B. L'ACTION DE LA FRANCE, DES ETATS MEMBRES DE L'UE ET DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

1. La France

Plusieurs positions politiques ont été prises publiquement pour dénoncer les déportations d'enfants ukrainiens par la Fédération de Russie et leur adoption forcée, et demander le retour de ces enfants.

Dans sa résolution n° 52 (2022-2023) du 7 février 2023 exprimant le soutien du Sénat à l'Ukraine, condamnant la guerre d'agression menée par la Fédération de Russie et appelant au renforcement de l'aide fournie à l'Ukraine 10 ( * ) , à l'alinéa 25 précisément, le Sénat « dénonce les actes de torture, les viols, les enlèvements d'enfants, les déplacements forcés, les exécutions et les autres crimes perpétrés par la Fédération de Russie dans le cadre de cette guerre ».

Lors du débat sur cette résolution 11 ( * ) , M. André Gattolin, auteur et rapporteur de la présente proposition de résolution, a consacré une partie de son intervention dans l'hémicycle à mettre au jour l'enjeu des enlèvements d'enfants, de même que Mme Nadia Sollogoub, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Ukraine du Sénat.

Dans sa déclaration, prononcée le 23 février 2023 à New York lors de la session extraordinaire d'urgence de l'Assemblée générale des Nations unies sur le conflit en Ukraine 12 ( * ) , la Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a également évoqué cette question, ainsi que dans son discours au Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève, prononcé le 27 février 2023 13 ( * ) .

Il faut souligner la mobilisation importante des ONG, en particulier du collectif d'universitaires et de chercheurs « Pour l'Ukraine, leur liberté et la nôtre » 14 ( * ) , qui a tôt alerté sur le caractère massif de ces transferts forcés d'enfants ukrainiens organisés par la Russie et sur leur caractère systématique. Ce collectif a mené une véritable campagne sur le sujet dès juillet 2022. Son action remarquable de documentation et de sensibilisation de l'opinion publique et des autorités, mais aussi de soutien aux familles et d'analyse juridique 15 ( * ) , a contribué à la mise en mouvement de la solidarité nationale et internationale auprès des associations, des familles et des enfants ukrainiens. Ce collectif a diffusé une pétition qui a recueilli plus de 200 000 signatures 16 ( * ) et organisé, dès le 15 novembre 2022, une conférence de presse 17 ( * ) , avec la participation d'officiels ukrainiens, de l'ONG ukrainienne Center for Civil Liberties - CCL (co-récipiendaire du prix Nobel de la Paix 2022), de l'écrivain Jonathan Littell et de parents de victimes.

2. L'initiative récente de la Pologne et de la Commission européenne

On peut noter que, dès le 16 janvier 2023, les ministres néerlandais et allemand des affaires étrangères condamnaient publiquement les enlèvements d'enfants ukrainiens par la Russie 18 ( * ) .

Parmi les initiatives prises par divers États membres de l'Union européenne, il convient de souligner l'initiative conjointe de la présidente de la Commission européenne et du Premier ministre de Pologne, annoncée le 27 février 2023 par la porte-parole de la Commission européenne, tendant à recueillir des données et des preuves 19 ( * ) .

Au vu de cette actualité, il a paru nécessaire aux rapporteurs de proposer à la commission des affaires européennes de compléter sur ce point la proposition de résolution initialement déposée afin d'inciter le Gouvernement français à soutenir les efforts ainsi déployés pour traduire en justice les responsables des transferts forcés d'enfants ukrainiens.

3. Les décisions des institutions de l'Union européenne
a) Les sanctions

Dès la reconnaissance par la Russie, le 21 février 2022, des zones non contrôlées par le gouvernement des oblasts de Donetsk et de Louhansk en Ukraine, puis l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022, l'Union européenne a rapidement adopté des sanctions contre Moscou.

Celles-ci visent notamment à limiter le plus possible la capacité du Kremlin à financer la guerre qu'il a déclenchée. Depuis février 2022, et jusqu'à la réunion du Conseil de l'Union européenne du 25 février 2023, dix trains de sanctions sont ainsi entrés en vigueur.

