N° 138

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 janvier 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à la politique de santé publique ,

Par MM. Francis GIRAUD et Jean-Louis LORRAIN,

Sénateurs.

Tome I : Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (12 ème législ.) : 877 , 1092 et T.A 192

Sénat : 19 (2003-2004)

Santé.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Très tôt, et sans a priori , votre commission des Affaires sociales avait souhaité dresser le bilan que l'on pouvait tirer de la réforme constitutionnelle et organique de 1995-1996 portant création des lois de financement de la sécurité sociale.

A l'issue des travaux du groupe de travail constitué autour de M. Charles Descours 1 ( * ) , elle avait abouti à deux conclusions qui sont restées plus que jamais d'actualité : d'abord, la nécessité d'une meilleure articulation entre les lois de financement et les orientations de la politique de santé ; ensuite l'adaptation indispensable des calendriers, des procédures et des moyens à ce rendez-vous majeur que constitue le débat parlementaire consacré aux finances sociales.

Le rapport de votre commission des Affaires sociales rappelait l'ambition poursuivie dans ce domaine par la réforme Juppé.

La « chaîne vertueuse » souhaitée par les ordonnances de 1996 était la suivante : travaux d'expertise du Haut comité de santé publique (HCSP) conduits très en amont, professionnels réunis au sein de la Conférence nationale de santé (CNS) établissait, à partir du travail des experts, un rapport présenté en mai, préfigurant le rapport annexé ensuite au projet de loi de financement de la sécurité sociale, déposé début octobre par le Gouvernement devant le Parlement.

Dans les faits, la « chaîne vertueuse » imaginée n'a pas fonctionné : le HCSP et la CNS ont travaillé chacun de leur côté, se répartissant de manière pragmatique les sujets à traiter, le calendrier n'a jamais véritablement permis que les orientations dégagées par la CNS de l'année n-1 soient reprises dans le corps normatif de la loi de financement de l'année n.

Si le projet de loi relatif à la politique de santé publique ne participe pas directement à cette réflexion sur la « médicalisation » du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il vise néanmoins à réaménager les instances et les procédures qui contribuent à la détermination de la politique de santé ; en ce sens, il s'inscrit dans la filiation des réformes de 1996 et de 1998.

En 1996, le gouvernement d'Alain Juppé avait promu une réforme de la sécurité sociale qui influençait notre système sanitaire tout entier ; elle portait création des lois de financement de la sécurité sociale et réaménageait profondément notre organisation sanitaire.

En 1998, et après que votre commission des Affaires sociales eut mené un long travail préparatoire, notre système de santé s'est doté d'un ensemble complet d'outils destinés à garantir la sécurité sanitaire et à organiser un réseau de veille, avec la création des agences sanitaires.

C'est dans ce contexte que doit être resitué le présent projet de loi, dont l'objet est « d'affirmer la responsabilité de l'État en matière de santé publique, ainsi que le rôle du Parlement », selon les premières phrases de l'exposé des motifs.

Ce texte présente un rapport annexé, qui définit des objectifs de santé publique selon un programme quinquennal de moyen terme, qui répond aux voeux régulièrement exprimés par votre commission, à l'occasion de l'examen des lois de financement de la sécurité sociale.

Enfin, après l'innovation majeure qu'avait constituée en son temps la première grande loi de santé publique de 1902 qui, pour la première fois, rendait obligatoire une vaccination et imposait la déclaration des maladies infectieuses, le présent projet de loi affirme la nécessité de redonner toute sa place à une véritable politique de prévention et vise à réduire le déséquilibre d'un système excessivement tourné vers le curatif.

Votre commission ne peut donc que se réjouir de débattre enfin de questions de santé, car l'ambition initiale des lois de financement de la sécurité sociale n'a pas été atteinte dans ce domaine.

I. REFONDER LA POLITIQUE DE SANTÉ

Dès sa nomination comme ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, M. Jean-François Mattei avait affirmé son intention d'insérer, dans notre système de santé, une dimension préventive, quasiment inexistante jusqu'alors.

Cette démarche s'impose d'abord pour des raisons sanitaires car les problèmes de santé publique actuels (mortalité prématurée, facteurs de risques liés aux modes de vie) justifient la mise en oeuvre de politiques de prévention pour limiter la survenance d'accidents de santé évitables.

Elle s'impose aussi pour des raisons d'efficacité. Les opérateurs intervenant dans le champ de la santé sont nombreux, la répartition des compétences est le résultat de phénomènes anciens et de sédimentations successives qui n'ont pas toujours fait l'objet d'une évaluation globale.

Le projet de loi relatif à la politique de santé publique s'inscrit également dans une perspective large et ambitieuse, qui vise à réformer aussi bien la politique sanitaire que l'offre de soins.

Dans ce contexte, le texte promeut une action fondée sur la recherche de la qualité comme outil de régulation du système et accorde un rôle important à l'échelon régional.

