ANNEXE 1 - COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. JEAN-JACQUES URVOAS,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

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MARDI 22 MARS 2016

M. Philippe Bas , président . - Merci, Monsieur le ministre, d'avoir accepté cette nouvelle audition, très importante pour nous, sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Notre rapporteur, Michel Mercier, est l'un des auteurs - avec deux autres collègues et moi-même - de la proposition de loi que le Sénat a adoptée il y a quelques semaines, et qui converge sur de nombreux points avec ce texte, déjà adopté par l'Assemblée nationale.

Notre commission souhaiterait aussi vous entendre sur les conséquences de l'arrestation de Salah Abdeslam et sur les procédures en cours avec la justice belge pour pouvoir le juger en France. Peut-être pourrez-vous aussi nous transmettre des informations sur l'enquête relative aux terribles attentats de Bruxelles ce matin ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice . - Lorsque nous avons prévu cette audition, nous ne pensions pas que l'actualité nous rappellerait avec une telle intensité la nécessité de répondre au défi du terrorisme. Celui-ci est devenu notre horizon quotidien et la principale menace sur la sécurité mondiale.

Depuis toujours, nous avons une coopération d'une très grande fluidité avec le parquet fédéral belge. Le 1 er février, lors de mon premier déplacement comme garde des sceaux, je me suis rendu à Bruxelles avec le Premier ministre et le ministre de l'intérieur pour y rencontrer nos homologues et les directeurs des services, ainsi que le procureur général Van Leeuw.

Plusieurs outils sont exploités entre nos deux pays : treize mesures d'entraide judiciaire internationale en matière pénale sont en cours actuellement entre la France et la Belgique ; j'ai annoncé la nomination d'un 18 ème magistrat de liaison ; quatre équipes communes d'enquête franco-belges travaillent ensemble : une sur les attentats dans le Thalys, une sur la cellule terroriste de Verviers, une sur l'attentat de Mehdi Nemmouche au musée juif de Bruxelles, une sur les attentats parisiens du 13 novembre. Les documents ont été renforcés le 27 novembre pour couvrir la totalité des cadres devant être mobilisés. La coopération est donc très large.

Je n'ai pas d'informations particulières sur Salah Abdeslam. Un mandat d'arrêt européen a été notifié aux autorités belges samedi après-midi, réactualisant le précédent pour y intégrer les informations de la matinée et garantir l'exhaustivité de l'enquête. M. Abdeslam ne veut pas être poursuivi en France et a 90 jours pour user de toutes les voies de recours, mais au-delà, la justice belge n'aura a priori aucune réticence à nous le transférer. J'ai garanti aux victimes qu'il serait incarcéré à Fleury-Mérogis avec toutes les précautions nécessaires : Yassin Salhi, connu pour ses actes atroces en Isère, s'est suicidé en prison alors qu'il n'avait pas été diagnostiqué en proie à ces tendances. Nous ne voulons pas de chaise vide au procès et le prisonnier sera donc très surveillé.

C'est au procureur général de Paris que revient d'abord la communication sur les attentats de Bruxelles. Des Français ont été blessés, certains peut-être tués, une enquête pourrait donc être centralisée au parquet de Paris, selon les articles 706-16 et 706-22 du code de procédure pénale.

Le texte présenté s'inscrit dans une très ancienne tradition. Notre système restructuré de lutte antiterroriste est souvent présenté comme avant-gardiste, voire un modèle à suivre. Veillons à ce que les adaptations respectent scrupuleusement l'encadrement démocratique, sans atteindre à l'État de droit par des politiques par trop dérogatoires. En matière de terrorisme, cet encadrement est incarné par le juge.

Ce projet de loi poursuit le dialogue que nous avions entamé le 2 février dernier dans l'hémicycle lors de l'examen de la proposition de loi de MM. Bas et Mercier. Nous avançons sur le même chemin, poursuivons le même but et travaillons sur des solutions comparables, comme les perquisitions de nuit, le suivi socio-judiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ou la captation de données informatiques. Pourquoi n'aboutirions-nous pas à un accord ?

