B. LA PERSISTANCE D'UN FINANCEMENT INSTABLE ET PEU SÉCURISÉ DE L'ANAH

L'Agence nationale de l'habitat (Anah) conduit une politique ambitieuse et indispensable en faveur du logement, en se concentrant plus particulièrement sur la lutte contre l'habitat indigne et dégradé ainsi que sur la rénovation énergétique des logements privés. Le 8 avril 2015, le Premier ministre a d'ailleurs annoncé le passage de 45 000 à 50 000 du nombre de logements devant bénéficier du programme « Habiter mieux » en 2015 et 2016. D'après Blanche Guillemot, directrice générale de l'Anah, cet objectif sera atteint en 2015, avec plus de 150 000 logements ayant profité du programme depuis le début de sa création et des gains énergétiques estimés à 39 % en moyenne.

L'Anah intervient également dans le cadre d'actions comme la lutte en faveur du maintien à domicile des personnes âgées et est sollicitée pour développer son action dans le domaine des copropriétés dégradées.

Pourtant, au regard de l'importance des objectifs assignés à l'Anah, son financement reste, comme par le passé, soumis à d'importants aléas . Du reste, le projet annuel de performances de la mission pour 2016 ne mentionne aucun élément relatif à la capacité d'engagement de l'Anah et au financement de ses actions. Seules les actions et le budget pour l'année 2015 y sont retracés.

À la suite de ses auditions, votre rapporteur spécial dispose d'informations qui n'ont pas manqué de justifier son inquiétude sur la précarité financière de l'Anah.

D'un côté, la principale ressource de l'agence, qui correspond au produit des mises aux enchères de quotas carbone , connaît actuellement un rebond appréciable . En 2013 et 2014, ces cessions n'avaient permis de collecter que 219 millions d'euros et 215,3 millions d'euros respectivement, alors que le plafond de l'affectation pour l'Anah était fixé à 590 millions d'euros 27 ( * ) . Au 30 septembre 2015, l'Anah a déjà perçu 229 millions d'euros et, d'après le ministère du logement, cette ressource pourrait dépasser les 300 millions d'euros à la fin de l'année.

Pour 2016, l'Anah anticipe une recette de 359 millions d'euros au titre de ces cessions de quotas carbone , alors que les services ministériels tablent plutôt sur 330 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, les ressources de l'Anah s'en verraient nettement améliorées .

Par ailleurs, dans le cadre de la convention pluriannuelle pour 2015-2019 conclue entre l'État et Action logement le 2 décembre 2014, une contribution de 50 millions d'euros annuels a été prévue au bénéfice de l'agence pour la période 2015-2017.

Votre rapporteur spécial avait constaté, l'an dernier, que la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) était, de nouveau, sollicitée pour participer aux ressources de cette agence alors qu'Action logement avait eu la garantie du contraire en 2012 et qu'elle finance, par ailleurs, d'autres politiques publiques majeures en 2016, à savoir la rénovation urbaine (850 millions d'euros au titre du programme national de rénovation urbaine - PNRU - et du nouveau programme national de renouvellement urbain - NPNRU) et les aides personnelles au logement par le biais de sa participation au Fnal (100 millions d'euros).

Pour autant, cette contribution d'Action logement a pour mérite d'assurer un financement sécurisé et stable pour trois ans à l'Anah.

Parallèlement à ces deux éléments plutôt positifs pour la santé financière de l'agence, le Gouvernement prévoit toutefois de réduire voire de supprimer d'autres ressources dont disposait l'Anah en 2015 .

Ainsi, la contribution du fonds de financement de la transition énergétique ne devrait pas être reconduite et le plafond de la part de la taxe sur les logements vacants affectée à l'Anah devrait être réduit à 21 millions d'euros (soit 19,1 millions d'euros déduction faite des frais de gestion) alors qu'il avait été augmenté de 51 millions d'euros à 61 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances pour 2015. Votre rapporteur spécial soutiendra un amendement tendant à maintenir le plafond à 61 millions d'euros en première partie du projet de loi de finances pour 2016.

L'Anah ne prévoit pas non plus la contribution de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) qui devrait en principe s'élever à 20 millions d'euros au titre des actions menées dans le cadre de l'adaptation des logements à la perte d'autonomie des personnes âgées. En effet, son versement ne serait pas prévu en début d'exercice mais plutôt à la fin de l'année, dans le cadre d'un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale.

Enfin, s'agissant de la contribution des énergéticiens au titre des certificats d'économie d'énergie (CEE), l'année 2016 devrait être marquée par la création, à compter du 1 er janvier, des CEE « précarité énergétique » , dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte 28 ( * ) . Les modalités concrètes de mise en oeuvre de ces nouveaux certificats seront définies dans des textes d'application en cours de finalisation. L'Anah espère ainsi obtenir 59 millions d'euros en 2016 auprès des obligés mais mentionne tout de même un risque dû à ce changement de pratique.

Hypothèse de budget prévisionnel tel que présenté par l'Anah au rapporteur spécial

(en millions d'euros)

Montant des ressources

Produit des cessions de quotas carbone

359

Participation d'Action logement

50

Produit affecté de la taxe sur les logements vacants

19,1

Contribution des énergéticiens au titre des CEE "précarité énergétique"

59,4

Autres ressources (en particulier le produit des reversements de subvention mises à la charge des bénéficiaires qui auraient rompus leurs engagements)

3,5

Total

491

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'Anah prévoit ainsi un projet de budget prévisionnel qui s'établirait à 491 millions d'euros , pour 497 millions d'euros de dépenses, soit un déficit d'environ 6 millions d'euros.