A. UN CONTEXTE SANITAIRE ET INSTITUTIONNEL QUI REND LA RÉFORME INDISPENSABLE

Le Président de la République a solennellement appelé les pouvoirs publics à porter leur attention aux problèmes de santé publique et, dans ce cadre, il a souhaité que soient mis en oeuvre les chantiers prioritaires que sont la lutte contre le cancer, la prise en charge du handicap et la lutte contre les violences routières.

1. Les problèmes de santé publique mettent en relief la nécessité de développer une politique de prévention ambitieuse

La prévention doit permettre de traiter très en amont les déterminants des maladies grâce à des politiques de dépistage précoce et à des thérapeutiques performantes. Avant même cette étape, le développement de la culture sanitaire de nos concitoyens doit les détourner des conduites qui portent atteinte à leur santé ; elles ne se limitent pas à l'édition d'une politique d'hygiène publique et privée.

M. Jean-François Mattei le soulignait d'ailleurs devant l'Assemblée nationale : « La politique de prévention a un sens nouveau parce qu'elle n'est plus un palliatif à l'impuissance médicale mais s'appuie sur les perspectives très prometteuses ouvertes par les progrès thérapeutiques . »

Pour définir cette politique, le Gouvernement dispose d'un certain nombre d'indicateurs établis par les organisations internationales et utilisés par la plupart des pays développés. Ces indicateurs permettent de mesurer l'efficacité d'un système de santé et de déterminer les points qui demeurent à améliorer.

Dans le cadre du présent projet de loi, le ministre de la santé a fait plus particulièrement référence à deux notions, qui sont celle de prévention et celle de mortalité évitable.

L'organisation mondiale de la santé (OMS) distingue trois types de préventions que le programme « Santé publique - Prévention » retient :

- la prévention primaire (PI) vise à prévenir la survenance de la maladie en agissant sur les causes et les déterminants endogènes ou exogènes ; elle recouvre notamment l'éducation pour la santé, les actions d'information à destination du public en général ou de certains groupes ciblés ;

- la prévention secondaire (PII) vise à détecter les maladies, ou les lésions qui les précèdent, à un stade où l'on peut intervenir utilement ; elle recouvre notamment le dépistage ;

- la prévention tertiaire (PIII), plus tardive, vise à diminuer les récidives et les incapacités et à aider les personnes malades ou handicapées à vivre au mieux de leurs possibilités.

Source : ministère de la santé

Le recours à des comparaisons internationales fait ressortir l'excellence du système de santé français que l'OMS, dans son enquête publiée en 2000, a classé au premier rang mondial. Toutefois, en dépit de ce résultat remarquable, le recours à l'analyse comparative a fait aussi ressortir deux constats qui pressent plus particulièrement le Gouvernement d'agir : la mortalité prématurée reste en France à un niveau anormalement élevé et l'inégalité des Français devant la maladie et la mort est grande, selon leur lieu d'habitation et leur milieu social.


La notion de mortalité prématurée

Les responsables de la santé publique s'intéressent de plus en plus en France, comme dans la plupart des pays comparables, à la mortalité prématurée, définie comme la mortalité survenant avant soixante-cinq ans. Sur quoi doit-on agir pour que les individus ne décèdent pas avant les âges extrêmes de la vie ?

Pour pouvoir effectuer une analyse pertinente de la mortalité évitable, il est donc nécessaire de disposer des taux de mortalité standardisés chez les moins de soixante-cinq ans, seuil généralement retenu.

Tous les décès avant soixante-cinq ans sont-ils évitables ?

L'évitabilité est liée aux comportements à risques des patients, aux pratiques de prévention et de dépistage ainsi qu'au système de soins. Elle dépend également de la nature de la maladie.

Source : Extraits de la contribution de l'observatoire régional d'Ile de France à la consultation régionale pour la préparation de la loi quinquennale, cité dans le rapport annuel 2003 de l'IGAS.

Cette mortalité prématurée est susceptible d'être prévenue à la fois :

- par un meilleur dépistage et, plus généralement, une prise en charge mieux coordonnée, de nature à réduire le nombre de décès prématurés dus aux cardiopathies, aux cancers du sein ou aux maladies vasculaires par exemple ;

- par une action sur les risques liés aux comportements (violence routière, consommation de tabac ou d'alcool) de nature à diminuer la prévalence des décès dus aux cancers du poumon, des voies aérodigestives supérieures, aux accidents de la circulation, etc.

Par ailleurs, ainsi que l'a mis en évidence le Haut comité de la santé publique dans son rapport 2002, on observe un autre paradoxe français : l'existence d'inégalités sociales et spatiales fortes. Consacrant également des développements à ce thème dans son rapport 2003, l'IGAS avait relevé que, du point de vue de la mortalité et de l'espérance de vie, ces inégalités de santé étaient marquées, à la fois entre :

- les sexes : l'écart entre l'espérance de vie à la naissance entre femmes (82,7 années) et hommes (75,2 années) est de sept ans et demi ;

- les catégories sociales : la mortalité prématurée des ouvriers est trois fois supérieure à celle des cadres et membres d'une profession libérale ; l'écart masculin d'espérance de vie à trente-cinq ans entre ces catégories est supérieur à six ans ;

- les régions : l'écart d'espérance de vie à la naissance entre un homme de Midi-Pyrénées (76 ans) et un homme du Nord - Pas-de-Calais (71 ans) est de cinq ans.