Ce projet de loi a trois ambitions : renforcer les moyens des magistrats dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ; renforcer les garanties au cours de la procédure pénale, notamment au cours de l'enquête et de l'instruction, pour rendre notre procédure totalement conforme aux exigences constitutionnelles et européennes ; procéder à des simplifications, à tous les stades de la procédure, qui faciliteront le travail des enquêteurs et des magistrats.

Ces objectifs sont le fruit d'une volonté polyphonique, avec un choeur de trois ministères faisant écho aux trois commissions du Sénat, puisque la commission des affaires étrangère et de la défense et la commission des finances sont saisies pour avis. J'ai lu les propos des rapporteurs pour avis, qui me semblent de bon augure.

Le ministre de l'intérieur présente des mesures pour lutter contre le terrorisme, dont la plupart proviennent des observations liées à l'application de l'état d'urgence. Je dissipe une critique : aucune mesure en vigueur dans l'état d'urgence ne sera transposée dans le droit commun par ce projet. Celui-ci comble des manques : création d'une retenue administrative de quatre heures pour des personnes contrôlées qui seraient liées à des activités terroristes, contrôle administratif des personnes de retour d'un théâtre d'opérations terroristes, un nouveau fait justificatif de l'usage des armes par les forces de l'ordre.

Le ministre de l'économie défend des dispositions sur le financement du terrorisme et le blanchiment, comme la répression du trafic de biens culturels provenant de zones contrôlées par des terroristes, le renforcement des pouvoirs de la cellule Tracfin, ou encore la réglementation des cartes prépayées.

Quant à moi, je souhaite renforcer la protection de nos concitoyens dans le cadre intangible de l'État de droit, avec un regard particulier de l'autorité judiciaire, qui tient une place à la fois symbolique et opérationnelle.

D'aucuns dénoncent un énième texte de lutte antiterroriste, un fourre-tout, avec désormais 90 articles. À l'origine, il y en avait 34, 60 après le passage devant la commission des lois de l'Assemblée et 90 après la séance publique - sans aucun amendement du Gouvernement. Pourquoi ? Les députés ont voulu limiter, avec l'accord du Gouvernement, les habilitations à légiférer par ordonnance. Il en reste une seule, pour transposer une directive européenne qui ne pose pas de difficulté. L'Assemblée a aussi réintroduit une partie des dispositions qu'elle avait déjà adoptées dans le texte portant diverses dispositions d'adaptation du droit pénal au droit de l'Union européenne... et que les sénateurs avaient découvertes avec réticence en commission mixte paritaire. La censure du Conseil constitutionnel nous conduit à recommencer l'exercice.

J'ai ajouté des mesures de simplification, puisque je dispose des diagnostics posés par trois magistrats, missionnés par Mme Taubira : le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a remis à l'automne 2013 un rapport sur le ministère public, régulièrement objet d'injustes critiques de la Cour européenne des droits de l'homme ; le procureur général Jacques Beaume a remis un rapport sur l'enquête pénale en juillet 2014 ; et le procureur général Marc Robert a formulé des préconisations sur la cybercriminalité en septembre 2015.

J'ai déposé 19 amendements devant votre commission. Neuf portent sur des mesures de simplification - sur l'instruction, la gestion des scellés, les procédures... Quatre concernent l'encadrement de fichiers - Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT), Traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) - notamment sur l'effacement. Deux portent sur l'administration pénitentiaire et les conditions de détention. Sont aussi prévus le recours à la force publique pour faire comparaître une personne mise en cause, et des peines complémentaires en matière d'association de malfaiteurs ou de financement du terrorisme.

