N° 163

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 2

ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT

Rapporteure spéciale : Mme Isabelle BRIQUET

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits affectés à l'action territoriale de l'État, à la vie politique, culturelle et associative et au pilotage des principales politiques du ministère de l'intérieur . Pour 2022, les crédits de la mission seront en hausse, en partie du fait des élections présidentielle et législatives.

I. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT FACE À DES RÉFORMES DE GRANDE AMPLEUR

A. LES LIMITES DU PLAN PRÉFECTURE NOUVELLE GÉNÉRATION ONT RAPIDEMENT ÉTÉ ATTEINTES

Le plan « Préfecture nouvelle génération » (PPNG) visait deux objectifs, à savoir mettre en oeuvre la dématérialisation des titres et, en mobilisant les effectifs déchargés par cette dématérialisation, renforcer certaines missions prioritaires : la sécurité et l'ordre public, la coordination des politiques publiques, le renforcement des moyens du contrôle de la légalité et la lutte contre la fraude documentaire. Le plan PNG devait également permettre la suppression de 1 300 ETP entre 2016 et 2018. La dématérialisation des demandes de titres s'est ainsi traduite par la fermeture des guichets d'accueil dans les préfectures et par l'ouverture de 58 centres d'expertise et de ressources titres (CERT).

Répartition géographique des différents CERT

Source : ministère de l'Intérieur

D'après les auditions menées par la rapporteure spéciale, les CERT ne disposent pas des effectifs nécessaires pour faire face aux variations d'activité. Surtout, les chiffres communiqués par le ministère de l'Intérieur témoignent d'une mobilisation très élevée des contractuels pour accompagner la réforme . Si le nombre de contractuels mobilisés a diminué depuis 2018, pour atteindre le niveau toujours très significatif de 22 % des effectifs totaux, ils ont représenté, au moment de la mise en place des CERT, jusqu'à 58 % des effectifs pour les CERT certificat d'immatriculation des véhicules (carte grise).

Comme le soulignait la Cour des comptes dans son rapport public annuel de février 2020, « il est difficile d'admettre que des situations précaires de ce type puissent perdurer au sein du service public, au-delà des périodes de transition pour lesquelles ces concours étaient justifiés ».

Plus largement, les objectifs du plan PNG en matière de renforcement des missions prioritaires n'ont pas été atteints . La rapporteure spéciale considère en particulier qu'il est indispensable de renforcer les moyens du contrôle de légalité, qui constitue à la fois une garantie pour l'État, assuré du respect de la loi sur l'ensemble du territoire, et pour les élus locaux, confiants sur la sécurité juridique de leurs actes. Les objectifs n'ont, sur ce point, aucunement été remplis et il apparait indispensable de redoubler d'ambition. Le « repyramidage » des emplois, qui consiste à diminuer la part relative des emplois les moins qualifiés (catégorie C) au profit des emplois les plus qualifiés (catégorie A) ne saurait suffire à combler les pertes d'effectifs massives de certains services de l'État déconcentré.

B. LA RÉFORME DE L'ORGANISATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT, UN CHANTIER POURSUIVI DANS LE CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE

La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE), définie par la circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019, vient, dans la lignée des objectifs fixés par la circulaire du 24 juillet 2018 sur l'organisation territoriale des services publics, fixer le cadre d'importantes mutations pour la mission , entamées dès la loi de finances initiale pour 2020. Si les principales échéances ont été retardées dans le contexte de crise sanitaire, la réforme de l'OTE a bel et bien été déployée, en particulier depuis le début de l'année 2021.

Les principaux objectifs de la réforme de l'OTE

- la clarification de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Elle doit en particulier conduire à une redéfinition du rôle de l'État dans le développement économique, au renforcement du rôle des régions en matière culturelle et de celui des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière d'urbanisme. Afin de favoriser une prise en charge plus large de la jeunesse, les missions relatives à la jeunesse et au sport ont été transférées aux services de l'éducation nationale ;

- la réorganisation des services déconcentrés, notamment via la création des secrétariats généraux communs (SGC) et des directions de l'emploi, du travail et des solidarités (DETS), nées de la fusion des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et des compétences cohésion sociale des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJCS) ;

