LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3, DE LA CONSTITUTION

Dans le texte considéré comme adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, les crédits de la mission « Santé » ont été modifiés par un amendement n° II-4591 de Mme Véronique Louwagie, du groupe Les Républicains, et plusieurs de ses collègues, majorant les crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » de 1 million d'euros en AE et en CP afin de relancer la campagne de communication en faveur de l'indemnisation des victimes de la Dépakine.

Cette majoration est gagée à due concurrence sur les crédits de l'action n° 02 « Aide médicale d'État » du programme 183 « Protection maladie », relative à l'aide médicale d'État. Le Gouvernement n'a pas levé le gage dans le texte considéré comme adopté en vertu de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Ainsi, le montant total des crédits de la mission n'évolue pas entre le dépôt à l'Assemblée nationale et la transmission au Sénat du projet de loi de finances pour 2024.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 7 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial, sur la mission « Santé ».

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - La mission « Santé » s'amenuise d'année en année. Chaque année, mon prédécesseur, Christian Klinger, émettait des doutes sur la pertinence de cette mission, et il est vrai qu'il y a des raisons de s'interroger.

De nombreuses actions financées par le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » ont été transférées à l'assurance maladie au fil des années. Les dépenses restantes se concentrent sur quatre postes principaux : dépenses de contentieux, prise en charge du système de santé à Wallis-et-Futuna, subventions pour l'Institut national du cancer (INCa) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), lesquels reçoivent aussi des crédits d'autres missions.

La dotation de l'Institut national du cancer connaîtrait une diminution de 6 millions d'euros en 2024. L'Institut aurait en effet accumulé des excédents ces dernières années, et s'est constitué un fonds de roulement important qui justifie une baisse de sa dotation de fonctionnement. Toutefois, ses comptes semblent en déficit ; la situation financière de l'INCa constitue donc un point de vigilance et pourra faire l'objet, pour les années à venir, de mesures d'économies ou d'abondements, selon l'évolution de son solde.

Néanmoins, au cours des trois dernières années, l'État a rapatrié sur ce programme, pour les besoins de la gestion de la crise sanitaire, des crédits provenant de l'assurance maladie, en créant un fonds de concours alimenté par Santé publique France. Ce sont au total un peu plus de 1 milliard d'euros qui ont été consommés à ce titre entre 2020 et 2022. En 2023, il est prévu un abondement plus modeste de 41,2 millions d'euros au titre du fonds de concours, aucun versement n'étant prévu en 2024. Nous avions émis le souhait, et la Cour des comptes en avait fait de même, de voir cette façon de faire se tarir. Seuls des restes à payer subsistent en 2024, je suis satisfait que l'extinction de ce fonds semble en voie d'être atteinte.

Comme les années précédentes, le programme 204 finance également un grand nombre d'actions extrêmement dispersées, pour des montants généralement faibles. Ces dernières paraissent loin de disposer d'une masse critique suffisante pour produire un réel impact sur les objectifs de santé publique.

Le nouveau programme 379, créé à la fin de l'année 2022, recueille les crédits européens de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) européenne destinés à la France, qui soutiennent le volet investissement du Ségur de la santé. Ce volet représente un montant total de 19 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros proviennent de cette facilité de relance européenne. Entre 2021 et 2023, un peu plus de 2 milliards d'euros ont été versés à la mission « Santé » par ce biais.

Si ce programme améliore la traçabilité des fonds européens, il ne constitue toutefois qu'un simple canal de transmission à l'assurance maladie et ne redonne aucune substance particulière à la mission « Santé » en termes de politique publique.

Par ailleurs, je rappelle que, sur l'initiative du Sénat, un programme relatif à la carte Vitale biométrique a été créé dans le cadre de la mission « Santé » pour améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude. Toutefois, ce programme n'a pas été reconduit par le Gouvernement.

Depuis, l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ont rendu un rapport qui met en avant le coût important et les difficultés de mise en oeuvre d'une carte Vitale biométrique. Il semble judicieux d'en prendre acte, tout en réaffirmant la volonté du Sénat de soutenir l'émergence de solutions contre la fraude aux prestations sociales. Ainsi, je vous proposerai de financer, à hauteur de 5 millions d'euros, deux développements d'ores et déjà envisagés et qu'il convient d'accélérer pour un déploiement rapide, à savoir la dématérialisation de la carte Vitale par le biais d'une application ainsi que la fusion entre la carte Vitale et la carte nationale d'identité électronique.