Nous avons donc trois orientations : modernisation de la procédure pénale, simplification, accroissement des garanties du justiciable. Nous souhaitons renforcer la place du contradictoire. Depuis vingt ans, les enquêtes dirigées par le procureur de la République sont de plus en plus nombreuses, comparativement à celles dirigées par le juge d'instruction. Or, l'avocat est moins présent au cours de la procédure et il n'y a pas de contradictoire - accès au dossier, faculté de produire des observations... Si cette situation ne pose pas de difficulté dans les affaires les plus simples où les faits sont reconnus, elle est moins satisfaisante dans le cas d'une enquête approfondie. Renforçons donc le contradictoire, la présence de l'avocat dans la procédure, les possibilités de recours. Le justiciable ou l'avocat pourront avoir accès au dossier avant l'engagement des poursuites ; la présence de l'avocat sera garantie lors des reconstitutions et des séances d'identification des suspects ; les personnes en garde à vue auront un droit de communication avec les tiers sauf incompatibilité avec l'enquête ; il sera possible d'exercer un recours en l'absence de réponse à une demande dans un délai de deux mois. Cela confortera l'équilibre entre police administrative et police judiciaire, entre les magistrats du parquet et ceux du siège, et entre le parquet et la police judiciaire.

Enquêteurs et magistrats sont accaparés par trop de contraintes procédurales. D'après tous les rapports, elles n'apportent rien au justiciable ni à la sauvegarde des libertés. Nous allégeons le texte en donnant au délégué du procureur la possibilité de convoquer en justice, afin que les magistrats et les enquêteurs se concentrent sur leur travail d'enquête. Nous étendons la possibilité de recourir à la visioconférence pour limiter le transfèrement des détenus, soit un gain de temps et d'argent. Nous simplifions la possibilité de prononcer des travaux d'intérêt général, même en l'absence du détenu à l'audience, lorsqu'il a donné son accord et qu'il est représenté par son avocat. Toutes ces mesures consolideront les outils dont chacun reconnaît la pertinence.

M. Philippe Bas , président . - Les textes enflent à chaque étape de la procédure législative. En cas de procédure accélérée, la première assemblée saisie découvre en commission mixte paritaire les amendements adoptés par l'autre assemblée. Nous avons suffisamment de déplaisir lorsque cela nous arrive pour être sensible aux intérêts de l'Assemblée nationale. Nous nous livrerons avec sérénité à cet examen. Introduire un trop grand nombre d'amendements, quel que soit leur intérêt, pose des difficultés de procédure. Nous connaissons bien une partie des dispositions, qui reprennent notre travail. Nous exercerons néanmoins la plénitude de nos pouvoirs, veillerons à ce que les dispositions votées par l'Assemblée ne soient pas en-deçà de nos exigences, et serons sensibles aux observations du Gouvernement sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence et sur l'insuffisance de certains dispositifs de police - non liés aux procédures pénales. Enfin, nous veillerons à maintenir un équilibre.

M. Michel Mercier , rapporteur . - Ce projet de loi adopté par l'Assemblée comporte certaines dispositions figurant dans la proposition de loi de M. Bas et de trois de nos collègues...

M. Philippe Bas , président . - ... dont M. Mercier !

M. Michel Mercier , rapporteur . - ... adoptée par le Sénat en février dernier. Vous faites donc un effort - faible, mais nous espérons qu'il s'accentuera au cours de la discussion ! Nous proposons de supprimer certains points qui bouleversent l'unité profonde du texte, notamment à la fin, pour en conserver la cohérence. Nous armons la justice. Si les procédures de droit commun sont suffisamment efficaces pour lutter contre le terrorisme, nous n'aurons plus besoin de l'état d'urgence. Nous souhaitons par exemple que les moyens matériels d'enquête ouverts aux services de renseignement le soient aussi au procureur et au juge d'instruction. Nous nous accordons tous pour que l'État soit plus efficace, mais ne ferons pas fi des libertés publiques ni des droits fondamentaux : nous visons surtout des dispositions présentées par le ministère de l'intérieur, mais le Gouvernement est un.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux . - Vous parlez d'or !

M. Michel Mercier , rapporteur . - Attention, sous couvert d'efficacité, aux mesures qui semblent bonnes mais sont en réalité néfastes, comme l'introduction du contradictoire dans l'enquête préliminaire. Désormais, le nouveau couple procureur - juge des libertés et de la détention (JLD) traite 98 % des procédures et le juge d'instruction, ce qui reste. Quel statut du JLD prévoyez-vous ? Ses décisions sont, pour beaucoup d'entre elles, aujourd'hui sans recours... sauf à aller en cassation. Quel sera le rôle exact du JLD dans la procédure ?

