C. AUDITION DE M. MICHEL DOLLÉ, RAPPORTEUR GÉNÉRAL DU CONSEIL DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DE LA COHÉSION SOCIALE (CERC) (MERCREDI 14 MAI 2003)

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Michel Dollé, rapporteur général du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC).

M. Michel Dollé a précisé qu'il intervenait devant la commission à titre personnel et non en tant que rapporteur général du CERC, cet organisme ne s'étant pas prononcé sur le projet de loi. Il a indiqué qu'il fonderait ses analyses sur les travaux déjà menés par le CERC sur le retour à l'emploi, mais aussi sur les travaux qu'il avait menés sur l'évolution du « welfare » aux Etats-Unis.

Il a souligné que se dégageait aujourd'hui un consensus sur la nécessité de réformer le RMI. Il a observé que les critiques les plus fréquemment adressées au dispositif s'articulaient autour de quatre volets : le niveau de l'allocation, qui n'est pas particulièrement élevé par rapport aux pays voisins, l'accès au dispositif, qui est limité aux personnes de plus de 25 ans, ce qui reste une spécificité française, la faiblesse du volet insertion, caractérisée notamment par des pratiques très variables d'un département à l'autre et par un partage des responsabilités peu optimal entre l'État et les départements et, enfin, la pauvreté des travaux d'évaluation du dispositif. Il a alors observé que tous ces aspects n'étaient pas nécessairement visés par le projet de loi.

Revenant sur la relation entre RMI, recherche d'emploi et activité, M. Michel Dollé a estimé que la relation entre le bénéfice de l'allocation du RMI et le travail avait été laissée dans une certaine ambiguïté à la création du dispositif et que cette ambiguïté subsistait dans le présent projet de loi. Il a considéré que, dès lors que le droit à l'allocation était fondé sur l'incapacité de travailler, il serait logique que le bénéficiaire du RMI s'inscrive comme demandeur d'emploi, sauf incapacité liée à l'âge, aux charges de famille, à la santé ou au handicap. Il a toutefois précisé que l'inscription à l'ANPE n'était pourtant pas obligatoire en France pour ouvrir droit au RMI, à la différence de la majorité des pays européens, tout en observant qu'aujourd'hui une majorité de bénéficiaires s'inscrivaient effectivement comme demandeurs d'emploi. A cet égard, il a estimé que la première composante de la démarche d'insertion devenait alors le plan d'aide personnalisée (PAP) proposé à tout demandeur d'emploi inscrit à l'ANPE.

Il a considéré, en revanche, que poser le principe d'une activité en contrepartie de l'allocation serait sans doute en contradiction avec le principe constitutionnel issu du préambule de la Constitution de 1946 qui fait de l'incapacité à travailler le fondement de la solidarité nationale. Observant que le projet de loi ne prévoyait pas la mise en oeuvre d'un tel principe, il a toutefois exprimé la crainte que cette logique puisse se réintroduire dans les modalités pratiques d'application.

Abordant plus précisément le RMA, il a estimé qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de travail de plein droit, dans la mesure où les cotisations sociales ne sont pas assises sur l'ensemble de la rémunération, mais seulement sur le différentiel versé par l'employeur, ce qui conduit à limiter les droits différés en matière d'assurance vieillesse et d'assurance chômage notamment. Il a ainsi observé que le bénéficiaire du RMA travaillerait de 12 à 15 heures par semaine sans acquérir de droits différés et a estimé que cette disposition pouvait fragiliser la démarche de retour à l'emploi, à la différence des dispositifs d'intéressement mis en place précédemment.

Replaçant le RMA dans le parcours d'insertion du bénéficiaire du RMI, il a estimé que la condition d'ancienneté de deux ans de RMI pour pouvoir conclure un contrat d'insertion RMA visait à cibler prioritairement les publics les plus en difficulté. Il a toutefois considéré qu'il ne serait pas illogique de bénéficier d'un tel contrat avant l'expiration d'un délai de deux ans au regard de l'évaluation réalisée au moment de l'entrée dans le RMI. Il a ainsi estimé que, dans une logique de décentralisation, une telle responsabilité pourrait relever du président du conseil général.

