans doute pas de mettre cette taxe en cause dans le cadre de futurs contentieux.

En définitive, les usagers risquent de payer. Le Gouvernement taxe les aéroports, qui répercuteront la taxe sur les compagnies, lesquelles la répercuteront à l'identique sur les clients, à la différence des contrats des concessions autoroutières qui fixent la hausse des prix des péages de manière contractuelle. Les sociétés d'autoroute pourront donc demander à augmenter les tarifs de leurs péages pour financer la nouvelle taxe instaurée par le Gouvernement.

Mon propos pourrait faire croire que je suis de l'avis de Stéphane Demilly et que je vais donc soutenir la suppression de l'article 15. Pour autant, je suis de ceux qui demandent des moyens supplémentaires pour l'Afit France. Celle-ci, dont 80 % des dépenses sont fléchées vers le mode ferroviaire, disposerait d'une enveloppe supplémentaire de 600 millions d'euros - 500 millions d'euros, peut-être, si la commission des finances décide d'en récupérer une partie pour les départements et les communes. J'espère cependant que l'amendement de mon collègue Hervé Gillé permettra de retrouver ces 100 millions d'euros par un nouveau fléchage de la TICPE. C'est la raison pour laquelle je ne voterai pas la suppression de l'article 15, tout en faisant part de mes réserves.

M. Ronan Dantec. - Je tiens à vous rassurer sur la santé d'Air France-KLM. Chaque matin, je lis Les Échos, et j'y ai appris que la plus grande marge opérationnelle de toute l'histoire de l'entreprise fut enregistrée au deuxième trimestre 2023. Autrement dit, jamais Air France n'a fait autant de marge !

Par ailleurs, je rappelle que la totalité des exonérations fiscales du transport aérien pèse pour environ 5 milliards d'euros dans le budget de l'État. Ces exonérations sont très nombreuses et la convention de Chicago a bon dos pour justifier l'immobilisme. Je précise également que le transport aérien capte autant sur le transport ferroviaire précisément parce qu'il est sursoutenu par l'État et que la concurrence est faussée.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Pour mettre tout le monde d'accord, nous pourrions aussi décider de nationaliser les autoroutes, ce qui permettra de faire rentrer de l'argent !

M. Jacques Fernique. - En votant un amendement de suppression, le Sénat enverrait un très mauvais signal, car cet article 15 est un levier proportionné et nécessaire pour les politiques de décarbonation des transports. Je rappelle que cette taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance porte sur la fraction de revenus de l'exploitation qui excède 120 millions d'euros, avec un taux à 4,6 %. Il faut encore que le niveau moyen de rentabilité excède 10 %. Elle ne constitue donc pas un étranglement.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Oui, les acteurs de l'aérien renouent aujourd'hui avec les bénéfices. Ils n'en sont pas moins confrontés à plusieurs milliards d'euros de dettes, car le secteur s'est arrêté pendant de nombreux mois. De plus, nous devons les aider dans leur décarbonation : 70 % de leurs appareils doivent être renouvelés, ce qui suppose 1 milliard d'euros d'investissement pour Air France, et 500 millions d'euros pour Transavia. Je ne pense pas qu'une surtaxation soit un bon signal à envoyer. En définitive, le client va payer, sous réserve néanmoins qu'il n'aille pas sur d'autres plateformes.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Sur ce sujet, on peut avoir des avis divergents. Je me félicite qu'Air France retrouve des marges, car l'entreprise doit renouveler sa flotte pour passer à des avions moins polluants. Néanmoins, je ne vois rien dans ce budget qui aide l'aviation à se décarboner et permette d'atteindre les objectifs de 2050.

M. Didier Mandelli. - Il faut recadrer le débat. La question n'est pas de savoir quelle est la santé financière d'Air France, puisque seules les plateformes sont touchées directement. Celles-ci devront répercuter, ou pas, ces nouveaux prélèvements sur l'ensemble des compagnies utilisatrices.

Cette discussion traduit surtout l'incapacité de l'État à assumer le financement des besoins de l'ensemble des secteurs, autoroutier, aérien ou ferroviaire, découlant des enjeux de décarbonation. L'État n'a pas les moyens d'investir et tente donc de prendre dans la poche des uns pour financer les autres sans passer par des investissements publics. Le Sénat est à ce titre chargé de statuer sur les 600 millions d'euros de taxes. Je rappelle que les concessions autoroutières sont une propriété d'État ; nous allons donc récupérer une partie des sommes. La question est non pas de savoir s'il faut nationaliser aujourd'hui - la question a été tranchée -, mais de définir nos actions pour demain. Il convient aussi de souligner que les sociétés autoroutières financent déjà très largement l'Afit France par les redevances domaniales ou via le chiffre d'affaires.

Par principe, je ne suis pas favorable à la création de nouvelles taxes. La question des 600 millions d'euros a été tranchée par un amendement du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, qui vise à la réaffectation de 100 millions d'euros aux collectivités. Supprimer cet article enverrait un mauvais signal. Bien sûr, il ne résout rien tant les besoins sont immenses, bien supérieurs à 600 millions d'euros. Nous sommes condamnés, tous les ans, à tenter de grappiller une TVA à 5,5 %, de réaffecter quelques millions d'euros, car nous manquons d'une vision stratégique de long terme sur ces sujets. Je vous donne donc rendez-vous l'année prochaine pour débattre d'autres taxes, d'autres financements croisés, d'autres baisses de dotation... Le débat d'hier avec M. Béchu a d'ailleurs prouvé ce manque de stratégie globale. Globalement, nous ne sommes pas collectivement à la hauteur des enjeux et ce sujet en témoigne une fois de plus.

M. Jean-François Longeot, président. - Pour conclure ces débats autour de l'article 15, la commission a décidé de retenir une position d'équilibre. Libre à chacun de cosigner à titre personnel un amendement sur ce sujet. Nous savons que les besoins de financement de l'Afit France sont immenses, et notre commission ne souhaite pas être responsable de la suppression d'une source précieuse de financements qui sont nécessaires à nos infrastructures de transport. Chacun peut, s'il le souhaite, déposer ou des amendements sur l'article 15.

Crédits « Transports routiers »
Mercredi 29 novembre 2023

M. Jean-François Longeot, président. - Nous abordons à présent le rapport sur les crédits relatifs aux transports routiers de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » présenté par le rapporteur Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, il me revient à présent de vous faire part du résultat de mes travaux sur les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2024 aux transports routiers.

Avant toute chose, je souhaitais partager avec vous l'état d'esprit qui a guidé ma démarche. Philippe Tabarot l'a bien dit, le Gouvernement a formulé un certain nombre d'annonces, dont certaines affectent plus spécifiquement le secteur du transport routier. Je pense notamment à la mise en place du leasing social, qui devrait finalement intervenir au 1er janvier 2024, à la reconduction de l'appel à projets « Écosystèmes de véhicules lourds électriques » et, surtout, à la création d'une nouvelle taxe sur les infrastructures de transport de longue distance, à propos de laquelle nous avons déjà eu l'occasion d'échanger la semaine dernière. Quoiqu'il en soit, tout montre que nous nous trouvons actuellement à un point nodal pour le secteur des transports, et notamment pour les transports routiers.

D'une part, la pression inflationniste contraint fortement les capacités de financement des nouvelles offres de mobilité sur nos territoires, mais aussi d'entretien du patrimoine routier existant. En parallèle, les départements sont pénalisés par l'effondrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) lié à la crise immobilière : ils atteignent - 21 % dans l'Aisne et -- 30 % en Essonne. Cette situation risque de se traduire par un ralentissement de leurs investissements, au premier rang desquels ceux concernant la voirie. Je rappelle à cet égard que les départements ne gèrent pas moins de 380 000 kilomètres de routes.

