TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE LA MINISTRE

Réunie le mardi 1 er avril 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l' audition de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité , sur le projet de loi n° 241 (2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations .

Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a rappelé que la législation européenne est abondante dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Le projet de loi a pour objet de poursuivre la mise en conformité du droit français au droit communautaire relatif à l'égalité de traitement. Il introduit trois séries de nouvelles dispositions dans le droit français :

- il précise les définitions de la discrimination directe et indirecte, ainsi que celle des faits constitutifs de harcèlement, au sens civil et non pénal du terme. Il assimile par ailleurs à une discrimination le fait d'enjoindre à quelqu'un de pratiquer une discrimination, ce qui permettra de donner à ces deux comportements les mêmes conséquences juridiques ;

- il affirme de manière explicite qu'un certain nombre de discriminations sont interdites : discriminations en matière de biens et services, de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux et d'éducation, fondées sur la race ou l'origine ethnique ; discriminations en matière de travail et d'emploi, fondées sur le sexe, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, l'âge, le handicap, l'orientation sexuelle ou les convictions ; discriminations pratiquées en raison de la maternité ou de la grossesse, sauf à ce qu'il s'agisse d'en assurer la protection ; discriminations fondées sur le sexe en matière d'accès aux biens et services et de fourniture de biens et services ;

- il renforce les garanties qui sont accordées aux personnes victimes de discriminations en instaurant une protection contre les rétorsions qui peuvent frapper les personnes qui témoignent d'une discrimination.

L'ensemble des dispositions introduites seront d'application générale et immédiate. Elles s'imposeront aux personnes privées et aux collectivités publiques. Dans le domaine professionnel, elles vaudront donc de la même manière pour les personnes qui sont employées en vertu d'un contrat de droit privé que pour les fonctionnaires, y compris les magistrats, les militaires et les fonctionnaires des assemblées parlementaires.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a par ailleurs indiqué que le Gouvernement intensifiera la lutte contre les discriminations en présentant prochainement deux projets de loi, l'un sur le statut du beau-parent, l'autre sur l'égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes.

Elle a ensuite abordé trois points soulevés lors du débat en première lecture à l'Assemblée nationale. Concernant la prise en compte de la paternité au même titre que la maternité, les directives transposées ont clairement posé le principe d'une asymétrie entre les principes de non-discrimination posés en raison de la maternité et ceux posés en raison de la paternité. Revenir sur cette asymétrie serait affaiblir le principe. La disposition prévoyant la possibilité d'enseignements réservés aux filles ou aux garçons a provoqué de nombreuses critiques, en particulier chez les membres de la délégation aux droits des femmes. Pourtant, il ne saurait être question de remettre en cause le principe de mixité au sein des établissements scolaires. Enfin, il est vrai que l'exclusion des médias et de la publicité du champ des interdictions des discriminations fondées sur le sexe peut paraître curieuse. Mais le contenu des médias et de la publicité est explicitement laissé hors du champ de la directive 2004/113 et le principe de non-discrimination entre les hommes et les femmes doit s'articuler avec le principe de liberté d'expression, qui est aussi l'une des valeurs fondamentales communes aux Etats membres de l'Union européenne.

En conclusion, Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a rappelé qu'une interprétation trop libre par rapport aux observations de la Commission européenne pourrait ouvrir la voie à de nouvelles mises en demeure, et le Gouvernement ne souhaite pas exposer la France à ce risque. Elle a déclaré mesurer combien cet exercice peut paraître contraint aux législateurs.

M. Nicolas About, président , puis M. Alain Gournac , se sont étonnés de l'utilisation du terme de « race » dans le texte et ont souligné que cette notion est contraire aux principes fondamentaux de la République.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a répondu que la directive 2000/43 relative à la lutte contre les discriminations fondées sur la race et l'origine ethnique dispose clairement que « l'Union européenne rejette toutes théories tendant à déterminer l'existence de races humaines distinctes. L'emploi du mot « race » dans la présente directive n'implique nullement l'acceptation de telles théories ».

