EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois a examiné, en première lecture, la présente proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre 1 ( * ) il y a exactement un an, en octobre 2015. Elle avait alors proposé le rejet de ce texte, fondé sur une approche punitive du droit des entreprises et caractérisé par de graves déficiences juridiques et des risques d'atteinte excessive à la compétitivité des entreprises françaises et à l'attractivité de la France . Par conséquent, le Sénat avait rejeté cette proposition de loi, le 18 novembre 2015.

En deuxième lecture, le 23 mars 2016, l'Assemblée nationale a rétabli son texte, quasiment à l'identique, sans prendre en compte les objections que le Sénat avait exprimées .

Comme en première lecture, votre commission estime aujourd'hui que l'ambition généreuse qui anime les auteurs de cette proposition de loi ne saurait conduire le législateur à méconnaître les exigences du droit. Si les grandes entreprises françaises doivent évidemment veiller aux conséquences sociales et environnementales de leur activité économique, les obligations qui peuvent leur être imposées à ce titre doivent être raisonnables et proportionnées : elles ne sauraient se substituer à des législations étrangères insuffisantes ou à des États défaillants pour protéger leurs populations.

Inspirée par le drame de l'effondrement du Rana Plaza, le 24 avril 2013, au Bangladesh, dont les ateliers travaillaient pour les sous-traitants de grandes marques occidentales, la présente proposition de loi veut faire obligation aux sociétés de plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde, incluant les effectifs des filiales directes et indirectes, d' établir, rendre public et mettre en oeuvre un plan de vigilance destiné à prévenir certains risques , notamment les risques d'atteintes aux droits de l'homme et les risques de dommages environnementaux et sanitaires, qui pourraient résulter non seulement de leurs activités, mais aussi de celles des sociétés qu'elles contrôlent et de leurs sous-traitants et fournisseurs. Sont également visés les comportements de corruption.

Pour assurer le respect de cette obligation, l'article 1 er de la proposition de loi comporte deux mécanismes : une injonction de faire sous astreinte et une amende civile d'un montant pouvant atteindre 10 millions d'euros.

De plus, l'article 2 crée un mécanisme spécifique de responsabilité , en cas de non-respect par une société de son obligation de vigilance. Les auditions de votre rapporteur avaient montré, en première lecture, que cette formulation pouvait recevoir des lectures variées, certaines revêtant une portée très large, ouvrant la voie à un régime de responsabilité du fait de la faute d'autrui, en cas d'insuffisance dans le contenu ou la mise en oeuvre du plan de vigilance, et d'autres considérant qu'elle n'ajoutait rien à l'état du droit de la responsabilité.

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Si votre commission souscrit, comme en première lecture, à l'objectif de la proposition de loi, visant à renforcer la contribution des grandes entreprises françaises à l'amélioration des normes sociales et environnementales, au respect des droits de l'homme et à la prévention de la corruption dans le monde, elle ne peut que réitérer ses plus grandes réserves à l'encontre d'un texte déficient juridiquement et inadapté économiquement, qui correspond à une approche punitive de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises .

D'un point de vue juridique , votre rapporteur rappelle les incertitudes concernant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devrait être élaboré, en matière sociale, environnementale, sanitaire ou encore de lutte contre la corruption (normes internationales, droit local, législation française...), rendant incertain le contenu même de l'obligation à respecter, alors que des sanctions seraient encourues en cas de manquement.

Les critiques de votre rapporteur portent aussi sur l' imprécision du régime de l'amende civile et sur la portée incertaine , déjà évoquée supra , du régime de responsabilité figurant dans le texte.

De plus, votre rapporteur insiste sur le risque contentieux accru qui résulterait d'un tel texte pour les entreprises françaises, avec une possible instrumentalisation, dès lors que toute personne intéressée à ce qu'une entreprise mette en oeuvre un plan de vigilance pourrait engager une action en responsabilité en cas de dommage pouvant être rattaché de façon directe ou indirecte à son activité à l'étranger. En d'autres termes, des associations, françaises voire étrangères, pourraient saisir le juge français pour demander la réparation d'un préjudice causé à l'étranger par un sous-traitant étranger. En première lecture, votre rapporteur avait d'ailleurs considéré que le texte créait une nouvelle catégorie d'action de groupe, sans aucune garantie ni précision procédurale, conduite à la discrétion de toute personne intéressée, sans mandat des éventuelles victimes.