Selon le procureur général Jacques Beaume, le procès est un : il ne faut pas juger des droits accordés aux parties sur une section du procès mais sur sa totalité. La garantie pour les parties existe lors de l'enquête judiciaire ; y instiller du contradictoire nuirait à l'efficacité. Demain, je déposerai probablement des amendements en commission sur ce sujet. Le contradictoire doit être dans le procès et non dans l'enquête, comme l'ont observé M. Jacques Beaume et M. Jean-Louis Nadal, autorités incontestées !

Nous reparlerons de la législation sur les armes, aspect très important.

Vous prenez en compte le souhait des policiers de se servir plus légitimement de leurs armes lors d'interventions durant lesquelles des voyous ou des terroristes ont déjà tiré. L'Assemblée nationale a voté un article très intéressant, mais fort complexe. Nos policiers devront, s'ils veulent dégainer, avoir sous un bras le dictionnaire, sous l'autre le code pénal. Nous ferons une proposition.

Les perquisitions de nuit et les fouilles des véhicules, voilà des sujets qui auraient dans le passé paralysé net tout débat. Les esprits ont évolué. La retenue de quatre heures s'explique par la nécessité d'approfondir les recherches lorsque la personne contrôlée est fichée. Nous encadrerons cependant les dispositions adoptées à l'Assemblée nationale. Surtout, on ne peut traiter un mineur comme un adulte, sans avertir son représentant légal, l'aide sociale à l'enfance (ASE), le procureur de la République. Nos services sont efficaces : deux heures leur suffisent pour les vérifications, pas quatre heures !

Vous voulez assigner à résidence les personnes revenant d'un théâtre d'opérations terroristes - c'est-à-dire de partout ! Cela pose un vrai problème : dans notre proposition de loi, nous avions clairement choisi de judiciariser au maximum toutes les opérations de lutte contre le terrorisme, en créant des incriminations : le fait d'être allé sur place constituerait une infraction. Le Gouvernement n'a pas souhaité nous suivre, ni lors de la discussion de cette proposition de loi, ni aujourd'hui. Je reconnais que notre proposition n'a pas suscité l'enthousiasme lors des auditions. Mais l'Assemblée nationale prévoit l'assignation à résidence : monsieur le ministre, si vous ne souhaitez pas intégrer de mesure de l'état d'urgence dans ce projet de loi, modifiez cet article ! Je présenterai un amendement limitant les pouvoirs de l'autorité administrative.

Grâce à vous, monsieur le ministre, le nombre d'articles augmentera d'une vingtaine d'amendements.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux . - Très exactement, 19.

M. Michel Mercier , rapporteur . - Nous aurons un gros travail d'examen, car bien des questions restent ouvertes, sur le couple procureur-JLD, sur le régime des peines, les retenues pour les mineurs, etc. Peut-être devrons-nous y revenir à l'occasion d'une réforme plus large du code pénal ou du code de procédure pénale, cependant le travail sera loin d'être terminé après ce texte, qui est seulement une étape - importante.

M. Pierre-Yves Collombat . - Monsieur le ministre, vous balayerez peut-être ma première question d'un revers de main : voici un énième texte, alors que nous connaissons le terrorisme depuis les années 1980, et même avant. Compte tenu de l'importance de cette question, pourquoi n'avons-nous pas pris le temps - nous sommes en guerre, paraît-il - de constituer un corpus juridique résistant au temps et pouvant régler par avance ces questions ? Disposera-t-on un jour d'un ensemble cohérent qui ne sera pas changé à chaque nouveau crime ? Faut-il à chaque fois une nouvelle liste de courses ?

La partie sur le financement du terrorisme est bien trop restreinte, avec seulement trois mesures principales, alors qu'il s'agit du nerf de la guerre. On n'ennuie guère les banquiers sur l'opacité des transferts de capitaux - je fais du mauvais esprit...

Selon vous, aucune des mesures ne transpose celles de l'état d'urgence. Pour notre rapporteur, au contraire, une bonne loi est celle qui rend l'état d'urgence permanent ; ce n'est pas ma façon de voir. Pourriez-vous nous donner des éclaircissements à ce sujet ?

