TITRE IV
ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE
DU SYSTÈME DE L'ASILE

Article 19
Expérimentation de pôles territoriaux « France asile »

L'article 19 tend à créer des pôles territoriaux « France asile ».

La commission a considéré que la voie de l'expérimentation, assortie de garanties, était préférable pour la mise en oeuvre de ces nouveaux pôles où l'étranger pourrait à la fois se faire enregistrer par la préfecture et introduire sa demande d'asile auprès de l'OFPRA .

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. La création de pôles territoriaux « France asile » se substituant aux actuels GUDA a pour but de faciliter le parcours du demandeur d'asile

L'article 19 du projet de loi tend à autoriser le Gouvernement à créer, s'il le souhaite, des pôles territoriaux « France asile » qui permettraient en un même lieu, outre l'enregistrement du demandeur d'asile par la préfecture et l'ouverture de droits par l'Office français pour l'immigration et l'intégration (OFII), d'introduire une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Ces pôles territoriaux auraient vocation à se substituer aux guichets uniques d'accueil des demandeurs d'asile (GUDA) , au nombre de trente-trois en France hexagonale qui ne permettent aujourd'hui d'effectuer que les deux premières étapes.

Les personnes dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France se voient aujourd'hui remettre à l'occasion du passage en GUDA un dossier papier qu'elles doivent adresser à l'OFPRA dans les vingt et un jours (article L. 531-2 du Ceseda). C'est à la réception de ce dossier par l'OFPRA qu'intervient l'introduction de la demande d'asile, à la suite de laquelle le demandeur a vocation à être convoqué à un entretien avec un officier de protection instructeur.

Compte tenu de la concomitance entre l'enregistrement et l'introduction de la demande d'asile que permettraient ces pôles « France asile », le Gouvernement considère que le délai de vingt et un jours entre ces deux étapes n'aurait plus lieu d'être et le supprime .

Comme l'a indiqué le directeur général de l'OFPRA lors de son audition par les rapporteurs, l'intérêt de cette réforme est de permettre aux demandeurs d'être accompagnés par un agent de l'OFPRA 204 ( * ) qui recueillerait en face à face, avec l'assistance d'un interprète, les éléments du dossier de demande d'asile. L'entretien personnel ultérieur avec l'officier de protection, quant à lui, continuerait d'avoir lieu selon les modalités actuelles , soit au siège de l'OFPRA, soit dans les territoires à l'occasion de missions foraines ; ces dernières pourraient alors se tenir dans les locaux dédiés à l'OFPRA au sein des espaces « France asile », si ceux-ci permettent de garantir la confidentialité.

Le projet de loi vise également à ce que les langues dans lesquelles l'étranger peut être entendu lui soient communiquées « dans les meilleurs délais », c'est-à-dire, par l'officier de l'OFPRA présent au sein du pôle « France asile » et non plus lors de l'enregistrement par la préfecture, pour éviter les erreurs (article L. 521-6 du Ceseda), souvent sources de délais complémentaires ultérieurs.

2. La position de la commission : approuver le principe d'une expérimentation de « France asile » tout en apportant des garanties au demandeur

La commission a approuvé, sur le principe, une idée qui tend à faciliter la procédure pour le demandeur d'asile , en supprimant le système actuel de « double guichet » (GUDA puis OFPRA).

Les rapporteurs ont en effet été convaincus par les arguments de l'OFPRA selon lequel un contact direct entre le demandeur d'asile et ses services dès le stade de l'introduction de la demande permettrait de fiabiliser le recueil d'informations importantes , comme le choix de la langue d'entretien et de la procédure ainsi que son état civil, qui pourrait permettre à l'OFPRA d'accélérer le délai aujourd'hui trop long (environ huit mois), dans lequel il délivre aux personnes protégées ses documents. Il est également incontestable que la saisie numérique de ses informations aujourd'hui transmises par courrier permettrait d'achever la dématérialisation du dossier de demande d'asile et donc de fiabiliser les informations collectées tout en gagnant du temps.

Les rapporteurs ont toutefois émis des réserves sur l'opportunité de laisser « à la main » du Gouvernement le choix de créer ou pas ces pôles territoriaux . Il leur a semblé contraire au principe d'égalité que les demandeurs d'asile soit soumis à une procédure différente selon le lieu où ils se trouveraient en France.