- le renforcement de l'efficience de l'action publique, en particulier via la rationalisation des moyens et le renforcement des coopérations entre départements. La fusion des programmes ayant donné naissance à l'actuel programme 354 résulte de cette simplification, de même que la mise en oeuvre des SGC. Une autre dimension importante concerne les mutualisations, que ce soit via le regroupement de certaines tâches dans les services départementaux ou via la création de pôles de compétences mutualisées entre départements ;

- l'octroi de davantage de marges de gestion aux responsables de services déconcentrés, en particulier sur les sujets de politique de l'eau et de traitement de l'habitat insalubre et indigne. Le rôle du préfet de département doit, dans l'ensemble, être renforcé.

II. EN 2022, DES CRÉDITS GLOBALEMENT EN HAUSSE POUR L'ADMINISTRATION CENTRALE ET DÉCONCENTRÉE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

A. LES EMPLOIS DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR DEVRAIENT ÊTRE PRÉSERVÉS

Depuis 2017, l'évolution tendancielle de la mission a été celle d'une réduction des effectifs de l'administration territoriale, entamée au sein des anciens programmes 307 « Administration territoriale » et 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentré s » : l'administration territoriale au sens du périmètre de l'actuel programme 354 a vu la suppression de 1 571 ETP de 2017 à 2020 . Cependant, les emplois du programme 354 se sont stabilisés à compter de 2021.

Évolution des emplois au sein de l'administration territoriale de l'État

(en ETP)

Année

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Programme

P. 307

P. 333

P. 307

P. 333

P. 307

P. 333

P. 354

P. 354

P. 354

Cible

- 485

- 11

- 415

-10

- 200

- 10

- 471

0

0

Réalisation

- 485

- 11

- 415

-13

- 200

- 11

- 436

0

0

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au titre des engagements du comité interministériel de la transformation publique, 22 postes supplémentaires de directeurs départementaux et d'experts de haut niveau sont créés, notamment dans les départements dans lesquels aucun sous-préfet à la relance n'a été nommé. Si ces nouveaux postes constituent la traduction budgétaire des engagements du CITP, la rapporteure spéciale estime que ceux-ci constituent un apport relativement limité au regard du discours de promotion de la transformation publique et de réarmement des territoires porté par le Gouvernement .

B. LES ÉLECTIONS, UN POSTE DYNAMIQUE EN 2022 MAIS DONT LES DÉPENSES NE PEUVENT ÊTRE CONTRAINTES

Les élections présidentielle et législatives ont pour conséquence une augmentation sensible des crédits du programme 232. Les crédits demandés représentent 4,72 euros par électeur pour l'élection présidentielle et 3,97 euros par électeur pour les élections législatives.

Alors qu'à l'occasion des dernières élections départementales et régionales, les difficultés rencontrées lors de la distribution de la propagande ont été sans précédent , la rapporteure spéciale estime que les réponses apportées par le ministère de l'intérieur sont très insuffisantes à ce stade. Les préfectures des départements les plus denses seraient en effet dans l'incapacité matérielle de procéder à la réinternalisation annoncée de la mise sous plis de la propagande électorale. Après le fiasco du printemps 2021, la rapporteure spéciale ne peut que s'inquiéter du manque de préparation et de clarté, en particulier du point de vue budgétaire, sur le traitement de ces opérations.

De plus, la rapporteure spéciale estime qu'il serait envisageable, après une phase d'expérimentation dans plusieurs départements, de permettre aux électeurs qui le souhaitent de recevoir leur propagande électorale sous format dématerialisé. En ce sens, le rapport de notre collègue et président de la commission des lois François-Noël Buffet sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 1 ( * ) indique qu'il « serait envisageable de permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse, de recevoir la propagande électorale sous format numérique, plutôt que sous format papier ». C ette solution aurait recueilli l'approbation de 60,5 % des maires ayant répondu à la consultation de la commission des lois sur le site internet du Sénat.

III. LA MODERNISATION ET L'ACCESSIBILITÉ AUX SERVICES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, UN CHANTIER À POURSUIVRE

A. LA DÉMATÉRIALISATION ET LA MODERNISATION DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, DES AXES INDISPENSABLES

La direction du numérique (DNUM) du ministère de l'intérieur mène plusieurs chantiers majeurs de modernisation de l'action du ministère. Il s'agit notamment du chantier de l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). Fin 2021, l'équivalent de 80 % des procédures « étrangers » auront été dématérialisées.