La mise en oeuvre du plan de vigilance conduirait aussi les sociétés qui y seraient assujetties à s'ingérer dans la direction de leurs filiales, au mépris du principe d'autonomie des personnes morales, et même de leurs sous-traitants, par l'alourdissement des obligations contractuelles qu'elles devraient imposer pour s'assurer de l'application en cascade du plan de vigilance.

Votre rapporteur avait constaté qu'aucun dispositif comparable avec un champ aussi large n'existait en droit étranger.

D'un point de vue économique , votre rapporteur rappelle le risque d'atteinte à la compétitivité des entreprises françaises que fait courir la présente proposition de loi. En effet, elle créerait une inégalité de traitement entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes , compte tenu des obligations qu'elle ferait peser sur les premières uniquement, et constituerait une atteinte à la concurrence car les entreprises étrangères intervenant en France n'y seraient pas soumises, puisque ce texte ne trouverait à s'appliquer qu'aux sociétés dont le siège est en France 2 ( * ) .

En outre, l'application de ce texte engendrerait des coûts importants - que personne ne sait aujourd'hui estimer - pour assurer la mise en oeuvre des obligations qu'il comporte pour toutes les entreprises tout au long des chaînes d'approvisionnement et de sous-traitance : dépenses d'audit interne et externe pour l'identification des risques, mise en place d'équipes de contrôle pour vérifier la mise en oeuvre du plan dans la société, dans ses filiales et chez ses sous-traitants dans le monde entier, révision des clauses contractuelles avec les sous-traitants directs et indirects, enquêtes à distance et sur place, dépenses de prestations juridiques et contentieuses, renchérissement des assurances, gestion du risque de réputation... De grands groupes français peuvent avoir plusieurs milliers voire dizaine de milliers de sous-traitants, sur cinq, six ou sept rangs.

Ce texte pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long des chaînes de sous-traitance, qui affecterait de très nombreuses entreprises françaises de toute taille , les grandes entreprises, premières visées par le texte, mais aussi tous leurs sous-traitants français, qui en subiraient nécessairement les répercussions et sont pour la plupart des petites et moyennes entreprises.

Au surplus, votre rapporteur ne peut négliger le risque de retrait des entreprises françaises de certains marchés étrangers, pour éviter les risques liés à l'obligation de vigilance. À l'inverse, des sous-traitants étrangers pourraient refuser de travailler pour des entreprises françaises, en raison des charges que représenterait indirectement pour eux l'obligation de vigilance.

En tout état de cause, il est peu probable qu'une telle législation, si elle était adoptée par la France, améliore par elle-même la situation sociale et environnementale des pays en développement, où se trouvent nombre de sous-traitants de multinationales occidentales, ou fasse évoluer la législation de ces pays, alors qu'elle ne manquerait pas de perturber profondément le tissu économique français .

Votre rapporteur rappelle également le problème d' atteinte à l'image et à l'attractivité de la France pour les entreprises étrangères ainsi que pour les investissements étrangers et la création de filiales en France, qui résulterait de l'adoption de ce texte - lequel ferait suite à d'autres textes ayant déjà altéré l'image de la France pour les entreprises étrangères 3 ( * ) .

Pour une analyse plus précise de la présente proposition de loi et une présentation plus détaillée des objections juridiques et économiques qu'elle suscite, votre rapporteur renvoie à son rapport de première lecture 4 ( * ) .

Tout en rejetant la présente proposition de loi pour l'ensemble de ces motifs juridiques et économiques , en particulier en raison de l' accroissement des risques contentieux qui en résulterait pour les entreprises françaises , votre commission avait conclu que le débat sur l'objectif pertinent de ce texte devait se situer dans une perspective européenne de plus long terme , afin que soient mises en place des règles communes à toutes les entreprises européennes.