D'autre part, la demande concernant les transports collectifs y compris routiers va nécessairement croître de manière considérable dans les prochaines années, sous l'effet notamment du déploiement des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). De même, la mise en oeuvre des ZFE-m et la perspective de l'interdiction à la vente des véhicules thermique d'ici 2035, vont nécessiter un verdissement rapide du parc automobile, des particuliers comme des professionnels. Cet enjeu touche également de plein fouet les AOM, qui sont d'ores et déjà soumises à des obligations de renouvellement de leurs flottes d'autobus et d'autocars, qui devraient être renforcées par l'Union européenne dans les prochaines années. Ces constats étant posés, j'en viens à présent à la présentation des quatre axes de mon rapport.

Le premier axe concerne les enjeux globaux du financement des infrastructures et de la régulation du secteur du transport, qui me semble à un moment particulièrement charnière.

Premièrement, s'agissant du modèle de financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) : les ajouts proposés par le PLF pour 2024 ne suffisent pas à calmer nos inquiétudes. Certes, une hausse non négligeable des recettes de l'agence est prévue pour 2024 : si je salue cette évolution nécessaire, je m'inquiète des éventuelles fragilités juridiques de la taxe instituée à l'article 15 du PLF sur l'exploitation d'infrastructures de transport de longue distance, dont doivent provenir 600 des 863 millions d'euros supplémentaires qui doivent être alloués à l'agence. À ce sujet, comme vous le savez, Philippe Tabarot et moi-même avons déposé un amendement pour tirer les conséquences de l'amendement de la commission des finances visant à allouer 1/6ème du produit de la future taxe aux communes et départements. Afin de compenser cette baisse de ressources et d'assurer à l'Afit France 600 millions d'euros de recettes supplémentaires, notre amendement propose de relever de 100 millions d'euros la fraction de TICPE affectée à l'agence en 2024. Concernant la pérennité des autres recettes de l'Afit France, les incertitudes demeurent intactes, puisque l'agence subit un manque à gagner de 60 millions d'euros par an depuis que les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) ont suspendu le paiement de la contribution volontaire exceptionnelle en 2021. S'agissant de la TICPE, qui constitue la principale ressource affectée de l'agence, elle va inévitablement se réduire dans les prochaines années du fait du verdissement progressif du secteur des transports, que nous appelons de nos voeux. En résumé, le PLF pour 2024 ne me semble toujours pas permettre de sécuriser le financement des infrastructures de transport dans notre pays, comme nous le réclamons pourtant depuis des années.

Deuxièmement, s'agissant de la régulation du secteur du transport, nous vous avons proposé, avec Philippe Tabarot, un amendement visant à renforcer les moyens de l'Autorité de régulation des transports (ART). Depuis 2015, l'ART a vu ses missions s'étendre pour devenir un véritable régulateur multimodal agissant désormais sur six secteurs. Pour autant, cette extension de son champ d'intervention ne s'est pas traduite par une hausse, à due concurrence, de ses moyens financiers, alors même que les effectifs de l'ART ont connu une évolution dynamique. Ainsi, entre 2015 et 2023, ses emplois à équivalents temps plein travaillé (ETPT) ont connu une hausse de 63 %, tandis que ses ressources affectées n'ont crû que de 27 %. Cela se traduit par deux phénomènes : d'une part, les ressources du régulateur par ETPT ont fortement diminué et, d'autre part, elle est régulièrement contrainte de prélever des moyens sur son fonds de roulement, ce qui limite de fait sa capacité à investir et aller au contentieux. Dans ce contexte, le PLF pour 2024 propose de relever de 14 millions à 15 millions d'euros la subvention pour charges de service public de l'ART. J'approuve pleinement cette évolution et vous ai proposé, avec Philippe Tabarot, d'aller encore plus loin en fixant à 16 millions d'euros le montant de la subvention pour charges de service public de l'ART pour 2024. Cela me semble nécessaire pour permettre, a minima, au régulateur d'assurer l'étendue de ses missions en toute indépendance.

Le deuxième axe de mon rapport concerne les moyens alloués à l'entretien de nos infrastructures routières.

Le PLF pour 2024 prévoit de consacrer un peu plus d'un milliard d'euros à l'entretien du réseau routier national non concédé (RRNNC), un montant en hausse de 50 millions d'euros par rapport à l'année précédente. Si je me félicite de cette trajectoire ascendante, il est fort probable que cette enveloppe ne soit pas suffisante pour compenser les effets de l'inflation sur le coût des opérations de régénération des voies. En outre, et malgré la hausse tendancielle des moyens consacrés à l'entretien du réseau routier ces dernières années, il apparaît que les routes du RRNNC continuent de se dégrader. Ainsi, alors qu'en 2019, 46 % des chaussées nécessitaient un entretien de surface et de structure, cette proportion s'établit aujourd'hui à 50 %, dont 20 % nécessitant un entretien structurel. Cette situation est d'autant plus inquiétante dans la perspective des transferts de voirie de l'État aux collectivités territoriales volontaires, en application de la loi dite « 3DS ». Aussi, et pour inverser la tendance, je vous proposerai un amendement visant à allouer 20 millions d'euros supplémentaires à l'entretien des routes du RRNNC. Il me semble en effet qu'un euro dépensé aujourd'hui pour l'entretien préventif des routes est mieux employé qu'un euro dépensé dans quelques années pour un entretien curatif. S'agissant plus spécifiquement des ouvrages d'art, sur lesquels notre commission a beaucoup travaillé, je salue les suites données au Programme national ponts en faveur des collectivités territoriales. La loi de finances rectificative pour 2022 avait en effet affecté 50 millions d'euros supplémentaires en faveur de l'entretien des ponts. Le ministre de l'écologie a récemment annoncé que 35 de ces 50 millions d'euros seraient alloués à la réparation des ouvrages d'art des communes ayant pris part au Programme national ponts, par le biais de subventions pouvant aller jusqu'à 60 % du coût des travaux. Alors que le Programme national ponts se concentrait jusqu'à présent sur des opérations de recensement et d'évaluation, qui sont évidemment nécessaires, l'élargissement de l'accompagnement proposé aux collectivités territoriales à la réparation des ouvrages d'art les plus dégradés est bienvenu. Elle constituait la dernière pièce du puzzle.

Cela étant dit, les montants engagés sont bien en deçà des besoins, que le rapport de notre commission de 2019 chiffrait à 130 millions d'euros par an. Deux amendements, adoptés par notre commission la semaine dernière et présentés par notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, ont d'ailleurs visé à augmenter les moyens consacrés à l'évaluation et à la réparation des ouvrages d'art des collectivités. S'agissant des ouvrages d'art relevant de l'État, ils poursuivent eux aussi leur lente dégradation. D'après le ministère des transports, 39,2 % des ponts du RRNNC nécessitent un entretien spécialisé d'une manière assez urgente pour prévenir un développement de désordres de la structure. C'est pourquoi je vous proposerai, avec M. de Nicolaÿ, d'adopter un amendement visant à renforcer les concours à destination de l'entretien des ouvrages d'art de l'État.

Après avoir évoqué les infrastructures, j'en viens à présent à mon troisième axe, qui concerne les moyens donnés aux autorités organisatrices de la mobilité pour conduire leurs missions.

Comme je l'ai évoqué précédemment, les AOM sont confrontées à de multiples défis, qui supposent des financements à la hauteur. Augmentation de la demande, mise en oeuvre des ZFE-m, inflation, décarbonation de leurs flottes : les AOM, ne sauraient, à moyens constants, répondre à l'ensemble des besoins. Aussi, et pour leur permettre de faire face à leurs obligations tout en permettant l'émergence de nouvelles offres de mobilité, notre commission a adopté la semaine dernière deux amendements à la première partie du PLF. Le premier, cosigné avec Philippe Tabarot, vise à abaisser à 5,5 % le taux de TVA applicable aux transports collectifs du quotidien, afin de donner de l'oxygène aux AOM. Cet amendement a été adopté hier en séance publique. Le second, également cosigné avec Philippe Tabarot, tend à augmenter de 0,1 point le taux de versement mobilité dans les quatre agglomérations (hors Paris) devant mettre en place une ZFE-m avec des restrictions de circulation portant sur les véhicules classés Crit'air 3 d'ici le 1er janvier 2025. Ces ZFE-m seront, de fait, celles dans lesquelles la demande d'alternatives à la voiture sera la plus pressante. Cet amendement, examiné hier soir en séance publique, n'a pas été adopté.