Ces sanctions sont également individuelles. Ainsi, Mme Maria Alexeyevna Lvova-Belova, commissaire présidentielle aux droits de l'enfant, est expressément visée par le septième train de sanctions, à l'annexe du Règlement d'exécution (UE) 2022/1270 du Conseil du 21 juillet 2022, mettant en oeuvre le règlement (UE) no  269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine. 20 ( * )

Il convient que l'Union européenne et ses États membres mettent en oeuvre tous les moyens techniques et humains à leur disposition, en coopération avec les autorités ukrainiennes, pour documenter et recenser tous les cas de transferts forcés et de déportation d'enfants engagés par la Fédération de Russie depuis le début du conflit et identifier les responsables de ces actes afin d'ouvrir la voie à des poursuites judiciaires ultérieures et de les sanctionner.

Les rapporteurs estiment que la liste des sanctions devrait être élargie en ce sens, afin de viser l'ensemble des responsables du « système » documenté par le rapport de Yale précité, en fonction des éléments qui auront pu être retenus, grâce en particulier à la coopération judiciaire et policière.

b) Le rôle d'Eurojust

Dès le 8 avril 2022, quelques jours après le massacre de Boutcha, où des centaines de corps de civils étaient découverts, l'Union européenne a annoncé mettre à disposition tous les moyens en sa possession pour participer aux enquêtes ouvertes par l'Ukraine sur les crimes de guerre.

L'agence de coopération judiciaire européenne Eurojust regroupe les États membres de l'UE (sauf le Danemark), mais également des pays partenaires, comme l'Ukraine depuis 2016. Depuis sa création en 2002, sa mission est d'assurer une coordination entre États membres face à toutes les formes de criminalité organisée, du trafic de drogue au trafic d'êtres humains en passant par le blanchiment d'argent. L'agence, dont le siège est à La Haye (Pays-Bas), peut également apporter un soutien logistique et financier aux enquêtes menées par les États membres et associés. Elle ne pouvait en revanche ni recueillir ni conserver elle-même des éléments de preuves.

C'est pourquoi le Règlement (UE) 2022/838 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 a modifié le règlement (UE) 2018/1727 en ce qui concerne la préservation, l'analyse et la conservation, au sein d'Eurojust, des éléments de preuve relatifs aux génocides, aux crimes contre l'humanité, aux crimes de guerre et aux infractions pénales connexes.

L'aide fournie par Eurojust prend trois formes. Tout d'abord, l'agence chapeaute une équipe commune d'enquête, constituée d'enquêteurs polonais, lituaniens et ukrainiens. Depuis le 25 avril 2022, celle-ci coopère avec le procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Eurojust centralise aussi les éléments de preuve recueillis afin de faciliter les échanges et ainsi accélérer les enquêtes et les éventuelles poursuites pouvant être menées devant la CPI.

Cette coopération permet notamment de prévenir des doublons : il s'agit ainsi d'éviter qu'un témoin d'un crime soit entendu, par exemple, une première fois par la police ukrainienne, puis par celle du pays dans lequel il se serait réfugié. Il s'agit aussi de permettre que les enquêteurs puissent retrouver facilement des témoins qui se seraient ensuite éparpillés sur le territoire européen. Tous les États membres et associés à l'Agence peuvent se joindre à cette équipe.

C'est pourquoi les rapporteurs ont proposé de compléter le texte initial de la proposition de résolution pour appeler le Gouvernement et les autorités françaises à lui apporter un soutien renforcé, en fonction des compétences et des moyens disponibles pour venir en aide aux enfants ukrainiens et documenter les cas ressortant de la CPI.

4. L'action des autres organisations et institutions européennes
a) Le Conseil de l'Europe

Disposant d'une solide expérience et d'une légitimité historique en matière de droits de l'homme, le Conseil de l'Europe s'est tôt mobilisé pour contribuer à organiser la lutte contre leurs violations perpétrées dès l'invasion russe de l'Ukraine.

Dès le 15 mars 2022, l'APCE adoptait à l'unanimité un avis considérant que la Fédération de Russie ne pouvait plus être membre de l'Organisation, qu'elle avait rejointe en 1996.

Six mois après son exclusion du Conseil de l'Europe, la Fédération de Russie cessa d'être partie à la Convention européenne des droits de l'homme, soit le 16 septembre 2022 , la Cour européenne des droits de l'homme restant compétente pour examiner les requêtes contre la Russie concernant des actions survenues jusqu'à cette date.

