CHAPITRE III - L'ÉVOLUTION DES RECETTES PUBLIQUES

ARTICLE 9 - Encadrement des mesures nouvelles afférentes aux prélèvements obligatoires

Commentaire : le présent article propose des montants minima de mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires, définis chaque année de 2011 à 2014.

I. LE DROIT EXISTANT

La loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 comporte des dispositions de nature à sécuriser les prélèvements obligatoires.

Il en existe deux principales :

- l'article 11 oblige, chaque année, à gager les mesures nouvelles accroissant les niches fiscales (y compris, semble-t-il, celles de fiscalité locale) ou sociales par d'autres mesures nouvelles relatives aux niches ;

- l'article 10, qui ne s'entend qu'à l'échéance de la période de programmation (soit 2012), interdit de prendre des mesures nouvelles (qu'elles concernent ou non des niches) qui, considérées globalement, feraient passer les recettes fiscales de l'Etat ou les recettes sociales en dessous de certains montants.

A. L'OBLIGATION DE GAGER ANNUELLEMENT LES CRÉATIONS DE « NICHES » FISCALES OU SOCIALES EST INTERPRÉTÉE DE MANIÈRE LAXISTE PAR LE GOUVERNEMENT

Le I de l'article 11 de l'actuelle loi de programmation des finances publiques définit une « règle de gage », selon laquelle les créations ou extensions de « niches » fiscales ou sociales sont compensées par des suppressions ou diminutions d'autres « niches » de la même catégorie.

Cette règle a été interprétée par le Gouvernement d'une manière qui la vide de toute portée pratique.

Elle est présentée plus en détails dans le commentaire de l'article 9 bis .

B. LA RÈGLE DE GAGE GLOBAL DE L'ENSEMBLE DES MESURES NOUVELLES FISCALES OU SOCIALES D'ICI 2012 EST DÉPOURVUE DE PORTÉE PRATIQUE

1. Une disposition dont la mise en oeuvre ne pourra être appréciée que postérieurement à 2012

La principale disposition de la loi de programmation des finances publiques tendant à sécuriser les prélèvements obligatoires est censée être son article 10, qui prévoit qu'au titre de la période de programmation, les mesures nouvelles (qu'il s'agisse ou non de la création de « niches » : cela inclut donc les autres allégements, mais aussi les alourdissements) relatives aux recettes fiscales nettes de l'Etat ou aux recettes des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ne peuvent avoir pour conséquence de réduire ces recettes par rapport à certains niveaux, définis pour chaque année de 2009 à 2012 en euros courants. Cette règle doit être appliquée séparément à ces deux catégories de recettes (une consolidation globale n'est pas possible).

Les mesures nouvelles relatives aux impôts locaux ne sont pas concernées, la loi se référant explicitement aux « recettes fiscales nettes de l'Etat ».

a) Un article mal rédigé

La portée de cet article est ambiguë.

Si les recettes constatées sont inférieures à celles de la programmation, l'écart ne peut être supérieur au montant des mesures nouvelles prises depuis le début de la période.

En revanche, si sans mesures nouvelles les recettes auraient de toute façon été inférieures aux montants programmés, la lettre de cet article autorise des allégements pour n'importe quel montant. Cela ne paraît pas avoir été souhaité par le législateur. Ainsi, le rapport annexé à la loi de programmation indique que « tant que le niveau des recettes de l'Etat et de la sécurité sociale prévu par la loi de programmation n'est pas atteint, les mesures nouvelles ayant un impact à la baisse sur le niveau des recettes fiscales et/ou des cotisations ou contributions sociales seront gagées, sur l'ensemble de la période de programmation, par une augmentation à due concurrence de ces recettes ».

Pourtant, la situation économique rendait d'ores et déjà la rédaction de cet article peu opérationnelle. On rappelle en particulier que ce texte a été discuté au Sénat le 6 novembre 2008, après la faillite de la banque Lehman Brothers (15 septembre). Le consensus des conjoncturistes prévoyait alors une croissance de 0,5 % et une inflation de 2 %, mais, comme le soulignait alors votre commission des finances, une faible inflation sur la période de programmation était envisageable et pouvait rendre les montants de recettes caducs. Votre commission des finances n'envisageait pas alors toutefois un effondrement des recettes de l'ampleur de celui constaté en 2009. Sa crainte était plutôt que la règle soit trop rigoureuse, conduisant à interdire des allégements alors même que les recettes, traduites en points de PIB (seule notion réellement importante, alors que le déficit pris en compte par le pacte de stabilité est défini en points de PIB et que la croissance des dépenses est exprimée en volume), auraient été conformes à la programmation.

b) Un article qui ne s'applique pas annuellement, ce qui le prive de toute portée pratique

Le Gouvernement a donné un avis défavorable à un amendement de votre commission des finances (que celle-ci a retiré) indiquant que cette règle s'appliquait « chaque année ». Le Gouvernement considère en effet (comme cela est indiqué dans le rapport annexé à la loi de programmation 2009-2012) que l'application de cette règle doit être appréciée globalement sur la période, ce qui la vide de toute portée pratique. Dans la situation actuelle, les recettes étant nettement inférieures aux montants programmés, et devant probablement le rester d'ici 2012, cette interprétation signifie que la sommation de toutes les mesures nouvelles de 2009 à 2012 devrait être neutre ou positive. Selon les estimations présentées par votre commission des finances lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, l'impact global des allégements de recettes de l'Etat alors prévus à partir de 2009 (correspondant en quasi-totalité à la TVA restauration et à la suppression de la taxe professionnelle) semblait impliquer d'ici 2012, en sus des mesures nouvelles alors prévues, des mesures nouvelles augmentant les recettes fiscales nettes d'un montant analogue, soit environ 6 milliards d'euros (0,3 point de PIB).