M. Olivier Jacquin. -- Les avis du rapporteur général et du Gouvernement sur cet amendement ont été exprimés de manière succincte : « demande de Retrait » et « avis défavorable ».

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - La position du rapporteur général me semble mériter un débat : il accepte de réaliser une affectation de fractions du produit issu des mises aux enchères des quotas carbone aux AOM, mais il refuse toute évolution du versement mobilité. Ne pas faire évoluer le versement mobilité, notamment pour les petites collectivités territoriales, me semble problématique compte tenu de l'ampleur des besoins dans les territoires.

Je vous proposerai enfin d'adopter deux amendements supplémentaires, afin de sécuriser l'action des AOM. D'une part, il s'agira de renforcer le soutien aux AOM dans le développement d'infrastructures et de services de transports publics, qu'ils soient urbains ou périurbains. Je vous proposerai ainsi d'allouer 100 millions d'euros supplémentaires aux transports collectifs. D'autre part, et partant du constat qu'une « bonne » offre de transport repose sur une bonne articulation des différentes parties prenantes, mais aussi et surtout une véritable interopérabilité entre les réseaux et entre les modes, je vous soumettrai un amendement visant à attribuer un soutien supplémentaire de l'ordre de 5 millions d'euros aux collectivités territoriales dans leur démarche de renforcement de l'intermodalité et de l'interopérabilité. Cela pourra notamment se traduire par la réalisation d'études de mobilité ou d'expérimentations, la mise en place d'outils d'ingénierie territoriale et d'instances de concertation, au service de la définition d'objectifs partagés en matière de mobilité.

Mon quatrième et dernier axe concerne la nécessaire accélération du verdissement du parc de véhicules.

Premièrement, alors que le coût d'acquisition des véhicules électriques demeure prohibitif, il me semble nécessaire de proposer un accompagnement plus volontariste aux ménages dans le renouvellement de leurs véhicules. Je propose ici deux amendements :

- d'une part, un amendement que Philippe Tabarot et moi-même vous avons soumis la semaine dernière, qui vise à élargir le champ du prêt à taux zéro pour l'acquisition d'un véhicule léger peu polluant institué par la loi « Climat et résilience » d'août 2021 pour qu'il s'applique sur l'ensemble du territoire. Le champ du dispositif actuel est en effet trop réduit, puisqu'il ne vise que les personnes physiques ou morales domiciliées ou travaillant dans l'une des ZFE-m en dépassement des seuils de qualité de l'air. Notre amendement a été adopté en séance publique ce week-end avec un double avis de sagesse du Gouvernement et de la commission des finances, ce dont nous pouvons nous féliciter.

- d'autre part, je vous proposerai un amendement concernant le dispositif de « leasing social » dont le Gouvernement a annoncé le lancement au 1er janvier prochain. Si les aides à l'acquisition d'un véhicule propre sont essentielles, elles ne sauraient être l'« alpha et l'omega » de l'accès des ménages aux véhicules peu polluants. Aussi, je vous proposerai d'abonder de 20 millions d'euros supplémentaires le programme 174 qui porte les crédits relatifs au leasing social, afin d'élargir les critères d'éligibilité du futur dispositif. Il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ces critères, mais il me semble nécessaire d'aller au-delà des ménages du 5décile qui est le seuil aujourd'hui retenu par le Gouvernement s'agissant des bénéficiaires. Nous pourrions par exemple cibler les ménages disposant d'un revenu allant jusqu'à 1,5 SMIC.

Deuxièmement, il va falloir redoubler d'efforts pour assurer la transition écologique du parc de véhicules lourds. Dans la mesure où 90 % du transport intérieur de marchandises se fait par la route, la décarbonation du fret passe nécessairement par un verdissement de la flotte des transporteurs routiers qui, je le rappelle, roule encore à 98 % au diesel.

Or, le prix d'un poids lourd électrique est 3 à 4 fois plus élevé que celui de son homologue thermique. Face à ces enjeux, nous vous avons proposé la semaine dernière, avec mon collègue Philippe Tabarot, un amendement visant à instituer un prêt à taux zéro pour les véhicules lourds de plus de 2,6 tonnes. Cet amendement a été adopté en séance publique ce week-end.

En parallèle, comme je l'ai dit en introduction, il me semble essentiel d'apporter un soutien aux AOM qui font face à une double injonction : d'une part, accroître leur offre de transports collectifs, dans le contexte de déploiement rapide des ZFE-m et, d'autre part, renouveler leurs flottes d'autobus et autocars pour se conformer aux exigences nationales et européennes en la matière. Là encore, le coût des véhicules est un obstacle majeur au verdissement, alors que les AOM sont déjà contraintes financièrement dans le contexte actuel d'inflation. Selon Régions de France, l'investissement nécessaire au verdissement des autobus et autocars s'élèverait à 1,8 milliard d'euros d'ici 2029, rien que pour la région Île-de-France.

Le Gouvernement a annoncé la reconduction en 2024 de l'appel à projets « Écosystèmes de véhicules lourds », qui permet de bénéficier d'une subvention de l'État à l'achat d'un camion ou d'un autocar électrique. C'est une bonne nouvelle, mais je déplore que le PLF pour 2024 ne nous donne aucune visibilité concernant le montant de l'enveloppe qui sera allouée au dispositif l'année prochaine. Je rappelle qu'elle était de 60 millions d'euros en 2023. Je vous proposerai un amendement visant à allouer 40 millions d'euros supplémentaires au programme 174 qui porte les crédits relatifs à cet appel à projets, avec la ventilation suivante : 20 millions d'euros pour les camions et les autocars électriques (qui, je l'espère, s'ajouteront aux 60 millions d'euros qui pourraient être prévus en 2024 si le Gouvernement reconduit l'enveloppe de l'année passée), auxquels s'ajouteraient 20 millions d'euros supplémentaires dédiés à l'acquisition de bus électriques, qui n'ont pas bénéficié du dispositif en 2023. Dans le même ordre d'idée, les AOM pourront bénéficier du prêt à taux zéro pour l'acquisition d'un véhicule lourd moins polluant, puisque l'amendement de notre commission qui a été adopté en séance publique inclut les autobus électriques. Pour terminer, et sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai dans un instant, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits relatifs aux transports routiers dans le PLF pour 2024.

M. Jean-François Longeot, président. -- Merci pour le travail en commun mené par les deux rapporteurs pour avis, Hervé Gillé et Philippe Tabarot. Cette capacité à travailler ensemble constitue une force pour la commission dans l'examen des sujets qui sont au coeur de ses compétences.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial de la commission des finances. -- En matière de loi de finances, nous butons parfois sur des contradictions : nous considérons qu'il faut veiller avec attention au renforcement de l'équilibre du budget, et nous déposons en même temps des amendements qui peuvent parfois fragiliser cet équilibre. C'est une remarque générale, qui ne vise pas spécifiquement les sujets que nous abordons aujourd'hui. Je suis d'ailleurs convaincu qu'il faut donner plus de moyens pour les mobilités. Il revient cependant à la commission des finances de « serrer les boulons ». C'est un peu comme dans une municipalité : l'adjoint aux finances a, pour ainsi dire, le mauvais rôle. Certains amendements justifiés sur le fond ne peuvent donc pas être adoptés en séance publique. Je ne parle pas de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, qui -- personne ne l'ignore -- sera malheureusement conclu par un recours à l'article 49.3 de la Constitution. Par conséquent, et je le déplore, le travail que nous menons actuellement verra ses effets amoindris.

