COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MME MARYLISE LEBRANCHU, MINISTRE DE LA DÉCENTRALISATION ET DE LA FONCTION PUBLIQUE

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MARDI 15 DÉCEMBRE 2015

M. Philippe Bas , président . - Bienvenue, madame la ministre. Vous allez nous présenter le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires, dont le rapporteur est M. Alain Vasselle.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique . - Ce texte, initialement déposé en juillet 2013, a vu son examen longtemps repoussé faute de place dans l'agenda parlementaire. Le 17 juin 2015, par lettre rectificative, le projet de loi est passé de 59 à 25 articles, certains articles étant renvoyés à des ordonnances. Nous voulions un texte plus court, mais dans le même esprit. Lors de son examen à l'Assemblée nationale, les députés ont réintégré certaines des dispositions initiales et limité le champ des habilitations à légiférer par ordonnances.

Le Gouvernement souhaite faire évoluer le statut de la fonction publique en y ajoutant explicitement certains principes comme l'impartialité et la laïcité. Les tragiques événements récents nous y obligent d'autant plus, le phénomène de la radicalisation ayant parfois touché notre fonction publique. Nous avons voulu un projet de loi aussi court et clair que possible pour dire une nouvelle fois à tous les fonctionnaires que le salariat et la fonction publique ne peuvent être comparés. Plus de trente ans après la loi Le Pors, la réaffirmation de ces valeurs qui guident l'action publique s'avère indispensable.

Ce texte est composé de trois titres : le premier traite de la place des valeurs de la fonction publique et de la déontologie ; le deuxième, des obligations et des garanties fondamentales accordées aux agents ; le troisième, des employeurs publics.

Parmi les principes fondamentaux qui s'imposent aux agents publics figurent le devoir d'intégrité, d'impartialité et de probité, auxquels nous avons ajouté le devoir de dignité. Les syndicats étaient réticents sur ce dernier, craignant qu'il implique que certains comportements soient, en creux, jugés indignes. Pour moi, mais aussi pour nos concitoyens, la dignité est un devoir pour le fonctionnaire, non seulement dans l'exercice de ses fonctions, mais aussi en dehors des heures de travail. À force de discussions, nous avons réussi à convaincre les organisations syndicales et les employeurs publics.

L'introduction du principe de laïcité n'a pas été simple, car il fallait interdire toute manifestation d'opinion religieuse des agents publics, définir les signes ostentatoires, mais aussi respecter la liberté de conscience et la dignité de l'usager de la fonction publique.

Nous voulons développer la culture de la déontologie et de la prévention des conflits d'intérêt dans le service public, y compris pour les magistrats des juridictions administratives et financières. Les articles 2 et 4 renforcent ainsi les contrôles avant les nominations ; un décret en Conseil d'État établira la liste des emplois publics concernés. Les déclarations d'intérêt et de situation patrimoniale seront contrôlées par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il ne s'agit pas d'instaurer des règles identiques à celles imposées aux élus mais de demander une déclaration d'intérêt préalable avant de traiter de marchés publics, par exemple. Ces dispositions éviteront des déports tardifs qui suscitent la suspicion de nos concitoyens. La déclaration de situation patrimoniale permettra de couper court à toute rumeur, à tout conflit, et pourra être vérifiée de façon indépendante.

Nous proposons que le patrimoine de certains fonctionnaires des ministères économiques et financiers mais aussi de certains agents territoriaux exerçant des responsabilités importantes dans le domaine économique et financier soit géré par un tiers, pour éviter tout soupçon.

Nos concitoyens veulent des contrôles accrus de la commission de déontologie de la fonction publique en cas de départ vers le privé. Nous proposons donc de renforcer le pouvoir de contrôle et de sanction de la commission, pour éviter que la République ne s'interroge sur ceux qui portent ses valeurs.

Enfin, nous renforçons la protection des lanceurs d'alerte, d'où la création de référents déontologues, que les fonctionnaires pourront saisir. N'oublions pas que les lanceurs d'alerte peuvent se tromper...

M. Philippe Bas , président . - Ou être de mauvaise foi !

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - D'où la nécessité de faire une distinction.

Des élus locaux mais aussi des fonctionnaires nous ont demandé de mieux encadrer le cumul d'un emploi public avec une activité privée lucrative - par exemple une activité d'auto-entrepreneur. Sur ce point, les députés ont amendé notre texte, que j'estimais équilibré.