Toutefois, au vu des éléments portés à sa connaissance, notamment par le secrétariat général des affaires européennes, en première lecture, votre rapporteur avait jugé improbable la présentation prochaine au niveau européen d'une initiative analogue à la présente proposition de loi, de sorte que ce texte, s'il était adopté, créerait de façon durable des distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises.

Ainsi, en l'état de sa rédaction, cette proposition de loi ne saurait être adoptée par votre commission . Pour ces raisons, elle avait été rejetée par votre commission puis par le Sénat en première lecture.

Pour autant, comme votre commission est saisie de cette proposition de loi en deuxième lecture, puisque le Gouvernement a demandé lui-même son inscription à l'ordre du jour du Sénat 5 ( * ) et devrait donc assurer l'aboutissement de la procédure législative devant conduire à son adoption définitive, votre commission a jugé nécessaire d'adopter un texte, dans une rédaction prenant sérieusement en compte les objections qu'elle a déjà formulées, plutôt que de le rejeter à nouveau .

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Ainsi qu'il l'avait relevé en première lecture, votre rapporteur rappelle que la France doit transposer, d'ici le 6 décembre 2016, la directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes 6 ( * ) , laquelle rejoint l'objectif de la présente proposition de loi.

L'objectif de cette directive est de faire en sorte que les entreprises qui relèvent de son champ donnent « une image complète et fidèle de leurs politiques, de leurs résultats et de leurs risques » 7 ( * ) en matière d'informations non financières.

La directive concerne les « grandes entreprises qui sont des entités d'intérêt public dépassant, à la date de clôture de leur bilan, le critère du nombre moyen de 500 salariés » 8 ( * ) ainsi que les groupes d'entreprises répondant aux mêmes critères. En vertu des définitions de la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises - que la directive du 22 octobre 2014 précitée complète -, seraient donc visées par ces obligations d'information non financière les sociétés cotées 9 ( * ) dépassant, directement ou dans le cadre d'un groupe dont elles sont la mère, l'un ou l'autre des deux critères statistiques du total de bilan ou du montant de chiffre d'affaires de la grande entreprise ou du grand groupe, soit 20 millions d'euros de total de bilan et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires net, ainsi que le nombre moyen de 500 salariés 10 ( * ) .

Plus spécifiquement, un des objectifs de cette directive est de conduire les grandes entreprises à mettre en place des « informations sur les procédures de diligence raisonnée mises en oeuvre par l'entreprise, ainsi que, lorsque cela s'avère pertinent et proportionné, en ce qui concerne sa chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance, afin d'identifier, de prévenir et d'atténuer les incidences négatives existantes et potentielles » 11 ( * ) sur les questions d'environnement et les questions sociales et de personnel, de respect des droits de l'homme et de lutte contre la corruption. Votre rapporteur constate donc que doit être pris en compte l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance des entreprises visées, comme le fait la présente proposition de loi en mentionnant les fournisseurs et sous-traitants, mais seulement lorsque cela s'avère pertinent et proportionné.

Ainsi, la directive dispose que les entreprises concernées doivent inclure dans leur rapport de gestion une « déclaration non financière » présentant des informations relatives aux incidences de leurs activités en matière environnementale, sociale et de personnel, de respect des droits de l'homme et de lutte contre la corruption. Si la prévention des risques sanitaires ou de dommages corporels, mentionnés dans la présente proposition de loi, n'est pas directement visée par le dispositif de la directive, il faut néanmoins entendre que les questions environnementales comprennent « des renseignements sur les incidences actuelles et prévisibles des activités de l'entreprise sur l'environnement et, le cas échéant, sur la santé et la sécurité » 12 ( * ) .

Les informations ainsi publiées doivent comporter « une description des politiques appliquées par l'entreprise en ce qui concerne ces questions, y compris les procédures de diligence raisonnable mises en oeuvre » 13 ( * ) , ainsi que la présentation des résultats de ces politiques, une analyse des risques principaux, incluant de façon proportionnée les relations d'affaires, et des indicateurs de performance de nature non financière. Les États membres qui le souhaitent sont autorisés à prévoir que ces informations font l'objet d'une vérification par un « prestataire de services d'assurance indépendant ».