Outre cette difficulté juridique, les rapporteurs estiment que la création de ces pôles territoriaux pourrait poser des problèmes pratiques de locaux , qui devront garantir, pour la tenue des entretiens d'introduction de demande d'asile, la confidentialité requise, notamment dans les préfectures où le nombre de demandeurs est très important comme la préfecture de police à Paris, par exemple. Ce dispositif requerra également, outre la formation des personnels, une réflexion pour assurer la bonne coordination entre les différents intervenants et adapter les systèmes d'information de l'OFPRA.

La commission a donc adopté un amendement COM-232 des rapporteurs encadrant ce dispositif par la voie d'une expérimentation de l'article 37-1 de la Constitution, d'une durée de quatre ans, dans au moins dix départements définis par arrêté du ministre de l'intérieur, dont au moins un situé en outre-mer.

Enfin, si la commission adhère à la volonté de réduire le délai global de la procédure, elle considère que cette réforme ne doit pas empêcher le demandeur de présenter son récit détaillé dans les meilleures conditions . Pour éviter toute ambiguïté, elle a formellement consacré par le même amendement la possibilité pour le demandeur d'asile de compléter sa demande de tout élément ou pièce utile jusqu'à son entretien personnel , qui ne pourrait intervenir avant un délai de vingt et un jours à compter de l'introduction de sa demande d'asile.

La commission a adopté l'article 19 ainsi modifié .

Article 19 bis (nouveau)
Extension des cas dans lesquels l'OFII est tenu de retirer
ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil

L'article 19 bis , issu d'un amendement des rapporteurs, substitue une obligation de retrait ou de suspension des conditions matérielles d'accueil à la faculté actuellement prévue par les articles L. 551-15 et L. 551-16 du Ceseda.

La commission a adopté l'article 19 bis ainsi rédigé.

Le présent article, déjà adopté par le Sénat en 2018, tend à étendre les cas dans lesquels l'OFII est tenu de retirer ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

L'octroi de conditions matérielles d'accueil, prévues pour les personnes demandant l'asile, résulte de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale 205 ( * ) . Cette obligation est transcrite à l'article L. 551-8 du Ceseda.

Ces conditions matérielles sont composées :

- d'une allocation pour demandeur d'asile (ADA), versée mensuellement et dont le montant varie suivant la composition familiale ;

- d'un hébergement dans une structure dédiée.

Les articles L. 551-15 et L. 551-16 du code prévoient respectivement les conditions des refus et cessation de cette aide.

L'aide peut être refusée dans quatre cas :

- si le demandeur refuse la région d'orientation qui a été déterminée par l'OFII ;

- ou s'il refuse la proposition d'hébergement qui lui a été faite ;

- s'il dépose d'une demande de réexamen de sa demande d'asile ;

- ou s'il formule celle-ci hors délai.

L'aide peut être suspendue en cas :

- de départ de la région d'orientation ou du lieu d'hébergement ;

- d'absence aux entretiens.

- de dissimulation d'informations ;

- de fourniture d'informations mensongères ;

- de dépôt de plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes.

Il est tenu dans tous les cas compte de la vulnérabilité de la personne.

La commission a considéré qu'il appartenait à l'OFII, sous réserve de l'examen de la situation prévue aux articles L. 551-15 et L. 551-16, de suspendre systématiquement les conditions matérielles d'accueil dans les cas où un demandeur d'asile ne se conforme pas à ses obligations. Elle a donc adopté l' amendement COM-223 des rapporteurs.

La commission a adopté l'article 19 bis ainsi rédigé .

Article 19 ter (nouveau)
Intégration des places destinées à l'accueil des demandeurs d'asile
dans le décompte du taux de 20 % à 25 % de logements sociaux imposé
aux communes depuis la loi « SRU »

L'article 19 ter , issu d'un amendement des rapporteurs, tend à ce que les places d'hébergement destinées aux demandeurs d'asile soient considérées comme des logements sociaux.

La commission a adopté l'article 19 ter ainsi rédigé.

L'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation détermine :

- un objectif de taux de logements locatifs sociaux par commune, fixé à 20 % ou à 25 % de l'ensemble des résidences principales en fonction de plusieurs critères (nombre d'habitants, densité de l'aire urbaine alentours, demande de logements sociaux rapportée au nombre d'emménagements annuels, etc.) ;

- les critères d'exemption applicables à certaines communes ;

- les différentes catégories de logements locatifs sociaux retenues dans le décompte (IV de l'article L. 302-5 précité).

Parmi ces dernières figurent notamment les logements appartenant aux organismes d'habitation à loyer modéré, les logements-foyers de personnes âgées et les terrains locatifs familiaux à destination des gens du voyage.