La protection fonctionnelle est étendue à tous les agents et à leur famille. Nous limitons à trois ans le délai de prescription de l'action disciplinaire, nous modernisons les garanties disciplinaires et nous prévoyons le reclassement provisoire des agents placés sous contrôle judiciaire.

L'exemplarité des employeurs publics passe par l'amélioration et la clarification des droits des agents contractuels. Aussi, nous clarifions les règles de calcul de l'ancienneté, nous améliorons les modalités de recrutement, nous transformons des CDD en CDI pour des agents qui occupent des emplois permanents sur des qualifications spécifiques pour lesquelles il n'existe aucun corps de fonctionnaire. La plupart des droits et obligations des fonctionnaires s'appliqueront aux contractuels qui sont, eux aussi, les représentants de l'action publique. Dans la continuité de la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012, nous continuons de résorber le stock de contractuels en permettant leur intégration dans la fonction publique.

Les recrutements directs des agents de catégorie C essuient de nombreuses critiques : un regard extérieur par l'instauration de comités de sélection sera bienvenu.

Nous présenterons quelques amendements pour revenir en partie au texte initial, notamment sur les sanctions pénales en cas de divulgation d'informations relatives aux déclarations d'intérêts, sur la saisine et les compétences de la commission de déontologie. Nous voulons interdire à un fonctionnaire ayant exercé comme cadre dans le privé de percevoir une indemnité de cessation d'activité alors qu'il est réintégré dans la fonction publique.

D'autres amendements prévoient la création, sous six mois, d'un collège commun des employeurs publics ainsi que la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des organisations syndicales.

Nous vous proposons enfin la transposition des dispositifs de déontologie, de sanction disciplinaire et de protection fonctionnelle aux militaires. Compte tenu de l'évolution des activités militaires qui ne sont pas forcément des opérations extérieures (Opex) mais aussi des activités d'encadrement dans des pays difficiles, le ministère de la défense nous a demandé de les faire bénéficier de garanties identiques à celles des autres fonctionnaires.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour votre concision.

M. Alain Vasselle , rapporteur . - Vous avez fait référence au décret qui précisera quels fonctionnaires devront établir des déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale. Combien d'agents seront concernés ?

Le texte issu de l'Assemblée laisse perdurer deux instances, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et la commission de déontologie. Pourquoi ce choix, qui obère la lisibilité du dispositif ?

Pouvez-vous préciser le rôle des futurs référents déontologues ? Comment vont-ils se répartir au sein de l'administration ?

L'harmonisation des sanctions disciplinaires fait couler beaucoup d'encre. L'exclusion temporaire de trois jours n'existe aujourd'hui que dans la territoriale mais l'Assemblée a souhaité qu'elle soit étendue aux deux autres fonctions publiques. Quel est votre sentiment ?

Enfin, le Gouvernement nous a présenté hier sept amendements relatifs au statut des militaires, qui font suite à la concertation que vous avez conduite avec les instances représentatives correspondantes. Ils évoquent des sujets sensibles comme la transposition des règles déontologiques aux militaires et des sujets divers comme l'extension des droits des militaires en Opex, les règles relatives à la procédure disciplinaire... Sujets importants, sur lesquels nous souhaiterions entendre le ministère de la défense. Ne pourriez-vous pas retirer ces amendements pour les représenter en séance publique, ce qui nous laisserait le temps d'entendre en audition les personnes concernées ?

Mme Catherine Troendlé . - Vous m'aviez reçue, madame la ministre, pour que je vous expose les difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses collectivités, notamment celles qui gèrent des crèches. Des personnes sont embauchées sous un statut de contractuels même si elles sont diplômées d'État - infirmières, puéricultrices - et doivent passer un concours dans les deux ans. À défaut, leur contrat n'est pas renouvelé.

Comme vous me l'aviez proposé, j'ai rencontré les représentants des centres de gestion et nous avons convenu qu'il fallait généraliser les concours sur titres dans les professions règlementées, notamment pour les métiers de santé. J'ai pris l'attache des syndicats, qui ne sont pas hostiles à cette solution. Je dois les rencontrer en janvier. Ce texte me paraît constituer un véhicule législatif approprié. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

M. René Vandierendonck . - Ce texte est d'autant plus important que la réforme territoriale se met en place et que la mutualisation entre communes et intercommunalités est encouragée. Pour ce faire, il faut motiver les agents, en levant la prohibition du cumul de rémunérations, quitte à plafonner les rémunérations cumulées. Nous en reparlerons.