Selon le principe comply or explain , une entreprise qui n'a pas mis en place de politique particulière sur l'un des champs couverts par la directive doit présenter dans sa déclaration « une explication claire et motivée des raisons le justifiant ». Il n'existe pas de mécanisme de sanction ou de régime juridique de responsabilité découlant de cette obligation de publication d'informations non financières.

Votre commission estime que l'obligation de publier des informations sur les procédures de diligence raisonnable destinées à prévenir les risques dans un certain nombre de domaines s'apparente, à l'évidence, à l'obligation d'établir, de rendre public et de mettre en oeuvre un plan de vigilance destiné à prévenir un certain nombre de risques comparables . Toutefois, si la directive retient une approche reposant sur la transparence et l'incitation, la proposition de loi retient, quant à elle, une approche plus coercitive et punitive.

Prolongement des efforts conduits, en France notamment 14 ( * ) , depuis une quinzaine d'années en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises, cette directive est le premier texte législatif européen dans ce domaine . La notion de RSE repose sur l'idée que les entreprises - et en particulier les grandes entreprises et les sociétés cotées - ne sont pas seulement des acteurs économiques, mais que leurs activités ont un impact plus large sur les sociétés dans lesquelles elles interviennent, impact qu'elles doivent prendre en compte : prévention des atteintes à la santé et à l'environnement, prévention de la corruption, respect des droits de l'homme et des normes sociales...

La RSE se décline en premier lieu dans une obligation de publication d'informations à caractère social et environnemental par les sociétés - aussi appelée reporting extra financier ou non financier - en complément de la publication traditionnelle des informations financières.

Plusieurs instruments internationaux non normatifs ont été récemment adoptés en matière de RSE 15 ( * ) , insistant sur une obligation de vigilance des entreprises, fondée sur la prévention des risques et étendue à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance. Les auteurs de la proposition de loi se réclament d'ailleurs de ces initiatives internationales.

Votre rapporteur renvoie à son rapport de première lecture pour une présentation plus complète de la RSE au niveau français et international 16 ( * ) .

Si la France dispose déjà d'une législation assez avancée en matière de publication d'informations non financières , satisfaisant déjà en large partie les exigences de la directive, par exemple sur la description des politiques suivies par la société sur les questions sociales et environnementales 17 ( * ) , il faut néanmoins procéder à la transposition de certaines dispositions non encore satisfaites par le droit français, en particulier la publication d'informations sur les mesures de diligence raisonnable mises en oeuvre et les principaux risques dans ces mêmes domaines.

Votre rapporteur considère que la présente proposition de loi, si elle peut paraître plus ambitieuse de prime abord en allant simplement au-delà du socle des obligations prévues par la directive, est en réalité en contradiction avec la directive . En effet, alors que la directive vise à établir les mêmes règles pour toutes les entreprises européennes, la proposition de loi risque justement de porter atteinte à l'égalité entre les sociétés des différents États membres, en faisant peser sur les sociétés françaises des obligations bien plus lourdes. De plus, le dispositif d'amende civile et le régime de responsabilité contredisent la logique de la directive, qui ne comporte aucun mécanisme de sanction .

Si la directive n'est pas d'harmonisation maximale et permet donc aux États membres de se doter de législations plus exigeantes - par exemple avec un périmètre plus large d'entreprises concernées, un champ plus large pour le type d'informations à publier ou les domaines couverts... -, elle ne les autorise pas pour autant à se doter de législations qui méconnaissent ses objectifs . Telle serait le cas, selon votre rapporteur, si la présente proposition de loi était adoptée dans sa rédaction actuelle, puisque la directive, conforme à une logique de publicité et d'incitation, ne comporte ni n'envisage aucun mécanisme de sanction. Dès lors, la proposition de loi ne peut subsister en l'état.

Par ailleurs, votre rapporteur relève que la question de la transposition de la directive a été évoquée dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté 18 ( * ) , adopté par l'Assemblée nationale le 6 juillet 2016 en première lecture.

