D. LES AUTRES MESURES DE POLICE PRISES DANS LE CADRE DE L'ÉTAT D'URGENCE

Au-delà des assignations à résidence et des perquisitions, la mise en oeuvre de l'état d'urgence donne à l'autorité administrative d'autres prérogatives parmi lesquelles la possibilité de prendre des mesures restrictives de la liberté d'aller et venir ou celle de requérir des personnes ou des biens.

À ce titre, depuis le 14 novembre 2015, les décisions suivantes 35 ( * ) ont été prises :

- une trentaine de décisions de remises d'armes prises par les préfets (article 9 de la loi du 3 avril 1955) ;

- une vingtaine d'interdiction de manifester sur la voie publique (article 8 de la loi du 3 avril 1955) ;

- moins d'une dizaine d'interdictions de circulation autour de « sites sensibles » (article 5 de la loi du 3 avril 1955) 36 ( * ) ;

- cinq mesures tendant à créer un périmètre de protection autour d'un site sensible (article 5 de la loi du 3 avril 1955) ;

- une dizaine de fermetures de lieux de réunion (article 8 de la loi du 3 avril 1955), en particulier de lieux de culte ;

- une centaine de réquisitions de personnes, pour l'essentiel des interprètes et des serruriers pour assistance à perquisition, par les préfets (article 10 de la loi du 3 avril 1955).

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2015 a inséré une possibilité 37 ( * ) , complémentaire à la procédure de droit commun prévue à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, de dissoudre par décret en conseil des ministres « les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ». Par dérogation avec le cadre juridique général de l'état d'urgence en vertu duquel les mesures de police administrative cessent de produire leurs effets une fois l'état d'urgence levé, cette dissolution présente un caractère pérenne.

Dans son rapport précité sur le premier projet de loi de prorogation, le président Philippe Bas précisait l'intérêt juridique « limité » de cette nouvelle prérogative de l'état d'urgence, jugeant que les nouvelles dispositions se bornaient à transposer au sein de la loi du 3 avril 1955, « sans l'assouplir », le régime de droit commun prévu par le code de la sécurité intérieure.

Votre rapporteur relève d'ailleurs que le Gouvernement a procédé, lors du conseil des ministres du 13 janvier 2016, à la dissolution de trois associations cultuelles 38 ( * ) en prenant appui, non pas sur l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955, mais sur la procédure de droit commun. Cette dissolution, qui n'a pas été contestée devant la juridiction administrative, apparaît au demeurant parfaitement justifiée 39 ( * ) .

De même, à la suite de l'adoption par les députés d'un amendement lors du débat sur le projet de loi de modernisation de la loi de 1955, le ministre de l'intérieur a désormais la possibilité de prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie (II de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955).

Ces dispositions se substituent à celles qui permettaient, dans la rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015, à l'autorité administrative de prendre « toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Dans la version d'origine, cette prérogative était, comme les perquisitions administratives, soumise à la nécessité d'une mention expresse dans le décret déclarant, ou la loi prorogeant, l'état d'urgence. Désormais, les nouvelles dispositions sur le blocage des sites sont applicables sans mention expresse.

Il apparaît que cette faculté n'a pas été utilisée par le pouvoir exécutif depuis l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2015, alors que, dans le même temps, il a été fait usage à plusieurs reprises des dispositions de l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 40 ( * ) permettant à l'autorité administrative de demander le retrait de contenus ou de procéder à des blocages de sites Internet provoquant à des actes terroristes ou faisant l'apologie de tels actes.

Le blocage administratif des contenus faisant l'apologie du terrorisme

Depuis la loi du 13 novembre 2014 41 ( * ) , l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique permet de bloquer les contenus publiés en ligne qui relèvent d'une qualification pénale, notamment de l'article 421-2-5 du code pénal qui réprime la provocation à des actes de terrorisme ou l'apologie de ceux-ci.

Cette procédure de blocage administratif s'articule principalement autour de deux étapes : une phase « amiable » de demande de retrait et une procédure technique de blocage et de déréférencement des adresses.

Lorsqu'il est constaté qu'un contenu en ligne relève de l'infraction pénale d'apologie d'actes de terrorisme, l'OCTLIC 42 ( * ) , l'office de lutte contre la cybercriminalité, demande à l'éditeur ou à l'hébergeur de ce contenu de le retirer dans un délai de 24 heures à compter de cette notification 43 ( * ) .

Si le contenu n'est pas supprimé, l'adresse électronique 44 ( * ) de ce contenu est alors inscrite sur une liste, notifiée aux fournisseurs d'accès internet qui doivent dès lors bloquer sans délai l'accès à ces adresses. En pratique, ce sont les annuaires de sites web (dits « DNS ») de chaque fournisseur d'accès internet (FAI), qui ont pour rôle de convertir les adresses URL en adresses IP, qui refusent automatiquement aux utilisateurs de ces FAI d'accéder aux pages Internet dont l'adresse IP figure sur la liste des contenus illicites.

Toutes les demandes de retrait et d'inscription à la liste sont transmises à une personnalité qualifiée, désignée en son sein par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour la durée de son mandat dans cette commission, qui s'assure de leur régularité et de leur mise à jour.

Ainsi, selon les données fournies par la CNIL, depuis le 14 novembre 2015, 896 demandes 45 ( * ) de retrait de contenus provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie avaient été adressées aux éditeurs de sites, ou à défaut aux fournisseurs d'accès. En outre, la personnalité qualifiée de la CNIL avait reçu, depuis la même date, neuf demandes de mise à jour de la liste des sites bloqués 46 ( * ) , sept d'entre elles s'étant traduites par un ajout à cette liste.


* 35 Les statistiques fournies pour ces mesures sont moins précises que celles présentées pour les assignations à résidence et les perquisitions car elles font l'objet d'un suivi encore incomplet de la part du ministère de l'intérieur.

* 36 Votre rapporteur a en particulier interrogé le ministre de l'intérieur, par lettre en date du 8 décembre 2015, sur les raisons, éloignées de la prévention du terrorisme, qui avaient conduit la préfète du Pas-de-Calais à instaurer une zone de protection autour de la RN216 dite « rocade portuaire » de Calais par arrêté du 1 er décembre. Dans sa réponse en date du 15 décembre, le ministre a rappelé le contexte particulier de la région calaisienne et indiqué, dans le droit fil de la jurisprudence récente du Conseil d'État, qu'une telle décision était de nature à faciliter le travail des forces de l'ordre dans un contexte de menace élevée.

* 37 À l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955.

* 38 Décret du 14 janvier 2016 portant dissolution de trois associations (Journal officiel n° 0012 du 15 janvier 2016 - texte n° 26).

* 39 Selon l'exposé des motifs du décret, ces associations auraient notamment favorisé le départ d'une quinzaine de personnes pour aller combattre sur les théâtres syro-irakiens et auraient appelé les militants pro-djihadistes présents en France à commettre des actions terroristes sur le territoire national.

* 40 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 41 Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

* 42 Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, service interministériel à compétence nationale créé par le décret n° 2000-405 du 15 mai 2000.

* 43 En l'absence de mise à disposition par l'éditeur du contenu des mentions légales obligatoires (éléments d'identification personnelle, inscription au registre du commerce, etc.), il est possible d'inscrire le contenu sans délai sur la liste des sites bloqués qui est notifiée aux fournisseurs d'accès internet.

* 44 Il est possible d'accéder à une page internet via son adresse IP ou son adresse URL.

* 45 1 042 demandes avaient été formulées pour l'année 2015.

* 46 Liste qui comprend aujourd'hui 291 sites bloqués.

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