Le Sénat, et notamment cette commission, a alerté dès 2017, dans un rapport d'information consacré aux infrastructures routières et autoroutières, sur la dégradation prévisible de l'état des routes et la nécessité de mieux les entretenir. Comme le rapporteur l'a souligné, un euro qui manque pour assurer l'entretien des routes mène in fine à en payer dix pour leur réparation. Nous n'avons pas été assez entendus sur ce sujet. Un représentant de l'administration centrale que j'ai rencontré lors des travaux préparatoires au rapport spécial consacré aux crédits relatifs aux transports du projet de loi de finances a indiqué estimer que les crédits destinés au réseau routier national non concédé étaient insuffisants. Il faudrait en effet 1,2 milliard d'euros pour entretenir les routes nationales alors qu'environ 1 milliard d'euros seulement devraient être consacrés à cet objectif. La situation des routes départementales est loin d'être plus favorable. L'amendement du rapporteur général affectant au réseau routier départemental et communal une partie des ressources générées par la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance prévue à l'article 15 du projet de loi de finances me semble donc tout à fait fondé.

La situation de l'Afit France me semble moins mauvaise qu'auparavant. Les ressources sont plus stables que par le passé, car leur dépendance au produit des amendes de circulation routière, très fluctuant, a été réduite. Je m'interroge sur l'opportunité d'ouvrir des crédits supplémentaires au bénéfice de l'Afit France, car elle a régulièrement sous-consommé ceux qui lui avaient été accordés, notamment parce que certains appels à projets sont très longs à mener. Il faut donc veiller à ce que les crédits prévus soient bien consommés.

L'attitude des sociétés d'autoroute est scandaleuse, vis-à-vis de la contribution volontaire qu'ils refusent de verser. La mise en oeuvre de l'article 15 du projet de loi de finances s'annonce difficile.

Concernant les ponts, un sujet qui m'est cher, les crédits prévus sont insuffisants. Je pense que les travaux menés dans cette commission ont cependant permis une prise de conscience sur ce sujet, notamment de la part des collectivités locales. Les ponts ont par ailleurs bénéficié de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative pour 2022 et pour 2023. En juillet dernier, Stéphane Sautarel et moi avons remis un rapport au nom de la commission des finances consacré aux modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, dont certaines des propositions sont reprises dans le projet de loi de finances pour 2024. C'est le cas de la mise en place d'une contribution carbone, qui prendra la forme d'un prélèvement sur recettes affecté aux autorités organisatrices de la mobilité, y compris celles qui ne lèvent pas de versement mobilité. Le Sénat n'avait d'ailleurs pas voté la loi d'orientation des mobilités précisément parce que le Gouvernement et l'Assemblée nationale n'avaient pas retenu la possibilité de donner des ressources propres aux autorités organisatrices de mobilité. Aujourd'hui, on constate que nombreuses sont les autorités bridées dans leur action à cause de ce manque de moyens. Dans notre rapport d'information, nous étions partisans, avec mon collègue rapporteur Stéphane Sautarel, d'ouvrir la possibilité aux collectivités territoriales d'augmenter le versement mobilité. Le projet de loi de finances n'ouvre cette possibilité que pour l'Île-de-France, elle pourrait opportunément être étendue. La commission des finances a en outre ouvert la possibilité d'utiliser une partie du Fonds vert pour soutenir l'acquisition de véhicules propres, alors que, jusqu'à présent, ce dispositif ne prenait pas en compte les enjeux relatifs aux mobilités.

M. Stéphane Demilly. -- La taxe créée à l'article 15 du projet de loi de finances présente un risque de contentieux. Les concessions autoroutières ont déjà annoncé qu'elles contesteraient la légalité de cette taxe par tous les moyens sur le terrain de la justice administrative, de la justice constitutionnelle et, le cas échéant, de la justice européenne. Lors de mes travaux préparatoires à l'avis relatif aux crédits consacrés au transport aérien du projet de loi de finances, j'ai entendu l'Union des aéroports français qui a également déclaré envisager de mener un recours contentieux contre cet article. A-t-on réellement tous les éléments nécessaires pour s'assurer de la solidité juridique de ce dispositif ? Monsieur le rapporteur, quelle est votre analyse sur ce sujet litigieux ?

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- Il est difficile de répondre à cette question ; nous suivrons en tout cas ce sujet avec attention. Nous avons d'ailleurs eu un dialogue nourri à ce propos. Le Gouvernement semble très confiant et il a dû mener des analyses poussées sur ce dispositif. Je ne sais pas quelle sera, in fine, l'issue de ce débat et d'un éventuel contentieux. Quoi qu'il en soit, il me semble que ce sujet est l'occasion d'ouvrir un débat politique, et même citoyen, sur les sociétés concessionnaires d'autoroute.

M. Franck Dhersin. -- À ce propos, mon expérience passée à la direction des affaires publiques du groupe Vinci m'a permis d'observer les débats liés aux concessions autoroutières. Il a toujours existé une volonté de récupérer cette manne financière, et les sociétés concessionnaires d'autoroute font systématiquement monter la pression et menacent les pouvoirs publics. Ces acteurs vont monter au créneau, c'est inévitable, mais ils sont tout à fait conscients qu'ils peuvent perdre la partie au niveau citoyen, dans la presse, mais également économiquement lors du renouvellement des concessions qui arrive à grands pas. En 2031, certaines concessions de la Sanef seront concernées, en 2033 ce sera le tour de Vinci. N'ayons donc pas peur de leur position ferme, ils ont beaucoup plus à perdre qu'à gagner. Les sociétés concessionnaires d'autoroute haussent le menton pour montrer qu'elles ne céderont pas et elles sont conseillées par d'excellents juristes. Néanmoins, nous devons aller au bout de ce sujet et c'est un ancien de Vinci qui vous le dit.

M. Didier Mandelli. -- Je ne remets pas en question le bien-fondé de ce débat, mais je regrette qu'il n'ait pas eu lieu avant le vote de l'article 15 en séance publique. Il me paraît irréaliste que nous réalisions cet exercice après : le débat et les décisions doivent avoir lieu avant le vote, et je regrette que nous n'ayons pas eu des échanges préalables avec la commission des finances.

M. Jacques Fernique. -- Je suis tout à fait en phase avec ce qui vient d'être dit. Nous avons été surpris de découvrir en direct le rapport de la commission des finances sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité, très intéressant par ailleurs, qui proposait 6 axes et 20 recommandations. L'idée de financer les transports écologiques du quotidien par une mise aux enchères des quotas carbone était très intéressante, mais je regrette cette organisation en silos au sein de notre institution. Il serait bon à l'avenir que nous ayons davantage d'échanges en amont et de synergies dans nos travaux, afin que nous puissions trancher en connaissance de cause.

M. Olivier Jacquin. -- J'appuie également les propos de Didier Mandelli et de Jacques Fernique, il y a un manque de coordination dans le travail entre les commissions. Avoir un débat après le vote de l'article 15, et devoir batailler pour obtenir des explications étayées sur les raisons du sort réservé à nos amendements n'est pas satisfaisant. Pourtant, certaines propositions de la commission des finances étaient tout à fait intéressantes, notamment celle à l'article 15 prévoyant un fléchage d'une partie du produit de la future taxe vers les conseils départementaux et les communes, et celle prévoyant un fléchage d'une fraction du produit des mises aux enchères des quotas carbones au profit des autorités organisatrices de mobilité. Ces propositions auraient toutefois mérité un débat entre nous. Je me félicite cependant que les difficultés financières que rencontrent les petites autorités organisatrices de mobilité en raison de l'absence de base fiscale de versement mobilité aient été prises en compte. Il est presque certain que cette mesure sera supprimée lors de l'application de l'article 49.3 de la Constitution à l'Assemblée nationale puisque le Gouvernement a émis un avis défavorable à son encontre, mais je pense que nous avons tout de même marqué des points sur cette question.