L'APCE s'est tôt et vigoureusement mobilisée pour condamner la guerre menée en Russie et ses conséquences. Sa résolution 2433 (2022) du 27 avril 2022 21 ( * ) appelle notamment à « soutenir les enquêtes et les procédures mises en place par la Cour pénale internationale, la Cour internationale de justice et la commission d'enquête sur l'Ukraine créée par le Conseil des droits de l'homme, ainsi que le travail de la procureure générale d'Ukraine visant à établir la responsabilité des violations du droit international des droits humains et du droit humanitaire, et d'autres crimes internationaux. »

Sa résolution 2436 (2022) 22 ( * ) tend à « faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d'autres crimes internationaux rendent des comptes. »

Sa résolution 2482 (2023) 23 ( * ) du 26 janvier 2023, intitulée « Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine », vise notamment les cas « de détentions illégales de civils, de transferts forcés et de déportations de citoyens ukrainiens, y compris d'enfants, vers la Fédération de Russie ou des zones occupées par la Fédération de Russie ». Elle cite « le transfert forcé d'enfants d'un groupe à un autre groupe à des fins de russification, au moyen de l'adoption par des familles russes et/ou du transfert vers des orphelinats sous gestion russe ou des structures d'accueil comme des camps d'été » parmi les actes qui pourraient relever de l'article II de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, à laquelle l'Ukraine et la Fédération de Russie sont parties.

Le 31 janvier 2023, la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe publiait un rapport intitulé « Responsabilité pour les violations des droits de l'homme résultant de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine : rôle de la communauté internationale, y compris du Conseil de l'Europe » où elle rappelait la contribution que cette institution pouvait apporter pour « faire en sorte que les auteurs des crimes et violations des droits de l'homme présumés au cours de cette guerre aient à répondre de leurs actes, y compris la réparation intégrale des dommages, pertes ou préjudices causés » 24 ( * ) .

Le 24 février 2023, la Conférence des ONG internationales du Conseil de l'Europe et son Comité de la société civile sur les droits de l'enfant ont publié une déclaration afin de renforcer la prise de conscience collective, des personnes et des institutions du Conseil de l'Europe et de ses États membres, sur les conditions de vie dramatiques des enfants ukrainiens 25 ( * ) . Ce texte appelle notamment au respect de l'article 9 de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, lequel stipule que les États parties veillent à ce qu'un enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré.

b) L'OSCE

Plus vaste dans son champ géographique, mais moins connue que le Conseil de l'Europe, l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) est composée de 57 États d'Amérique du Nord, d'Europe et d'Asie, dont la Russie. Elle s'efforce de promouvoir la stabilité, la paix et la démocratie par le dialogue politique et l'action de terrain.

La présence d'une délégation russe n'a pas empêché le président de la commission ad hoc sur les migrations, dans son rapport à la commission permanente de l'assemblée parlementaire de l'OSCE (AP-OSCE), lors de sa 22 e réunion d'hiver à Vienne, publié le 24 février 2023, de faire état de ses vives préoccupations quant aux déportations ou transferts forcés d'enfants ukrainiens par la Russie 26 ( * ) .

Dans son allocution devant la troisième commission de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, chargée de la démocratie, des droits de l'homme, et des questions humanitaires, également réunie à Vienne le 24 février 2003, puis lors de son audition par les rapporteurs, le Représentant spécial de l'OSCE pour la lutte contre les trafics et la traite des êtres humains, M. Valiant Richey 27 ( * ) , a rappelé que, depuis l'invasion de la Crimée en 2014, le nombre de victimes de la traite des êtres humains en provenance des régions annexées par la Fédération de Russie avait quadruplé, et a appelé les États membres à accroître leur vigilance à l'égard des risques de trafics et de traite pesant sur les personnes les plus vulnérables, dont les enfants.

Cela rejoint les constatations faites dans plusieurs de ses rapports et dès le 20 juillet 2022 par le Bureau international de la démocratie et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE 28 ( * ) .

Surtout, le « mécanisme de Moscou » de l'OSCE a déjà, par deux fois en 2022 29 ( * ) , pointé les violations graves des droits des enfants ukrainiens par les autorités russes. Cette procédure - adoptée le 3 octobre 1991 - permet à l'OSCE, à la demande d'au moins quarante-cinq de ses États membres, de charger des personnalités éminentes ayant de l'expérience en matière de droits de l'homme, qui figurent sur une liste préétablie à partir de propositions d'experts par les États participants, d'enquêter sur la situation de l'un de ces États, même en l'absence de consensus - ce qui est remarquable pour cette organisation qui fonctionne généralement selon la règle du consensus, laquelle confère de facto un quasi droit de veto à la Russie 30 ( * ) .