Depuis la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, les places en centre d'accueil pour les demandeurs d'asile (CADA) y sont intégrées afin d'inciter les communes à accueillir de telles structures.

Le III de l'article R. 302-15 du code de la construction et de l'habitation fixe les modalités de cette intégration. En pratique, un logement au sens de l'article L. 302-5 équivaut à trois places en CADA.

Le présent article vise à introduire dans le décompte des logements sociaux :

- les centres provisoires d'hébergement (CPH) mentionnés aux articles L. 345-1 et L 349-1 du code de l'action sociale et des familles, destinés aux personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ;

- les centres d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), qui accueillent, à titre provisoire, les demandeurs d'asile préalablement à leur admission éventuelle en CADA ou ceux ne pouvant pas bénéficier d'un hébergement en CADA ;

- les « structures d'accueil des étrangers qui ne disposent pas d'un hébergement stable et qui manifestent le souhait de déposer une demande d'asile » ; cette catégorie semble correspondre aux centres d'accueil et d'examen des situations administratives (CAES), qui hébergent des personnes migrantes dans le but d'évaluer leur situation et de leur faciliter l'accès à un guichet unique pour demandeur d'asile.

La commission considère que cette inclusion, déjà votée par le Sénat en 2018, permet de prendre en compte l'effort déployé par les collectivités pour l'accueil des demandeurs d'asile. Elle a donc adopté l' amendement COM-234 des rapporteurs.

La commission a adopté l'article 19 ter ainsi rédigé .

Article 19 quater (nouveau)
Impossibilité du maintien, sauf décision explicite de l'administration,
des personnes déboutées du droit d'asile dans un hébergement
accordé au titre du dispositif national d'accueil

L'article 19 quater , issu d'un amendement des rapporteurs, tend à ce que les déboutés du droit d'asile ne puissent se maintenir dans l'hébergement qui leur a été attribué au titre du dispositif national d'accueil, sauf décision motivée de l'administration.

La commission a adopté l'article 19 quater ainsi rédigé.

Les demandeurs d'asile disposent d'un hébergement au titre des conditions matérielles d'accueil. Après l'octroi de la protection internationale, les réfugiés peuvent se maintenir dans leur lieu d'hébergement pendant trois mois. Les déboutés bénéficient du même droit, pour un délai plus court (un mois à compter du rejet de leur demande d'asile).

En 2018, les déboutés occupaient environ 12 % du parc du dispositif national d'accueil.

Face à l'engorgement de ce dispositif, le Sénat avait adopté la mesure proposée à cet article. Issu de l' amendement COM-235 des rapporteurs, il tend à modifier l'article L. 551-12 du Ceseda, qui fixe les conditions exceptionnelles de maintien dans un lieu d'hébergement destiné aux demandeurs d'asile, afin de conditionner le maintien des déboutés du droit d'asile à une décision motivée de l'autorité administrative.

Cette mesure permet d'accorder la priorité en matière de logement aux demandeurs d'asile dont le dossier est en cours d'examen.

Par coordination, l'article L. 551-15 du Ceseda est modifié pour prévoir une saisine de la justice pour obtenir l'évacuation des lieux si la mise en demeure est restée infructueuse.

La commission a adopté l'article 19 quater ainsi rédigé .

Article 20
Réforme de la Cour nationale du droit d'asile

L'article 20 tend à réformer la Cour nationale du droit d'asile en créant des chambres territoriales et en faisant du recours au juge unique le principe .

La commission a approuvé cette réforme , considérant qu'elle ne posait pas de difficulté majeure et pourrait contribuer à améliorer le traitement du flux d'affaires sans cesse croissant devant la Cour.

Elle a adopté l'article sans modification.

1. La Cour nationale du droit d'asile est confrontée à une augmentation continue de son activité

Depuis sa création en 2007, l'activité de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) n'a cessé de croître . Le nombre de recours introduits est ainsi passé de 34 752 en 2013 à 61 552 en 2022 , avec un pic à 68 243 en 2021 .

Nombre de recours introduits
devant la Cour nationale du droit d'asile entre 2018 et 2022

Nombre de recours

2018

2019

2020

2021

2022

Procédure normale

33 463

32 788

29 284

43 315

36 660

Procédure accélérée

21 598

20 168

12 439

17 467

17 558

Irrecevabilités OFPRA

3 610

6 135

4 320

7 461

7 334

Total

58 671

59 091

46 043

68 243

61 552

Source : Cour nationale du droit d'asile

Si la Cour parvient à maintenir un équilibre entre le nombre de recours et de décisions rendues, le stock d'affaires à traiter a diminué ces dernières années mais reste conséquent.