De mon temps, lorsqu'on enseignait les principes de la fonction publique, le premier d'entre eux était l'obligation de réserve. Il en est très peu fait mention dans ce texte, même si cette obligation est évolutive et s'adapte en fonction de la jurisprudence. Pourquoi ne pas l'inscrire à l'article 1 er ?

Comme M. Vasselle, je pense que nous devrions simplifier les dispositifs relatifs aux déclarations d'intérêts et de patrimoine, afin de renforcer la transparence. Je pourrais citer des exemples concrets...

La rapporteure de l'Assemblée nationale a eu raison de ne plus confier en première instance la présidence des conseils de discipline aux magistrats des tribunaux administratifs, qui sont déjà surchargés de travail. En revanche, si je comprends la suspension temporaire avec maintien de la rémunération, l'exclusion temporaire de trois jours maximum sans salaire, ne me paraît pas acceptable car elle est prononcée sans saisine du conseil de discipline.

M. Pierre-Yves Collombat . - L'article 8 du projet de loi, qui traite du pantouflage dans la bureaucratie céleste, ne va pas assez loin. Cela me parait pourtant autrement plus important que d'hypothétiques conflits d'intérêts... La commission de déontologie, qui se montre bien timorée, se prononcera : la belle affaire ! On ne peut plus accepter ces passages incessants entre la haute fonction publique et la banque, au nom de l'ouverture sur le monde et des savoirs nouveaux ! Quel cheminement vous a poussée à retenir cette rédaction ?

M. André Reichardt . - Vous souhaitez supprimer le recours à l'intérim, en arguant du faible nombre de personnes concernées. Ne serait-il pas préférable de mieux l'encadrer tout en permettant aux collectivités territoriales, notamment les plus petites, d'y avoir recours de temps en temps ? Comment déneiger, par exemple, quand votre seul agent d'entretien est absent ? L'intérim est une façon de résoudre ce type de problèmes. Je plaide pour un peu plus de souplesse, notamment dans la fonction publique territoriale.

Mme Catherine Di Folco . - Les centres de gestion ont mis en place des services d'intérim pour un important éventail de métiers et notamment pour les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et les personnels d'entretien. C'est une façon d'être au plus près des besoins des collectivités. Quand la collectivité est contente d'un intérimaire, elle redemande à bénéficier de ses services et finit bien souvent par le recruter.

M. René Vandierendonck . - Notamment dans la propreté et la petite enfance.

Mme Catherine Di Folco . - Tout à fait. En tant que présidente d'un centre de gestion, je cultive des viviers géographiques afin d'envoyer les intérimaires sur des postes situés à proximité de leur domicile. Les collectivités ont besoin de ce système performant.

M. Christian Favier . - Je le confirme : ce qui est vrai pour des petites communes l'est tout autant pour de grandes collectivités. Dans mon département, nous gérons 76 crèches et 1 800 personnes. Nous devons remplacer immédiatement les malades et le volant d'agents dont nous disposons ne suffit pas toujours ; si nous ne pouvons faire appel à des intérimaires, nous sommes contraints de fermer des structures, ce qui pénalise les familles.

M. Alain Vasselle , rapporteur . - Il semblerait que le Gouvernement souhaite ajouter, par amendement, une dérogation pour que les fonctionnaires qui interviennent sur les « intérêts fondamentaux de la Nation » puissent rester en fonction jusqu'à 68 ans au lieu de 67 ans. Qui cela concerne-t-il ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Les déclarations d'intérêts porteront sur quelques milliers d'agents, et principalement ceux responsables des marchés publics et des aides directes aux entreprises. L'avantage de cette déclaration est de mettre fin à la suspicion en coupant court aux mauvais procès. On m'a reproché la paperasserie que cette déclaration va entraîner, mais le jeu en vaut la chandelle.

Les déclarations de situation patrimoniale concerneront quelques centaines de fonctionnaires, notamment à la direction du Trésor, à la direction des participations de l'État et dans certains services amenés à négocier avec de grands groupes. Il s'agit d'éviter les recours intentés par des citoyens ou par des concurrents qui suspectent des pratiques illégales. Avec ces déclarations, la vérification sera immédiate.

Revenir sur la dualité entre la commission de déontologie et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ? Nous avons longuement discuté pour parvenir à cet équilibre : comme la Haute autorité ne pourra pas tout faire, elle traitera des conflits d'intérêts. Les départs dans le privé et les créations d'entreprise par des agents publics resteront du ressort de la commission de déontologie.