Ce mécanisme a été une nouvelle fois formellement mis en oeuvre par la désignation, le 3 avril 2003, par l'Ukraine de trois expertes 31 ( * ) chargées d'enquêter sur les transferts forcés et la déportation de civils ukrainiens par la Russie, y compris d'enfants non accompagnés 32 ( * ) . Leur rapport devrait être présenté le 27 avril ou le 4 mai 2023 au conseil permanent de l'OSCE.


* 10 https://www.senat.fr/leg/tas22-052.html

* 11 http://www.senat.fr/seances/s202302/s20230207/st20230207000.html

* 12 https://fr.franceintheus.org/spip.php?article11195

* 13 https://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?fichier=bafr2023-02-27.html#Chapitre2

* 14 https://www.helloasso.com/associations/pour-l-ukraine-pour-leur-liberte-et-la-notre

* 15 Avec le cabinet Vigo Avocats, dont l'un des associés, Me Emmanuel Daoud, a été auditionné par les rapporteurs ; cf. également « Raisons et déraison d'un tribunal spécial pour juger le crime d'agression de la Russie en Ukraine », par Emmanuel Daoud et Gabriel Sebbah, Avocats au barreau de Paris, Vigo cabinet d'avocats, in Dalloz, AJ Pénal 2023 p.64

* 16 https://www.change.org/p/bringbackukrainiankids

* 17 https://www.youtube.com/watch?v=0dHEHAz5PmQ

* 18 https://apnews.com/article/russia-ukraine-politics-moscow-children-ae7e726e2908bcebccf78a0030d1e742

* 19 Cf. notamment le compte twitter de la Représentation permanente de la Pologne auprès de l'UE : https://twitter.com/PLPermRepEU

* 20 Selon ladite annexe, publiée au Journal Officiel de l'Union européenne, le 21 juillet 2022, Mme Lvova-Belova « a lancé la simplification de la procédure d'octroi de la citoyenneté aux enfants orphelins en Ukraine. Elle est l'une des personnes les plus impliquées dans le transport illégal d'enfants ukrainiens vers la Russie et dans leur adoption par des familles russes. Par ses actes, Maria Alexeyevna Lvova-Belova viole les droits des enfants ukrainiens et enfreint la loi et l'ordre administratif ukrainiens; elle est donc responsable d'actions et de politiques qui portent atteinte à la souveraineté et à l'indépendance de l'Ukraine, ainsi qu'à la stabilité et à la sécurité en Ukraine, et soutient et met en oeuvre de telles actions et politiques. »

Cf. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:L:2022:193:FULL&from=FR

* 21 https://pace.coe.int/fr/files/30017/html

* 22 https://pace.coe.int/fr/files/30024

* 23 https://pace.coe.int/fr/files/31620/html

* 24 Documents d'information SG/Inf(2023)7

* 25 https://www.coe.int/fr/web/ingo/newsroom/-/asset_publisher/hfD3dljiyUCJ/content/the-fundamental-rights-of-ukrainian-children-must-be-respected-conference-of-ingos-declaration-1

* 26 https://www.oscepa.org/en/documents/ad-hoc-committees-and-working-groups/ad-hoc-committee-on-migration-1

* 27 https://www.osce.org/cio/valiant-richey

* 28 https://www.osce.org/odihr/523081

* 29 Cf. les deux rapports publiés le 13 avril 2022 puis le 14 juillet 2022 :

https://www.osce.org/odihr/515868

https://www.osce.org/odihr/522616

* 30 Cf. Yves Doutriaux, « La protection des droits de l'Homme au défi de l'agression de l'Ukraine par la Fédération de Russie : quelle réaction internationale et régionale ? », Droits fondamentaux, N. 20, 2022 [ https://www.crdh.fr?p=6663 ].

* 31 Il s'agit de Mmes Veronika Bilkova (République tchèque, rapporteure pour les deux précédents mécanismes de Moscou sur l'Ukraine) ; Cecilie Hellestveit (Norvège) ; Elîna Ðteinerte (Lettonie).

* 32 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-et-l-europe/evenements-et-actualites-lies-a-la-politique-europeenne-de-la-france/actualites-europeennes/article/osce-invocation-du-mecanisme-de-moscou-sur-les-deportations-d-enfants

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