Il s'est également interrogé sur le positionnement du contrat d'insertion RMA par rapport au contrat emploi-solidarité (CES). Observant que ce dernier est un contrat de plein droit qui amène à un niveau de revenu supérieur au RMA du fait de l'intéressement, il a rappelé que l'expérience du CES soulignait une certaine faiblesse pour les politiques d'accompagnement et de formation qui lui sont associées. Il a toutefois jugé intéressante l'ouverture du RMA au secteur marchand, dans la mesure où le retour effectif à l'emploi durable était plus difficile dans le secteur non marchand, mais a, parallèlement, exprimé la crainte que ce nouveau contrat se traduise par un « effet de noria », les employeurs faisant succéder plusieurs bénéficiaires de contrats aidés sur un même poste de travail. Il a alors évoqué la possibilité d'encadrer de telles pratiques en interdisant à l'employeur de réembaucher immédiatement en contrat aidé sur un même poste de travail.

S'agissant de la décentralisation du RMI, il a estimé que le partage actuel de la responsabilité entre le département et l'État n'était pas satisfaisant et qu'un éclaircissement des responsabilités était nécessaire. Il a toutefois observé que le projet de loi conduisait à confier aux départements le soin de piloter une prestation de solidarité nationale, ce qui exigeait de nécessaires garanties et précisions, notamment en matière de suspension des droits à l'allocation. A cet égard, il a suggéré d'introduire une procédure d'appel qui fasse que l'État reste le responsable en dernier recours des décisions de suspension ou de radiation d'un bénéficiaire pour, par exemple, non-respect du contrat d'insertion.

Il a également insisté sur la nécessité d'améliorer et de renforcer le dispositif de contrôle, de suivi statistique et d'évaluation du dispositif, évoquant à cet égard l'exemple de la loi américaine de 1996 qui confiait aux Etats fédérés de nouvelles et importantes responsabilités en matière d'aide sociale mais qui, parallèlement, prévoyait un encadrement très strict et très précis par l'État fédéral en fonction de l'évaluation du dispositif.

Il a souligné, enfin, le caractère peu précis des conditions de financement du transfert de compétences en matière de RMI. A cet égard, il a souligné que le transfert d'une ressource fiscale impliquait que son produit puisse évoluer différemment des besoins de financement de l'allocation. Il a également jugé que les règles de répartition de la ressource entre départements devaient être précisées afin de pouvoir prendre en compte l'évolution du nombre de bénéficiaires de l'allocation, tout en restant incitatives pour les départements menant une politique d'insertion efficace. Il a alors estimé que ce volet financier, par ses implications, semblait dépasser le strict cadre de la loi de finances.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a demandé des précisions complémentaires sur l'analyse des difficultés rencontrées par les bénéficiaires du RMI pour accéder à l'emploi, sur la réalité des « trappes à inactivité », sur le bilan et les conditions d'efficacité des mécanismes d'intéressement et sur les « bonnes pratiques » identifiées dans le cadre des politiques d'accompagnement dans l'accès à l'emploi.

M. Michel Dollé a rappelé que la population bénéficiaire du RMI était très hétérogène et qu'une partie était proche de l'accès à l'emploi. A cet égard, il a précisé qu'un tiers des bénéficiaires retrouvait un emploi en moins de six mois. Il a toutefois indiqué qu'une autre partie de ce public rencontrait des difficultés spécifiques limitant leurs possibilités d'accès à l'emploi, qu'il s'agisse de problèmes de santé, de logement, de transport ou de famille. Revenant sur la notion de « trappe à inactivité », il a reconnu que certains avantages inhérents aux minima sociaux soulevaient des difficultés et n'incitaient pas financièrement au retour à l'emploi. Il a cité notamment les modes de calcul des allocations logement, l'exonération de la taxe d'habitation, la majoration de l'allocation selon les charges de famille et les aides locales dont peuvent bénéficier les allocataires du RMI.