M. Jacques Bigot . - Ce texte, concentré sur le crime organisé et le terrorisme, réforme également, et profondément, la procédure pénale, avec un rôle important du procureur et du JLD. J'ai des interrogations sur les articles 18 et 20. Des personnes soupçonnées d'intentions terroristes, à leur retour d'un théâtre d'opérations, pourraient faire l'objet d'un contrôle administratif, gênant pour l'État de droit. La rédaction initiale de cet article, dont le 1° a été supprimé, permettait d'arrêter ces personnes, de saisir le juge d'instruction, et de mettre en oeuvre un contrôle judiciaire. Selon certains magistrats, le délit créé dans la proposition de loi ouvrait aussi des possibilités... C'est un vrai point de débat.

Mme Catherine Tasca . - Merci pour cette présentation extrêmement construite et claire. Ce texte a davantage de cohérence et de structuration que n'en a vu M. Collombat : cette « liste de courses » repose sur des enseignements très concrets tirés de l'expérience actuelle et de l'état d'urgence. La place du contradictoire fait l'objet de nombreuses critiques des avocats ; êtes-vous allé aussi loin que possible ? Pourquoi doubler la retenue à quatre heures ? Que permettra concrètement cet allongement ? J'approuve le rapporteur qui considère qu'une solution spécifique doit être trouvée pour les mineurs.

M. Alain Vasselle . - Je déposerai quelques amendements sur le financement du terrorisme. La législation actuelle est-elle suffisamment coercitive et contraignante pour limiter la contrefaçon, qui participe au financement du terrorisme ?

Mme Cécile Cukierman . - Nous débattrons sur l'ensemble du texte en séance, entre les esprits qui évoluent et ceux qui résistent... Selon vous, la simplification permet à la justice d'être plus efficace et plus rapide ; mais elle ne palliera pas le manque de moyens. La visioconférence, loin de régler ces difficultés matérielles, fera perdre leur solennité aux auditions, y compris sur des affaires du quotidien.

Que pensez-vous de l'habilitation donnée à l'administration pénitentiaire de procéder à des écoutes ? Lors du débat sur la loi relative au renseignement, notre groupe y était hostile, pour éviter le mélange des genres.

M. François Grosdidier . - Je partage les remarques du rapporteur sur l'utilisation des armes et celles de mes collègues sur les sources de financement. Pourquoi une nouvelle mesure de sanction des officiers ou des agents de police judiciaire à l'article 23 ? Ce nouveau dispositif disciplinaire d'urgence est-il vraiment nécessaire ?

Parmi les forces de l'ordre, beaucoup dénoncent la surtransposition de la directive d'octobre 2013 qui multiplie les contraintes administratives, au détriment du travail de terrain. Cette transposition est-elle nécessaire ou exagérée ? Que pensez-vous des caméras mobiles, qui protègent les contrevenants de bavures, les policiers de remises en cause abusives, et qui servent de point d'appui précieux aux magistrats ?

Dans ma modeste commune qui compte 22 agents pour 14 000 habitants, et où deux équipages tournent chaque nuit - contre quatre pour 230 000 habitants dans la police nationale - le système est opérationnel depuis longtemps. Élaborer un cadre juridique pour les caméras mobiles individuelles, d'accord, mais j'ai été surpris de voir que les députés limitaient le dispositif aux polices municipales des communes situées en zone de sécurité prioritaire : la mienne, parce que le taux de délinquance a chuté de 50%, n'en fait plus partie... Ouvrons-le plutôt à toutes les polices municipales liées à l'État par une convention de coordination. Les conditions d'utilisation de ces techniques sont en outre, depuis la loi sur la sécurité dans les transports collectifs, plus restrictives pour les forces de sécurité publiques que pour les agents de sécurité privés. Ne faudrait-il pas faire converger les deux régimes ?

M. Alain Richard . - L'article 24 élargit les conditions d'accès au dossier pendant l'enquête. Or, d'après nos auditions, cela nuirait à l'efficacité de l'enquête et serait très consommateur de moyens humains. Qu'en pense le Gouvernement ? L'impact d'une telle mesure a-t-il pu être évalué ? Le Gouvernement fera-t-il des propositions de modification ?

