B. LES CARACTÉRISTIQUES DE L'ÉTAT D'URGENCE DÉCLARÉ À LA SUITE DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015

Le conseil des ministres réuni à la suite des attentats du 13 novembre dernier a adopté un décret 20 ( * ) déclarant l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire métropolitain « et en Corse » 21 ( * ) à compter du 14 novembre à zéro heure, ce décret entrant en vigueur à la même date. Le délai de douze jours au-delà duquel la prorogation de l'état d'urgence ne peut être autorisée que par la loi expirera donc le 26 novembre 2015 à zéro heure.

Un second décret, pris le même jour, a défini les zones dans lesquelles peuvent être mises en oeuvre les mesures complémentaires ou renforcées des articles 6 (assignations à résidence), 8 (police des réunions et des lieux publics) et 9 (remise des armes), en l'occurrence la totalité des communes d'Ile-de-France. Ce décret a en outre expressément prévu, dans ces mêmes communes, la possibilité pour les autorités administratives d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit, conformément au 1° de l'article 11.

Le 14 novembre, un troisième décret 22 ( * ) , entrant en vigueur le 15 novembre à zéro heure, modifiait le périmètre des zones dans lesquelles les mesures complémentaires ou renforcées 23 ( * ) peuvent être mises en oeuvre en les élargissant à l'ensemble du territoire métropolitain « et de la Corse ».

Enfin, le 18 novembre étaient pris deux nouveaux décrets, le premier 24 ( * ) déclarant l'état d'urgence, à compter du 19 novembre 2015, à zéro heure à l'heure locale, sur le territoire des collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Le second décret 25 ( * ) prévoit qu'outre les mesures prévues aux articles 5, 9 et 10 de la loi du 3 avril 1955, les mesures mentionnées aux articles 6, 8 et au 1° de l'article 11 sont rendues applicables également sur le territoire de ces mêmes collectivités. Le périmètre d'application de l'état d'urgence dans ces collectivités est ainsi rendu identique à la totalité de leur territoire, comme en métropole.

Deux circulaires, l'une du ministre de l'intérieur aux préfets et l'autre de la garde des sceaux aux procureurs, sont par ailleurs venues préciser les modalités de mise en oeuvre des différentes mesures prises en application de l'état d'urgence.

Il apparaît ainsi que les caractéristiques matérielles et géographiques de cette déclaration d'état d'urgence sont étendues au regard des précédents depuis les événements survenus en Algérie. Ainsi, l'état d'urgence déclaré en 2005 n'avait prévu la possibilité des mesures renforcées que dans une liste de communes annexée au décret n° 2005-1387 précité. Autre particularité juridique de ce dispositif et contrairement au choix effectué en 2005, les décrets définissant les zones où l'état d'urgence reçoit application ont été signés par le Président de la République lui-même, ce qui ne constitue pas une formalité requise par la loi de 1955. Toutefois, une telle évolution n'emporte pas de conséquences juridiques, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État 26 ( * ) .

À compter du vendredi 19 novembre à zéro heure, l'état d'urgence aura, pour la première fois, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 3 avril 1955, été simultanément déclaré sur l'ensemble du territoire métropolitain et la majeure partie des collectivités ultra-marines 27 ( * ) , ce qui constitue en soi un indice de la gravité de la situation à laquelle est confronté notre pays.

En 2005, l'essentiel des mesures prises en application de l'état d'urgence avait consisté en des arrêtés préfectoraux instaurant des couvre-feux ou interdisant des rassemblements susceptibles de troubler l'ordre public, la faculté, pour les préfets, de faire procéder à des perquisitions administratives, pourtant prévue par le décret et la loi de prorogation, n'ayant été utilisée que de manière marginale 28 ( * ) .

La mise en oeuvre du dispositif depuis les attentats du 13 novembre 2015 est d'une ampleur toute autre. Depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence, il a été procédé à 562 perquisitions administratives et 157 assignations à résidence , ces deux types de décisions étant les plus attentatoires aux libertés publiques au sein de la panoplie de l'état d'urgence. Votre rapporteur relève qu'il n'est pas en mesure de fournir des statistiques sur les autres catégories de mesures de police prises par le pouvoir exécutif en application de l'état d'urgence, le ministère de l'intérieur n'en tenant pas une comptabilité.

L'utilisation massive de ces mesures de police administrative nécessite d'examiner attentivement la conformité aux exigences constitutionnelles de la loi du 3 avril 1955, ce qui s'impose avec d'autant plus de force en raison de la possibilité pour les personnes faisant l'objet de ces mesures de les contester désormais par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité.


* 20 Décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 21 Votre rapporteur s'étonne de cette rédaction qui laisse supposer que la Corse n'appartiendrait pas au territoire métropolitain.

* 22 Décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 modifiant le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015.

* 23 Mesures des articles 6 et 8 ainsi que du 1° de l'article 11, les mesures des articles 9 et 10 étant applicable du seul fait de la déclaration d'urgence.

* 24 Décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 25 Décret n° 2015-1494 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 26 Arrêt Sicard du Conseil d'État du 27 avril 1962.

* 27 Sont exclues à ce stade les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles de Wallis et Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie ainsi que des terres australes et antarctiques françaises.

* 28 Voir pages 14 et 15 du rapport n° 84 (2005-2006) précité.

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