En effet, tel qu'introduit par l'Assemblée nationale en première lecture, l'article 62 de ce projet de loi comportait simultanément, de façon incohérente, une tentative de transposition directe de la directive, avec une date d'entrée en vigueur différée, et une habilitation en vue de transposer la directive avant cette date. Insatisfaisant techniquement et juridiquement 19 ( * ) , cet article a été supprimé par la commission spéciale du Sénat créée pour l'examen de ce projet de loi, par l'adoption d'un amendement présenté par votre rapporteur, soucieux de mettre en cohérence les différents textes en discussion susceptibles d'intéresser la transposition de la directive.

En tout état de cause, votre commission déplore que le Gouvernement n'ait pas encore, à ce jour, proposé au Parlement de procéder à la transposition de la directive, alors que le délai de transposition expire très prochainement. Pour autant, il semble à votre rapporteur que le Gouvernement a déjà conduit des travaux préparatoires approfondis, permettant de justifier que le processus de transposition est en cours.

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Depuis l'examen de la présente proposition de loi en première lecture, le Parlement a également été saisi du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique 20 ( * ) , dont l'article 8 instaure une obligation de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d'influence pour les sociétés employant au moins 500 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net d'au moins 100 millions d'euros.

Cette obligation de prévention de la corruption se décline dans une série de mesures à mettre en oeuvre : cartographie des risques, code de conduite et formation pour les salariés, dispositif d'alerte interne, procédures de contrôle interne et d'évaluation des procédures... Sur le rapport de notre collègue François Pillet, votre commission avait clarifié ce dispositif, en première lecture, afin de lever un certain nombre de difficultés et d'incertitudes 21 ( * ) . Ce texte est à présent en attente de nouvelle lecture devant le Sénat.

Votre rapporteur observe que l'obligation prévue dans ce projet de loi correspond assez largement aux obligations de la directive en matière de lutte contre la corruption : il s'agit bien de mettre en place des procédures de diligence raisonnable en matière de lutte contre la corruption, appuyées sur une analyse des risques. Aucune publicité particulière n'est cependant prévue par ce projet de loi. Votre rapporteur constate aussi que la présente proposition de loi inclut la question de la lutte contre la corruption dans le champ du plan de vigilance , sans mentionner les sous-traitants : l'obligation de vigilance ne concernerait, ici, que la société mère et les sociétés qu'elle contrôle. En l'état, ce projet de loi et cette proposition de loi se trouvent donc en contradiction l'un avec l'autre, sur la question de la prévention de la corruption.

Pour mémoire, dans son article 45, ce projet de loi tend également à habiliter le Gouvernement en vue de simplifier et de rationaliser les diverses obligations d'information et de publication des sociétés commerciales. Si cette habilitation ne permet certes pas de transposer la directive, l'ordonnance qui en résultera devra en tenir compte.

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Attentive en premier lieu à l'exigence de transposition de la directive, votre commission juge nécessaire d' assurer la cohérence des divers textes qui entrent dans le champ de la directive et interviennent sur la problématique de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises - cohérence qui fait manifestement défaut, selon votre rapporteur, car aucune coordination ne semble être assurée par le Gouvernement entre ces divers textes. Alors que la directive doit être transposée - peut-être le sera-t-elle par ordonnance, si le Parlement en décide ainsi in fine dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté -, le Parlement doit poursuivre l'examen en parallèle du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et de la présente proposition de loi.

Votre rapporteur s'étonne d'ailleurs de ce que le Gouvernement ait voulu organiser la suite de la navette de la présente proposition de loi, alors qu'elle entre en contradiction à la fois avec la directive et avec ce projet de loi . Une telle attitude lui semble quelque peu incohérente juridiquement, sauf à admettre que cette proposition de loi, une fois modifiée, contribue en partie à la transposition de la directive.

Dans ces conditions, à l'initiative de son rapporteur et dans le respect des règles de recevabilité en deuxième lecture, votre commission a souhaité procéder à la transposition des dispositions de la directive correspondant aux objectifs de la proposition de loi . La notion de plan de vigilance s'apparente largement à celle de procédure de diligence raisonnable prévue par la directive, de sorte que les deux notions ont vocation à être traitées simultanément par le législateur et donc à converger dans un même texte.

