B. AUDITION DE MME NICOLE PRUD'HOMME, PRÉSIDENTE DE LA CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES (CNAF) (MARDI 13 MAI 2003)

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

A titre liminaire, M. Nicolas About, président, a interrogé Mme Nicole Prud'homme sur les raisons qui ont conduit le conseil d'administration de la CNAF, lors de sa réunion du 29 avril 2003, à émettre, à une courte majorité (7 voix contre, 6 voix pour, 12 abstentions ou prises d'acte), un avis défavorable sur le projet de loi.

Mme Nicole Prud'homme a souligné que la raison principale expliquant ce vote lui semblait être le caractère très précipité de cette consultation, les différentes organisations représentées au conseil d'administration n'ayant pas eu les moyens d'analyser le projet de loi. Elle a précisé, en outre, que cet avis défavorable reflétait plus des interrogations qu'une opposition de fond. Elle a insisté, à cet égard, sur le caractère flou de nombreux points du texte, illustré par le renvoi fréquent à des mesures réglementaires. Elle a ajouté que la CNAF se sentait d'autant plus concernée par le RMI qu'elle avait été mise en cause par certaines interprétations consécutives au rapport public de la Cour des comptes de 2001.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a rappelé les propositions du rapport de l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS), qui consistaient à transférer l'instruction de l'ensemble des demandes de RMI aux caisses d'allocations familiales (CAF) et aux caisses de mutualité sociale agricole (CMSA). Il a demandé à Mme Nicole Prud'homme si une telle clarification lui paraissait souhaitable et à quelles conditions elle serait envisageable. Constatant que le projet de loi se limitait à prévoir une possibilité de déléguer aux CAF et aux CMSA certains pouvoirs des présidents de conseils généraux en matière de décisions individuelles relatives à l'allocation, il l'a interrogée sur la manière dont elle concevait les limites de cette délégation.

Mme Nicole Prud'homme a répondu que le projet de loi ouvrait la possibilité de déléguer certaines compétences aux CAF, mais qu'il n'était pas souhaitable d'aller plus loin, en l'état actuel des choses, et ce, pour trois raisons principales.

Elle a précisé, en premier lieu, que les centres communaux d'action sociale (CCAS) disposaient déjà d'une très forte implantation géographique, qui permettait un lien de proximité sans guère d'équivalent, notamment avec les personnes en situation de précarité. Elle en a conclu que l'éventualité du transfert de l'ensemble de l'instruction des demandes de RMI aux CAF ne pourrait pas représenter une amélioration.

Mme Nicole Prud'homme a considéré, en second lieu, que les CAF ne disposaient pas d'un personnel suffisamment formé et disponible pour faire face à une telle extension de leur domaine d'activité. Elle a mentionné que l'instruction d'un dossier de RMI nécessitait, en moyenne, une heure d'entretien avec la personne demandant l'allocation. Face à la grande diversité des questions abordées par la problématique de l'insertion, elle a jugé qu'une formation spécifique du personnel était nécessaire.

Elle a souligné, en dernier lieu, que les CAF ne bénéficiaient pas de locaux adaptés permettant de préserver, lors de la conduite des entretiens, la nécessaire confidentialité de la relation avec les allocataires. Elle a ajouté que, compte tenu de l'effectif des populations déjà prises en charge par les CAF, il ne lui semblait pas possible de faire face à ce nouvel afflux de dossiers.

Mme Nicole Prud'homme a indiqué que les départements d'outre-mer, dans lesquels les CAF instruisent les dossiers de RMI, constituaient un cas particulier. Elle a rappelé que cette exception était motivée par les spécificités de l'outre-mer. Elle a indiqué que, dans ces départements, contrairement à ceux de métropole, les CAF disposaient de moyens spécifiques, ainsi que d'une organisation adaptée.

S'agissant des dispositions du projet de loi permettant aux CAF de conclure des conventions avec les conseils généraux, Mme Nicole Prud'homme a considéré que la CNAF ne s'opposerait pas à ce que certaines CAF s'engagent dans ce type de démarche. Elle a toutefois précisé qu'une généralisation au plan national lui apparaissait impossible.

Mme Nicole Prud'homme a confirmé qu'il était possible, sur un plan technique, pour la CAF, de se voir déléguer, par le président du conseil général, ses pouvoirs en matière de décisions individuelles sur le RMI, à l'exception des demandes de suspension. Elle a néanmoins soulevé, d'un point de vue pratique, deux questions difficiles pour les CAF : la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire et la difficulté à apprécier les ressources des travailleurs indépendants.

M. Bernard Seillier, rapporteur, a demandé à Mme Nicole Prud'homme quels étaient les « risques financiers » liés à la décentralisation du RMI mis en avant par le conseil d'administration de la CNAF. Il l'a également interrogée sur la nature des garanties dont souhaiterait disposer la CNAF pour continuer à assurer le service d'un RMI décentralisé.

Mme Nicole Prud'homme a insisté sur la nécessité, pour la CNAF, de disposer d'un cadre financier sûr. Rappelant que la centralisation actuelle du financement par l'État offrait une grande sécurité pour les flux de trésorerie qui permettait même le paiement dans des délais très courts de la « prime de Noël », elle a fait part de son inquiétude quant à l'hypothèse de gérer, à l'avenir, des flux de trésorerie avec une centaine de départements.