Nombre de décisions rendues
par la Cour nationale du droit d'asile entre 2018 et 2022

Nombre de décisions

2018

2019

2020

2021

2022

Formation collégiale

20 763

31 102

23 149

40 434

38 320

Juge unique

10 047

13 069

5 029

6 998

10 432

Ordonnances

16 504

22 293

13 847

20 971

18 390

Total

47 314

66 464

42 025

68 403

67 142

Source : Cour nationale du droit d'asile

Nombre de décisions en stock
devant la Cour nationale du droit d'asile entre 2018 et 2022

2018

2019

2020

2021

2022

36 868

29 495

33 513

33 353

27 763

Source : Cour nationale du droit d'asile

Surtout, même si la situation s'est améliorée , le délai de jugement des affaires demeure trop long et supérieur aux limites fixées par le législateur à l'article L. 532-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), fixé à cinq mois lorsque la Cour statue en formation collégiale et à cinq semaines lorsqu'elle statue en juge unique.

Délais moyens de jugement
devant la Cour nationale du droit d'asile entre 2018 et 2022

Type de formation

2018

2019

2020

2021

2022

Formation collégiale

9 mois et 17 jours

11 mois et 4 jours

12 mois et 6 jours

9 mois et 25 jours

7 mois et 27 jours

Juge unique

5 mois et 13 jours

5 mois et 27 jours

6 mois et 17 jours

7 mois et

3 jours

8 mois et 11 jours

Ordonnances

3 mois et

9 jours

2 mois et 12 jours

2 mois et 8 jours

2 mois et 12 jours

2 mois et 22 jours

Moyenne globale

6 mois et 15 jours

7 mois et

5 jours

8 mois et

8 jours

7 mois et

8 jours

6 mois et 16 jours

Source : Cour nationale du droit d'asile

2. Le projet de loi propose de réformer l'organisation et le fonctionnement de la CNDA pour répondre aux difficultés résultant de son activité croissante

L'article 20 propose de réécrire la section 2 du chapitre unique du titre III du livre I er consacrée à l'organisation et au fonctionnement de la CNDA.

2.1 La territorialisation de la CNDA

En application de l'article L. 131-1 du Ceseda, la CNDA est une juridiction administrative spécialisée à compétence nationale qui siège à Montreuil . Elle statue en plein contentieux sur l'ensemble des recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Or la CNDA estime à près de 47 % le nombre de recours issus de demandeurs résidant en région. Les objectifs du schéma d'orientation des demandeurs d'asile voté dans la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ont en effet conduit à une moindre concentration des demandeurs en Ile-de-France.

Répartition des recours devant la Cour nationale du droit d'asile
par région de domiciliation des requérants

Source : Cour nationale du droit d'asile

L'audience à Montreuil oblige le demandeur d'asile à un voire plusieurs déplacements lorsque l'affaire est renvoyée, ce qui est fréquent. Le taux de renvoi des affaires à l'audience 206 ( * ) est en effet de l'ordre de 30 %
- soit 26 000 affaires - dû pour moitié à l'absence du requérant ou de l'avocat .

Le projet de loi tend à répondre à ces difficultés en autorisant le pouvoir règlementaire - qui n'avait pas besoin d'habilitation législative pour le faire - à créer des « chambres territoriales » en dehors du siège de la CNDA (article L. 131-3 du Ceseda)

La Cour estime que les chambres territoriales pourraient, in fine , juger entre 25 % et 33 % des recours . La difficulté de trouver des interprètes dans certaines langues rares en région obligera très certainement la Cour à conserver le jugement à Montreuil de certaines affaires dans des chambres spécialisées . C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi prévoit que le président le Cour peut « spécialiser les chambres en fonction du pays d'origine et des langues utilisées ».

Lors du déplacement des rapporteurs à la CNDA, son président, Mathieu Hérondart, a indiqué que la création de chambres était envisagée à Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux, Nancy ou, le cas échéant, Toulouse, où la Cour pourrait, le cas échéant, utiliser les salles d'audiences des cours administratives d'appel.

Outre un effet sur les délais , il est attendu de cette réforme une moindre concentration des dossiers par avocat : un petit nombre d'entre eux traitent en effet de nombreux dossiers devant la CNDA, ce qui constitue une contrainte pour l'audiencement.