En revanche, il n'est pas acceptable que la commission des finances rejette toute velléité d'augmentation du versement mobilité compte tenu de la proposition qu'elle a portée dans le cadre du PLF sur les quotas carbone ; ce seul argument a conduit à formuler des demandes de retrait sur nos amendements évoquant pourtant les besoins de financement liés notamment aux Serm et à la mise en oeuvre des ZFE-m.

Notre commission et la commission des finances gagneraient à examiner en profondeur la question du financement des mobilités de manière générale. Il me semble que Philippe Tabarot présentera tout à l'heure un amendement allant dans ce sens.

Par ailleurs, il importe de se pencher sur les assises des autoroutes, qui ont été annoncées au mois de juillet et qui devraient avoir lieu au premier trimestre. De même, il serait temps de faire un bilan des transferts de voirie liés à la loi « 3DS » du 21 février 2022 pour avoir une vision consolidée de l'effritement du réseau routier national non concédé.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- Je pense que le problème de la sous-consommation des crédits de l'Afit France doit être analysé en profondeur. Cette sous-consommation est-elle due à un manque de capacité à faire, ou à un modèle économique qui n'arrive pas à trouver une base stable pour avancer dans de bonnes conditions ? Pour assurer le meilleur fonctionnement possible pour le financement des infrastructures de transport, il faut que cet ensemble de problèmes soit résolu.

Concernant le Fonds vert, je souhaiterais également que les services préfectoraux mobilisent ce dispositif avec plus de transparence et en associant davantage les élus. Il est anormal que nous découvrions l'usage des crédits issus du Fonds vert en aval, à travers des reporting manquant considérablement de précision. Nous devons mener un combat commun sur ce sujet au niveau parlementaire.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 35 

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- L'amendement n°  II-693 que je vous soumets a deux objectifs. D'une part, 20 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour l'acquisition de camions et autocars électriques, pour renforcer les efforts en faveur du verdissement du parc de ces deux catégories de véhicules. D'autre part, il prévoit d'allouer 20 millions d'euros aux autobus électriques qui n'avaient pas bénéficié du dispositif en 2023, afin de soutenir les AOM dans le verdissement de leurs flottes d'autobus.

L'amendement n°  II-693 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- L'amendement n°  II-694, que je porte avec mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, vise à allouer 30 millions d'euros supplémentaires à l'entretien et à la réparation des ouvrages d'art de l'État du réseau routier national non concédé (RRNNC).

L'amendement n°  II-694 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- L'amendement n°  II-695 propose de rehausser de 20 millions d'euros les crédits relatifs à l'entretien des routes du réseau routier national non concédé (RRNNC).

L'amendement n°  II-695 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- L'amendement n°  II-696 vise à abonder de 100 millions d'euros supplémentaires l'action du PLF consacrée aux « transports collectifs », afin de soutenir les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans le développement d'infrastructures et de systèmes de transport public, urbain et périurbain. Le déploiement des ZFE-m et la décarbonation du secteur vont conduire à une hausse de la demande de transports collectifs ; il s'agit de soutenir les AOM dans cette transition qui nécessite des investissements considérables de leur part.

L'amendement n°  II-696 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- Cet amendement n°  II-697 vise à affecter 5 millions d'euros à l'action « Fonctions support » du programme 203 « Infrastructures et services de transport ». La loi d'orientation des mobilités de 2019 avait rendu obligatoire l'élaboration par la région d'un contrat opérationnel de mobilité pour définir les modalités de l'action commune des AOM. Quatre ans plus tard, ce dispositif peine toujours à être mis en oeuvre. Or, le développement de l'intermodalité nécessite de renforcer l'interopérabilité des réseaux locaux de transport et la coordination entre les différentes AOM intervenant sur ces réseaux. Concrètement, cet amendement permettra de soutenir les collectivités dans cet objectif, à travers le financement d'études de mobilité, d'expérimentations et celui d'autres outils destinés à favoriser la définition d'objectifs partagés en matière de mobilité.

L'amendement n°  II-697 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. -- Pour finir, cet amendement n°  II-698 vise à allouer 20 millions d'euros supplémentaires au dispositif de leasing social, dont l'entrée en vigueur est prévue dès 2024. Si plusieurs des paramètres sont encore inconnus à ce jour, le Gouvernement a annoncé que seraient uniquement éligibles les ménages disposant d'un revenu fiscal de référence allant jusqu'à environ 14 000 euros. Or, compte tenu du coût encore prohibitif des véhicules électriques, il apparaît nécessaire de renforcer l'accessibilité du leasing social.

L'amendement n°  II-698 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports routiers de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Crédits « Transports ferroviaires, fluviaux et maritimes »
Mercredi 29 novembre 2023

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le rapporteur pour avis, Philippe Tabarot va nous présenter son rapport sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter ce matin mon avis sur les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2024 aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, pour lequel je vous remercie de m'avoir confié le rôle de rapporteur. Avant d'en venir aux principaux axes de mon rapport, je souhaiterais formuler trois remarques d'ordre général.

Tout d'abord, beaucoup d'annonces ont été faites ces derniers mois par le Gouvernement, parmi lesquelles, pour n'en citer que deux, l'annonce, par le Président de la République, du déploiement de dix services express régionaux métropolitains (Serm) d'ici dix ans, prolongée quelques mois plus tard par la présentation d'un plan d'avenir pour les transports, pour réussir une « Nouvelle donne ferroviaire », de l'ordre de 100 milliards d'euros d'ici 2040. Ces annonces constituent des signaux positifs en faveur du développement du transport ferroviaire dans nos territoires. Pour autant, et nous avons eu l'occasion de le vérifier récemment lors de l'examen de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains (Serm), les modalités de financement de ces annonces ne sont, pour l'heure, pas définies. S'agissant des Serm, le ministre a renvoyé à la négociation en cours des contrats de plan État-Région (CPER), dans le cadre desquels 765 millions d'euros seront déployés. Or, ces montants ne seront a priori affectés qu'à la réalisation d'études des premiers projets. Compte tenu des montants en jeu, il est urgent de définir des modèles de financement précis et aboutis. La question se pose d'autant plus concernant les 100 milliards d'euros d'ici 2040 pour le transport ferroviaire. À l'heure où nous parlons, nous ignorons tout des ressources qui seront mobilisées pour financer cette enveloppe, nous ne connaissons pas la part que l'État entend engager et aucun des acteurs que j'ai eu l'occasion d'interroger dans le cadre de mes auditions n'a connaissance de la ventilation des montants. J'y reviendrai plus tard dans mon propos : tout laisse à penser que l'État compte s'appuyer sur la SNCF elle-même pour financer une partie des investissements...

Le deuxième constat, que je souhaiterais partager avec vous est, cette fois, un motif de satisfaction : les crédits alloués aux transports, tous modes confondus, par le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 sont en augmentation. Je tiens ici à saluer les trajectoires positives, ces dernières années, d'évolution des fonds consacrés en particulier à la régénération des réseaux, notamment ferroviaire et fluvial. Le PLF pour 2024 prévoit ainsi une enveloppe de 4,3 milliards d'euros de crédits de paiement pour le programme 203 « Infrastructures et services de transports » et 4,05 milliards d'euros de fonds de concours.

Cela étant dit, le déficit d'investissement cumulé sur l'ensemble des réseaux de transports est tel que les augmentations prévues ne parviennent malheureusement pas, année après année, à enrayer la spirale de dégradation qui les affecte.