M. François Pillet . - Alors que le rôle du juge des libertés et de la détention s'accroît, il serait bon de prévenir les critiques adressées naguère au juge d'instruction en lui garantissant un statut solide. Le Sénat a pris une position claire lors de l'examen du projet de loi pour la justice du XXI ème siècle et du projet de loi organique relatif au statut des magistrats. Le JLD sera-t-il un juge expérimenté, par exemple un magistrat de premier grade comme nous le souhaitons, ou bien un juge sortant de l'école ? Sera-t-il nommé par décret ou, comme c'est le cas aujourd'hui, par le président du tribunal de grande instance ? Le Sénat souhaitait conserver cette dernière solution, après avis conforme de l'assemblée générale du TGI.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux . - Merci pour la diversité de vos questions. Conséquence du caractère choral du texte, une grande partie est en fait adressée au ministre de l'intérieur. Le Gouvernement a d'ailleurs proposé au Sénat d'examiner ses dispositions par blocs : avec le ministre de l'intérieur dès le 29 mars, le ministre de l'économie ensuite, sur les questions de financement du terrorisme et de blanchiment d'argent, et moi-même enfin.

Tirons-nous parti d'un arsenal juridique solide ou sommes-nous pris de court par les événements ? Sans doute un peu les deux. Il existe un modèle français, celui de l'association de malfaiteurs à but terroriste, infraction créée en 1986, qui s'est révélée très efficace. Mais la situation a changé : Daech n'existait pas en 1986, et les technologies ont profondément muté. Voyez les difficultés qu'a le FBI pour obtenir d'Apple les informations utiles à la lutte antiterroriste - problème impensable il y a encore cinq ans, et qui est devenu un défi quasi quotidien. L'application la plus utilisée par Daech, Telegram, évolue elle-même rapidement. Le texte parfait n'existe donc pas. J'ai toujours considéré que le droit était moins affaire de connaissance que d'interprétation ; la discussion pourrait durer longtemps - pour preuve, dix-neuf amendements ont été déposés au Sénat alors que la discussion à l'Assemblée nationale remonte à peine à quinze jours...

La position du Gouvernement comme celle du Parlement s'enrichit chaque jour de l'expérience de ceux dont la lutte antiterrorisme constitue le quotidien, et je me félicite que nous ayons renforcé leurs moyens : les 302 millions d'euros débloqués sur trois ans après les attentats de Charlie Hebdo, dont 190 en 2016, ont en effet permis de mobiliser davantage de personnel. Six des neuf juges d'instruction du pôle antiterroriste travaillent par exemple sur les attentats du 13 novembre ; la section antiterroriste du parquet de Paris compte désormais onze magistrats ; la dernière promotion de l'École nationale d'administration pénitentiaire comptait, en juillet, 980 surveillants pénitentiaires, financés sur les programmes du plan de lutte antiterroriste ; 228 magistrats, autant de greffiers, 15 assistants spécialisés dans l'antiterrorisme ont également été rendus opérationnels.

Un nouveau couple, formé par le procureur et le JLD, est en train de naître. La responsabilité donnée à l'un doit être équilibrée par le pouvoir de contrôle octroyé à l'autre. C'est une question de statut, mais aussi de moyens : le tribunal de grande instance de Paris compte plusieurs JLD à temps plein, tandis que le président de celui de Saint-Omer exerce cette fonction à titre subsidiaire... Sur ce point comme sur la collégialité de l'instruction
- applicable au 1 er janvier 2017, ce qui implique de prévoir les moyens appropriés ou de réduire le champ d'application, car je ne veux pas reporter une quatrième fois l'échéance - il est temps d'avancer, car chaque nouveau texte modifiant la procédure pénale donne au JLD des compétences supplémentaires. Les présidents de TGI ne sont pas favorables à ce que les JLD soient nommés par décret ; le Gouvernement y voit pourtant une garantie pour celui qui exerce cette responsabilité.

Monsieur Vasselle, l'arsenal juridique relatif au financement du terrorisme permet de combattre aussi la contrefaçon, ne l'alourdissons pas.

