II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi s'assigne un triple objectif :

- revenir sur la fiscalisation opérée par la loi de finances pour 2010 ;

- garantir le niveau le plus élevé de réparation pour les victimes des accidents du travail et des maladies professionnelles ;

- inciter les entreprises à oeuvrer en matière de prévention.

A. LA SUPPRESSION DE LA FISCALISATION

Selon la sociologue du travail Danièle Linhart, directrice de recherche au CNRS, auditionnée par votre rapporteure, la fiscalisation participe d'une évolution du rapport au travail qui tend à intégrer le risque comme part intégrante du travail. En effet, l'inadaptation progressive du modèle taylorien de production aux réalités économiques incite les employeurs à demander aux salarié(e)s de s'auto-organiser, la faculté d'adaptation devenant même une condition de l'employabilité. Le plus employable est le plus adaptable, c'est-à-dire celui prêt à prendre le plus de risques. Il est donc logique que les indemnités perçues au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle soient présentées comme un revenu de substitution et non pas comme la réparation d'un dommage. Dans la mesure où cette organisation du travail privilégie la prise de risque individuelle au détriment des formes collectives de travail qui assuraient jusqu'à présent la protection des travailleurs, il est à craindre une accentuation de la mise au chômage des salarié(e)s les plus âgé(e)s, qui sont vu(e)s comme les moins adaptables, et une augmentation du nombre d'accidents du travail.

De même, l'historien Robert Castel, a souligné lors de son audition, que cette fiscalisation participe de la transformation, depuis le milieu des années soixante-dix, des droits inconditionnels reconnus aux salarié(e)s, ici l'indemnisation du préjudice subi à l'occasion du travail, en aides conditionnelles comme le revenu de solidarité active (RSA). La logique marchande de la contrepartie est ainsi insensiblement réintroduite dans le cadre de l'Etat providence et altère sa nature. La notion de subordination elle-même, intégrée au droit afin de permettre l'application de la loi du 9 avril 1898 qui nécessitait la caractérisation de la relation de salariat, se trouve en quelque sorte renforcée par cette augmentation des devoirs pesant sur les salarié(e)s.

Les auteurs de la proposition de loi partagent ces analyses et estiment nécessaire de revenir sur une mesure dont l'impact symbolique est supérieur à l'utilité réelle pour les finances publiques . La fiscalisation participe, pour eux, d'un mouvement d'érosion progressive des droits sociaux qui accompagne le déclin des formes d'organisation collective du travail. Face à l'individualisation croissante des tâches, qui est une des causes reconnues du mal-être au travail, les auteurs considèrent qu'il est important de renforcer la protection des salarié(e)s. On peut craindre en effet que la pression tendant à une prise de risque toujours plus grande les pousse à commettre des fautes qui leur seront ensuite imputées. La fiscalisation, même partielle, des indemnités journalières introduit une confusion entre revenu de remplacement et compensation d'un préjudice, et aboutit en outre à limiter le montant de la compensation perçue par les victimes : il conviendrait dès lors de la supprimer.

B. L'INDEMNISATION TOTALE DU PRÉJUDICE SUBI

Les auteurs de la proposition de loi envisagent également le passage à la réparation intégrale des dommages causés par les accidents du travail et les maladies professionnelles. A cette fin, ils proposent de la prévoir explicitement dans le code de la sécurité sociale, ainsi que de réévaluer la rente servie en cas d'incapacité permanente aussi bien que les indemnités journalières. Dans les deux cas, le maintien intégral du salaire est prévu, augmenté d'une compensation du taux d'incapacité si celui-ci est permanent.

Ce dispositif conduit à dépasser le compromis de 1898. Les auteurs estiment en effet que, bien qu'avancé pour l'époque et porteur d'une évolution fondamentale en matière de droit social, le passage d'un régime fondé sur la responsabilité à un régime fondé sur la mutualisation du risque, est aujourd'hui obsolète. Le compromis entre une indemnisation rapide, car reposant sur la présomption d'imputabilité du dommage ou de la maladie au travail, et un montant forfaitaire, ne peut plus être envisagé de la même façon dès lors que la jurisprudence a admis l'obligation de résultat de l'employeur en matière de santé au travail et ouvert largement les conditions de recevabilité d'une demande de réparation intégrale au titre de sa responsabilité civile. On ne peut en effet admettre que les victimes d'un même préjudice soient indemnisées différemment selon l'auteur de celui-ci et, particulièrement, que la relation de subordination dans laquelle se trouvent les salarié(e)s les conduise à être moins indemnisé(e)s que les victimes d'un dommage corporel survenu hors du travail.

C. LE MAINTIEN DU MONTANT DES COTISATIONS PATRONALES DANS L'ASSIETTE DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent également agir en faveur d'une meilleure prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ainsi, afin d'inciter les entreprises à oeuvrer efficacement dans le domaine de la prévention des accidents, ils souhaitent que le taux de sinistralité d'une entreprise ait une conséquence immédiate et directe sur le montant de son chiffre d'affaires en réintégrant les cotisations versées par les entreprises dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés. En effet, ces cotisations sont considérées comme une charge déductible au regard du paiement de l'impôt, ce qui peut aboutir au résultat paradoxal qu'une entreprise qui enregistre un taux élevé d'accidents du travail en son sein voit baisser son impôt sur les sociétés.

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Conformément à l'accord politique passé entre les présidents de groupes pour ce qui concerne l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition ou minoritaire, votre commission des affaires sociales a décidé de ne pas adopter le texte de cette proposition de loi, afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction initiale voulue par ses auteurs.

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