Article 15 bis (nouveau)
(article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle)

Définition de la représentation

I. Texte adopté par l'Assemblée nationale

Ce nouvel article, adopté à l'Assemblée nationale sur proposition de M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois, tend à assimiler le signal télédiffusé reçu au moyen d'une antenne collective et acheminé au sein d'un même ensemble d'habitations au signal télédiffusé d'origine, afin d'exonérer les ensembles précités du paiement de droits d'auteur et de droits voisins au titre de la représentation de programmes audiovisuels.

A- LES JURISPRUDENCES « PARLY II » ET « CNN »

Ce nouvel article tend à revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation jugeant que l'installation par un syndicat de copropriétaires d'une antenne de télévision collective permettant la réception de programmes par voie hertzienne ou satellitaire est assujettie au paiement de droits d'auteur.

S'appuyant sur une interprétation restrictive des articles L. 122-2 et L. 132-20 du code de la propriété intellectuelle, la Cour de cassation a considéré dans l'affaire « Parly II » 113 ( * ) du 1 er mars 2005, qu' « attendu [...] qu'après avoir rappelé que l'autorisation de diffuser une oeuvre par voie hertzienne ne comprenait pas la distribution par câble de cette télédiffusion sauf le cas où elle est le fait de l'organisme d'origine, c'est à bon droit que la cour d'appel a considéré qu'en faisant installer quatre antennes paraboliques reliées à deux sites captant divers satellites permettant la réception des chaînes françaises et étrangères et en assurant la retransmission de ces chaînes au moyen d'un réseau câblé interne à chaque immeuble, auprès de l'ensemble des résidents, lequel excède manifestement le cercle de famille et constitue un public au sens de l'article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle, le syndicat, personne juridique distincte des copropriétaires, s'était livré à une télédiffusion au sens du texte précité, soumise aux dispositions de l'article L. 132-20 du même code, dont l'application n'est pas limitée au cas où un contrat de télédiffusion a été conclu, peu important que cette opération ne soit pas liée à l'exercice d'une activité commerciale ou simplement lucrative, auxquels l'application de ces textes n'est pas subordonnée ; d'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ».

En considérant la retransmission des signaux télédiffusés reçus au moyen d'une antenne collective au sein d'un ensemble d'habitations comme une nouvelle représentation nécessitant l'autorisation et la rémunération des ayants droit, cet arrêt s'inscrit dans le droit fil d'un autre arrêt rendu par la Cour de Cassation le 6 avril 1994 dans l'affaire « CNN » 114 ( * ) .

Celui-ci précisait que : « attendu que l'ensemble des clients de l'hôtel, bien que chacun occupe à titre privé une chambre individuelle, constitue un public à qui la direction de l'établissement transmet les programmes de télévision, dans l'exercice et pour les besoins de son commerce, cette communication constituant une représentation des oeuvres télévisuelles ... ».

B- LES INTERROGATIONS JURIDIQUES ET PRATIQUES RELATIVES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION

Bien que la solution retenue par la Cour de cassation dans l'affaire « Parly II » ne heurte pas le droit positif, l'interprétation qu'elle a donnée des articles L. 122-2 et L. 132-20 du code de la propriété intellectuelle appelle quelques remarques sur le plan juridique.

D'une part, on peut se demander si, en s'inspirant en l'espèce de la jurisprudence « CNN », la Cour de cassation n'a pas appliqué un raisonnement identique à des situations différentes. Ainsi, si un hôtelier peut tirer un avantage commercial de la retransmission de chaînes télévisées dans les chambres qu'il propose de louer à ses clients, il n'en va pas de même du gestionnaire d'un ensemble collectif. De même, si une chambre d'hôtel peut être considérée comme un « lieu accessible au public », l'appartement faisant partie d'un immeuble d'habitations n'est ni un tel lieu ni, a fortiori « un lieu public » mais bien un lieu privé.

