B. LE CONTENTIEUX DES PERQUISITIONS ADMINISTRATIVES

1. La jurisprudence administrative

À l'inverse des mesures d'assignations à résidence, les perquisitions n'ont que très peu fait l'objet de recours devant le juge administratif . Selon les informations transmises à votre rapporteur, au 26 janvier 2016, seule une vingtaine de recours (soit moins de 1 % des perquisitions) avait été déposée par des personnes ayant fait l'objet d'une perquisition administrative.

À titre liminaire, votre rapporteur émet l'hypothèse que ce faible taux de recours juridictionnel peut vraisemblablement s'expliquer par l'absence de délivrance systématique aux personnes concernées de l'arrêté de perquisition les concernant et de leur information concernant les voies de recours. Or, sans notification de l'acte contesté, les personnes concernées ne peuvent déposer un recours. Elles doivent, au préalable, solliciter le préfet aux fins d'obtenir copie de cet arrêté 64 ( * ) .

Par ailleurs, ce faible nombre peut s'expliquer par l'impossibilité de saisir la juridiction administrative pendant le déroulement de la perquisition et par l'absence d'effets juridiques d'une saisine du juge des référés , une fois l'opération achevée. Comme l'a rappelé le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 26 novembre 2015, saisi d'une requête en référé-suspension, il n'est possible de demander la suspension d'une décision administrative « qu'à la condition qu'une telle décision soit encore susceptible d'exécution » 65 ( * ) . De fait, toute requête aux fins de suspension, concernant une perquisition, est sans objet et doit être rejetée par le juge administratif, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

Les perquisitions peuvent néanmoins faire l'objet d'un contrôle de légalité par le juge administratif , par la voie d'un recours en excès de pouvoir. Les actes administratifs annulés sont réputés n'être jamais intervenus. Néanmoins, en l'absence de procédure judiciaire postérieure, la perquisition ayant produit tous ses effets, l'annulation par le juge administratif est d'une portée très limitée. Dans le cas d'une procédure judiciaire conduite sur le fondement d'éléments recueillis lors d'une perquisition administrative, l'annulation pour illégalité par le juge administratif de l'ordre de perquisition du préfet présenterait le caractère d'une décision à l'autorité absolue, qui s'imposerait alors à la juridiction correctionnelle saisie. Néanmoins, en vertu de l'article 111-5 du code pénal, les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité des actes administratifs, tel un arrêté d'une perquisition, et peuvent décider de son annulation erga omnes 66 ( * ) . Dès lors, le seul recours en excès de pouvoir (contentieux de l'annulation) ne présente que peu d'intérêt.

En conséquence, les perquisitions administratives ne peuvent être efficacement contestées devant la juridiction administrative que sur le fondement de l'engagement de la responsabilité de la puissance publique.

Plusieurs raisons expliquent le faible nombre de recours en indemnisation.

En premier lieu, ce type de requête exige de recourir à un avocat, susceptible d'engendrer des coûts. En second lieu, les conditions du régime d'indemnisation semblent particulièrement restrictives. En effet, sous réserve de l'interprétation de la juridiction administrative, l'administration retient que la responsabilité de l'État ne peut être engagée qu'après avoir démontré l'existence d'une faute lourde . Dans une circulaire du 25 novembre 2015, le ministre de l'intérieur considère que le seul fait d'« enfoncer la porte ou de causer des dégâts matériels ne devrait pas être à lui seul constitutif d'une faute lourde ».

Cette position pourrait apparaître contestable au regard des divers motifs ayant conduit aux 3 299 perquisitions. En effet, selon les informations transmises à votre rapporteur, un grand nombre de perquisitions ont eu pour motif de « lever les doutes » ou d'« approfondir du renseignement », soit un filet d'intervention particulièrement large. Ces motifs expliquent ainsi que seules 15 % des perquisitions ont permis la découverte d'objets illicites et entrainé des procédures judiciaires incidentes.

Néanmoins, cette pratique policière reste légale. En effet, les perquisitions administratives peuvent avoir légalement lieu dans tout lieu susceptible d'être fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Dès lors, des perquisitions ont, dans de nombreux cas, eu lieu aux domiciles de personnes qui ne constituent pas une menace mais dont le domicile pourrait être fréquenté par une telle personne. Dès lors, l'exigence d'une faute lourde à l'égard d'une personne qui, sans être un tiers à l'opération, n'est pas strictement la personne mise en cause, peut apparaître excessive.

De plus, l'évolution de la jurisprudence administrative se caractérise par un mouvement notable de réduction des hypothèses de responsabilités pour faute lourde. Ainsi la faute lourde a-t-elle été abandonnée pour des activités où l'urgence constitue un élément essentiel : les secours d'urgence ( CE, 20 juin 1997, Theux ), le sauvetage en mer ( CE, 13 mars 1998, Améon ), et les services de lutte contre les incendies ( CE, 29 avril 1998, Commune de Hannapes ).

Outre le régime de la faute lourde, les délais de jugement de ce type de recours indemnitaires peuvent expliquer ce nombre très faible de recours juridictionnels. En 2014, un délai moyen de dix mois séparait le dépôt d'une requête de son jugement par le tribunal administratif, en raison du temps nécessaire de l'instruction 67 ( * ) . Ce délai était de onze mois devant les cours administratives d'appel et de huit mois devant le Conseil d'État.

L'ensemble de ces raisons expliquent que moins de 1 % des perquisitions administratives, qui représentant pourtant près de 90 % des mesures prononcées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955, font l'objet d'un recours juridictionnel destiné à vérifier la nécessité et la proportionnalité de la mesure mais aussi des conditions de son exécution.

2. Le Conseil constitutionnel examinera prochainement la conformité du dispositif à la Constitution

Le Conseil d'État a examiné une requête de la Ligue des droits de l'homme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 25 novembre 2015 du ministère de l'intérieur relative aux perquisitions. En appui de cette requête, a été soulevée une question prioritaire de constitutionnalité concernant les perquisitions administratives prévues à l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, en ce qu'elles mettent en cause l'inviolabilité du domicile et méconnaîtraient les exigences de l'article 66 de la Constitution ou de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Considérant que cette question était nouvelle et sérieuse, le Conseil d'État 68 ( * ) a décidé de la transmettre au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel n'avait toutefois pas encore rendu sa décision à l'heure où votre commission est tenue de se prononcer sur la prorogation de l'état d'urgence.


* 64 Dès lors, aucun délai de recours ne peut être opposable à l'intéressé. En effet, la forclusion ne peut être invoquée que si la personne a été expressément informée au préalable de son droit au recours et des délais dans lesquels il s'exerce (deux mois).

* 65 Juge des référés du tribunal administratif de Paris, ordonnance n° 1519341/9 du 26 novembre 2015.

* 66 Ainsi, dans une décision du 13 janvier 2016, le tribunal correctionnel de Grenoble a annulé quatre arrêtés de perquisition ne mentionnant aucun nom mais une seule adresse d'immeuble. De même, le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand a annulé un ordre de perquisition, pour défaut de motivation, par un jugement en date du 1 er février 2016.

* 67 Le Conseil d'État et la justice administrative, acteurs de la vie publique, bilan d'activité 2014.

* 68 Conseil d'État, décision n° 395092 du 15 janvier 2016.

Page mise à jour le

Partager cette page