2. Le choix pragmatique de limiter le champ de la réforme pour permettre son adoption rapide

En analysant l'ensemble des textes soumis à son examen, votre commission a écarté certaines propositions en étant guidée par des principes simples :

- les mesures tendant à favoriser la parité avancées à l'occasion de l'examen du présent projet de loi et des propositions de loi qui y sont liées, ne doivent pas servir de prétexte à une modification globale des modes de scrutin concernés ou à un redécoupage des circonscriptions électorales cantonales ou législatives ;

- la volonté de favoriser l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives locales doit être conciliée avec d'autres principes constitutionnels, comme la liberté de candidature et le droit de suffrage des électeurs, ce qui doit avoir pour conséquence d'écarter toute mesure restreignant ces dernières de manière excessive ;

En outre, votre commission a constaté que quelques questions traitées par les textes d'initiative sénatoriale allaient bien au-delà du champ de la réforme envisagée par le projet de loi.

Votre rapporteur veut se faire l'écho de deux d'entre elles, portées par la délégation du Sénat aux droits des femmes, qui ne peuvent à l'évidence faire l'objet d'un débat serein avant les prochaines échéances électorales: les modalités de désignation des délégués des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et l'amélioration du statut de l'élu.

Le Président de la République s'est lui-même interrogé sur l'opportunité d'instaurer une obligation paritaire dans le processus de désignation des délégués des communes au sein des établissements publics de coopération intercommunale (préconisée par exemple par les propositions de loi n° 136 et 44 de notre collègue Jean-Louis Masson).

Toutefois, une telle réforme pourrait remettre en cause des pratiques fréquentes au sein des conseils municipaux tendant à permettre à l'opposition municipale d'être représentée parmi les délégués de la commune dans l'EPCI.

En outre, un doute légitime peut être soulevé sur la conformité à la Constitution de l'institution d'un dispositif contraignant en faveur de l'égal accès des hommes et des femmes dans les intercommunalités en raison des interrogations relatives à la nature juridique de la fonction de délégué. Est-elle ou non une « fonction élective » au sens de l'article 3 de la Constitution ?

Certes, les présidents d'organes délibérants des EPCI sont, comme les élus, autorisés à présenter un candidat à l'élection présidentielle.

En revanche, la qualité de délégué ne jouit pas de toutes les caractéristiques des fonctions exécutives locales (non application des règles relatives au cumul des mandats ou à l'écrêtement des indemnités...). Et peut-on considérer les EPCI comme distincts « d'organes dirigeants ou consultatifs de personnes morales de droit public » visés par la décision n° 2006-533 précitée ? La question reste ouverte.

Selon M. Guy Carcassonne, entendu par votre rapporteur, c'est surtout la libre autonomie des communes , garantie par l'article 72 de la Constitution, qui pourrait être remise en cause, en l'état du droit , par l'adoption d'une telle obligation paritaire pour la désignation des délégués.

Mais, les questions relatives à la parité dans les EPCI reflètent surtout une interrogation plus profonde sur l'évolution éventuelle du statut de ces établissements. Ceux-ci concentrent en effet des pouvoirs croissants mais ne sont pas des collectivités territoriales. La question de la désignation des délégués intercommunaux au suffrage universel direct) est posée aujourd'hui avec acuité 20 ( * ) et doit faire l'objet d'un débat spécifique.

Ce débat a été éclairé avec force par notre collègue Philippe Dallier dans son rapport établi au nom de l'Observatoire de la décentralisation : « le développement et l'importance à la fois démographique et budgétaire de certains EPCI à fiscalité propre ont conduit à ouvrir le débat de l'élection des délégués intercommunaux, voire des présidents, au suffrage universel direct. Une telle réforme qui trouve aujourd'hui peu de soutien parmi les élus locaux reviendrait à accélérer la transformation de l'intercommunalité en supra-communalité. La crainte que la supra-communalité puisse conduire au dépérissement et à la mort des communes a conduit le législateur jusqu'à aujourd'hui à écarter l'élection au suffrage universel direct. Il a donc été convenu que du point de vue juridique, les EPCI devaient rester des émanations des communes. Force est de reconnaître pourtant qu'aujourd'hui ce compromis repose essentiellement sur l'illusion d'une intercommunalité subordonnée aux communes ».

Lors de son discours au 89 ème congrès des maires et des présidents de communautés de France, le 22 novembre, le président du Sénat a esquissé quatre pistes pour assurer l'avenir des intercommunalités (poursuivre et intensifier la rationalisation de leurs périmètres, réformer la fiscalité locale, confier de nouvelles responsabilités aux EPCI et consacrer l'intercommunalité dans l'architecture institutionnelle française) et constaté que l'on ne pourrait « éternellement faire l'impasse sur l'évolution de leur mode de représentation ».