L'ANEF ne devrait cependant pas résulter en une diminution d'effectifs dans l'immédiat : ce n'est que dans un deuxième temps, si les guichets font face à une moindre affluence, que les réductions pourront s'opérer. De plus, l'engagement a été pris de maintenir le même niveau d'effectifs sur la mission « étrangers » des préfectures . Ainsi, les effectifs d'accueil seront, de toute façon, maintenus et affectés à d'autres tâches de la mission.

Le deuxième chantier majeur de la DNUM concerne le réseau radio du futur (RRF). Il vise à moderniser les dispositifs de communication des services de secours.

Les échéances de l'ANEF

(en nombre de dossiers traités)

Source : direction de la modernisation de l'action territoriale du ministère de l'intérieur

B. LES MAISONS FRANCE SERVICES CRÉÉES AU SEIN DES SOUS-PRÉFECTURES NE RÉPONDENT TOUJOURS PAS AUX CRITÈRES FIXÉS PAR LA CHARTE DES MAISONS FRANCE SERVICES

À ce jour, seules 22 sous-préfectures ont été labellisées France Services. Comme l'a indiqué le directeur de la modernisation de l'action territoriale lors de son audition, « l'exigence de deux agents par espace France Services peut constituer un frein à l'émergence de projets de labellisation en sous-préfecture ».

La rapporteure spéciale tient à rappeler ici que les maisons France Services ne doivent pas constituer un moyen pour l'État de se désengager des territoires les plus isolés. Ainsi, il apparaît indispensable que les maisons France services portées par la mission « Administration générale et territoriale de l'État » se donnent au plus vite les moyens des ambitions que l'État a lui-même fixées, en particulier concernant la règle de deux ETP au minimum. Il s'agit à ce jour d'un point bloquant pour la généralisation de la labellisation des maisons portées par l'État.

Réunie le mercredi 27 octobre 2021, sous la présidence de Mme Christine Lavarde, vice-président la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission le jeudi 18 novembre 2021.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 70 % des réponses étaient parvenues à la rapporteure spéciale en ce qui concerne la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits affectés à l'action territoriale de l'État, à la vie politique, cultuelle et associative et au pilotage des principales politiques du ministère de l'intérieur. Depuis la loi de finances initiale pour 2020, elle se compose de trois programmes :

- le programme 354 « Administration territoriale de l'État » , qui porte les moyens du réseau préfectoral mais également ceux des services placés sous l'autorité des préfets de région et des directions départementales interministérielles. En 2022, il devrait être doté de 2,47 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,41 milliards d'euros en crédits de paiement, soit 55 % des dotations totales de la mission ;

- le programme 232 « Vie politique » , qui finance les expressions de la vie politique du pays, en forte hausse du fait de l'organisation des présidentielles et législatives. À compter de 2022, ce programme ne financera plus les cultes, les crédits devant dorénavant être portés par le programme 216. Les crédits demandés s'élèvent à 493 millions d'euros en AE et à 490 millions d'euros en CP ;

- le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » , qui constitue un programme « réservoir » et finance les moyens généraux du ministère de l'intérieur ainsi que certains dispositifs de subventions (1,4 milliard d'euros en AE et 1,5 milliard d'euros, en crédits de paiement, soit 33,8 % des dotations totales de la mission).

Évolution des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État »

(en millions d'euros et en pourcentage)

Exécution 2020

LFI 2021

PLF 2022 courant

PLF 2022 constant

Évolution PLF 2022 / LFI 2021 (volume)

Évolution PLF 2022 / LFI 2021 (%)

