N° 256

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 février 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de Mme Annie DAVID, M. Guy FISCHER, Mme Isabelle PASQUET, M. François AUTAIN, Mmes Gélita HOARAU, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mme Marie-Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mmes Mireille SCHURCH, Odette TERRADE, MM. Bernard VERA et Jean - François VOGUET visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d' accident du travail , à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versé par les entreprises dans leur chiffre d' affaires soumis à l' impôt sur les sociétés ,

Par Mme Annie DAVID,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers.

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Sénat :

194 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Une part essentielle de notre droit social, les assurances sociales, trouve son origine dans la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail, adoptée après dix-huit ans de débats. Par cette loi, le régime de l'indemnisation des accidents du travail est passé d'une responsabilité individuelle de l'employeur pour faute à une présomption d'imputabilité du fait du risque encouru par le travailleur .

Le législateur a alors accepté l'autonomie juridique du travail par rapport au champ d'application du code civil devenu, au fil des ans, inadapté en l'espèce. Conçu pour un monde principalement rural et artisanal, le régime de responsabilité adopté en 1804 se révélait de fait incapable de saisir la réalité du monde industriel. La complexification des modes de production, le machinisme et la séparation des tâches rendaient peu claire l'imputabilité des actes. En conséquence, avant la loi, « 88 % des accidents restaient à la charge des ouvriers, 68 % relevant d'un cas fortuit ou de force majeure, 20 % de la faute de l'ouvrier et 12 % (...) de la faute de l'employeur » 1 ( * ) . C'est donc d'abord une injustice, celle tenant à la quasi-impossibilité de prouver la faute de l'employeur, qu'est venue corriger la loi de 1898.

Mais cette loi ne s'est pas contentée d'adapter le droit aux circonstances, elle a opéré une évolution fondamentale : la mutualisation du risque social. La présomption d'imputabilité de l'accident, puis de la maladie professionnelle 2 ( * ) , repose non sur un renforcement de la responsabilité individuelle de l'entrepreneur mais sur une mutualisation du risque 3 ( * ) . C'est en effet l'ensemble des employeurs qui est appelé à cotiser pour faire face aux demandes d'indemnisation. L'assurance patronale se substitue donc au régime de responsabilité civile.

C'est à partir de ce modèle qu'a été donné un contenu concret à l'Etat providence 4 ( * ) . La sécurité sociale, issue du programme du Conseil national de la Résistance 5 ( * ) , repose également sur la mutualisation des risques sociaux, c'est-à-dire des risques de perte de revenu non imputables à une cause particulière, par opposition aux risques imputables au travail que sont la maladie, le chômage, les charges familiales et la vieillesse. Le choix fait à l'époque de préserver la spécificité du régime d'indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), qui a été intégré en tant que tel à la sécurité sociale 6 ( * ) , a en quelque sorte cristallisé son évolution.

La loi de 1898 constitue en effet un compromis entre les tenants d'une législation sociale protectrice et les partisans de la liberté économique. La grande transformation de l'économie dans la première moitié du XX e siècle a conduit à une intervention croissante de l'Etat et à une extension progressive du champ des risques sociaux couverts et de leur taux, mais le compromis initial n'a jamais été remis en cause. L'équilibre fondamental demeure : présomption d'imputabilité d'un côté, évitant des démarches légales longues et coûteuses et, de l'autre côté, réparation forfaitaire, et non intégrale, du dommage. La loi du 30 octobre 1946 a néanmoins introduit la gestion paritaire du risque, auparavant assumée par les seuls employeurs, et transféré la responsabilité des versements aux victimes à la sécurité sociale.

Le régime des AT-MP, à l'origine favorable aux salarié(e)s, a ainsi perdu progressivement de son intérêt du fait du caractère forfaitaire de l'indemnisation et de l'évolution du droit des victimes. La couverture intégrale des risques sociaux par les autres régimes de la sécurité sociale et l'assouplissement des modalités de mise en cause de la responsabilité civile par la jurisprudence ont alors conduit plusieurs acteurs, dont les associations de victimes, à demander la réparation intégrale des préjudices 7 ( * ) .

Cette option, écartée par les partenaires sociaux dans leur accord de 2007 sur l'évolution de la branche, semble trouver une nouvelle actualité à la suite de la fiscalisation partielle des indemnités journalières servies par le régime AT-MP en application de l'article 85 de la loi de finances pour 2010.

La présente proposition de loi « visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail, à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versées par les entreprises dans leur chiffre d'affaires soumis à l'impôt sur les sociétés », déposée par le groupe CRC-SPG, propose ainsi d'apporter d'importantes réformes au régime en vigueur.

I. LE RÉGIME ACTUEL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DES MALADIES PROFESSIONNELLES

Le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles est un régime de type assurantiel, les cotisations patronales assurant 72 % des revenus de la branche. Il en résulte, pour elle, un relatif dynamisme financier : elle est la seule branche de la sécurité sociale à avoir accumulé, dans les années quatre-vingt-dix, des excédents, les déficits actuels étant principalement dus à la rétractation conjoncturelle de la masse salariale.