Mon troisième constat est le suivant : les secteurs du transport ferroviaire, fluvial et maritime sont à une période charnière. Après avoir été durement frappés par la crise liée à la Covid-19, qui a entraîné un fort ralentissement de l'activité, ces secteurs font à présent face à une forte pression inflationniste qui les affecte à deux titres. Côté offre, l'inflation - à commencer par la hausse des coûts de l'énergie - contraint fortement les marges de manoeuvre de l'ensemble des opérateurs. Côté demande, l'inflation conduit à un ralentissement sur les marchés du fret. Bien sûr, outre la pression inflationniste qui concerne tout le monde du transport, le fret a rencontré en 2023 des difficultés sectorielles. Le fret ferroviaire a ainsi été touché par des facteurs exogènes comme les grèves liées au projet de loi sur les retraites et l'accident survenu cet été dans la Maurienne, qui risque de bloquer l'accès ferroviaire à l'Italie pour un an. S'agissant du fluvial, l'activité de fret a été ralentie cette année par une conjoncture défavorable dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) et un recul des campagnes céréalières. Enfin, le fret maritime est actuellement pénalisé par l'atonie de la croissance mondiale et les incertitudes géopolitiques.

Or, ces trois secteurs doivent relever le défi de la décarbonation qui, comme vous le savez, va impliquer des investissements considérables dans les prochaines années. Bien que le report modal de la route vers les modes massifiés constitue en lui-même un levier de décarbonation, les transports ferroviaires et fluviaux doivent eux aussi engager d'importants efforts de verdissement de leurs flottes. Le transport maritime, qui représente 3 % des émissions mondiales de CO2, est également concerné au premier plan par les exigences de verdissement.

Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais le soutien du Gouvernement en faveur de la décarbonation des transports est loin d'être à la hauteur, alors que les obligations au niveau national et européen ne font que se renforcer et que la mise en oeuvre des zones à faibles émissions mobilité (ZFE m) conduira, de fait, à un accroissement de la demande vis-à-vis des modes massifiés et des transports collectifs.

J'en viens à présent aux trois principaux axes de mon rapport. Le premier axe porte sur le financement des infrastructures de transport. D'année en année, le constat est malheureusement le même : le financement des infrastructures de transport dans notre pays repose sur un modèle incertain. À première vue, le PLF pour 2024 semble assainir la situation puisqu'il prévoit une hausse des recettes de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) à hauteur de 863 millions d'euros. Pourtant, à y regarder de plus près, les motifs d'inquiétude demeurent. D'une part, les recettes « traditionnelles » de l'agence restent marquées par une certaine incertitude, à commencer par le produit des « amendes radars », dont le montant est difficilement prévisible en année N-1, et la contribution volontaire exceptionnelle dont les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) refusent de s'acquitter depuis 2021, ce qui génère un manque à gagner annuel de 60 millions d'euros pour l'Afit France. Surtout, l'essentiel des nouvelles recettes prévues pour l'Afit France provient de la future taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance instituée à l'article 15 du PLF. À cet égard, on ne peut que s'inquiéter des risques contentieux qui pèsent sur ce dispositif. Aussi, la possible fragilité juridique de cette taxe ne permet toujours pas d'assurer une trajectoire de recettes pérenne pour l'Afit France.

J'ai pris acte de l'amendement de la commission des finances qui vise à allouer un sixième du produit de la future taxe aux communes et départements, plutôt qu'à l'Afit France. Pour compenser les conséquences de cette nouvelle affectation et assurer à l'Afit France les 600 millions d'euros de recettes supplémentaires qui lui sont promis, nous vous avons proposé la semaine dernière, avec mon collègue Hervé Gillé, un amendement visant à relever de 100 millions d'euros la fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) affectée à l'agence en 2024. J'espère qu'il connaîtra un sort favorable en séance publique.

Mon deuxième axe porte sur le transport ferroviaire, qui connaît lui aussi une augmentation des moyens qui lui sont alloués. 3,1 milliards d'euros sont ainsi prévus par le budget de SNCF Réseau pour le renouvellement du réseau ferroviaire. Cette enveloppe comprend 300 millions d'euros supplémentaires par rapport à la trajectoire prévue par le dernier contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Cette augmentation s'inscrit dans la perspective, fixée par la Première ministre, de consacrer annuellement, d'ici la fin du quinquennat, 1,5 milliard d'euros supplémentaires au réseau ferroviaire, dont 1 milliard d'euros pour la régénération et 500 millions d'euros pour la modernisation.

Si la hausse observée cette année doit être saluée, elle reste cependant bien en deçà des besoins, compte tenu d'une part du renchérissement des coûts d'entretien et d'exploitation sous l'effet de l'inflation, et, d'autre part, du retard pris par la France dans la régénération de son réseau, qui poursuit sa lente dégradation, mais aussi en matière de modernisation (je parle ici des projets de déploiement du système de gestion du trafic européen et de la commande centralisée du réseau). À terme, le risque de décrochage par rapport aux autres pays européens est réel. Si nous poursuivons la trajectoire actuelle, la France risque de devenir, d'ici 2040, le mauvais élève de l'Union européenne, aux côtés de la Lituanie. Je vous proposerai dans quelques instants d'adopter un amendement visant à allouer davantage de moyens à la modernisation du réseau.

En outre, le Gouvernement prévoit de faire peser l'essentiel des nouveaux investissements sur les bénéfices réalisés par SNCF Voyageurs. À terme, cette situation pose non seulement question quant à l'indépendance de SNCF Réseau, mais aussi quant à la capacité de la SNCF d'absorber ces nouvelles dépenses compte tenu de ses propres contraintes financières.

En définitive, l'année 2024 sera une année décisive pour le réseau ferroviaire. Trois conditions, que j'appelle de mes voeux, doivent être réunies pour rompre avec la spirale de la paupérisation du réseau, à savoir :

- définir une trajectoire claire de financement de long terme. Je vous soumettrai à cet égard un amendement prévoyant la remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement sur les modalités de financement des 100 milliards d'euros annoncés ;

- réviser le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Je ne détaillerai pas plus ce point, sur lequel nous en avons déjà beaucoup dit ;

- donner au régulateur les moyens d'exercer ses missions. Pour la quatrième année successive, et en espérant que cette année soit la bonne, je vous proposerai d'adopter un amendement visant à accroître ses moyens.

Après avoir évoqué la question du réseau ferroviaire, je souhaitais également vous faire état d'un bref point de situation concernant les services de transport ferroviaires. S'agissant du transport ferroviaire de voyageurs, l'année devrait être marquée par une nouvelle augmentation des péages, qui ne devraient cependant compenser que partiellement les coûts de l'inflation pour SNCF Réseau. Il me semble bienvenu de remettre à plat la question du financement de l'infrastructure ferroviaire. Sans attendre les conclusions de la mission confiée à l'Inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), notre commission a d'ailleurs prévu d'appliquer une tarification spécifique aux trafics réalisés dans le cadre des Serm. En outre, et afin de stimuler les investissements en matière de matériels ferroviaires, je vous ai proposé un amendement la semaine dernière visant à créer un suramortissement ferroviaire, qui a été adopté en séance publique.

Pour ce qui concerne le fret ferroviaire, le secteur, qui renouait tout juste avec une dynamique positive, risque d'être fragilisé, compte tenu de l'ouverture par la Commission européenne d'une procédure formelle sur les conditions de financement de Fret SNCF sur la période 2007-2019. Aussi, pour soutenir ce secteur dans une période de bouleversements à venir, je vous soumettrai un amendement visant à allouer 30 millions d'euros supplémentaires au développement de services de wagons isolés.

