II. TITRE II. MIXITÉ SOCIALE ET ÉGALITÉ DES CHANCES DANS L'HABITAT

Le titre II du présent projet de loi porte sur les questions de logement. C'est la partie du texte dont l'impact économique et la portée opérationnelle sont certainement les plus forts.

Construire davantage de logements sociaux, loger mieux et en plus grand nombre les ménages modestes, défavorisés ou précaires, voilà deux objectifs auxquels votre commission spéciale et le Sénat tout entier s'associent, et depuis longtemps. Mais il ne suffit pas en la matière de décider pour obtenir des résultats. La multiplication des contraintes, la complexification des procédures et des critères conduisent le plus souvent à l'obtention de résultats contraires aux objectifs fixés. Il faut créer les conditions permettant l'essor du logement social, la loi ne saurait suffire. À cet égard, la motivation - notamment financière - des opérateurs et bailleurs, l'intérêt local, l'équilibre économique des opérations, sont plus efficaces que la contrainte. C'est dans cet esprit que votre commission spéciale a abordé le titre II.

Le titre II comporte cinq chapitres mais a principalement trois objets :

- réformer les attributions de logements sociaux pour favoriser, en principe, les publics prioritaires et la mixité sociale, en renforçant le rôle de l'État dans ces attributions ;

- durcir les obligations de la loi « Solidarité et renouvellement urbains » (SRU) pour augmenter, là aussi en principe, l'offre locative ;

- modifier le droit de l'urbanisme pour favoriser notamment les deux objectifs précédents.

Les députés ont ajouté un important volet relatif à l'accueil des gens du voyage. Sous réserve de son contenu, l'adjonction d'un dispositif sur ce sujet important dans le présent projet de loi est tout à fait justifiée.

Le renforcement de la mixité sociale dans le logement passe par une diversification plus volontariste des attributions de manière à ce que les ménages les plus modestes ne soient pas systématiquement orientés vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), et réciproquement que les foyers à niveau de vie intermédiaire soient incités à peupler aussi ces QPV. Votre commission partage ces objectifs, même si elle estime que les conditions du second seront très difficiles à réunir.

Le meilleur moyen de ne pas atteindre ces objectifs est de forcer la main aux maires et aux exécutifs intercommunaux : en ce cas ils réduiraient l'offre de logement social, l'augmentation de celle-ci étant la condition indispensable à la solution du problème des attributions.

C'est pourquoi votre commission a proposé que ces objectifs soient déterminés par accord entre les collectivités locales concernées et le préfet. En cas de non-atteinte des objectifs, le préfet qui décidera de se substituer à la collectivité pour procéder aux attributions devra prioritairement attribuer ces logements à des ménages ayant un lien avec la commune, les maires souhaitant d'abord loger les familles et les proches de leurs administrés, c'est la première de leurs incitations à bâtir. Dans le même esprit, votre commission spéciale s'est opposée au renforcement du pouvoir de l'État dans les attributions : exacerber les tensions entre les préfets et les élus est un bon moyen de tarir l'offre. Les préfets doivent pouvoir continuer de déléguer leur contingent d'attribution aux communes, et ne doivent pas être dotés d'un pouvoir d'évocation automatique en cas de non atteinte de ses objectifs (d'attribution à des publics prioritaires) par la collectivité.

De même votre commission n'est pas favorable à un renforcement excessif du rôle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre par rapport à leurs communes membres. Ainsi une commune doit pouvoir créer sa commission d'attribution de logements, et le président de l'EPCI ne doit pas être doté d'une voix prépondérante.

Pour tenter d'augmenter l'offre locative sociale, le titre II renforce les contraintes de la loi SRU . Votre commission spéciale estime que ce n'est pas en multipliant les contraintes pesant sur les communes et les intercommunalités que la situation s'améliorera. Partout sur le territoire, des opérations sont en cours qui mixent harmonieusement les différents types de logements, les programmes locaux de l'habitat les prévoient selon le droit en vigueur lorsqu'ils ont été élaborés. Il ne faut pas rendre obligatoire la mise en conformité des PLH avec la loi SRU, celle-ci change plus souvent et plus facilement qu'un document d'urbanisme (ainsi de passer le taux de logements sociaux de 20 % à 25 % en 2013).

Votre commission spéciale a également souhaité redéfinir les obligations des communes en matière de logements sociaux, les règles en vigueur s'avérant trop rigides, mal adaptées à la réalité des besoins. Il ne s'agit en aucun cas d'exonérer les communes de leur obligation de construction de logements sociaux, mais simplement de permettre une meilleure adaptation de l'objectif aux réalités du terrain dans un souci d'efficacité et de bonne gestion.

Votre commission spéciale a proposé de remplacer l'ensemble du dispositif en vigueur par un dispositif de contractualisation entre l'État et les communes, le périmètre des communes concernées demeurant inchangé - à l'exception du seuil applicable en Ile-de-France aligné sur le seuil de droit commun (3.500 habitants au lieu de 1.500) - et les nouvelles exemptions introduites par le projet de loi étant conservées. Ainsi, au lieu d'une règle uniforme, l'État et la commune concluraient un contrat d'objectifs et de moyens adapté à la situation locale.

Votre commission spéciale se félicite que des assouplissements soient apportés dans certains cas pour tenir compte localement des besoins effectifs en logements sociaux et non uniquement des seuils de population de façon mécanique pour l'application des taux de logements sociaux dans le parc total de logements. Mais elle ne souhaite pas que l'avis de la commission nationale SRU interfère dans les exemptions prononcées sur ces critères.