Elle a considéré que la CNAF ne devait pas faire les frais de cette partie de la réforme car elle n'en avait pas les moyens. Elle s'est inquiétée, à ce titre, de la capacité de tous les départements à mettre les fonds nécessaires à disposition de la CNAF, le 5 du mois civil. Faisant référence à l'existence de prestations additionnelles dans certaines collectivités locales, elle a affirmé qu'une plus grande fréquence de ce cas de figure aboutirait à remettre en cause la gratuité du service apporté par la CNAF et rendrait nécessaire une facturation appropriée.

Mme Nicole Prud'homme a mis en avant l'homogénéité nécessaire des conditions d'ouverture des droits et s'est déclarée attentive aux dispositions qui figureront dans le décret auquel renvoie sur ce point le projet de loi.

M. Bernard Seillier, rapporteur, a interrogé Mme Nicole Prud'homme sur l'impact de la décentralisation du RMI sur le rôle de contrôle des CAF. Mentionnant la nécessité d'améliorer les contrôles sur les allocataires du RMI, mis en évidence par la Cour des comptes dans son rapport 2001, il lui a demandé quels seraient les moyens dont devraient disposer les caisses pour parvenir à cet objectif.

Mme Nicole Prud'homme a déclaré ne pas vouloir méconnaître les observations de la Cour des comptes, mais désapprouver l'appréciation qui a pu en être faite dans l'opinion publique. Elle a fait observer que le contrôle des allocataires du RMI ne relevait pas de la seule compétence des CAF, mais concernait également les services de l'État qui ont la charge de faire respecter le droit du travail. Elle a noté, en précisant par ailleurs qu'elle ne souhaitait pas dégager sa propre part de responsabilité, que les CAF n'ont ni la mission, ni le pouvoir de lutter contre le « travail gris » ou le « travail au noir ».

Elle a souhaité fournir à la commission quelques données chiffrées pour rendre compte de l'ampleur des contrôles réalisés par ses services : en 2000/2001, le pourcentage de personnes contrôlées s'est élevé à 32 % pour l'ensemble des allocataires des CAF, et à environ 40 % pour ceux du RMI spécifiquement. Elle a décrit les trois types de vérifications exercées par les CAF. Elle a indiqué, en premier lieu, que près de 93.600 contrôles avaient été conduits par des agents assermentés. Elle a noté, en second lieu, que 315.000 contrôles destinés à prévenir le risque de double affiliation avaient été effectués par des moyens informatiques. Elle a enfin souligné que les CAF procédaient également à des vérifications par échanges d'informations avec les ASSEDIC.

M. Guy Fischer a interrogé Mme Nicole Prud'homme sur le détail des contrôles permettant de détecter les tentatives de double affiliation par des personnes cherchant à déposer deux demandes de RMI dans des départements différents.

M. Jean-Pierre Fourcade a souligné que ces chiffres attestaient du sérieux des contrôles réalisés par les CAF, mais que, par nature, ils ne pouvaient appréhender le phénomène du « coup de main ». Il a demandé à Mme Nicole Prud'homme si elle ne pensait pas possible de mieux utiliser les commissions locales d'insertion (CLI) et de développer la collaboration avec les ASSEDIC et les agences de l'ANPE, afin de vérifier les possibilités de sorties du RMI. Il s'est interrogé sur les inquiétudes de la CNAF en matière de décentralisation des flux de trésorerie.

M. Gilbert Chabroux s'est interrogé sur la place des CCAS dans le cadre de ce nouveau dispositif. Il lui a semblé que les départements étaient les grands gagnants de cette réforme, alors même que l'on ne pouvait se passer des CCAS.

Revenant sur les explications formulées par Mme Nicole Prud'homme au sujet du vote du conseil d'administration de la CNAF, M. Bernard Cazeau s'est demandé si cet avis défavorable reposait uniquement sur des facteurs techniques.

Mme Nicole Prud'homme a réaffirmé que le conseil d'administration de la CNAF n'avait pas souhaité émettre une opposition formelle ou critiquer la finalité du projet consistant à faire évoluer le RMI vers le RMA. Elle a considéré que la position de la CNAF devait être appréciée sur la base de critères techniques et de gestion.

S'agissant des CLI, elle a noté que les CAF n'étaient vraisemblablement pas présentes dans toutes les CLI. Elle a estimé comprendre le souci visant à accroître la coopération avec les ASSEDIC et l'ANPE. Mais elle a affirmé que l'insertion, qui recouvre des dimensions très variées pouvant aller jusqu'à réapprendre aux allocataires à se lever le matin ou à accompagner leurs enfants à l'école, n'était pas la vocation des CAF. Sur l'aspect décentralisation des flux de trésorerie, elle a insisté sur le coût de gestion potentiellement considérable des mesures envisagées. Elle a rappelé, à ce titre, que celui du RMI pour la CNAF représentait aujourd'hui 193 millions d'euros.

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