En revanche, puisque sont seules recevables après la première lecture les dispositions en relation directe avec une disposition restant en discussion, la présente proposition de loi ne permet pas, selon votre rapporteur, de transposer les dispositions de la directive qui concernent la publication d'informations non financières en général et ne sont pas encore satisfaites par le droit français.

Aussi, afin d'assurer la convergence entre la présente proposition de loi et les dispositions correspondantes de la directive, votre commission a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement COM-1 rectifié , à l'article 1 er du texte. Cet amendement introduit un nouvel article L. 225-102-1-1 dans le code de commerce, au sein des dispositions relatives au contenu du rapport du conseil d'administration aux actionnaires 22 ( * ) , pour préciser que ce rapport doit également rendre compte des mesures de diligence raisonnable prises pour prévenir les principaux risques sociaux et environnementaux , dans les sociétés cotées qui remplissent les critères fixés par la directive.

Le rapport devrait ainsi rendre compte des principaux risques dans les différents domaines visés.

Il devrait également rendre compte des mesures de prévention de la corruption, que la société serait tenue de prendre en application de l'article 8 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Il devrait enfin rendre compte des mesures de vigilance raisonnable prises par la société, afin de prévenir les risques d'atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France et à l'étranger, du fait de son activité, de celle de ses filiales et de celle de leurs sous-traitants. L'appréciation de ces risques devrait se faire en fonction de la législation en vigueur localement : il ne saurait s'agir d'imposer par ce biais l'application de normes françaises sur le territoire d'États étrangers.

Des informations concernant les sous-traitants ne seraient publiées que lorsque cela s'avère pertinent et proportionné, compte tenu de la nature d'abord contractuelle des relations de la société mère ou de ses filiales avec les différents fournisseurs et sous-traitants, comme le précise la directive elle-même.

Votre commission conserve ainsi l'objectif de vigilance des grandes entreprises à l'égard des différents risques sociaux et environnementaux qui peuvent résulter de leur activité ou de celle de leurs filiales ou sous-traitants sur le territoire français ou à l'étranger, tout en l'intégrant mieux dans le cadre actuel du droit des sociétés et en respectant les exigences de la directive .

Votre rapporteur signale que la proposition de loi ne concerne, en l'état de sa rédaction, que les sociétés employant, avec leurs filiales, plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde, alors que la directive concerne les grandes sociétés cotées employant plus de 500 salariés : le champ du texte serait ainsi nettement élargi.

Votre rapporteur relève toutefois une difficulté de périmètre entre les sociétés soumises à l'obligation de prévention de la corruption prévue par le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique - sociétés employant, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins 500 salariés et réalisant au moins 100 millions d'euros de chiffre d'affaires net - et celles entrant dans le champ de la directive - sociétés employant plus de 500 salariés et réalisant un total de bilan de plus de 20 millions d'euros ou un montant net de chiffre d'affaires de plus de 40 millions d'euros. Afin de traiter cette difficulté, le rapport du conseil d'administration devrait rendre compte des mesures de vigilance mises en oeuvre en matière de lutte contre la corruption pour les sociétés qui n'entreraient pas dans le champ du projet de loi 23 ( * ) .

En outre, comme l'autorise expressément la directive, certains types de risques pourraient ne pas être pris en compte, à condition que le rapport en donne la justification, et les filiales et sociétés contrôlées seraient exonérées de cette obligation de publication dès lors que les informations seraient publiées par la société mère de façon consolidée.

Comme le permet la directive et par analogie avec la vérification des informations sociales et environnementales publiées par les grandes entreprises par un organisme tiers indépendant 24 ( * ) , les mesures dont il serait ainsi rendu compte feraient l'objet d'une vérification selon les mêmes modalités que les informations sociales et environnementales , dans le cadre d'une démarche globale homogène de responsabilité sociale et environnementale.