Cette disposition a d'autant moins de portée pratique que les modalités retenues par le Gouvernement pour l'application de l'article 11 précité de la loi de programmation laissent en outre craindre qu'il considère que cette règle s'entend également en « régime de croisière ». Il pourrait ainsi considérer que les mesures destinées à « gager » d'ici 2012 les diminutions nettes de recettes fiscales de l'Etat ou de recettes des régimes obligatoires de base n'ont pas vocation à entrer en vigueur en 2012, mais peuvent le faire bien au-delà, ce qui, là encore, priverait la règle de l'essentiel de sa portée.

On se retrouve donc avec un article dépourvu de la moindre portée pratique. Selon le rapport annexé à la loi de programmation 2009-2012, la mise en oeuvre de cette disposition ne peut être appréciée avant que soit connue l'exécution de 2012. Si l'on retient une interprétation littérale du texte, elle a bien été respectée, mais seulement parce que l'effondrement des recettes a été tel que même sans mesures nouvelles le plancher de recettes aurait de toute façon été « enfoncé ».

Au total, on aurait probablement pu se passer de cet article.

2. Un article que votre commission des finances avait proposé de remplacer par une disposition opérationnelle

L'article 10 de la loi de programmation 2009-2012 étant manifestement inadapté, votre commission des finances a présenté lors de la discussion du texte un amendement prévoyant que les mesures nouvelles ne pouvaient réduire les recettes tant que le déficit des administrations publiques de l'année précédente était supérieur à 1,5 point de PIB.

Elle a cependant été conduite à le retirer, à la suite d'un avis défavorable du Gouvernement, qui ne souhaitait pas alors se lier en matière de mesures nouvelles sur les recettes (ce qui pouvait sembler étonnant, dès lors que l'on acceptait le principe d'une loi de programmation).

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Sous sa forme initiale, le présent article prévoyait que « l'impact annuel des mesures nouvelles afférentes aux prélèvements obligatoires votées par le Parlement ou prises par le Gouvernement par voie réglementaire est au moins égal aux montants retracés dans le tableau ci-dessous, exprimés en milliards d'euros :

2011

2012

2013

2014

10

3

3

3

»

On observe qu'il résulte de la rédaction retenue que ces montants n'incluent pas les mesures nouvelles correspondant aux augmentations de taux des collectivités territoriales. Cela est justifié si l'on considère que, les valeurs locatives cadastrales (actualisée chaque année par des coefficients fixés par une loi de finances) étant à peu près indexées sur l'inflation, les impôts locaux tendent spontanément à augmenter moins vite que le PIB, de sorte que la tendance à l'augmentation des taux de la fiscalité locale ne traduit pas en tant que telle un effort structurel.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A. UNE PRÉCISION INDISPENSABLE QUANT AUX MESURES PRISES EN COMPTE

Sous sa forme initiale, le présent article n'était pas opérationnel. En effet, la notion de « mesures nouvelles » n'était alors pas précisément définie. Or, celle retenue était manifestement différente de celle habituellement utilisée.

Le montant de 10 milliards d'euros retenu pour l'année 2011 implique qu'elle ne comprend pas le « contrecoup » de diverses mesures déjà en vigueur, comme la suppression de la réforme de la taxe professionnelle. Le montant des mesures nouvelles relatives à l'année 2011 figurant dans le rapport relatif aux prélèvements obligatoires annexé au présent projet de loi est en effet de 17,7 milliards d'euros.

Les 10 milliards d'euros inscrits pour l'année 2011 correspondent en fait aux 10,9 milliards d'euros de mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires prévus par les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Aussi, à l'initiative du rapporteur général de l'Assemblée nationale, notre collègue député Gilles Carrez, le texte adopté par la commission des finances de l'Assemblée nationale a apporté la précision indispensable selon laquelle les mesures nouvelles concernées sont uniquement celles « votées par le Parlement ou prises par le Gouvernement par voie réglementaire à compter du 1 er juillet 2010 ».

B. UNE DISPOSITION PEU EFFECTIVE SUR LA STABILISATION DU COÛT DES NICHES FISCALES ET SOCIALES EN VALEUR À PÉRIMÈTRE CONSTANT

1. Une règle qui tend à soumettre la dépense fiscale et sociale à la règle du « zéro valeur »

Egalement à l'initiative de son rapporteur général, le texte adopté par la commission des finances de l'Assemblée nationale précise que le coût des niches fiscales et sociales - c'est-à-dire celui des « dépenses fiscales » et des « réductions, exonérations ou abattements d'assiette s'appliquant aux cotisations et contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale ou aux organismes concourant à leur financement » - est « stabilisé en valeur à périmètre constant ».

