N° 376

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er mars 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l' incendie à la réalité des territoires ruraux ,

Par M. Loïc HERVÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

262 et 377 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Faisant suite au rapport d'Hervé Maurey et de Franck Montaugé, qui dressait en 2021 le constat des « conséquences budgétaires très lourdes » 1 ( * ) de l'exercice des missions de défense extérieure contre l'incendie (DECI) pour les communes - en particulier rurales -, la proposition de loi déposée par Hervé Maurey tend à modifier les modalités de révision des règlements départementaux de DECI (RDDECI) qui encadrent cet exercice pour prévoir une meilleure prise en compte des intérêts communaux .

Partageant, avec l'auteur de la proposition de loi, la nécessité de renforcer la cohérence entre le règlement départemental de défense extérieure contre l'incendie et le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR) , la commission a néanmoins estimé le dispositif proposé insuffisamment opérationnel. Elle l'a en conséquence simplifié et renforcé sa portée en prévoyant que le RDDECI, cadre d'organisation départemental de la défense extérieure contre l'incendie, constitue un volet à part entière du SDACR , document stratégique pluriannuel de la couverture des risques de toute nature, présentant les garanties nécessaires d'association et de concertation des élus locaux pour son établissement. La commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de loi ainsi modifiée .

I. LA CONSÉCRATION LÉGISLATIVE DE LA DECI : UNE RÉFORME QUI N'A PAS TENU SES PROMESSES

A. LA RÉCENTE RECONNAISSANCE DE LA DECI, PARENT PAUVRE DE LA STRATÉGIE DES SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS

1. Un cadre juridique longtemps jugé insuffisant, bien qu'attentif à la spécificité des communes rurales

La responsabilité de l'exercice des missions de défense extérieure contre l'incendie a historiquement incombé aux communes , en vertu des pouvoirs de police administrative générale dont leurs attributions en matière de lutte contre les incendies ont généralement découlé 2 ( * ) . Le cadre juridique des obligations communales dans l'exercice de cette mission de police a été progressivement complété par circulaires successives, en particulier, celle du 10 décembre 1951 3 ( * ) . Afin de tenir compte des cas spécifiques des communes rurales, deux circulaires sont venues, par la suite, compléter ce cadre 4 ( * ) .

Comme en témoigne la consultation des questions écrites posées par députés et sénateurs 5 ( * ) , ce dernier a, de longue date, suscité des critiques de trois ordres :

• l'application d'une règle trop uniforme à l'échelle du territoire , empêchant une approche différenciée permettant de tenir compte des spécificités de l'ensemble des communes, notamment rurales ;

• la charge jugée excessive de ce cadre juridique sur les finances communales ;

• l'obstacle que cette réglementation constituerait aux projets d'urbanisme et, partant, au développement économique des communes.

2. Une tentative de clarification : la réforme de 2011
a) Un cadre législatif rénové pour un exercice plus territorialisé de la DECI

Face à ces difficultés persistantes, les gouvernements successifs ont présenté des velléités de réforme de la réglementation applicable, ayant finalement abouti en 2011 . L'article 77 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, dite « loi Warsmann », a procédé à des clarifications attendues du cadre juridique applicable à la défense extérieure contre l'incendie en :

• octroyant au maire un pouvoir de police spéciale en la matière, déliant l'exercice de ses missions en la matière de son pouvoir de police administrative générale 6 ( * ) et en en circonscrivant l'objet 7 ( * ) ;

• attribuant aux communes la charge du service public de la DEC I et la compétence afférente pour créer, aménager et gérer les points d'eau incendie (PEI) 8 ( * ) ;

• articulant l'exercice de ces missions et compétences avec celles des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont les communes sont membres 9 ( * ) .

Complété par voie réglementaire 10 ( * ) , ce cadre normatif rénové prévoit en particulier la définition d'un référentiel national de défense extérieure contre l'incendie (RNDECI) 11 ( * ) , décliné en un règlement départemental (RDDECI), élaboré par le service d'incendie et de secours (SIS) , établi en concertation avec les maires et l'ensemble des acteurs concourant à la DECI, puis arrêté par le préfet de département après avis du conseil d'administration du SIS.

« Hiérarchie des normes »
des dispositions relatives à la DECI

Source : commission des lois, d'après
délégation aux collectivités territoriales du Sénat 12

Il revient aux maires ou, le cas échéant, aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre compétents d'appliquer par arrêtés ce règlement, éventuellement après avoir élaboré un schéma communal ou intercommunal de défense extérieure contre l'incendie .

b) Un cadre juridique qui échoue à consacrer en droit le rôle majeur joué par la DECI

En premier lieu, la méthode employée en 2011 pour procéder à une telle réforme - un amendement du Gouvernement sur une proposition de loi de périmètre très général -, n'a pas inscrit l'action du législateur dans une réforme cohérente et d'ensemble des moyens d'action des SIS. Souhaitant manifestement apporter une réponse très circonscrite à une difficulté dont il ne faisait vraisemblablement que peu de cas, le Gouvernement n'avait pas prévu la bonne insertion de cette réforme au sein de l'écosystème des documents directeurs de l'action des SIS. Il n'a en particulier pas été pourvu à l'articulation entre les dispositions relatives à la DECI et le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR).

Le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR) :
document clé de la stratégie des SIS

Créé par décret en 1988 12 ( * ) , le SDACR a vu son statut inscrit par la loi en 1996 13 ( * ) . Élaboré par le SIS, sous l'autorité du préfet, il est arrêté par ce dernier après avis du conseil départemental et sur avis conforme du conseil d'administration du SIS. Il dresse l'inventaire des risques de toute nature pour la sécurité des biens et des personnes et détermine les objectifs de couverture des risques par le SIS. Sa révision est quinquennale depuis 2015 14 ( * ) .