En cas de méconnaissance de ses obligations par une société, votre commission a conservé à l'article 1 er un mécanisme d'injonction de faire sous astreinte, tout en clarifiant sa rédaction, en adoptant en ce sens un amendement COM-2 présenté par son rapporteur. Il s'agit de s'inspirer plus directement des mécanismes analogues déjà prévus par le droit des sociétés en cas de manquement d'une société à ses obligations de publicité. Ainsi, si le rapport ne comprend pas toutes les informations prévues, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations .

Un tel mécanisme ne méconnaît pas la logique de la directive, en raison de son caractère incitatif et non punitif.

En revanche, compte tenu des difficultés qu'elle représentait, votre commission a supprimé l'amende civile de 10 millions d'euros , à l'initiative de son rapporteur, par l'adoption d'un amendement COM-3 à l'article 1 er .

En effet, comme l'a exposé votre rapporteur en première lecture dans son rapport 25 ( * ) , le caractère disproportionné de cette amende soulève un problème sérieux de constitutionnalité. Il existe également une interrogation au regard du principe de légalité des délits et des peines, compte tenu du caractère général et relativement imprécis de l'obligation de vigilance. Pour assurer l'effectivité de cette obligation, il est plus simple de recourir aux mécanismes habituels de droit des sociétés, c'est-à-dire l'injonction de faire sous astreinte, à la demande de toute personne intéressée. En outre, l'articulation entre injonction de faire et amende civile n'est pas clairement assurée par le texte, selon votre rapporteur.

Votre commission a également supprimé l'article 2, relatif au régime de responsabilité prévu spécifiquement en cas de non-respect par une société des obligations relatives au plan de vigilance , à l'initiative de son rapporteur, en adoptant un amendement COM-4 .

Ainsi que cela a été rappelé supra , la rédaction de cet article revêt une portée juridique incertaine et ambiguë , et ce d'autant plus que ce mécanisme est parfois présenté comme faisant simplement application du droit commun de la responsabilité : s'il ne s'écarte pas du droit commun, il est donc inutile .

Le texte peut être compris à l'inverse comme instaurant implicitement un régime de responsabilité pour la faute d'autrui , dans l'hypothèse où, par exemple, une société française pourrait être tenue responsable pour une faute commise par un sous-traitant étranger ayant causé un dommage à l'étranger à des personnes étrangères, du fait d'une défaillance de son plan de vigilance.

Pour lever tout risque constitutionnel, les principes du droit commun de la responsabilité doivent seuls trouver à s'appliquer, de sorte qu'il n'y a pas lieu de prévoir de disposition spécifique en matière de responsabilité. En effet, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle au principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer : la responsabilité ne peut donc pas incomber à une autre personne.

De plus, l'action en responsabilité ne peut pas être engagée par un tiers, par exemple une association, comme l'envisage le texte, mais seulement par une personne lésée. Si le principe selon lequel nul ne plaide par procureur n'a pas été explicitement reconnu par le Conseil constitutionnel, celui-ci est très rigoureux sur les conditions permettant à une organisation d'agir en justice pour le compte d'une autre personne, exigeant notamment le consentement de celle-ci.

Ces risques constitutionnels au regard du principe de responsabilité , qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon le Conseil constitutionnel, ont déjà été exposés par votre rapporteur dans son rapport de première lecture 26 ( * ) .

Enfin, à l'article 3, votre commission a adopté un amendement COM-5 de coordination présenté par son rapporteur. Cet article prévoit l'application du texte dans les îles Wallis et Futuna 27 ( * ) .

Votre commission a également adopté un amendement COM-6 , à l'initiative de son rapporteur, pour prévoir une entrée en vigueur différée de cette nouvelle obligation, à compter du rapport du conseil sur les comptes du premier exercice ouvert à compter la publication de la loi, c'est-à-dire le rapport présenté à l'assemblée générale de 2018 sur l'exercice 2017 dans le cas où la loi serait publiée avant le 31 décembre 2016.

Votre rapporteur n'a pas proposé de modifier l'intitulé de la présente proposition de loi, relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, compte tenu de son caractère symbolique.

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Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .


* 1 Déposée le 11 février 2015 par MM. Bruno Le Roux, Dominique Potier et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 30 mars 2015.