M. Collombat a évoqué le pantouflage des très hauts fonctionnaires : le plus souvent, les cas qui défraient la chronique concernent des nominations à la discrétion du Gouvernement. Depuis que le Parlement est davantage consulté, ces nominations sont beaucoup plus ouvertes et transparentes.

On me demande de favoriser les allers-retours entre la fonction publique et le privé, je ne vais donc pas les interdire. En revanche, je ne souhaite pas que les fonctionnaires qui reviennent du privé perçoivent des indemnités de départ, alors qu'ils sont simultanément payés à temps plein par l'État ! Mieux vaut des règles bien assises, qui évoluent avec la jurisprudence, plutôt que d'interdire des aller-retours au demeurant peu nombreux.

L'ancienne garde des sceaux que je suis estime que l'exclusion temporaire de trois jours maximum est une sanction lourde. Avec la SNCF, nous avons fait une étude sur l'impact de ces sanctions sur les personnes concernées. Je puis vous assurer que cet impact est très important. Je comprends mal qu'on l'élargisse sans autre forme de consultation du conseil de discipline.

M. René Vandierendonck . - Vous ne serez donc pas fâchée si nous revenons sur le vote de l'Assemblée ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Non, je sais que votre travail sera précis.

Sur les amendements relatifs aux militaires, nous avons terminé nos travaux avec le ministère de la défense la semaine dernière : il a mené un gros travail de concertation. M. le Premier ministre m'ayant demandé de présenter ces amendements, je ne vais pas les retirer, mais vous aurez le temps de procéder à des auditions d'ici la séance publique. Nous devons protéger les militaires, et rappeler qu'être au service de la Défense comporte des droits et des obligations particulières.

Les référents déontologues seront formés mais cette formation se fera sur la base du volontariat. Des crédits spécifiques seront prévus pour aider les employeurs.

J'ai entendu vos remarques sur l'intérim, notamment en ce qui concerne les personnels qui doivent être remplacés immédiatement en cas de maladie. Les organisations syndicales ne voulaient plus d'intérim, mais après de dures négociations, ils l'ont accepté pour les services hospitaliers. Nous parviendrons sans doute à un dispositif équilibré si nous encadrons l'intérim dans les collectivités territoriales en le limitant aux situations d'urgence. Les partenaires sociaux s'inquiètent aussi de la rupture d'égalité entre les intérimaires et les apprentis qui pourraient bénéficier d'une embauche et les personnes passant les concours de la fonction publique. In fine , c'est le jury qui doit décider.

Mme Catherine Troendlé . - Les agents de catégorie C ne passent pas de concours.

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Mais il y a souvent un comité de sélection. Nous devons lever toute suspicion de favoritisme à l'égard de nos modes de recrutement.

À l'heure actuelle, les infirmiers diplômés d'État sont obligés de passer un concours pour travailler en crèche, ou dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous voulons y mettre fin : pour les titulaires d'un diplôme d'État, les recrutements se feraient sur titres. Peut-être pourrons-nous régler cette question par voie règlementaire.

Mme Catherine Troendlé . - Ce serait plus rapide...

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Oui.

Il faut également alléger le travail des magistrats administratifs en les dispensant de présider les conseils de discipline.

M. René Vandierendonck . - Mille fois d'accord !

Mme Marylise Lebranchu, ministre . - Il faut mieux contrôler le départ d'un fonctionnaire vers le privé : la saisine de la commission de déontologie sera obligatoire et son pouvoir d'instruction accru. Les cas les plus difficiles seront scrupuleusement examinés. Je reverrai la Haute autorité pour la transparence de la vie publique avant l'examen de ce texte en séance afin de préciser certains points.

Un certain nombre de hauts fonctionnaires compétents, qui ont des charges de famille, n'ont pas envie de partir car leur retraite est calculée sur le traitement et non sur le régime indemnitaire. Compte tenu de mon âge, j'ai certainement été particulièrement sensible à ces arguments : je me trouve très jeune, et travaillerais volontiers un an de plus !

M. Philippe Bas , président . - Nous transmettrons.

Merci d'avoir pris le temps de nous répondre et d'avoir fait preuve d'esprit d'ouverture. Nous sommes prêts à vous prendre au mot. L'intérim, c'est de l'emploi : dans la situation actuelle, il ne faut rien négliger. Il est difficile de faire évoluer les textes sur la fonction publique si l'on veut systématiquement l'accord des syndicats.

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