Il convient de préciser que cette prévision de dépenses inclut déjà un report de 11 millions d'euros au titre de 2015, compte tenu d'un besoin supplémentaire de financement non couvert 29 ( * ) .

Dans la réponse au questionnaire budgétaire adressée par le ministère chargé du logement, votre rapporteur spécial constate que leur prévision budgétaire est proche de celle envisagée par l'Anah, avec 487 millions d'euros, en tenant compte notamment des 20 millions d'euros issus de la CNSA mais avec un produit des cessions de quotas carbone légèrement plus bas (332,6 millions d'euros).

Votre rapporteur spécial prend acte de ces hypothèses de travail qui mettent en évidence le manque de sécurisation du dispositif de financement de l'Anah . Il regrette que, chaque année, ses ressources soient aussi fluctuantes, tant s'agissant du montant des cessions de quotas carbone - rien ne garantit que, de nouveau, l'Anah ne doive faire face à un niveau de cessions bien plus bas qu'actuellement - que des autres recettes qui lui sont affectées pour le compléter.

Ainsi, l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel rattaché à la présente mission et tendant à prévoir l'affectation à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) du produit des astreintes administratives des produits prononcées au titre de leurs pouvoirs de polices spéciales par le préfet, le maire ou le président de l'établissement public intercommunal (EPCI) compétent à l'encontre des propriétaires de logements insalubres, lorsque la créance est liquidée et recouvrée par l'État, selon le dispositif adopté à l'article 79 de la loi ALUR 30 ( * ) (contre 43 % actuellement prévus). Les auteurs de l'amendement adopté ont ainsi pour objectif de garantir une nouvelle ressource à l'Anah, qui devrait être toutefois relativement modique puisque, selon le ministère du logement, elle correspondrait à 2 ou 3 millions d'euros. En outre, les mesures réglementaires d'application pour ce dispositif n'ont pas encore été prises.

Cette instabilité du financement est d'autant plus dommageable que la trésorerie de l'Anah est désormais très entamée et que son fonds de roulement ne s'élevait plus qu'à 47,4 millions d'euros à la fin de l'année 2014, correspondant à moins d'un mois de paiement .

En 2014, le manque de moyens de l'Anah avait conduit à ne plus traiter, au niveau des services déconcentrés, les dossiers déposés dans le cadre du programme « Habiter mieux » 31 ( * ) . Ainsi, un total de 20 000 dossiers restait en stock à la fin de l'année 2014. Selon les informations recueillies auprès de l'Anah, tous les dossiers qui avaient pris du retard en raison de cette circulaire ont depuis été traités.

Enfin, la principale difficulté restant à lever pour assurer le financement du programme « Habiter mieux » concerne le Fonds d'aide à la rénovation thermique (Fart) . Géré par l'Anah dans le cadre du programme d'investissement d'avenir (PIA), ce fonds permet le versement de subventions qui viennent compléter les aides de l'agence. 483 millions d'euros auront ainsi été engagés entre 2011 et 2015. Il a déjà fait l'objet de plusieurs redéploiements de crédits en sa faveur, le dernier datant de juillet 2015 et s'élevant à 28 millions d'euros. Cette somme devrait permettre de couvrir la fin de l'année.

Pour 2016, le Fart ne dispose plus de moyens à ce stade . Blanche Guillemot, directrice générale de l'Anah, a indiqué à votre rapporteur spécial qu'un projet de réforme des subventions du Fart était actuellement à l'étude et tendrait à rendre l'aide proportionnelle au coût des travaux. Dans cette hypothèse, 100 millions d'euros seraient nécessaires. Or, le PIA ne serait en mesure de redéployer que 50 millions d'euros. Une des pistes de ressources serait alors le fonds de transition énergétique.

Votre rapporteur spécial suivra avec une attention particulière le dispositif finalement retenu pour la poursuite des aides du Fart et son financement , les projets d'avenants aux conventions des PIA ainsi que les projets de redéploiement étant transmis aux commissions des finances des deux assemblées.


* 27 En vertu du I de l'article 43 de la loi n° 2012-1509 de finances pour 2013 tel qu'en vigueur à cette période. Ce plafond s'établit désormais à 550 millions d'euros depuis la loi de finances pour 2015.

* 28 Art. L. 221-1-1 du code de l'énergie tel que créé par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 29 D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, l'Anah a connu un besoin supplémentaire de crédits de 38 millions d'euros, compte tenu de l'objectif passé à 50 000 logements traités dans le cadre du programme « Habiter mieux » et de l'évolution favorable de l'activité en faveur des propriétaires occupants (avec un rythme rapide de décaissements après engagement). Seuls 27 millions d'euros environ sont actuellement couverts par le budget de l'agence, grâce à l'augmentation du produit des cessions de quotas carbone.

* 30 Cf. le commentaire de l'article 55 bis du présent projet de loi de finances.

* 31 Circulaire du 9 juillet 2014 adressée aux préfets et aux collectivités territoriales délégataires des « aides à la pierre ». Seules les demandes de traitement de l'habitat indigne ou très dégradé ainsi que les travaux d'adaptation liés à la perte d'autonomie ou au handicap restaient prioritaires.

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