2.2 La généralisation du principe du juge unique

Aux termes de l'article L. 532-6 du Ceseda, la Cour statue aujourd'hui par principe en formation collégiale, sauf dans certaines matières énumérées par la loi dans lesquelles le président de la Cour où celui de la formation de jugement statue seul . Il s'agit des affaires dans lesquelles l'OFPRA a statué en procédure accélérée 207 ( * ) ou a pris une décision d'irrecevabilité 208 ( * ) . Entre 40 et 50 % des décisions sont déjà rendues, selon les années, par un juge unique à la CNDA.

La formation collégiale est actuellement présidée par un magistrat professionnel , en activité ou honoraire, en poste permanent à la CNDA ou vacataire, nommé parmi les membres des magistrats administratifs, judiciaires ou financiers (article L. 131-3 du Ceseda actuel). Siègent également au sein de cette formation de jugement deux assesseurs non professionnels :

- le premier, nommé par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour ses compétences géopolitiques ou juridiques, sur avis conforme du Conseil d'État ;

- le second, personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d'État à raison des mêmes compétences.

Seuls les magistrats professionnels peuvent présider une formation de jugement et donc, statuer seul .

Le critère actuel de recours au juge unique ne repose pas sur une appréciation du fond du dossier devant la Cour mais sur la procédure suivie devant l'autorité administrative . Si, par exemple, certains dossiers examinés à juge unique en raison d'une demande d'asile tardive - au-delà de 90 jours dans le droit en vigueur - mériteraient d'être examinés en formation collégiale du fait de la nationalité du requérant, à l'inverse, d'autres dossiers relevant de la procédure normale devant l'OFPRA ne requièrent pas toujours un examen collégial. La Cour connaît à cet égard un nombre important de dossiers présentant des demandes stéréotypées émanant de pays sans réelles difficultés géopolitiques. Dans ce cas, l'apport des deux assesseurs est, en réalité, assez faible.

Ce système engendre des délais de jugement importants . La Cour renvoie ainsi près de 20 % des dossiers de juge unique en formation collégiale en raison d'erreurs procédurales devant l'OFPRA, ce qui entraîne un délai supplémentaire de deux à trois mois. Dans ces conditions, il est alors impossible de respecter le délai de jugement en cinq semaines auquel sont pourtant soumis ces dossiers .

Le projet de loi tend donc à inverser le principe actuel en prévoyant , par un nouvel article L. 131-7 du Ceseda, que le président de la formation de jugement statue seu l, sauf si de sa propre initiative ou à la demande du requérant, lui ou le président de la Cour nationale du droit d'asile « (...) ne décide, à tout moment de la procédure, d'inscrire l'affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s'il estime qu'elle pose une question qui le justifie (...). » Il s'agit, comme l'ont compris les rapporteurs, de réserver à la formation collégiale les affaires concernant des personnes ayant des vulnérabilités particulières (les mineurs non accompagnés, les personnes LGBT, par exemple), présentant des questions juridiques complexes ou relevant d'une appréciation des faits dans un contexte géopolitique troublé en constante évolution comme, en pratique, pour la Libye, l'Érythrée, la Somalie ou l'Afghanistan.

La rédaction retenue par le projet de loi, suggérée par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi, est plus souple que le critère actuel de renvoi faisant référence à une « difficulté sérieuse » 209 ( * ) . Le législateur s'en remettrait donc à l'appréciation de la juridiction qui seule pourra estimer de la pertinence du renvoi sur chaque affaire individuelle et lui permettrait, ce faisant, de préserver une part importante de collégialité.

Il n'y aurait en outre plus de lien entre la procédure suivie devant l'OFPRA et les modalités de jugement devant la CNDA , qui pourrait aussi bien renvoyer en formation collégiale des décisions prises en formation accélérée ou les maintenir en juge unique.

Le juge unique devenant le principe , il statuerait, par principe, en cinq mois , sauf lorsque l'OFPRA a statué en procédure accélérée ou a pris une décision d'irrecevabilité. Dans ce cas, la Cour aurait toujours cinq semaines pour statuer. En toute hypothèse, tout renvoi à la formation collégiale permettrait à la Cour de statuer en cinq mois (article L. 532-6 du CESEDA).

2.3 L'élargissement du vivier des assesseurs

Le Gouvernement ne cache pas que la généralisation du juge unique résulte également des difficultés à recruter des assesseurs . Dans ce contexte, la territorialisation ne pourrait être mise en oeuvre dans les conditions actuelles de répartition du contentieux entre formation collégiale et juge unique.

