CHAPITRE III - LE DROIT D'AUTEUR FACE AUX DÉFIS DE L'ÈRE NUMÉRIQUE

I. LES CONSÉQUENCES DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

La révolution numérique entraînera sur la diffusion des oeuvres et de la culture des conséquences aussi significatives que l'invention de l'imprimerie.

Les conséquences de la révolution numérique sont de trois ordres :

- la numérisation des oeuvres les rend infiniment reproductibles ; rien ne différencie plus l'original de la copie ; le coût marginal de la reproduction ne cesse de se réduire ; l'oeuvre se duplique à l'infini ; de ce fait, la consommation par un agent économique ne diminue plus celle d'un autre, ou, pour parler comme les économistes, les biens perdent leur « propriété de rivalité », perturbant les modèles économiques traditionnels ;

- la compression numérique démultiplie les capacités de stockage : les baladeurs numériques en sont l'illustration frappante ;

- elle facilite également, grâce au développement parallèle du haut débit, leur transmission facile, rapide et peu coûteuse à travers les réseaux numériques ; l'essor des réseaux de « peer to peer » profite de ces nouvelles potentialités.

A. L'ESSOR DE LA COPIE NUMÉRIQUE ET DES ÉCHANGES P2P

Ces conséquences se sont fait sentir progressivement.

L'essor de la copie numérique s'est d'abord effectué à partir des sources traditionnelles. Une extension de la rémunération pour copie privée au domaine numérique, et un développement des mesures techniques de protection, encouragées dès 1996 au plan international, pour les traités de l'OMPI, sont d'abord apparus comme des réponses appropriées pour préserver un modèle économique reposant sur la distribution de supports matériels.

Le développement de l'Internet et des réseaux « peer to peer » ont en revanche provoqué une remise en question plus profonde.

Ces réseaux pair à pair (P2P) constituent, entre des ordinateurs connectés à l'Internet, un système de transmission et de partage de fichiers ainsi qu'un système de mutualisation des puissances de traitement et des capacités de stockage. Ils ont contribué pour beaucoup au cours des récentes années, à l'engouement pour Internet, et constituent un des principaux facteurs de son développement.

Dans son rapport sur « la distribution des contenus numériques en lignes » , le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique présente une synthèse éloquente de différentes études réalisées à l'échelle internationale. Le trafic P2P aurait représenté, en 2005, 60 % du trafic mondial écoulé sur Internet et le nombre des utilisateurs simultanément actifs sur ces réseaux dans le monde, serait, d'après l'OCDE, de 10 millions en 2004, soit 30 % de plus qu'en 2003.

Certes, cette technologie est, en soi, neutre, et permet de multiples applications parfaitement licites, tant privées que professionnelles, qu'il s'agisse d'échanges des photos, ou de partages de documents de travail ou d'informations au sein des administrations et des entreprises.

Mais l'essor de ces réseaux a été fortement encouragé par les échanges non autorisés d'oeuvres numériques, qui constituent des actes illicites.

L'échange d'oeuvres numériques sur Internet est en hausse constante au plan mondial, et particulièrement en Europe occidentale et aux Etats-Unis. Si le marché de la musique a été le premier touché, le développement du haut débit permet désormais également les échanges de films et de contenus vidéo.


• Le téléchargement de musique en ligne

Une récente étude de l'institut GfK, réalisée à la fin de l'année 2005 a montré que sur les 9,8 millions de foyers connectés en France, à l'Internet, 2,5 millions téléchargeaient de la musique, soit un foyer sur quatre.

La moyenne du nombre de fichiers audio téléchargés chaque mois, au sein de l'échantillon représentatif, s'établissait à 33,7. Une projection à l'échelle de la population globale évaluait ainsi à 1 000 millions le nombre de fichiers téléchargés par an, dont 2 % seulement dans un cadre légal payant.

D'après cette étude, les fichiers musicaux représenteraient encore les trois quarts des téléchargements illégaux, loin devant les logiciels (160 millions), les films (120 millions) et les jeux vidéo (30 millions).


• Le téléchargement de films en ligne

Le développement du haut débit favorise cependant de plus en plus le téléchargement de films et de contenus vidéo.

D'après une récente étude de Médiamétrie, un million de films seraient téléchargés chaque jour en France, chiffre à mettre en rapport avec les 477 000 entrées en salle et les 186 000 ventes de DVD.

D'après une étude réalisée pour le Centre national de la cinématographie (CNC) en avril 2004, 41 % des internautes interrogés auraient déjà regardé des films copiés, et 31 % auraient visionné des films téléchargés. Un cinquième environ des internautes seraient des « téléchargeurs » réguliers.

Une nouvelle étude, conduite en 2005 par le CNC et l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) a permis de préciser les contours de ces nouvelles pratiques.

Il ressort de cette analyse, conduite sur la période du 1er août 2004 au 31 juillet 2005, les principaux éléments suivants :

- comme l'année précédente, plus de 92 % des films « piratés » et déjà sortis en salles sont disponibles sur les réseaux « peer to peer » avant leur sortie en DVD sur le territoire français ;

- près de 38 % des films sortis en salles sont disponibles en version française « pirate » sur ces réseaux. Toutefois, seulement 26,8 % des films français sortis en salles sont concernés, contre 72,7 % des films américains ;

- les films « piratés » sont disponibles en moyenne 45 jours après leur sortie en salles, ce délai étant de 3 mois et 25 jours pour les films français (contre 4 mois et 3 jours, l'année précédente) ;

- plus d'un tiers des films « piratés » sont disponibles avant leur sortie en salles. Toutefois, les films français ne sont pratiquement pas touchés par ce phénomène, alors que 53 % des films américains le sont ;

- la « piraterie » dans les salles françaises reste marginale.

Selon une enquête CNC un tiers des personnes interrogées déclarent louer moins ou beaucoup moins de vidéos, un quart reconnaissent avoir réduit leurs achats de vidéos, depuis qu'ils téléchargent ou copient des films.


• Des pratiques surestimées ?

Une étude réalisée par l'institut CSA en début d'année pour le compte des fabricants de matériel électronique a cependant relativisé ces conclusions.

D'après cette étude, plus de la moitié du contenu des supports numériques domestiques serait libre de droits. La musique téléchargée légalement représenterait 38 % de la musique copiée par les internautes. Au sein de l'échantillon, les personnes déclarant « pirater » de la musique ne représenteraient que 9 % du total, et 52 % des copies réalisées le seraient à partir de CD achetés dans le commerce.

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