Cependant, l'écart entre l'indemnisation offerte par le régime AT-MP et les autres formes d'indemnisation des préjudices corporels, spécialement depuis la loi du 5 juillet 1985 relative aux victimes d'accidents de la route 8 ( * ) qui a prévu l'indemnisation intégrale par les assurances des préjudices subis, ainsi que le scandale de l'amiante, ont entraîné une contestation de son efficacité. Face à la dénonciation de l'inadéquation de l'indemnisation automatique et forfaitaire des victimes, des réformes de la branche ont été mises en oeuvre. Par ailleurs, une fiscalisation partielle des indemnités journalières servies au titre de la branche a été décidée dans le cadre de la loi de finances pour 2010.

A. UNE INDEMNISATION AUTOMATIQUE ET FORFAITAIRE

Le régime de mutualisation du risque, qui constitue la base du régime des AT-MP, a été remis en cause comme insuffisamment protecteur et réparateur. Des réformes ont été engagées pour répondre à ces critiques.

1. Un principe remis en cause

En marge de la présomption d'imputabilité de l'accident au travail et de la mutualisation du risque entre les employeurs, la loi du 9 avril 1898 a maintenu une part de responsabilité civile « classique » en cas de faute inexcusable, tant du salarié que de l'employeur. Cette exception, a priori limitée, s'est révélée, concernant la responsabilité de l'employeur, de plus en plus attractive en raison de l'évolution de la jurisprudence.

En effet, la reconnaissance progressive, par la jurisprudence, de différents éléments constitutifs du dommage au-delà du préjudice physique - préjudice d'agrément, préjudice esthétique, pretium doloris , ainsi que préjudice professionnel -, aboutit à la possibilité d'une réparation intégrale du dommage devant les tribunaux. Or, celle-ci n'est pas possible dans le cadre du régime des AT-MP, qui n'offre qu'une réparation forfaitaire calculée selon des barèmes arrêtés par les partenaires sociaux, sauf à invoquer devant les tribunaux une faute inexcusable de l'employeur. Cependant, cette procédure reste longue et douloureuse pour les salarié(e)s concerné(e)s.

Par ailleurs, la volonté de prévention, qui constitue l'un des fondements du régime AT-MP et justifie le régime de bonus-malus qui, appliqué aux cotisations patronales, les fait augmenter ou baisser selon le nombre d'accidents survenus dans l'entreprise, a été jugée insuffisante puisqu'incapable de prévenir l'exposition des salarié(e)s à l'amiante.

Dans ce contexte, la Cour de Cassation a affirmé, en février puis avril 2002 9 ( * ) , que l'employeur a « une obligation de sécurité de résultat » et que le « manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable » . On pouvait en attendre le remplacement progressif du régime AT-MP par un retour total à la responsabilité civile. De nombreuses réformes de la branche sont néanmoins intervenues pour répondre aux différents reproches opposés.

2. Des réformes de la branche

Parallèlement aux critiques formulées à la suite de la loi du 5 juillet 1985 et à l'affaire de l'amiante, plusieurs rapports ont étudié les perspectives d'évolution du régime : les rapports Dorion de 1991, Masse de 2001, Yahiel de 2002 et Laroque de 2004 se sont ainsi penchés sur l'éventuelle indemnisation intégrale du préjudice résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

Si les partenaires sociaux ont refusé cette évolution, plusieurs réformes ont été mises en oeuvre par voie législative ou de conventions d'objectifs et de gestion de la branche 2004-2006 (prolongée par un avenant en 2007-2008) et 2009-2012. A la suite du rapport Dorion, un mécanisme de reconnaissance des maladies professionnelles a ainsi été mis en place pour remédier au faible nombre de pathologies auparavant indemnisées. La branche contribue également, depuis 2001, au financement des fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante et verse à l'assurance maladie une compensation liée à la sous-déclaration des maladies professionnelles.

Tirant les conclusions de ces différents rapports, l'accord interprofessionnel du 12 mars 2007 relatif à la prévention, à la tarification et à la réparation des risques professionnels s'est engagé à « améliorer la réparation des victimes » sans aller jusqu'à la réparation intégrale. Deux axes ont été privilégiés. D'une part, 400 millions d'euros supplémentaires seront ainsi consacrés, au cours de la période 2009-2010, à l'indemnisation, notamment au travers d'un remboursement amélioré des frais médicaux et de la mise en oeuvre d'une majoration pour tierce personne. D'autre part, la politique en faveur de la prévention a été renforcée, au travers d'une réforme de la tarification des risques mise en application depuis le 1 er janvier 2010 destinée à inciter plus efficacement à la limitation des risques, ainsi que de mesures tendant à éviter la désinsertion professionnelle.