Madame Tasca, la rapporteure de l'Assemblée nationale, Colette Capdevielle, avait déposé en commission un amendement qui aurait élargi les possibilités d'accès au dossier, mais l'analyse par nos services a montré que cela aurait concerné près de 375 000 procédures... Elle s'est donc rangée à notre position - qui demeure toutefois, j'en suis certain, perfectible.

Le Gouvernement reste prudent sur l'attitude qu'il convient d'avoir à l'égard des personnes de retour d'un théâtre d'opération de groupements terroristes, mais persiste à privilégier la retenue administrative car elle présente des avantages opérationnels et demeure conforme à nos canons juridiques. J'ai eu l'occasion de le dire aux présidents des juridictions administratives que j'ai reçus à la Chancellerie.

M. Alain Richard . - Il faudrait le dire à d'autres...

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux . - Le Gouvernement est attaché à la dualité de juridictions, et le juge administratif a fait toute la démonstration de sa capacité de protéger les libertés. Le citoyen a, je crois, tout à gagner à cette double protection. Bref, le ministre de l'intérieur aura l'occasion de revenir sur la nature du contrôle administratif des personnes de retour de Syrie.

Monsieur Collombat, parmi les membres du groupe d'action financière (Gafi), la France fait partie des pays les mieux armés, avec Tracfin, pour lutter contre le blanchiment d'argent, et n'est pas si complaisante que vous le dites vis-à-vis de ses banques.

Le ministre de l'intérieur vous répondra ultérieurement sur la situation des mineurs.

Sur la légitime défense, la perfection n'étant pas de ce monde, le Gouvernement ne souhaite qu'améliorer la rédaction du texte, dès lors qu'il reste opérationnel. Il convient de maintenir la légitime défense dans des frontières claires et bien établies.

Nous sommes en phase d'expérimentation des caméras mobiles pour la police municipale. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement, estimant équilibré le texte initial, a émis un avis de sagesse sur les amendements élargissant le dispositif - que les députés n'ont pas votés - et n'a pas changé d'avis.

Monsieur Mercier, le Gouvernement n'est pas hostile à vos amendements sur l'article 24.

Madame Cukierman, la visioconférence peut être la meilleure et la pire des choses. Faisons confiance à la capacité de discernement des fonctionnaires. Il n'est pas toujours possible de monter en urgence une escorte policière pour transférer un détenu. Le ministère de la justice doit assumer ses responsabilités, apprendre à s'organiser, et arrêter de vouloir sous-traiter les transfèrements et les extractions judiciaires aux policiers et gendarmes.

J'ai rencontré hier toutes les organisations syndicales du ministère lors du comité technique paritaire que je présidais : toutes sont désormais favorables à ce que des agents de l'administration pénitentiaire soient spécialement formés au renseignement, selon une doctrine qui sera négociée avec elles. Il n'est bien sûr pas question de former tous les agents ; les conseillers d'insertion et de probation, par exemple, ne sont en aucune façon concernés. Le renseignement doit rester l'affaire du MS3, devenu bureau du renseignement pénitentiaire, appelé à devenir opérationnel dès que l'administration sera prête.

Le ministère ne peut se permettre une fuite en avant technologique. Songez que les 804 brouilleurs de téléphones portables disponibles dans les prisons ne brouillent que la 2G ! En racheter pour brouiller les 30 000 téléphones portables entrés en prison l'an passé ne serait profitable qu'aux fabricants de brouilleurs... Recentrons le renseignement pénitentiaire sur la criminalité organisée, la lutte contre la radicalisation ; l'appui technologique pour la sécurisation des prisons, oui, la course technologique au brouillage, non. Les parlementaires seront associés à ce chantier ; je vous invite d'ailleurs à venir avec moi constater l'utilité des 3 millions d'euros budgétés en 2017 pour l'achat de nouveaux brouilleurs...

Monsieur Grosdidier, la création d'une procédure disciplinaire d'urgence est cohérente avec le renforcement du rôle du parquet et le contrôle accru des OPJ.

M. Philippe Bas , président . - Nous vous remercions.

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