À cet égard, le projet de loi tend à élargir le vivier des assesseurs en permettant que des magistrats susceptibles de présider une formation de jugement puissent, alternativement avec une personnalité qualifiée, être nommés comme premier assesseur par le vice-président du Conseil d'État, ce qui permettrait d'accroître le vivier de juges pouvant statuer seul .

Enfin, le projet de loi tend également à ce que le second assesseur soit nommé par le vice-président du Conseil d'État et non par le HCR , ce qui permet opportunément de normaliser la nature juridictionnelle de la Cour sans retirer l'initiative des nominations au HCR qui, proposera au vice-président du Conseil d'État de nommer des profils qu'il juge adaptés au droit d'asile.

3. La position de la commission : approuver une réforme qui ne pose pas de difficulté majeure et peut contribuer à gérer le flux d'affaires sans cesse croissant devant la Cour

La commission a approuvé cette réforme qui ne lui a pas paru poser de difficulté majeure.

Si le projet de territorialisation est bien accepté par les principaux acteurs, les rapporteurs se sont étonnés du développement parallèle d'un projet de construction d'une nouvelle CNDA à Montreuil.

Elle résulte, en tout état de cause, de l'échec de la vidéo-audience votée par le législateur dans la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée 210 ( * ) , un droit d'asile effectif et une intégration réussie, du fait de l'opposition de la profession d'avocat. Pour autant, la vidéo-audience est mise en oeuvre par la CNDA et donne satisfaction sur le plan technique , mais elle n'est possible en pratique qu'avec le consentement de l'étranger , alors que l'objectif du législateur, validé par le Conseil constitutionnel, était d'y recourir sans consentement pour assurer une bonne administration de la justice et permettre aux intéressés de présenter leurs explications à la Cour.

La commission estime que la territorialisation, en évitant des nombreux déplacements, devrait permettre de diminuer le nombre de renvois et donc d'accélérer les délais de jugement . Elle n'y voit pas d'obstacle à l'unité de la jurisprudence, puisque ces chambres ne seront en aucun cas des juridictions autonomes. Il importe toutefois de pouvoir spécialiser certaines chambres à Montreuil , compte tenu de l'absence probable d'interprètes disponibles dans certaines langues rares en région.

La commission a également accepté la généralisation du principe du juge unique , considérant qu' aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle ne s'y opposait et que les conditions de renvoi à la formation collégiale permettraient toujours au juge d'y faire droit s'il l'estimait nécessaire.

Il est important que le juge puisse renvoyer à la formation collégiale à tout moment , y compris au stade initial de l'orientation de l'affaire, pour éviter un renvoi à l'audience . Comme l'a indiqué Mathieu Hérondart, président de la CNDA, le taux de protection reconnu par la CNDA est équivalent (autour de 21 %) en juge unique ou en collégial . Au surplus, les six mois de formation collégiale qui resteront requis pour présider une formation de jugement et donc, statuer seul, sont une garantie de qualité de la décision juridictionnelle. La possibilité nouvelle de faire siéger des magistrats vacataires comme assesseurs au sein des


formations collégiales permettra de remplir cette condition en apprenant auprès d'un juge plus expérimenté dans le droit d'asile et dans la conduite de l'audience.

La commission a adopté l'article 20 sans modification .

Article 20 bis (nouveau)
Possibilité de suspension de la vidéo-audience
à la Cour nationale du droit d'asile en cas de difficulté technique

L'article 20 bis , introduit à l'initiative des rapporteurs, tend à formaliser la possibilité pour le juge de la CNDA de suspendre une vidéo-audience en cas de difficulté technique.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé .

Introduit à l'initiative des rapporteurs par l'adoption d'un amendement COM-236 , l'article 20 bis tend à compléter l'article L. 532-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) relatif au recours à la vidéo-audience pour formaliser la possibilité pour le président de la formation de jugement, lorsque la qualité de la retransmission n'est pas au rendez-vous, de suspendre l'audience .

La commission a adopté l'article 20 bis ainsi rédigé .


* 204 Qui ne serait pas un officier de protection de mais un agent de catégorie B.

* 205 Article 17 I. « Les États membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils présentent leur demande de protection internationale. »

* 206 Un renvoi entraîne en moyenne une augmentation du délai de jugement de deux mois, le temps que l'affaire soit réaudiencée.

* 207 Articles L. 531-24, L. 531-26 ou L. 531-27 du Ceseda.

* 208 Article L. 531-32 du même code.

* 209 L. 532-7 du Ceseda.

* 210 Article L. 532-13 du Ceseda.

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