La mixité sociale doit être appréciée au regard de la population habitant la ville, et pas seulement selon que le logement relève ou non du parc locatif social. Votre commission spéciale propose donc d'inclure dans le décompte de l'article 55 de la loi SRU les logements en accession sociale à la propriété, les emplacements des aires d'accueil des gens du voyage, les logements des centres régionaux des oeuvres universitaires (CROUS). Elle propose aussi que les logements locatifs ayant fait l'objet d'une vente soient décomptés pendant 10 ans (et non 5). Accessoirement, elle souhaite sécuriser les ventes de l'association foncière logement pour qu'elles ne puissent être remises en cause si la commune concernée venait peu après à ne plus respecter le seuil SRU.

Votre commission spéciale a estimé que la mixité sociale concerne également les communes ayant plus de 50% de logements sociaux. Elle a ainsi proposé de mettre en place dans ces communes un contrat d'objectifs et de moyens pour la réalisation de logements intermédiaires.

Les dernières mesures importantes sur ce volet de réforme de la loi SRU consistent en une aggravation des sanctions infligées aux communes ne respectant pas les seuils. Dans un contexte de baisse des dotations, votre commission a supprimé ces sanctions nouvelles, en particulier l'inéligibilité à la dotation de solidarité urbaine, exemple type de mesure contreproductive, frappant des communes déjà en difficulté.

Elle a également jugé qu'il ne pouvait être que contraire à l'efficacité de prendre le risque de bloquer des emprises immobilières et foncières en autorisant l'occupation d'immeubles vacants pour des projets artistiques ou citoyens en l'attente d'un projet immobilier définitif, ou d'accorder les mêmes protections légales aux occupants de n'importe quel type de local dès lors qu'ils le considèrent comme leur habitat, qu'à ceux de véritables logements. Les députés ne semblent d'ailleurs pas avoir mesuré les effets que pourrait avoir la combinaison de ces 2 dispositifs qu'ils ont insérés sans lien entre eux.

L'article 33 comporte 12 demandes d'habilitation à légiférer par ordonnance dans le domaine du logement et de l'urbanisme . S'agissant du logement, votre commission spéciale proposera au Sénat de refuser le plus souvent ces habilitations pour légiférer directement. S'agissant des 2 ordonnances portant sur les questions d'urbanisme (adaptation des schémas de cohérence territoriale et plans locaux d'urbanisme à la réforme de la carte intercommunale), le sujet est à la fois très complexe et urgent, puisque le nouveau paysage intercommunal entre en vigueur en 2017. Votre commission spéciale propose de préciser l'habilitation de manière à préserver autant que possible les droits des communes vis-à-vis de leur EPCI quant à ces documents d'urbanisme. Elle souhaite également assouplir les contraintes de calendrier pour les reports d'échéances touchant à la caducité des plans d'occupation des sols, à l'obligation de mise en compatibilité avec un document supérieur ou à la « grenellisation » des plans locaux d'urbanisme.

Pour modifier le régime d'accueil des gens du voyage , l'Assemblée nationale s'est inspirée des propositions de notre collègue député Bruno Le Roux. Les droits des gens du voyage ont ainsi été renforcés mais trop peu de dispositions permettaient de répondre aux problématiques de terrain rencontrées par les collectivités territoriales. Votre commission s'est donc appuyée sur les travaux de notre ancien collègue Pierre Hérisson et de notre collègue Jean-Claude Carle pour atteindre un meilleur équilibre en cette matière.

La réforme du droit applicable aux gens du voyage s'étend, en outre, au titre III du présent projet (art. 48 à 50). Cette partie porte sur leurs droits civils, civiques et sociaux. Votre commission spéciale approuve globalement les propositions des députés, en particulier la suppression du livret de circulation. Mais elle propose de rétablir la règle de la commune de rattachement limitant le nombre de gens du voyage inscrits sur les listes électorales à 3 % de la population communale. En ce domaine, l'expérience montre que ce ne sont pas les communes qui font le plus d'effort pour accueillir qui ont le moins de difficultés, car si les obligations sont uniformes, les groupes de gens du voyage ne se répartissent pas de façon homogène sur le territoire.

Votre commission spéciale approuve ainsi la mise en cohérence respectivement des documents d'urbanisme avec le schéma départemental d'accueil des gens du voyage. Elle approuve également l'intercommunalisation de l'ensemble de cette compétence, « terrains familiaux locatifs » inclus, car elle considère que ce mode d'organisation renforcera la cohérence et les moyens de cette politique.

Elle est en revanche opposée à donner des nouveaux pouvoirs de contrainte au préfet, que ce soit l'obligation d'inscrire une aire d'accueil dans un PLU, ou la consignation des crédits nécessaires à la réalisation d'une aire, pour respecter le schéma départemental d'accueil. Les communes et leurs EPCI doivent bien sûr respecter la loi, mais doivent également garder la main sur la localisation et la réalisation des aires, ainsi que sur le calendrier. Il n'est pas utile de rappeler les difficultés que les élus éprouvent à convaincre leurs administrés en ce domaine.

Votre commission propose, au contraire, de renforcer la mutualisation des efforts entre collectivités locales, de préciser la répartition des tâches entre communes et EPCI et de rationaliser les procédures d'évacuation forcée des campements illicites. Elle propose aussi de doubler les sanctions pénales en cas d'occupation illicite

Ces dispositifs seront plus efficaces pour l'avancement des projets de création d'aires d'accueil que de forcer la main des élus et d'augmenter ainsi leurs réticences, tant il est vrai que les communes et leurs EPCI fourniront d'autant plus d'effort qu'ils auront davantage de garantie quant à l'intégrité de leur territoire.

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