L'exploitation des comparaisons internationales peut être également utile dans la recherche de solutions au problème posé par l'état sanitaire, d'autant que la promotion de la santé est devenue une préoccupation mondialement partagée.

Adoptée le 21 novembre 1986 au terme de la conférence internationale pour la promotion de la santé, concentrée sur les besoins des pays développés afin de répondre à « l'attente de plus en plus manifeste d'un nouveau mouvement de santé publique » , la charte d'Ottawa a constitué une étape décisive, dont l'influence sur les politiques nationales continue à se faire sentir et participe à la nouvelle orientation des systèmes de santé pour un dépassement des approches essentiellement cliniques et curatives.

Enfin, l'Union européenne a également changé d'orientation avec le traité d'Amsterdam. Alors que les textes fondateurs confiaient à la commission la tâche de promouvoir l'hygiène au travail et la protection contre les accidents du travail, les valeurs de la santé sont maintenant présentes de façon plus large dans les politiques publiques européennes qui doivent rechercher « un niveau élevé de protection de la santé humaine » et ont une mission « d'amélioration de la santé publique et de prévention des maladies et affections humaines et des causes de danger pour la santé humaine ».


La prévention dans les pays européens :
quelques points de repère

La Norvège adopte la définition de la charte d'Ottawa de l'OMS selon laquelle la promotion de la santé vise à doter les personnes des moyens de prendre en charge leur santé et de maîtriser les facteurs qui l'influencent. La loi sur les services de santé municipaux (1984) précise que la responsabilité des autorités locales concerne, outre les services de soins, les actions de prévention et promotion de la santé (environnement, cliniques familiales, santé scolaire, éducation pour la santé).

En Suède , un comité national de santé publique associant des représentants du Parlement a été créé en 1997 pour proposer une stratégie nationale de santé publique. Fin 2000, dix-huit objectifs nationaux, axés sur les déterminants de la santé et les infrastructures nécessaires à l'action de prévention, ont été rendus publics et un projet de loi déposé en décembre 2002. L'objectif est d'intégrer la santé publique dans la politique générale du gouvernement suédois (économie, protection sociale, marché du travail, agriculture, transports et environnement) et de réduire les inégalités de santé entre classes sociales et entre hommes et femmes. Dix grands domaines d'action sont ainsi prévus et incluent l'amélioration de la participation politique et la santé sur le lieu de travail. La fixation des priorités dans la loi est d'autant plus importante que la politique de santé est totalement décentralisée et mise en oeuvre par les autorités locales.

Au Danemark , une stratégie nationale « santé tout au long de la vie, 2002-2010 » replace les différents plans par maladie dans le cadre d'une approche globale de la santé publique. Elle fixe des objectifs d'augmentation de l'espérance de vie et insiste sur l'amélioration de la qualité de vie et la diminution des inégalités sociales devant la santé.

En Belgique , la prévention sanitaire est organisée par chaque communauté française et flamande. Au sein de la communauté française, un décret du 14 juillet 1997 définit la prévention en faisant directement référence à la Charte d'Ottawa : il s'agit d'élaborer une politique publique saine, créer des milieux favorables, renforcer l'action communautaire, développer les aptitudes personnelles, réorienter les services de santé. La politique de promotion de la santé est énoncée dans un programme quinquennal, le premier couvrant la période 1998-2003.

Aux Pays-Bas , un contrat national sur les services de santé publique a été signé en 2001 entre le ministère de la santé, le ministère de l'intérieur et les représentants des autorités locales afin d'intégrer les préoccupations de santé dans l'ensemble des actions des municipalités. L'objectif est ainsi de réduire les inégalités de santé et de renforcer les stratégies de prévention au niveau local.

L'Allemagne adopte une définition plus classique de la prévention sanitaire, plus directement axée sur la prévention de la maladie que sur la promotion de la santé. Selon le comité d'experts pour l'action sanitaire concertée dans son rapport 2000/2001, « la prévention sanitaire consiste en l'ensemble des mesures et actions qui visent, d'une manière générale, à éviter la dégradation de l'état de santé des personnes, à rendre celle-ci moins probable ou à en retarder l'échéance. »

En Italie, la prévention est définie, dans le cadre de la Charte d'Ottawa, comme l'ensemble des moyens médicaux et médico-sociaux mis en oeuvre pour empêcher l'apparition, l'aggravation ou l'extension des maladies et du nombre des accidents. Un plan sanitaire national approuvé par le Parlement fixe les objectifs principaux des politiques sanitaires et de la prévention : en 2002, les objectifs portent sur la promotion des styles de vie sains (nutrition, tabac, alcool), la prévention des principales pathologies et l'amélioration de l'environnement.

Source : Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) - Rapport annuel 2003.

* 1 Les lois de financement de la sécurité sociale : Un acquis essentiel, un instrument perfectible. Charles Descours - Sénat n° 433 (1998-1999).

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