D'autre part, il paraît ambigu de considérer l'acheminement d'un signal télévisé au moyen d'une antenne collective au sein d'un immeuble comme une nouvelle diffusion de ce signal. Comme dans le cas de l'habitat individuel, l'antenne collective ne vise pas tant à assurer une nouvelle émission du signal qu'à assurer la réception d'un signal préexistant. On peut donc aller jusqu'à considérer que lorsque le titulaire de droit cède son oeuvre à un organisme de radiodiffusion pour émettre dans une zone géographique donnée et qu'il touche une rétribution en échange, il est présumé d'accord pour que cette oeuvre soit diffusée ou rediffusée par l'intermédiaire d'une antenne collective.

L'arrêt Parly II prête également le flanc à la critique sur le plan pratique.

D'une part, il paraît inéquitable de considérer différemment la situation des foyers reliés à une antenne collective et celle des foyers reliés à une antenne individuelle dans la mesure où le service fourni est identique.

D'autre part, la jurisprudence de la Cour de cassation est susceptible de provoquer la prolifération des paraboles individuelles voire celle des antennes « râteaux » sur les immeubles collectifs d'habitation.

C- UNE EXCEPTION CONTRAIRE AUX ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE

Les arguments précédents, dont certains ont été évoqués par l'initiateur de cette nouvelle exception à l'Assemblée nationale, justifieraient pleinement l'intervention du législateur pour clarifier le droit en vigueur et préciser les contours du droit de représentation en matière de télédiffusion si l'exception en question ne se heurtait aux engagements internationaux de la France.

Au plan international d'abord, le présent article paraît contrevenir à l'article 11 bis de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques. Celui-ci stipule en effet dans son paragraphe 1 que « les auteurs d'oeuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d'autoriser [...] toute communication publique, soit par fil, soit sans fil, de l'oeuvre radiodiffusée, lorsque cette communication est faite par un autre organisme que celui d'origine ».

Le gestionnaire de l'ensemble d'habitations visé par le présent article, qu'il s'agisse d'un syndicat de copropriétaires ou d'un organisme d'habitations à loyer modéré, ne pouvant être considéré comme l'organisme disposant de l'autorisation de diffuser les oeuvres télévisées, l'accord des ayants droit paraît indispensable.

Au plan européen ensuite, le présent article apparaît difficilement compatible avec le paragraphe 1 de l'article 3 de la directive 2001/29, car il retient une appréciation très restrictive de la notion de « communication au public » sur laquelle est fondé le droit exclusif de l'auteur d'autoriser ou d'interdire cette communication.

Cette conception restrictive, outre qu'elle ne correspond pas aux positions du gouvernement français défendues dans le cadre d'une question préjudicielle récente, apparaît difficile à soutenir notamment au regard du considérant 23, qui éclaire la disposition communautaire susvisée, en soulignant que « la présente directive doit harmoniser davantage le droit d'auteur de communication au public » et que « ce droit doit s'entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d'origine de la communication ».

II. La position de votre commission

Sur le plan juridique d'une part, cet article paraît contraire aux engagements internationaux et communautaires de la France, ceux-ci devant toujours être interprétés au bénéfice des ayants droits.

Sur le plan pratique d'autre part, l'impact effectif de la jurisprudence de la Cour de cassation sur l'habitat collectif ne doit pas être exagéré. Confirmant la pratique actuelle, les sociétés d'auteurs (SACEM, SACD, SCAM et ADAGP) se sont en effet engagées, par lettre adressée au ministre de la culture et de la communication datée du 13 décembre 2005, à « ne pas assujettir au paiement de droits d'auteur et de droits voisins les antennes collectives qui ne font pas l'objet d'une exploitation commerciale et qui retransmettraient uniquement les chaînes suivantes : TF1, France 2, France 3, France 5, Arte, M6, Canal +, TV5, les chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre et les chaînes locales hertziennes terrestres ».

C'est pourquoi, même si elle partage les préoccupations de l'Assemblée nationale en ce domaine, votre commission vous propose de supprimer cet article .

* 113 Cass. 1 re civ, 1 er mars 2005.

* 114 Cass. 1 re civ, 6 avril 1994.

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