B. L'IGN : UN OPÉRATEUR SANS BOUSSOLE ?

La présentation stratégique du programme 159 qualifie l'année 2010 de « période de transition » , l'IGN ayant été invité par son ministère de tutelle à conduire une « réflexion stratégique » préalablement à l'élaboration de son prochain contrat d'objectifs. De fait, l'institut a récemment fait l'objet d'investigations conduites par les Cour des comptes et dont les conclusions, insérées au rapport public annuel de la juridiction pour 2009, pointent la « faiblesse des outils de gestion » et l' « insuffisance de vision prospective » .

1. Un pilotage et une gestion sévèrement critiqués par la Cour des comptes

Les insuffisances relevées par le rapport de la Cour des comptes sont de deux ordres : l'IGN ne se serait pas doté d'une « vision cohérente de son avenir et de ses axes de développement à moyen terme » et serait toujours dépourvu des « outils nécessaires pour maîtriser sa gestion, ce qui laisse croître ses coûts de fonctionnement et les risques juridiques et financiers qu'il encourt » .

Malgré les atouts que constituent le savoir-faire de ses personnels et la constitution d'un patrimoine de données géographiques jugé « de premier plan » par la Cour, l'IGN semble éprouver des difficultés à trouver un positionnement adapté, dans un contexte de forte croissance du marché de l'information géographique, de concurrence exacerbée avec les prestataires privés et d'évolutions technologiques majeures.

La juridiction relève ainsi que « l'établissement, comme sa tutelle, n'ont pas mené de réflexion pour définir ses axes de développement à moyen et long termes. L'IGN n'a pas de stratégie claire pour l'avenir ». L'absence actuelle de contrat d'objectifs et de moyens semble étayer cette analyse, en dépit de l'existence de « nombreux documents prospectifs internes qui ne sont pas toujours articulés entre eux » . La Cour souligne ainsi que « chacune des directions de l'IGN développe (...) son propre plan » et qu' « aucune cohérence n'existe entre ces documents prospectifs dont les objectifs sont parfois contradictoires ».

Une traduction concrète de cette « navigation à vue » réside, selon la Cour, dans la stratégie de diversification « hasardeuse et mal maîtrisée » dans laquelle s'est lancé l'IGN 44 ( * ) , et dans le déploiement d'activités hautement concurrentielles sans que l'opérateur se soit fixé d'objectif de bénéfice ni ne se soit doté des capacités de suivi de ses marges. D'une manière générale, la frontière entre les missions régaliennes et concurrentielles de l'IGN semble mal définie . Ainsi, alors que certaines de ses bases de données sont subventionnées par des fonds publics, l'institut les sous-traite à plus de 70 % à des sociétés « qui, pour des raisons de coût, délocalisent une part importante de leur production en Inde » . La Cour relève également que son statut actuel d'établissement public administratif, dont « l'établissement se refuse à envisager toute éventuelle modification », permet à l'IGN de considérer la subvention pour charges de service public dont il bénéficie comme une subvention globale d'équilibre et non comme une subvention affectée aux seules missions de service public.

Elle en conclut que « l'IGN et ses tutelles semblent s'accommoder de cette situation où missions régaliennes et activités concurrentielles se mêlent sans ligne directrice, sans partage clair des périmètres, sans véritable clarification comptable, et surtout sans autre stratégie que la préservation de l'existant. Cette passivité permet notamment à l'établissement de refuser toute évolution profonde de ses missions et de son organisation ».

Le second grief principal adressé à l'opérateur réside dans la piètre qualité de sa gestion , qualifiée de « dispendieuse » par le rapport de la Cour. Sont ainsi successivement dénoncés :

1) l'absence de gestion immobilière , incarnée par la dispersion des implantations, la sous-utilisation de certains locaux ou la gestion approximative de la vente du siège de la rue de Grenelle 45 ( * ) ;

2) l'absence de réelle gestion commerciale , bon nombre de points de vente ayant enregistré des déficits d'exploitation récurrents ;

3) l'absence de politique des ressources humaines , dont la Cour voit la trace dans la quasi-absence de réduction des effectifs entre 2002 et 2006, alors même que l'évolution du marché et les nouvelles technologies « auraient dû amener l'établissement à définir et à commencer de mettre en oeuvre un redimensionnement de ses ressources humaines » ;

4) la piètre qualité des outils de gestion , que révèle la gestion des prises de participation de l'IGN dans la société Navteq ( cf . encadré).

