EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner en première lecture le projet de loi n° 172 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs.

Notre collègue M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, ayant déposé au mois de juin 2006 une proposition de loi visant à garantir le respect de la personne et de ses droits lorsqu'elle est placée sous tutelle ou sous curatelle, votre commission des lois, saisie au fond de ces deux textes, a décidé de les examiner conjointement.

La réforme proposée par le projet de loi s'avère nécessaire, attendue et largement consensuelle.

La protection des majeurs vulnérables repose actuellement sur deux piliers légaux, vieux de quarante ans. La loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, insérée dans le code civil, a défini et organisé les mesures de protection juridique que constituent la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle, tandis que la loi n° 66-774 du 18 octobre 1966, insérée dans le code de la sécurité sociale, a institué la tutelle aux prestations sociales servies aux adultes. Ce cadre a vieilli.

Conçus pour quelques dizaines de milliers de personnes incapables d'assumer leur autonomie, qu'elles soient fragilisées par un lourd handicap mental ou qu'elles éprouvent le besoin d'un accompagnement social et éducatif individualisé, les régimes de protection concernent aujourd'hui près de 700.000 majeurs, soit un adulte sur 80, et 68.000 mesures nouvelles sont prononcées chaque année. A ce rythme, un million de personnes seront placées sous protection en 2010.

Depuis des années, les rapports se succèdent pour rappeler la nécessité, souligner l'urgence et tracer les pistes d'une réforme. A la suite de scandales, les trois inspections générales des services judiciaires, des finances et des affaires sociales dénoncent, en 1998, l'absence d'unité et de contrôle des institutions tutélaires et le coût des mesures de protection 1 ( * ) . En avril 2000, le groupe de travail présidé par M. Jean Favard, conseiller à la Cour de cassation, insiste sur le contenu du mandat tutélaire, sur l'articulation de la loi du 3 janvier 1968 avec d'autres textes de protection adoptés depuis, notamment dans le domaine de la santé, et sur le statut des tuteurs professionnels 2 ( * ) . Ces deux rapports ont fait date. Depuis, la Cour des comptes, le Médiateur de la République et, récemment, le Conseil économique et social ont apporté leur pierre à la réflexion.

L'élaboration d'un texte de réforme a été entreprise voilà cinq ans. Au mois de janvier 2002, le garde des sceaux, ministre de la justice, remet un document d'orientation annonçant le dépôt prochain d'un projet de loi. Au mois de novembre de la même année, après un changement de majorité politique, trois groupes de travail sont constitués simultanément pour élaborer un texte : le ministère de la justice est chargé du volet civil, le ministère de la famille du volet médico-social et le ministère des finances du volet financier. Un avant-projet de loi est rédigé en 2003 mais la réforme achoppe sur la question de son financement.

Il aura fallu toute la détermination et le sens du compromis de MM. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, Dominique Perben, son prédécesseur, et Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, pour parvenir à la présentation puis à l'examen du projet de loi qui nous est soumis. Ces délais n'auront pas été vains, puisqu'ils auront été mis à profit pour procéder à une vaste concertation et obtenir un large consensus sur les axes de la réforme.

Le projet de loi a ainsi pour ambition de réaffirmer les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la protection juridique, de replacer la personne au centre des régimes de protection, de réorganiser les conditions d'activité des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille et d'instaurer un nouveau dispositif social en faveur des personnes protégées. A cette fin, il procède à une refonte de l'ensemble des règles applicables à la protection des majeurs, qu'elles figurent dans le code civil ou dans le code de l'action sociale et des familles.

Les auditions auxquelles votre rapporteur a procédé, en compagnie de notre collègue Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales, ont confirmé que cette réforme était à la fois attendue et appréciée.

I. UNE RÉFORME ATTENDUE

Les règles élaborées il y a quarante ans pour concilier la protection des personnes vulnérables et le respect de leurs libertés individuelles ont vécu. Les principes qui les animent ne sont pas respectés. Elles semblent aujourd'hui inadaptées face à l'augmentation très importante du nombre des mesures de protection juridique et à l'exigence d'une protection de meilleure qualité. Enfin, elles paraissent décalées comparées aux réformes déjà intervenues dans les autres pays européens.

A. DES RÈGLES DÉSUÈTES

La loi du 3 janvier 1968 reposait sur quelques principes essentiels : nécessité, subsidiarité et proportionnalité des mesures de protection juridique ; priorité à la famille pour leur mise en oeuvre, l'Etat n'ayant vocation à intervenir qu'à titre subsidiaire ; cantonnement de leur objet à la protection du patrimoine. Quant à la tutelle aux prestations sociales, instituée par la loi de 1966, elle était conçue comme une mesure éducative, destinée à empêcher certains majeurs de dilapider leurs prestations sociales. Si ces principes restent valables, les règles énoncées pour leur mise en oeuvre ont vieilli.

1. Une protection graduée

Quatre régimes de protection, qui se distinguent par le degré d'atteinte à la capacité juridique du majeur, sont actuellement mis à la disposition du juge des tutelles.

a) La sauvegarde de justice

La sauvegarde de justice est une mesure destinée à protéger les personnes dont les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge, et celles dont les facultés corporelles sont altérées au point d'empêcher l'expression de la volonté.

Ce régime de protection laisse au majeur sa capacité juridique et la faculté d'organiser la gestion de ses intérêts. Les actes qu'il accomplit sont contrôlés a posteriori .

La gestion des biens de la personne placée sous sauvegarde peut être assurée de trois manières différentes :

- le majeur peut, avant ou pendant sa mise sous sauvegarde, désigner un mandataire chargé d'administrer ses biens. Il s'agit alors d'un mandat conventionnel. Ce mandat est soumis au contrôle du juge des tutelles ;

- en l'absence de mandataire, le responsable de l'établissement de soins qui accueille le majeur sous sauvegarde, son conjoint, ses ascendants, ses descendants, ses frères ou soeurs, le ministère public ou encore le juge des tutelles sont tenus d'effectuer les actes conservatoires que nécessite la gestion de son patrimoine ; on parle de « gestion d'affaires » ;

- si la situation est urgente et ne peut être réglée ni par un mandat conventionnel, ni par la gestion d'affaires, le juge des tutelles peut désigner un mandataire spécial en précisant limitativement les éléments du patrimoine qu'il gèrera et le type d'actes d'administration qu'il sera autorisé à faire, par exemple encaisser les revenus, assurer les dépenses courantes, dresser un inventaire.

La sauvegarde de justice est une mesure provisoire . Elle prend fin dès que l'intéressé retrouve ses facultés. Dans le cas contraire, elle a vocation à être transformée en un régime plus protecteur mais aussi plus contraignant : curatelle ou tutelle.

* 1 Rapport de l'Inspection générale des finances, de l'Inspection générale des services judiciaires et de l'Inspection générale des affaires sociales sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs, juillet 1998.

* 2 Rapport du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs, avril 2000.

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