FDC et ADP attendus en 2022

216 - Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur

AE

1 379,6

1 384,4

1 452,9

1 432,4

+ 48,0

+ 3,5 %

22,1

CP

1 427,2

1 405,1

1 489,4

1 468,8

+ 63,7

+ 4,5 %

22,1

354 - Administration territoriale de l'État

AE

2 209,9

2 363,6

2 465,7

2 471,1

+ 107,6

+ 4,6 %

41,1

CP

2 224,2

2 362,1

2 414,1

2 419,4

+ 57,3

+ 2,4 %

41,6

232 - Vie politique

AE

234,7

436,8

492,9

508,9

+ 72,1

+ 16,5 %

0,0

CP

222,1

435,7

490,2

506,3

+ 70,6

+ 16,2 %

0,0

Total

AE

3 824,3

4 184,7

4 411,5

4 412,5

+ 227,7

+ 5,4 %

63,2

CP

3 873,5

4 202,9

4 393,7

4 394,6

+ 191,7

+ 4,6 %

63,7

FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produits

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

I. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT FACE À DES RÉFORMES DE GRANDE AMPLEUR

A. LES LIMITES DU PLAN PRÉFECTURE NOUVELLE GÉNÉRATION ONT RAPIDEMENT ÉTÉ ATTEINTES

1. La dématérialisation des demandes de titres, une procédure utile mais qui aurait dû faire l'objet d'une réévaluation des besoins au sein des services instructeurs

Engagé par la directive nationale d'orientation (DNO) des préfectures et sous-préfectures 2016-2018, le plan « préfecture nouvelle génération » (PPNG) visait deux objectifs, à savoir mettre en oeuvre la dématérialisation des titres et renforcer certaines missions prioritaires 2 ( * ) en mobilisant les effectifs déchargés par cette dématérialisation.

Le premier volet de la réforme concernait la délivrance des titres et s'est traduit par la fermeture des guichets d'accueil dans les préfectures et par l'ouverture de 58 centres d'expertise et de ressources titres (CERT). Ces derniers sont consacrés à l'instruction des demandes de titres d'identité (cartes d'identité et passeport), et aux permis de conduire et certificats d'immatriculation des véhicules (CIV).

Répartition géographique des différents CERT

Source : ministère de l'Intérieur

La nouvelle organisation prévue par le plan PNG, une fois pris en compte les redéploiements de personnel vers les missions prioritaires, devait permettre de générer une économie de 1 300 emplois .

Il est rapidement apparu que les gains de productivité avaient été surévalués e t que les objectifs initiaux du plan ne pourraient pas être atteints . La création de nouvelles procédures et leur dématérialisation ne se sont pas traduites par une réduction aussi importante qu'attendue des besoins en moyens humains.

Dès le 1 er janvier 2019, le Gouvernement a donc été contraint de mettre en oeuvre un « plan de renfort exceptionnel en agents non titulaires », ainsi que le fléchage de 50 équivalents temps plein (ETP) vers les CERT, en particulier ceux dédiés aux cartes d'immatriculation des véhicules, qui accusaient des retards importants . Les CERT cartes grises ont connu d'importantes difficultés, de même que le service en charge des échanges de permis étrangers et la délivrance de permis internationaux ( cf. infra ). Au total, les renforts de contractuels ont représenté 316 ETP, pour un coût de 8,5 millions d'euros depuis la création des CERT.

Alors que le premier confinement du printemps 2020 a permis aux CERT de rattraper le retard accumulé du fait de la hausse de 8,1 % des demandes entre les mois de janvier 2020 et de janvier 2019, la viabilité du modèle actuel doit pouvoir être pleinement interrogée.

Les CERT ne disposent pas des effectifs nécessaires pour faire face aux variations d'activité . D'après les échanges avec le directeur de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT), auditionné par la rapporteure spéciale, ils seraient calibrés pour fonctionner à flux constant, des renforts permettant éventuellement de prendre en charge les surplus de demandes.

Effectifs affectés aux CERT

(en équivalent temps plein travaillé [ETPT])

2018

2019

2020

CERT permis de conduire

743,0

709,6

695,5

dont titulaires

598,5

585,7

573,7

dont contractuels

144,6

123,9

121,9

CERT carte grise

379,7

383,3

396,3

dont titulaires

160,4

182,3

222,5

dont contractuels

219,3

201,0

174,0

CERT carte nationale d'identité - passeport

571,3

583,4

579,1

dont titulaires

479,1

499,4

512,1

dont contractuels

92,2

84,0

67,0

Total CERT

1 694,0

1 676,3

1 671,1

dont titulaires

1 238,0

1 267,4

1 308,1

dont contractuels

456,0

408,9

362,9

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses apportées au questionnaire budgétaire de la rapporteure spéciale

Les chiffres communiqués par le ministère de l'Intérieur témoignent d'une mobilisation très élevée des contractuels pour accompagner la réforme . Si le nombre de contractuels mobilisés a diminué depuis 2018, pour atteindre le niveau toujours très significatif de 22 % des effectifs totaux, ils ont représenté, au moment de la mise en place des CERT, jusqu'à 58 % des effectifs 3 ( * ) .