Le rêve brisé des participations financières

En février 1992, l'IGN a acquis une participation de 2 millions de francs (0,3 million d'euros) au capital de la société EGT (European Geographics Technologies), spécialisée dans la constitution de bases de données géographiques. Le montant de cette participation a été porté en 1993 à 15 millions de francs (2,29 millions d'euros) par la conversion en actions de créances que l'IGN détenait sur cette société.

A la suite de différentes opérations de restructuration, EGT est absorbée en 1995 par une société américaine, Navtech, devenue « Navteq » en 2004. L'IGN possède alors un peu plus de 3,5 millions d'actions de cette société qui, jusqu'au début des années 2000, connaît une situation difficile, ce qui conduit d'ailleurs l'IGN à provisionner dans ses comptes l'équivalent de la moitié de sa participation.

A partir de 2002, Navteq connaît un développement considérable grâce au succès des systèmes de navigation automobile embarqués (GPS) dont elle est aujourd'hui l'un des deux leaders mondiaux. En 2004, l'IGN reçoit un dividende, pour la première fois depuis son entrée au capital. La même année, Navteq envisage son introduction à la bourse de New York et procède, au mois d'août, à une opération de réduction du nombre de ses actions, chaque action ancienne étant transformée en un quatorzième d'action nouvelle. De façon difficilement compréhensible, l'IGN ne prend pas conscience que cette opération, dont il s'avèrera par la suite qu'il a été averti en temps utile par plusieurs courriers de Navteq, a pour effet de réduire le nombre de ses actions de 3,5 millions à 250 435.

Navteq est introduit en bourse en 2005 et l'IGN, au vu du cours de l'action, est alors convaincu que la valeur de sa participation dans cette société s'élève à plus de 120 millions d'euros. Cette conviction est partagée par les autorités de tutelle de l'IGN qui envisagent même, dans le projet de loi de finances pour 2006, les conditions dans lesquelles cette somme serait en partie récupérée par le budget de l'Etat.

En octobre 2007, la société Nokia lance une offre d'achat des actions Navteq. L'IGN conclut alors un contrat de couverture de change euro/USD avec un établissement bancaire, dans la perspective de céder la quasi-totalité des quelque 3,5 millions d'actions dont il pense être toujours propriétaire. Il escompte alors retirer de cette cession un montant de 193 millions d'euros.

Ce n'est qu'en juin 2008, au moment de l'arrivée à échéance de l'offre de Nokia, que l'IGN découvre qu'il ne détient pas 3,5 millions d'actions, mais quatorze fois moins. La plus-value espérée n'est donc plus de 193 millions d'euros, mais de 13 millions d'euros, à laquelle s'ajoute un gain de change d'un montant équivalent. La recette à attendre de la cession des actions détenues par l'IGN sera donc de l'ordre de 26 millions d'euros, ce qui constitue certes une plus-value très appréciable par rapport à la participation initiale de 2,3 millions d'euros inscrite dans ses comptes, mais très inférieure à l'évaluation faite depuis 2005.

Au total, l'IGN et ses autorités de tutelle auront cru, pendant plus de trois ans, pouvoir disposer d'un montant de près de 200 millions d'euros, alors que la réalité se révèle bien plus modeste. Cette mésaventure illustre pour le moins la négligence dont l'IGN et les services du ministère chargé des finances ont fait preuve dans le suivi de sa participation financière au sein de Navteq.

Source : Rapport public annuel 2009 de la Cour des comptes

* 44 Gamme de GPS Evadeo, développement de la vente en ligne sur le Géoportail.

* 45 Extrait du rapport de la Cour des comptes : « Bien qu'ayant fait l'objet de multiples réunions et discussions, l'abandon du site de Grenelle et le regroupement des services à Saint-Mandé n'ont pas été anticipés par l'établissement. L'IGN a ainsi, sans opposition de ses tutelles, procédé en 2004 et 2005 à des travaux de rénovation du porche pour 94.000 euros et de la salle du conseil d'administration pour 397.000euros. L'absence d'anticipation est patente dans les trois phases de l'opération : vente de l'immeuble de Grenelle par les services des domaines dans la précipitation pour 28,2 millions d'euros fin 2006 ; maintien dans les lieux pendant toute l'année 2007 moyennant le versement au nouveau propriétaire d'une redevance de plus d'1,5 millions d'euros ; prise à bail de locaux de bureaux à Vincennes près de Saint-Mandé jusqu'à l'installation dans le nouveau bâtiment qui doit être construit. La vente du site de Grenelle a en effet été décidée en 2006 et réalisée dès le 28 décembre, sans que l'établissement dispose à cette date d'une solution de relogement, le projet ambitieux de reconstruction, à horizon 2010, sur le site de Saint-Mandé, n'étant alors pas encore engagé. »

Page mise à jour le

Partager cette page