Mon troisième et dernier axe concerne le défi de la décarbonation du transport fluvial et maritime, qu'il faut relever tout en préservant la compétitivité de ces secteurs. S'agissant du transport fluvial, je veux d'abord exprimer un motif de satisfaction : après quatre années de diminution consécutives, le PLF pour 2024 prévoit enfin la stabilisation du plafond d'emplois de Voies navigables de France (VNF). Notre commission n'a eu de cesse d'alerter le Gouvernement sur la non-soutenabilité de la trajectoire d'emplois qui était imposée à VNF et je me réjouis que la « raison sénatoriale » ait été entendue sur ce point. Cela me paraît d'autant plus indispensable que VNF est engagé dans un plan ambitieux de régénération du réseau et dans la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024, dont près de trois quarts des épreuves se dérouleront sur la Seine ou en bord de fleuve.

Cela étant dit, je veux formuler un point d'attention sur la trajectoire d'investissement en faveur du réseau fluvial, qui doit être revue avant la fin d'année dans le cadre de la révision du Contrat d'objectifs et de performance (COP) de VNF. Au 30 juin 2023, 70 % des ouvrages du réseau fluvial gérés par VNF présentaient un état fonctionnel général « dégradé ». La faute à des décennies de sous-investissement chronique dans ces infrastructures.

Dans ce contexte, j'appelle le Gouvernement à profiter de la révision du COP pour rehausser la trajectoire d'investissement en faveur de l'entretien et la régénération du réseau fluvial. Le PLF pour 2024 fait un premier pas dans cette direction, en rehaussant à 166 millions d'euros les crédits de l'Afit France consacrés au réseau fluvial : il faudra confirmer cette trajectoire dans les prochaines années pour atteindre la cible de 215 millions d'euros par an, à compter de 2031, préconisée par le Conseil d'Orientation des Infrastructures (COI).

Enfin, le verdissement des flottes des entreprises fluviales me semble aussi être un sujet central pour notre commission. Je vous ai présenté un amendement la semaine dernière visant à doubler le plafond portant sur l'exonération des plus-values réalisées sur les cessions de barges fluviales utilisées pour le fret. Ce plafond semble en effet constituer une anomalie dans le paysage fluvial européen, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas ne prévoyant aucun plafond. Malheureusement, cet amendement a été rejeté en séance publique ce week-end, avec un double avis défavorable du Gouvernement et de la commission des finances. Il y a de quoi s'y perdre, puisque dans le cadre de l'examen du PLF pour 2021, un amendement visant à supprimer purement et simplement ce plafond avait été adopté par le Sénat, avec un avis favorable la commission des finances...

J'en viens à mon dernier point qui concerne le transport maritime. J'étais particulièrement inquiet du dispositif prévu à l'article 5 octies du PLF pour 2024 sur le « suramortissement vert » dont bénéficient les armateurs pour l'acquisition d'équipements de propulsion peu polluants. En effet, cet article introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale proposait d'abaisser significativement les taux de déduction fiscale actuels, afin de se conformer au nouveau règlement européen sur les exemptions au régime des aides d'État. Or, le dispositif proposé aurait conduit à vider le suramortissement vert de sa portée alors qu'il commençait timidement à produire ses effets. Je me réjouis donc de l'adoption ce week-end d'un amendement par la commission des finances pour revenir sur la proposition du Gouvernement et maintenir les équilibres du dispositif actuel.

Enfin, s'agissant du secteur portuaire, je souhaite que le Gouvernement clarifie les moyens qui seront mis en oeuvre pour aider les ports maritimes à se conformer aux nouvelles obligations issues du règlement européen sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs « Afir », publié en septembre 2023. Ce règlement prévoit des obligations de déploiement de bornes de recharge électrique à quai dans les ports à compter du 1er janvier 2030, en fonction du nombre d'escales réalisées à l'année. Selon les projections actuelles du ministère de la transition écologique, six grands ports maritimes (GPM) seraient concernés et 12 ports décentralisés. S'agissant des GPM, ce sont 35 nouveaux équipements qui seraient à réaliser d'ici 2030. J'ai pu constater les efforts déployés pour le déploiement d'infrastructures de branchement électrique à quai au GPM de Marseille-Fos lors d'un déplacement en mai dernier. Il me semble indispensable que des moyens supplémentaires soient fléchés pour accompagner les ports dans cette transition dans les prochaines années.

Pour terminer, et sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai dans un instant, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial de la commission des finances. - Tout d'abord je voudrais signaler à titre liminaire, comme j'en ai eu l'occasion en commission des finances, que je suis tout à fait favorable à ce que nos deux commissions puissent travailler davantage ensemble dans le cadre de la préparation du PLF.

Pour revenir au rapport, je souhaiterais souligner que nous n'avons toujours pas de loi de programmation. La loi d'orientation des mobilités prévoyait pourtant la définition d'une nouvelle programmation financière, c'est-à-dire une nouvelle loi d'orientation des mobilités avant le mois de juin de cette année. Or, nous ne l'avons pas et nous ne savons pas si nous l'aurons un jour. Si le ministre délégué chargé des transports, Clément Beaune, s'est déclaré favorable à l'adoption d'une telle loi, il n'est pas certain, dans le contexte politique actuel, notamment de l'Assemblée nationale, qu'il parvienne à la faire voter. Un tel texte est pourtant nécessaire car il permettrait de graver dans le marbre un certain nombre d'annonces de la Première ministre, en l'absence de mesures concrètes.

En ce qui concerne la taxe instaurée à l'article 15 sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, j'avoue avoir non seulement des inquiétudes en matière juridique mais peut-être encore plus en matière financière, avec un risque de répercussion sur les usagers en cas de paiement par les sociétés d'autoroutes de cette taxe. J'ai interrogé sur ce point le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, en commission des finances, qui m'a répondu qu'il n'y avait aucun risque. Je suis assez réservé sur ce point...

Dans le domaine du transport ferroviaire, je suis naturellement en phase avec les propos que je viens d'entendre. En tenant compte des abondements du fonds de concours par la SNCF, près d'un milliard d'euros sera prélevé cette année sur les résultats de la SNCF au profit du réseau. Cette situation n'est pas satisfaisante, ainsi que l'a souligné le président de la SNCF. Ce financement consacré au réseau échappe donc aux autres besoins du transport ferroviaire notamment ceux liés au renouvellement des matériels. J'illustrerai mon propos avec un sujet qui intéresse un certain nombre de nos collègues, à savoir la remise en route des trains de nuit. Contrairement à l'exemple autrichien, celle-ci se soldera par un échec, en l'absence d'équipements attractifs.

Ce constat me conduit à un propos beaucoup plus général, qui dépasse cette réunion. Non seulement il faut revoir le contrat de performance que nous avions appelé, à la commission des finances, « le contrat de contre-performances », mais il faut également revoir le modèle de financement du système ferroviaire. Il n'est pas sain qu'au moment de l'ouverture à concurrence, SNCF Voyageurs finance SNCF Réseau.

Mon dernier mot portera sur la décarbonation, afin de souligner qu'en matière fluviale, des investissements ont été réalisés. J'avais eu l'occasion dans le précédent COI de visiter des écluses en région parisienne, dont le mauvais état m'avait frappé. Des efforts considérables ont été effectués. Il conviendra donc de veiller à l'inscription des moyens nécessaires dans le prochain COP, en tenant compte de l'inflation.

J'en termine donc avec mes observations, en renouvelant à notre rapporteur la volonté de travailler ensemble

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Je vous remercie et suis ravi de l'entendre une nouvelle fois.  Notre intérêt commun est de travailler ensemble en raison des nombreux constats que nous partageons, tels que la nécessité d'adopter une nouvelle loi de programmation. C'est pourquoi, faute d'un tel texte, nous demandons dans l'attente un rapport sur le financement du montant de 100 milliards d'euros, tout en espérant l'examen prochain d'une véritable loi de programmation. La question de la turbulence de nos assemblées ne semble pas constituer une explication appropriée à l'ajournement de l'examen d'une telle loi. Bien au contraire, l'examen d'une loi sur les mobilités peut, dans le contexte actuel, fédérer nos différents groupes et nos assemblées. Nous poursuivrons donc nos actions pour faire voter une loi de programmation qui nous rassurera dans les années à venir.