La rapporteure spéciale estime ainsi que la part des contractuels demeure trop élevée. Les missions d'instruction des demandes de titres sont confiées au réseau préfectoral et doivent, à ce titre être remplies par des fonctionnaires . Le recours structurel à des contractuels n'est ici justifié ni par la recherche de compétences rares, ni par le caractère non permanent des emplois concernés . Les recrutements au sein des CERT correspondent, pour la quasi-totalité d'entre eux, à des emplois permanents. Comme le soulignait la Cour des comptes dans son rapport public annuel de février 2020, « il est difficile d'admettre que des situations précaires de ce type puissent perdurer au sein du service public, au-delà des périodes de transition pour lesquelles ces concours étaient justifiés ».

D'après les représentants syndicaux auditionnés par la rapporteure spéciale, la situation des contractuels est particulièrement précaire, alors que leurs contrats ne sont pas renouvelés ou encore que certains espèrent un passage en contrat à durée indéterminée ou même une titularisation qui n'intervient pas . Les besoins étant permanents, une telle précarité n'est aucunement satisfaisante.

Par ailleurs, le CERT de Nantes, service à compétence nationale chargé des échanges de permis et de l'établissement des permis internationaux, a fait l'objet de difficultés très importantes lors de son ouverture, qui perdurent encore en partie aujourd'hui. L'importance du flux initial a tenu à ce que la procédure n'a pas été dématérialisée. Des délais d'attente particulièrement importants, et pouvant atteindre un an dans certaines situations, ont largement été relayés par la presse 4 ( * ) .

L'une des réponses apportées a été le transfert au CERT de Cherbourg de la charge des permis de conduire internationaux en mars 2019. Par ailleurs, la dématérialisation de la procédure d'échanges de permis a été mise en oeuvre à compter de mars 2020 pour les permis européens et d'août 2020 pour les permis délivrés en dehors de l'Union européenne.

D'après les auditions menées par la rapporteure spéciale, la situation du CERT de Nantes reste problématique, en partie également du fait de la complexité des procédures et du grand nombre d'États concernés par l'échange de permis 5 ( * ) .

2. Les efforts de réduction d'effectifs concernant les titres n'ont que peu permis de dégager des marges de manoeuvre pour les fonctions prioritaires des préfectures

Une fois pris en compte les objectifs de réduction des effectifs au niveau du ministère, une part des réductions d'effectifs opérées sur la délivrance des titres, 603 emplois, devait être redéployée sur quatre thèmes : la lutte contre la fraude documentaire, l'expertise juridique et le contrôle de légalité, la coordination territoriale des politiques publiques et l'item sécurité et gestion de crise .

Alors qu'au 31 décembre 2015, 2 391 ETP étaient dédiés à ces missions, l'objectif d'y affecter 2 994 ETP devait initialement être atteint d'ici la fin de l'année 2020. Ces objectifs n'ont pas été tenus, du fait de la persistance de schémas d'emplois négatifs. En 2019, le schéma d'emplois du programme 354 imposait une baisse de 200 ETP, puis de 471 ETP en 2020. Le plan PNG s'est donc accompagné d'une réduction très sensible des effectifs.

Par ailleurs, la crise migratoire a contraint le ministère à renforcer prioritairement les emplois dédiés à cette mission. Sur la période 2016-2020, ce sont 327 ETP qui ont été affectés aux services en charge de l'instruction du séjour, de l'asile et de l'éloignement.

Pour compenser en partie cette absence de redéploiement des effectifs dans le cadre du PPNG, le ministère de l'intérieur a mené une stratégie d'augmentation du niveau de qualification des agents, via un « repyramidage » des emplois, visant à faire évoluer les effectifs de l'administration territoriale vers davantage de postes plus qualifiés .