Dans un souci de cohérence, votre commission estime que la question de l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions exécutives au sein des intercommunalités doit être posée dans cette réflexion d'ensemble.

Lors de ses auditions, votre rapporteur a également constaté que les associations d'élus locaux considéraient que l'adoption éventuelle de mesures supplémentaires destinées à favoriser la disponibilité des femmes élues devait s'inscrire dans le cadre plus large de l'élaboration d'un véritable statut de l'élu , destiné à répondre aux difficultés rencontrées par les élus locaux au cours de leur mandat (faiblesse des indemnités des conseillers municipaux dans les plus petites communes ; insuffisance de la mise en oeuvre du droit à la formation) et à l'issue de leur mandat (sécurité sociale et retraite).

Certaines dispositions, issues de la loi dite « Démocratie de proximité » 21 ( * ) , existent aujourd'hui pour favoriser la disponibilité des élus locaux :

- bénéfice d'autorisations d'absences et de crédits d'heures pour l'exercice de leur mandat ;

- remboursement des frais de déplacement et de séjour engagés dans certaines hypothèses (droit à la formation ; réunions de l'assemblée délibérante et de ses commissions, ainsi que des instances où ils siègent ès qualité...) ;

- remboursement des frais de garde d'enfants ou d'assistance aux personnes âgées, handicapées ou à celles qui ont besoin d'une aide personnelle à leur domicile, sur présentation d'un état de frais, après délibération de l'assemblée délibérante 22 ( * ) ;

- pour les maires, et les adjoints dans les communes de 20.000 habitants au moins, ou les présidents et vice-présidents des conseils généraux et régionaux qui ont arrêté leur activité professionnelle pour exercer leur mandat et qui utilisent le chèque emploi-service universel afin d' « assurer la rémunération de salariés(...) chargés soit de la garde des enfants, soit de l'assistance aux personnes âgées, handicapées ou à celles qui ont besoin d'une aide personnelle à domicile ou d'une aide à la mobilité dans l'environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile, l'assemblée délibérante concernée peut accorder par délibération une aide financière en faveur des élus concernés » 23 ( * ) . La proposition de loi n° 51 rectifiée, présentée par notre collègue Valérie Létard, rendrait ce dispositif obligatoire et le mettrait à la charge de l'Etat.

Ces dispositions offrent à l'évidence une souplesse aux élus et en particulier, aux femmes élues pour l'exercice de leur mandat. Malheureusement, en raison du caractère tardif de la publication du décret de mise en oeuvre de ces mesures, il est trop tôt pour pouvoir établir un bilan de leur efficacité. 24 ( * )

Votre commission estime cependant que la modification soudaine de l'ensemble des modes de scrutin et le traitement superficiel de la question de l'intercommunalité ou de celle du statut de l'élu, qui ne concerne pas les seules femmes élues mais l'ensemble des titulaires de mandats électoraux, à l'occasion de l'examen du présent texte, pourraient provoquer une certaine confusion dans les débats parlementaires et favoriser le vote de réformes partielles et pas assez mûries, au risque de retarder ou de menacer son adoption définitive avant la fin de la législature.

En droit électoral plus encore que dans d'autres matières, « le mieux est l'ennemi du bien ».

C'est pourquoi, dans un souci d'efficacité et de cohérence, votre commission a choisi de conserver les dispositions du projet de loi en les améliorant par ses amendements de précision et d'écarter les mesures incompatibles avec elles, non consensuelles ou dépassant manifestement le champ de la réforme gouvernementale.

A cette condition seulement, l'adoption rapide de cette étape supplémentaire dans la mise en oeuvre de l'objectif constitutionnel d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux peut être envisagée.

*

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous présente, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

* 20 Rapport d'information n° 193 (2005-2006) de notre collègue Philippe Dallier au nom de l'Observatoire de la décentralisation.

* 21 Loi n°2002-276 du 27 février 2002.

* 22 Articles L. 2123-18, L.2123-18-2, L. 3123-19 et L. 4135-19 du code général des collectivités territoriales.

* 23 Articles L. 2123-14, L. 3123-19-1 et L. 4135-19-1 du code précité.

* 24 Décret n° 2005-135 du 14 mars 2005 relatif au remboursement des frais engagés par les élus locaux et modifiant le code général des collectivités territoriales.

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