J'en viens enfin à l'aide médicale d'État (AME) qui constitue l'élément principal de la mission « Santé ». Les dépenses d'AME représenteraient environ 1,2 milliard d'euros en 2024, un montant qui semble en légère diminution, de 0,33 %, par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023.

Il s'agit toutefois d'une diminution en trompe-l'oeil, faciale, le montant consacré à l'AME ayant été largement surestimé dans la loi de finances initiale pour 2023. Les dernières prévisions d'exécution indiquent des dépenses d'AME moindres que prévu, et le projet de loi de finances de fin de gestion demande l'annulation de 65,8 millions d'euros de crédits liés à l'AME.

En 2024, les dépenses d'AME progresseraient donc de 5,4 % par rapport à l'exécution attendue pour 2023. Cette évolution résulte notamment de la hausse du nombre de bénéficiaires de l'AME : alors qu'ils étaient plus de 380 000 à la fin de 2021, ce nombre est passé à plus de 411 000 à la fin de 2022 et à plus de 422 000 à la fin du premier trimestre 2023.

Pour endiguer cette augmentation continue, des mesures de régulation ont été mises en place depuis 2020 : pour prendre quelques exemples, depuis le 1er janvier 2020, une condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois est nécessaire pour obtenir le bénéfice de l'AME, afin d'éviter un accès immédiat au dispositif dès l'expiration d'un visa touristique ; de même, une obligation de dépôt physique de la première demande d'AME a été instituée à compter du 1er janvier 2020.

L'impact de ces mesures de régulation apparaît toutefois très limité, puisqu'il est estimé à seulement 20 millions d'euros en 2024, alors que les dépenses d'AME s'élèvent à plus de 1,2 milliard d'euros.

Ces éléments conduisent à reposer la question, plusieurs fois abordée dans notre assemblée, de l'étendue des soins pris en charge par l'AME. À ce titre, je rappelle que, dans la plupart des pays européens, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans le cadre de programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement pour les étrangers en situation irrégulière. Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue une exception par rapport aux pays voisins. Celle-ci semble difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue et non maîtrisée de la charge budgétaire qu'elle constitue.

À la faveur de l'examen, actuellement en cours devant le Sénat, du projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, et dans la continuité de dispositions adoptées par notre assemblée à plusieurs reprises à l'initiative de la commission des finances, la commission des lois a adopté un article 1er . Cet article tend à transformer l'aide médicale d'État en une aide médicale d'urgence (AMU), couvrant le traitement des maladies graves et les soins urgents, les soins liés à la grossesse et ses suites, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Une telle AMU rapprocherait le dispositif de prise en charge des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière de ceux qui sont en vigueur dans les principaux pays voisins, l'AME constituant en Europe une exception difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue des dépenses et de non-maîtrise de la charge budgétaire correspondante.

Le texte adopté procède également au rétablissement d'un « droit d'entrée » pour bénéficier de l'AME, visant à responsabiliser ses bénéficiaires et à assurer partiellement son financement. Un tel droit d'entrée avait déjà été introduit par la loi de finances initiale pour 2011, avant d'être abrogé l'année suivante.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter un amendement tirant les conséquences des dispositions adoptées dans le cadre de l'examen du projet de loi « Immigration ». En additionnant les gains attendus de la restriction du panier de soins, soit 350 millions d'euros comme les années précédentes, et du rétablissement du droit d'entrée abrogé en 2012 - environ 60 millions d'euros -, cet amendement permettrait de réaliser une économie estimée à 410 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Je propose donc l'adoption des crédits de la mission, assortis de ces modifications.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Certes, l'ampleur de la mission « Santé » se réduit, mais pas sur deux points sur lesquels je souhaite revenir.

D'abord, la lutte contre la fraude. Si les inspections missionnées estiment que la mise en place d'une carte Vitale biométrique est une solution onéreuse et inadaptée, quelles solutions proposez-vous ? Le précédent ministre des comptes publics, M. Gabriel Attal, avait évoqué sa volonté de lutter contre les fraudes sociales. Sans outil de mesure, cela reste du bavardage... Avez-vous obtenu des éléments de réponse sur ce point lors de vos auditions ?

Ensuite, l'évolution de l'AME vers une AMU permet d'apporter des solutions conformes aux besoins tout en étant empreintes d'humanité, et de faire preuve d'une relative maîtrise de la dépense. Nous ne parvenons pas à maîtriser l'augmentation des dépenses : c'est la raison pour laquelle les éléments proposés, y compris la réduction de l'enveloppe de crédits, recueillent mon soutien.