M. Michel Dollé a toutefois indiqué que, malgré la faible attractivité financière du retour à l'emploi, un nombre important de bénéficiaires des minima sociaux préférait travailler, même à temps partiel, quand bien même leur rémunération ne serait pas supérieure à l'allocation. Il a donné deux explications principales à ces comportements : le retour à l'emploi constitue une première étape dans un parcours professionnel pouvant à l'avenir être plus favorable et la valorisation sociale attachée à l'exercice d'une activité professionnelle est bien réelle. Il a, en outre, précisé qu'un certain nombre d'obstacles financiers au retour à l'emploi avaient été levés ces dernières années, citant notamment la réforme de la taxe d'habitation, le reprofilage des allocations logement et la création de la prime pour l'emploi, même s'il a reconnu que certains obstacles demeuraient comme par exemple le bénéfice de la couverture maladie universelle (CMU) complémentaire pour les bénéficiaires des minima sociaux.

S'agissant des politiques d'intéressement, il a indiqué qu'aucun bilan n'était disponible en France en l'absence d'évaluation. Il a toutefois précisé que les évaluations menées aux Etats-Unis sur des politiques similaires concluaient à un bilan positif, même si la durabilité du retour à l'emploi des personnes les plus fragiles restait incertaine.

S'agissant de l'accompagnement dans l'accès à l'emploi, il a insisté sur deux exemples étrangers pouvant apparaître comme autant de « bonnes pratiques » : les Pays-Bas, où la gestion de l'ensemble des minima sociaux et des dispositifs d'insertion est centralisée au sein d'une même agence communale et le Royaume-Uni, où l'accompagnement personnalisé ne s'arrête pas au jour du retour à l'emploi, mais se prolonge quelques mois au-delà.

M. André Lardeux a souligné que la législation réglait déjà la question des recours pour les décisions de suspension de l'allocation par le biais du recours juridictionnel de droit commun. Il a souligné la diversité des politiques d'insertion menées par les départements. Il s'est interrogé sur la pertinence d'une limitation à 20 heures hebdomadaires de la durée du contrat RMA et s'est demandé si le taux de consommation des crédits départementaux d'insertion constituait un paramètre permettant d'évaluer l'efficacité de la politique d'insertion.

M. Alain Gournac s'est félicité de la décentralisation du RMI en estimant que la conduite de la politique d'insertion au plus près du terrain permettrait de renforcer son efficacité. Il a rappelé que le bénéfice de l'allocation impliquait des droits mais aussi des devoirs. Il a enfin insisté sur l'importance du tutorat.

M. Roland Muzeau , après avoir regretté la précipitation dans laquelle le Parlement était amené à examiner le projet de loi, a souligné la pertinence de l'exposé de M. Michel Dollé et a déclaré partager ses interrogations. Il a souhaité recueillir son opinion sur l'évolution du RMI et son impact sur les parcours des allocataires.

Revenant sur l'exemple des Etats-Unis, M. Guy Fischer a exprimé la crainte que la décentralisation du RMI ne fragilise les conditions d'exercice de la solidarité nationale.

Revenant sur le débat sur les droits et devoirs, M. Michel Dollé s'est déclaré favorable à l'inscription des bénéficiaires du RMI à l'ANPE, ce qui impliquait l'obligation de recherche d'emploi.

S'agissant du rôle respectif de l'État et du département, il a considéré que le cumul des responsabilités n'était pas satisfaisant. Il a jugé souhaitable de confier la responsabilité du dispositif à un seul partenaire, mais a estimé nécessaire que l'État conserve un pouvoir de contrôle réel. Sur ce point, il a estimé que les dispositions du projet de loi étaient sans doute insuffisantes.

S'agissant de la diversité des politiques départementales d'insertion, il a rappelé que les critiques formulées, et notamment celles de la Cour des comptes, ne concernaient pas seulement le taux de consommation des crédits d'insertion souvent trop faible, mais plus largement l'efficacité globale de ces politiques.

S'agissant de la récente réforme intervenue aux Etats-Unis, il a exprimé son désaccord avec son contenu mais a insisté sur l'exemplarité du dispositif de contrôle et d'évaluation qui l'accompagnait.

S'agissant enfin du tutorat et de l'accompagnement, il a estimé qu'il s'agissait souvent d'une condition fondamentale pour un retour durable à l'emploi, mais que les pratiques restaient souvent trop limitées dans ce domaine. Il a notamment observé que les dispositifs d'accompagnement bénéficiaient le plus souvent aux personnes les plus proches de l'emploi, alors même qu'ils devraient concerner en priorité les personnes les plus en difficulté.

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