Entre 2016 et 2020, on constate ainsi, sur le programme, une augmentation de plus de 900 agents de catégorie A et de 547 agents de catégorie B, s'accompagnant d'une diminution de près de 3 000 agents de catégorie C 6 ( * ) .

Évolution de la structure des emplois par catégorie
au sein de l'administration territoriale

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Dans la continuité des chantiers engagés dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE) et pour consolider les évolutions du PPNG, le schéma d'emplois s'est stabilisé en 2021 et restera stable en 2022 au sein de l'administration territoriale de l'État.

Compte tenu des fortes réductions constatées et des difficultés de fonctionnement rencontrées dans les CERT, la rapporteure spéciale considère que cette préservation des emplois, dans un contexte de réformes de grande ampleur et de crise sanitaire, est indispensable .

3. Le contrôle de la légalité, des efforts à confirmer

Après une dizaine d'années de forte mise à contribution de la mission de contrôle de légalité en termes de réduction d'effectifs, le plan PNG l'avait replacée parmi les objectifs prioritaires. Au titre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), 558 ETP avaient en effet été supprimés entre 2009 et 2012 sur ce poste. Si, depuis 2012, cette mission a été proportionnellement moins mise à contribution dans les réductions d'effectifs, aucun nouvel emploi n'y a été fléché.

Malgré les objectifs initiaux du PPNG en matière de renforcement des pôles de contrôle de la légalité, la traduction budgétaire n'a été que très limitée, tant les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des CERT et la gestion de la vague migratoire ont capté l'intégralité des emplois disponibles.

En 2021, les effectifs prévisionnels affectés sur les missions de contrôle de légalité en préfecture étaient encore en légère baisse, de 2 % par rapport à 2020, soit une baisse de 18 ETPT. Cette diminution était légèrement en-deçà de celle qui s'appliquait au niveau de la mission mais ne reflète aucunement la dynamique initialement prévue par le Gouvernement . En 2022, 56 % des préfectures réduiront les effectifs dédiés à ce contrôle.

La rapporteure spéciale considère donc qu'il est indispensable de renforcer les moyens du contrôle de légalité, qui constitue à la fois une garantie pour l'État, assuré du respect de la loi sur l'ensemble du territoire, et pour les élus locaux, confiants sur la sécurité juridique de leurs actes.

Les objectifs n'ont, sur ce point, aucunement été remplis et il apparait indispensable de redoubler d'ambition. Il convient de renforcer la qualité de ce contrôle et les qualifications des agents. Le repyramidage opéré sur les missions de contrôle de légalité pour aller vers des emplois plus qualifiés apparaît de ce point de vue aller dans le bon sens mais ne saurait suffire à lui seul.

La montée en compétence via la spécialisation de certains services à compétence nationale ou interdépartementale constitue également un élément positif, à l'image du pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité situé à Lyon .

Pour autant, les objectifs de renforcement des compétences des agents ne doivent pas conduire à déconnecter ce contrôle des territoires : l'équilibre est certes difficile à trouver, mais le contrôle de légalité doit d'abord nourrir le dialogue entre les élus et les services de l'État.


* 1 Dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021, Rapport d'information n° 785 (2020-2021) de M. François-Noël BUFFET, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 juillet 2021.

* 2 Ces missions étaient alors la sécurité et l'ordre public, la coordination des politiques publiques, le renforcement des moyens du contrôle de la légalité et la lutte contre la fraude documentaire.

* 3 Pour les CERT certificat d'immatriculation des véhicules (carte grise).

* 4 Voir par exemple https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/video-echanger-son-permis-etranger-pour-un-permis-francais-il-ne-faut-pas-etre-presse_3433157.html .

* 5 D'après les réponses de la direction de la modernisation de l'action territoriale au questionnaire de la rapporteure spéciale : « la France permet aux ressortissants de plus de cent États d'échanger leur permis, alors que ce chiffre n'excède souvent pas dix ou vingt chez la plupart de nos partenaires européens. »

* 6 Essentiellement par non remplacement des départs à la retraite. Parmi ces suppressions, 900 ont permis de financer les nouveaux emplois de catégorie A et B.

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