Le SDACR constitue le document clé de la stratégie des SIS. Comme le rappelle la Cour des comptes dans un rapport de 2019, « la vision stratégique de ce schéma départemental est déclinée » dans le règlement opérationnel (RO), le règlement intérieur (RI) ainsi que le plan d'équipement 15 ( * ) . Cette « hiérarchie des normes », au sommet de laquelle se place le SDACR, est résumée dans le schéma ci-dessous.

Le SDACR, document faîtier de l'organisation stratégique des SIS

Source : direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises 16 ( * )

Il apparaît particulièrement révélateur que le RDDECI ne figure pas dans la « hiérarchie des normes » présentée dans le guide méthodologique d'élaboration des SDACR établi par la DGSCGC à destination de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile dont est issu le schéma ci-dessus.

En deuxième lieu, une telle méthode a contraint également le Parlement à légiférer sans étude d'impact et avis du Conseil d'État , illustrant la faible considération que l'État a porté à la DECI.

En dernier lieu , le décret d'application découlant de ce cadre législatif clarifié n'est intervenu que tardivement , en 2015, illustrant le manque de volonté affirmée de l'État dans le plein déploiement de la réforme de la DECI 17 ( * ) .


* 1 « Défense extérieure contre l'incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires », rapport d'information n° 760 (2020-2021) d'Hervé Maurey et Franck Montaugé, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, publié le 8 juillet 2021, p. 10, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-760-notice.html .

* 2 L'article 97 de la loi du 5 avril 1884, relatif à la police municipale, prévoyait déjà en son 6° que cette mission comprenait « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et celui de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les incendies », reprise aujourd'hui en des termes identiques au 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités.

* 3 Une première circulaire du 5 avril 1944 avait déjà « donné quelques directives d'ensemble sur les débits à prévoir pour l'alimentation du matériel d'incendie et sur les mesures à prendre pour constituer des réserves d'eau suffisantes ». La seconde circulaire du 10 décembre 1951 établissait, quant à elle, clairement les modalités de participation de l'État - y compris financière - aux travaux de défense contre l'incendie et distinguait explicitement la situation des communes urbaines et rurales, dont le réseau « n'est en général pas suffisant, sans augmentation sensible des dépenses, pour assurer la lutte contre l'incendie ».

* 4 Les circulaires du 20 février 1957 relative à la protection contre l'incendie dans les communes rurales et du 9 août 1967 relative aux réseaux d'eau potable et à la protection contre l'incendie dans les communes rurales.

* 5 Voir par exemple : la réponse du ministère de l'intérieur à la question écrite n° 14413 de Georges Gruillot, publiée dans le Journal officiel du Sénat du 27 juin 1996, p. 1601 ( http://www.senat.fr/questions/base/1996/qSEQ960314413.html ) ; la question écrite n° 05357 d'André Dulait publiée dans le Journal officiel du Sénat du 1 er janvier 1998, p. 15, ( https://www.senat.fr/questions/base/1998/qSEQ980105357.html ) ; la question écrite n° 05233 d'Alain Vasselle publiée dans le Journal officiel du Sénat du 23 janvier 2003, p. 231,( http://www.senat.fr/questions/base/2003/qSEQ030105233.html ).

* 6 En créant l'article L. 2213-32 du code général des collectivités territoriales, l'article 77 de la loi n° 2011-525 ajoute la DECI au nombre des polices spéciales exercées par le maire. Une telle évolution entendait en particulier répondre à un besoin de sécurisation juridique de l'action des maires en la matière, soucieux de voir leurs obligations de DECI découler de la seule mention du mot « incendies » à l'article L. 2122-2 du CGCT.

* 7 L'article L. 2225-1 du code général des collectivités territoriales prévoit ainsi que la DECI « a pour objet d'assurer, en fonction des besoins résultant des risques à prendre en compte, l'alimentation en eau des moyens des services d'incendie et de secours par l'intermédiaire de points d'eau identifiés à cette fin . »

* 8 Article L. 2225-2 du même code.

* 9 D'une part, les communes peuvent transférer à titre facultatif, dans les conditions de droit commune, cette compétence à leur EPCI à fiscalité propre de rattachement et, d'autre part, lorsqu'il est procédé à un tel transfert, le pouvoir de police des maires en matière de DECI peut être transféré au président dudit EPCI (deuxième alinéa du B du I de l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales).

* 10 Décret n° 2015-235 du 27 février 2015 relatif à la défense extérieure contre l'incendie.

* 11 Il définit « les principes de conception et d'organisation de la défense extérieure contre l'incendie et les dispositions générales relatives à l'implantation et à l'utilisation des points d'eau incendie » (voir l'article R. 2225-2 du code général des collectivités territoriales).

* 12 Décret n° 88-623 du 6 mai 1988 relatif à l'organisation générale des services d'incendie et de secours.

* 13 Loi n° 96-369 du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours.

* 14 Article 96 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 15 Cour des comptes, « Les personnels des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile : des défis à relever, des perspectives à redéfinir » , rapport public thématique, mars 2019, annexe n° 3, p. 129, consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-personnels-des-sdis-et-de-la-securite-civile .

* 16 Guide méthodologique d'élaboration des SDACR, p. 3, consultable à l'adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44934?fonds=CIRC .

* 17 Décret n° 2015-235 du 27 février 2015 relatif à la défense extérieure contre l'incendie.

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