M. Nicolas About, président , a estimé paradoxal l'emploi d'une notion dont on rejette l'utilisation.

Mme Muguette Dini, rapporteur, a déclaré qu'un certain nombre de définitions du projet de loi posent un problème. Par exemple, la définition de la discrimination directe prévoit que « constitue une discrimination directe la situation dans laquelle [...] une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait ». La dimension fictive de la comparaison introduite par la formulation « ne serait » est inquiétante car elle ouvre la porte à des condamnations fondées sur des hypothèses invérifiables : comment prouver qu'il n'y a pas discrimination si des éléments de comparaison objectifs n'existent pas ?

Mme Christiane Hummel, rapporteur pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes , a confirmé que cette définition pourrait donner lieu à des procès d'intention.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a fait valoir que la Commission européenne laisse une très faible marge de manoeuvre aux Etats membres dans la transposition des directives. Elle considère que les définitions doivent être reprises mot à mot. Si l'Etat français ne se plie pas à ses recommandations, la Commission européenne continuera la procédure en manquement. C'est en amont, lors de la phase de préparation de la directive, avant son adoption par le Parlement européen, que les gouvernements peuvent peser dans la négociation du contenu des textes.

M. Nicolas About, président , a vivement regretté que ces questions importantes n'aient pas été soulevées par la France lors des négociations.

Puis Mme Muguette Dini, rapporteur, a noté que le projet de loi reprend la définition communautaire du harcèlement sexuel, sans supprimer la définition actuelle. Ce choix ne pose-t-il pas des problèmes de sécurité juridique et d'égalité devant la loi, dans la mesure où des individus placés dans des situations semblables pourront se voir appliquer un jugement différent selon que l'une ou l'autre définition sera invoquée ? Par ailleurs, la définition communautaire est particulièrement large : « tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Une telle définition n'est-elle pas si vague qu'elle conduit en réalité à confier au juge le soin de la préciser, et donc de dire la loi ?

En outre, le projet de loi généralise un régime dérogatoire d'aménagement de la preuve. Dans le droit commun de la procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les thèses qu'elle soutient. Au contraire, dans ce cas de figure, la personne qui s'estime victime d'une discrimination doit d'abord établir devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence, puis il revient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le Conseil constitutionnel a déjà émis des critiques à l'égard de ce régime qui touche à la présomption d'innocence. Est-ce une bonne idée de le généraliser ?

Mme Christiane Hummel, rapporteur pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes , a fait part de l'inquiétude de la délégation concernant la possibilité implicitement accordée aux médias par le projet de loi de diffuser des images à caractère sexiste. Cette disposition est issue d'une directive pour laquelle le Gouvernement n'a encore reçu aucune mise en demeure. La délégation recommande donc sa suppression.

De plus, l'autorisation explicitement donnée par le projet de loi d'organiser des enseignements en regroupant les élèves en fonction de leur sexe est difficile à admettre. La délégation propose également son retrait.

M. Nicolas About, président, a déclaré que, si elle donne son accord, la commission des affaires sociales déposera un amendement pour supprimer cette autorisation.

Mme Annie David a constaté que les gouvernements précédents ont beaucoup légiféré dans le domaine de la lutte contre les discriminations, mais qu'à ce jour aucun bilan global n'est disponible. Par ailleurs, le délai de transposition de la cinquième directive n'expire que le 15 août 2008 : il n'y avait donc aucune urgence à la transposer si vite.

Mme Sylvie Desmarescaux a souligné le risque judiciaire qui pèse sur les femmes portant plainte pour harcèlement : si leur demande est rejetée, elles s'exposent à un procès en diffamation. Par ailleurs, il est nécessaire, en matière de harcèlement, de mieux articuler le droit civil et le droit pénal.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a rappelé qu'il n'y a pas de présomption d'innocence en matière civile. Elle a dit partager le souci de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de veiller aux représentations des femmes véhiculées par les médias. Ce projet de loi n'est qu'une étape dans la réflexion sur la lutte contre les discriminations, qui va se poursuivre à l'occasion de la prochaine concertation nationale sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et à travers les travaux de la commission nationale des violences envers les femmes et de la commission de réflexion sur l'image des femmes dans les médias, présidée par Mme Michèle Reiser. Les délégations du Sénat et de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes seront associées à ces travaux, qui devraient déboucher sur une charte.

Par ailleurs, en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, un nouveau plan a été adopté pour la période 2008-2010 et, dans ce cadre, un groupe de travail commun aux ministères de la justice et de la solidarité se met en place pour travailler à une meilleure articulation entre droit civil et droit pénal.

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