B. UNE FISCALISATION PARTIELLE

Les indemnités journalières servies par le régime AT-MP s'élèvent à 60 % du salaire journalier antérieur pendant les vingt-huit premiers jours d'arrêt de travail et à 80 % à partir du vingt-neuvième jour. Elles sont versées pendant la durée de l'arrêt de travail, soit jusqu'à la guérison du récipiendaire, soit jusqu'à la consolidation de son incapacité et la constitution d'une rente d'invalidité.

L'article 85 de la loi de finances pour 2010 a modifié l'article 80 quinquies du code général des impôts en supprimant l'exonération d'impôt sur le revenu dont bénéficiaient jusqu'alors les indemnités journalières allouées aux victimes d'accidents du travail. Depuis le 1 er janvier 2010, celles-ci sont donc imposables suivant les règles applicables aux traitements et salaires, comme le sont les autres indemnités journalières valant revenu de substitution versées par les organismes de sécurité sociale, notamment les indemnités journalières maladie et maternité.

Cette imposition, applicable aux indemnités versées à partir du 1 er janvier 2010 devrait produire environ 135 millions d'euros .

1. L'initiative de l'Assemblée nationale

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010 à l'Assemblée nationale, le rapporteur général de la commission des finances, Gilles Carrez, a pris l'initiative, avec le soutien du Gouvernement, de modifier le régime fiscal des indemnités journalières perçues par les victimes d'un accident du travail, considérant que les indemnités journalières servies par la branche AT-MP s'analysent comme un revenu de substitution et non comme une indemnisation.

Néanmoins, après débat, seule a été fiscalisée la part des indemnités journalières pour accident du travail correspondant à 50 % du gain journalier de base pris en référence pour calculer les indemnités journalières pour maladie 10 ( * ) . Cette disposition a été présentée comme permettant de ne fiscaliser que la partie de l'indemnité journalière correspondant au revenu de remplacement et non celle correspondant à la compensation du préjudice subi par la victime.

En effet, l'indemnité journalière versée en cas d'arrêt maladie correspond à 50 % du gain journalier de base antérieur du salarié. Selon l'Assemblée nationale, cette différence de dix points, puis de trente points, entre le montant des indemnités journalières-maladie et des indemnités journalières-accident du travail correspondait à l'indemnisation du préjudice subi par la victime d'un accident du travail ; la fraction de 50 % constituerait un revenu de remplacement, par analogie au régime applicable en matière d'arrêt maladie. En conséquence, cette disposition avait pour but de « préciser très clairement qu'il s'agit de fiscaliser la seule fraction correspondant au revenu de substitution » 11 ( * ) .

2. La position du Sénat

Le Sénat s'est rallié à cette proposition qu'il a considéré comme équilibrée dans la mesure où :

- le régime applicable aux indemnités journalières allouées aux personnes atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse n'est pas modifié : ces indemnités demeurent exonérées d'impôt sur le revenu ;

- de même, elle ne concerne pas les prestations et rentes viagères versées aux victimes d'accidents du travail, qui resteront également exclues de l'assiette de l'impôt sur le revenu en application de l'article 81 du code général des impôts ;

- enfin, le dispositif permet de ne fiscaliser qu'une partie des indemnités journalières-accident du travail, à savoir la partie pouvant être analysée comme le revenu de remplacement du salarié.

Pour des raisons techniques tenant à la difficulté d'établir la base d'imposition, le Sénat a néanmoins proposé une fiscalisation de 50 % de l'ensemble des indemnités journalières perçues au titre de la branche AT-MP, sans distinguer entre part assimilable à un revenu de substitution et part assimilable à l'indemnisation d'un préjudice. La commission mixte paritaire a confirmé le vote de la disposition adoptée par le Sénat.

* 1 Rémi Pellet, L'entreprise et la fin du régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, Droit social, n° 4, avril 2006, p. 402.

* 2 Depuis la loi du 25 octobre 1919.

* 3 Cette voie avait déjà été ouverte par le Conseil d'Etat qui avait mis en place un régime de responsabilité sans faute de l'Etat employeur au titre des accidents du travail dans son arrêt Cames du 21 juin 1895.

* 4 François Ewald, L'Etat providence et la philosophie du droit, Grasset, 1986.

* 5 Le programme adopté le 15 mars 1944 prévoit, parmi les mesures à mettre en oeuvre après la Libération, « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat ».

* 6 Par la loi n° 45-2426 du 30 octobre 1946.

* 7 Cf. le dernier Livre Blanc de la Fnath, du 13 janvier 2010.

* 8 Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant a l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.

* 9 Cass. soc. 28 février 2002, SA Eternit industrie c./veuve Hammou et a. et Cass. soc. 11 avril 2002, Edrissi c./Sté Camus industrie.

* 10 Sous-amendement déposé par la députée Marie-Anne Montchamp.

* 11 Rapport n° 1967 de Gilles Carrez, fait au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi de finances pour 2010.

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