En ce qui concerne la taxe de l'article 15, nous continuerons à en parler. Le sujet a été abordé dans l'hémicycle et nous avons tous pu nous exprimer avant-hier soir. Je pose le même constat que vous quant aux conséquences financières sur les usagers. En effet, les sociétés autoroutières pourraient potentiellement répercuter ce coût. Ce risque existe également en matière aérienne car le coût de la taxe sera répercuté par les aéroports sur les compagnies, puis in fine sur les passagers. Par ailleurs, une telle disposition tend à fragiliser notre position dans le cadre du renouvellement des concessions autoroutières.

Enfin, en réponse à vos interrogations sur le financement du transport ferroviaire, la participation de la SNCF à l'effort de financement apparaît normale. Toutefois, celle-ci doit être soutenable pour l'entreprise. Or ce qui est attendu, demandé et proposé, semble excessif pour la SNCF, quels que soient ses efforts. L'effort doit être collectif. Par ailleurs, si l'année dernière a constitué une très bonne année avec le retour des voyageurs de manière historique car les Français aiment le train, malheureusement, cette dynamique pourrait ne pas perdurer les 5 ou 10 prochaines années, en raison de difficultés liées à l'état du réseau par exemple.

M. Jacques Fernique. - Je partage très largement les analyses du rapporteur pour avis. Effectivement, si nous n'amendons pas la trajectoire budgétaire du transport ferroviaire ainsi que nous le propose notre rapporteur, elle reposera exclusivement sur les fonds de concours versés par la SNCF. Ce n'est donc pas l'État mais des ressources internes à la SNCF qui financeraient le plan du Gouvernement. D'une part, cela ne suffira pas, d'autre part, ces financements manqueront pour traiter d'autres besoins essentiels. En ce sens l'amendement allouant 100 millions d'euros supplémentaires, ainsi que le propose le rapporteur, permettrait de mobiliser davantage de concours publics pour rehausser notre trajectoire de financement du réseau.

En ce qui concerne l'amendement prévoyant la remise d'un rapport sur les modalités de financement des 100 milliards d'euros d'ici 2040, les demandes de rapport ne sont généralement pas appréciées mais le Sénat n'apprécie pas non plus qu'on lui fasse de grandes annonces creuses. Rappelons-nous qu'à la suite de la remise du rapport du COI en février, la Première ministre avait déclaré que la déclinaison opérationnelle segmentée du plan d'avenir pour les transports, serait réalisée d'ici l'été. Nous l'attendons toujours. Le rapport demandé par l'amendement ainsi que la conférence nationale de financement des Serm, qu'on a insérés dans la proposition de loi relative aux Serm, sont effectivement les bienvenus.

M. Olivier Jacquin. - Un grand merci à notre rapporteur, Philippe Tabarot, sur sa manière générale d'animer avec ouverture, ses travaux. Nous pouvons ainsi partager la même information, ce qui améliore la qualité des débats. J'appelle de mes voeux effectivement cette collaboration, devant notre collègue de la commission des finances, Hervé Maurey qui propose un travail plus fin entre nos deux commissions. J'y suis d'autant plus favorable que nombre de sujets sont transpartisans, tels que les transports publics, sur lesquels nous partageons souvent les mêmes orientations.

S'agissant de la loi de programmation, j'ai participé à la consultation des différents groupes, organisée par le ministre délégué chargé des transports. Je ne suis guère optimiste quant à sa capacité de trouver une majorité pour porter un nouveau texte, sans pour autant cesser de demander l'examen de cette loi de programmation indispensable.

Je souhaiterais revenir sur le modèle économique ferroviaire que nous avons produit après le nouveau pacte ferroviaire de 2018 et l'ouverture à la concurrence. La situation de la SNCF est extrêmement complexe. D'une part, SNCF Réseau est contrainte par sa règle d'or et le contrat de performance, voire de « contre-performance ». D'autre part, SNCF Voyageurs finance directement SNCF Réseau et doit augmenter le prix des billets de TGV de manière continue, alors que ses concurrents, très peu nombreux, se voient allouer des remises sur les péages, afin de les aider à pénétrer le marché. Je ne crois pas que ce système soit véritablement lisible, pérenne, et solide. Il faut nous interroger afin de produire un système différent.

Pour conclure sur le transport ferroviaire, je souhaiterais attirer votre attention sur un amendement déposé dans le cadre du PLF de fin de gestion par le rapporteur général concernant le train, Metz-Nancy-Lyon, qui est reconnu comme un futur Train d'équilibre du territoire (TET). L'État prévoit des cofinancements de la part des conseils régionaux, des métropoles et des conseils départementaux alors que le financement des trains d'équilibre du territoire relevait jusqu'à présent de l'État, dans une logique d'aménagement du territoire. Ce dispositif est donc très inquiétant. À côté de cela, on ne parle que de la SNCF, en omettant nos conseils régionaux qui sont très investis dans les TER et qui sont dépourvus de véritables ressources affectées.

Pour conclure, les amendements du rapporteur conviennent parfaitement à notre groupe, en particulier celui sur la réflexion à élaborer sur un modèle financier plus consistant.

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le rapporteur, je vous propose de présenter vos amendements.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-690 a pour objet d'augmenter la subvention pour charges de service public de l'Autorité de régulation des transports (ART), pour la porter de 15 millions d'euros à 16 millions d'euros, en 2024. Le PLF 2024 prévoit certes déjà une augmentation mais qui reste très faible, compte tenu des besoins résultant de l'extension, ces dernières années, du champ d'action de l'ART. Nous aurons certainement l'occasion de l'évoquer, la semaine prochaine, lors l'audition du candidat proposé à la présidence de l'ART. Cet amendement vise donc à garantir l'indépendance de l'ART en cas de contentieux. À cette fin, l'ART ne doit pas indéfiniment puiser dans son fonds de roulement. Cette autorité fonctionne bien, et est indépendante. Donnons-lui les moyens de garantir cette indépendance.

L'amendement n°  II-690 est adopté.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. -  L'amendement n°  II-691 vise à allouer 100 millions d'euros à la modernisation du réseau ferroviaire. La modernisation est la grande absente de ce budget, comme des budgets précédents. La France est en retard en matière de déploiement de l'ERTMS (European Rail Traffic Management System) et de la commande centralisée du réseau (CCR). Elle est le mauvais élève de l'Union européenne. Il convient absolument de rattraper ce retard afin de faire circuler plus de trains demain.

L'amendement II-691 est adopté.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. -Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder la situation et l'avenir du fret ferroviaire lors des différentes auditions de commission, avec notamment la question du plan de discontinuité de Fret SNCF. Dans ce contexte, il me paraît indispensable d'abonder à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires, le développement du fret ferroviaire et plus particulièrement un secteur qui en a besoin, celui du wagon isolé.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement II-689 vise à prévoir la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement d'ici le 30 juin 2024, sur les modalités de financement du Plan d'avenir pour les transports doté de 100 milliards d'euros d'ici 2040. Le plan de financement reste pour l'heure flou, ce qui est de nature à nous inquiéter, notamment quant à une éventuelle réutilisation des financements du transport ferroviaire dans d'autres plans, Serm, CPER ou autres. Nous aurions aimé obtenir ces informations autrement que par un rapport mais celui-ci paraît vraiment indispensable. En outre, nous avons choisi la date du 30 juin 2024, qui correspond à la date d'organisation de la conférence nationale de financement des Serm, prévue dans la proposition de loi relative aux Serm. Ces sujets étant particulièrement complémentaires, cette date permettra au Gouvernement d'ici là de travailler sereinement et de trouver des pistes de financement pertinentes.

La commission adopte l'amendement II-689.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

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