Cette règle s'appliquerait séparément pour les niches fiscales et sociales. L'exposé des motifs de l'amendement précise qu'elle s'entend « sur l'ensemble de la durée de la programmation ».

2. Une règle très ambitieuse

Cette règle est très ambitieuse.

Tout d'abord, elle pourrait impliquer d'accroître de plus de 5 milliards d'euros les mesures nouvelles sur les recettes prévues par le I du présent article. En effet, si l'on suppose que le PIB augmente de 4 % par an en valeur de 2011 à 2014, avec une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB proche de l'unité, les prélèvements obligatoires tendront à augmenter d'un taux analogue. Le coût des niches fiscales et sociales, de l'ordre de 150 milliards d'euros au total selon l'approche de la Cour des comptes et de la commission des finances, augmenterait donc spontanément d'environ 25 milliards d'euros d'ici 2014 (soit alors environ un point de PIB). Or, les mesures nouvelles prévues par le présent article sont de seulement 19 milliards d'euros, et ne consisteraient pas exclusivement en la suppression ou la réduction de niches. Il faudrait donc réaliser des réductions ou suppressions de niches supplémentaires, pour un montant correspondant à l'écart entre cette somme et 25 milliards d'euros.

Ensuite, cette mesure implique de réaliser des progrès considérables en matière d'évaluation du coût des niches, soit parce qu'on ne sait évaluer précisément le coût de certains dispositifs, soit parce que la notion de niche est elle-même assez vague, en particulier dans le cas des niches sociales. Ainsi, selon le rapport annexé au présent projet de loi, « la notion de « dépenses fiscales et niches sociales » s'est avérée difficile à appréhender juridiquement ». En particulier, le montant des niches sociales peut varier entre 40 et 75 milliards d'euros selon la méthodologie retenue. Il faudra donc veiller à ce que les gouvernements successifs ne « cassent pas le thermomètre » et ne sous-évaluent pas délibérément le montant des niches, pour s'émanciper de la règle.

Enfin, cette norme revient à obliger les gouvernements successifs à limiter quasiment les mesures nouvelles prévues par le présent article à des réductions de niches. Cela implique donc de renouveler chaque année l'exercice de réduction des niches des PLF et PLFSS pour 2011, déjà très ambitieux.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. ACCROÎTRE LE MONTANT PRÉVU D'UN MILLIARD D'EUROS

Le montant des mesures nouvelles prévu pour 2011 par le présent article est d'ores et déjà inférieur à celui des mesures prévues pour cette année, comme le montre le tableau ci-après.

Les mesures nouvelles* prévues par le présent article et par le rapport relatif aux prélèvements obligatoires

(en milliards d'euros)

2011

2012

2013

2014

Montants proposés par le présent article

10

3

3

3

Rapport sur les prélèvements obligatoires annexé au présent projet de loi de finances

dont :

PLF et PLFSS 2011

10,9

2,6

Dont réductions et suppressions de niches

9,4

2,1

* Dispositions votées par le Parlement ou prises par le Gouvernement par voie réglementaire à compter du 1 er juillet 2010.

Sources : présent projet de loi, rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution annexé au présent projet de loi de finances

Il convient donc d'accroître le montant prévu pour 2011, par coordination avec les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2011, et de porter ce montant à 11 milliards d'euros.

B. NE PAS ALLER AU-DELÀ

Il ne paraît en revanche pas souhaitable d'aller au-delà.

Certes, comme on l'a indiqué ci-avant, en l'absence de mesures supplémentaires par rapport à celles véritablement « documentées », il risque de manquer de l'ordre de 40 milliards d'euros (soit 2 points de PIB) en 2013 pour ramener le déficit à 3 points de PIB en 2013.

Cependant, ce montant vient pour environ la moitié du fait que l'on considère que le Gouvernement ne parviendra pas complètement à limiter la croissance des dépenses publiques à 0,6 % par an en volume. Il est hélas possible que le déficit ne diminue pas de la manière prévue par le présent projet de loi, et que des mesures complémentaires soient nécessaires. Cependant, plutôt que de modifier, de manière un peu vaine, la répartition proposée par le présent projet de loi, votre commission des finances préfère proposer de permettre, en exécution, une « fongibilité » entre maîtrise des dépenses et mesures nouvelles sur les recettes (comme le préconise le rapport Camdessus, et conformément à la logique de la contribution précitée du président et du rapporteur général de votre commission des finances), en modifiant en ce sens l'article 13 du présent projet de loi.

Il est vrai que le reste des 40 milliards d'euros qui risquent de manquer en 2013 proviendrait d'une croissance vraisemblablement plus faible que celle supposée par le Gouvernement. Cependant, votre commission des finances considère que l'important n'est pas de ramener à tout prix le déficit à 3 points de PIB en 2013, mais d'avoir une stratégie crédible de réduction du déficit à moyen terme.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.

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