* 2 Les filiales françaises de sociétés étrangères seraient donc concernées si elles dépassent les seuils prévus par la proposition de loi.

* 3 Ainsi la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite « loi Florange ».

* 4 Rapport n° 74 (2015-2016) de M. Christophe-André Frassa, fait au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l15-074/l15-074.html

* 5 En première lecture, la proposition de loi avait été inscrite à l'ordre du jour du Sénat à l'initiative du groupe socialiste et républicain.

* 6 Le texte de cette directive est consultable à l'adresse suivante :

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32014L0095

* 7 Considérant 5 de la directive.

* 8 Article 1 er de la directive.

* 9 La notion d'entité d'intérêt public (EIP) correspond principalement aux sociétés dont les actions sont cotées sur un marché réglementé. Elle inclut également les établissements de crédit et les entreprises d'assurance.

* 10 La définition de la grande entreprise retient également un critère de nombre de salariés, fixé à 250, qui est sans portée ici. Une grande entreprise est une entreprise qui remplit au moins deux des trois critères de total de bilan, de montant net de chiffre d'affaires et de nombre de salariés.

* 11 Considérant 6 de la directive.

* 12 Considérant 7 de la directive.

* 13 Article 1 er de la directive.

* 14 Voir notamment la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, qui a institué l'obligation de mentionner des informations sociales et environnementales dans le rapport annuel du conseil d'administration aux actionnaires, dans les sociétés anonymes, et la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, adoptée à la suite du « Grenelle de l'environnement », qui a fortement enrichi cette obligation d'information, assortie d'une certification par un organisme tiers indépendant.

* 15 Voir notamment les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, en 2011, et les principes directeurs des Nations unies sur les droits de l'homme et les entreprises, en 2011 également, dits « principes de John Ruggie ».

* 16 Rapport n° 74 (2015-2016) précité. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l15-074/l15-074.html

* 17 L'article L. 225-102-1 du code de commerce dispose ainsi que le rapport du conseil d'administration « comprend (...) des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité, incluant les conséquences sur le changement climatique de son activité et de l'usage des biens et services qu'elle produit, ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l'économie circulaire, de la lutte contre le gaspillage alimentaire et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités » et « fait état des accords collectifs conclus dans l'entreprise et de leurs impacts sur la performance économique de l'entreprise ainsi que sur les conditions de travail des salariés ».

* 18 Le dossier législatif de ce projet de loi est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl15-773.html

* 19 La rédaction retenue par l'Assemblée nationale en commission pour cette disposition additionnelle adoptée contre l'avis du Gouvernement consistait, pour l'essentiel, à reprendre sans modification le texte de la directive, avec quelques ajouts, alors que le code de commerce satisfait déjà une bonne partie de la directive, créant ainsi des incohérences et des doublons. En séance, à l'initiative du Gouvernement, a été ajoutée une entrée en vigueur différée du dispositif voté en commission et une habilitation à transposer la directive d'ici là par ordonnance. La coexistence dans le même article de cette habilitation et du dispositif de la commission, qui ne serait entré en vigueur qu'après l'expiration du délai d'habilitation et donc après la publication de l'ordonnance, était incohérente, puisque le dispositif voté en commission entrait dans le champ de l'habilitation et aurait dû être supprimé par l'ordonnance, avant même son entrée en vigueur.

* 20 Le dossier législatif de ce projet de loi est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl15-691.html

* 21 Rapport n° 712 (2015-2016) de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l15-712-1/l15-712-112.html#toc92

* 22 Articles L. 225-100 à L. 225-102-3 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce.

* 23 À l'inverse, le projet de loi pourrait encore être modifié pour que son périmètre soit identique à celui de la directive.

* 24 Septième alinéa de l'article L. 225-102-1 du code de commerce.

* 25 Rapport n° 74 (2015-2016) précité. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l15-074/l15-074.html

* 26 Rapport n° 74 (2015-2016) précité. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l15-074/l15-074.html

* 27 Pour mémoire, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, le droit commercial relève de la compétence des autorités locales et non du législateur national, contrairement aux îles Wallis et Futuna.

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