M. Grégory Blanc. - Sait-on ce que représenterait, en termes de diminution du volume de l'AME, une régularisation plus large et un accès plus rapide au travail des personnes en situation irrégulière ?

Par ailleurs, quelles préconisations formulez-vous pour renforcer le recours à l'AME dans le cadre d'une prise en charge en ville ? En effet, cela permettrait de diminuer les coûts car on constate un surrecours aux soins hospitaliers.

M. Christian Bilhac. - Je suis d'accord pour retirer 410 millions d'euros à l'AME mais, par prudence, il faudrait les verser à l'AMU. Car je crains que, par un jeu de chaises musicales, les personnes écartées de l'AME se réfugient dans l'AMU, et qu'au final il ne s'agisse que d'effets d'annonce - et pas d'efforts de gestion. L'AMU risque de coûter plus cher.

M. Victorin Lurel. - Si nous approuvons l'appréciation du rapporteur sur l'attrition des moyens octroyés à cette mission, nous ne partageons pas du tout sa conclusion. In cauda venenum ! En l'occurrence, le venin, c'est le programme 183 et l'amendement de réduction de 410 millions d'euros qui est proposé, sur un constat que nous ne partageons pas, à savoir une dynamique tendancielle des dépenses de l'AME de plus de 5 %.

Alors que nous ne comprenions déjà pas la baisse proposée par le Gouvernement dans ce projet de loi de finances (PLF), vous allez plus loin, en disant que c'était facial, nominal, qu'il faut tenir compte d'un sous-dimensionnement en loi de finances initiale et réduire les dépenses octroyées à l'AME.

C'est la dignité de la France et une certaine conception de l'homme qui sont en cause ! L'AME ne représente que 0,49 % des dépenses de santé, et à peu près 51 % seulement des personnes qui y sont éligibles en bénéficient. Ces données ne sont pas qu'allégations. D'après les conclusions provisoires du rapport commandé par la Première ministre à MM. Evin et Stefanini, l'AME n'est pas un facteur d'attractivité pour les étrangers et il n'y a aucun abus de droit. Pardonnez-moi, mais le nouvel article que la majorité sénatoriale souhaite introduire dans le projet de loi « Immigration et intégration » ne fait pas honneur à la République française !

Il faudrait suivre d'autres pays européens, qui auraient régulé autrement leur aide médicale d'État... Je déplore la contamination par une certaine idée de l'homme inspirée d'une droite très extrême qui est en train de se faire jour ici - au-delà du sénateur, c'est l'homme qui parle.

Notre groupe s'opposera à l'adoption de ces amendements et aux crédits de cette mission.

M. Christian Klinger. - J'ai une question concernant l'indemnisation des victimes de la dépakine et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam). On sait que l'étude des dossiers est longue et fastidieuse. L'Oniam s'était engagé à réduire les délais d'instruction et d'indemnisation des victimes. Peut-on le constater ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, il ne faut effectivement pas lâcher l'affaire en matière de lutte contre la fraude, même si l'Igas, dans un rapport dont nous prenons acte, affirme que la carte Vitale biométrique, que nous promouvions, n'est pas la bonne solution.

Deux autres pistes peuvent être explorées. La première est l'Application carte Vitale : elle permettrait de lutter contre la fraude, de faciliter les démarches et de moderniser notre système de soins, avec un accès sur smartphone par reconnaissance faciale, donc via la biométrie. Les travaux d'expérimentation ont été menés. La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) anticipe, à terme, une large diffusion du dispositif, qui serait développé progressivement.

La seconde est la fusion de la carte Vitale avec la carte nationale d'identité (CNI). Cette piste figurait dans le plan de lutte contre la fraude du ministre des comptes publics Gabriel Attal. Une mission de l'Igas est en cours pour étudier les modalités de réalisation de ce chantier. Le dernier rapport que l'inspection a remis sur le sujet, en avril 2023, jugeait la piste plutôt prometteuse.

L'an dernier, nous avons voté un amendement de 20 millions d'euros, sur lesquels 4,3 millions d'euros ont été dépensés. Cette année, nous proposons 5 millions d'euros, pour montrer que nous n'abandonnons pas ces pistes et que nous souhaiterions que le Gouvernement fasse de même. Ce montant assez raisonnable devrait tout de même permettre d'avancer sur les deux pistes que j'ai évoquées, si possible rapidement.

Pour ce qui concerne l'AME, notre collègue Grégory Blanc déclare que les régularisations pourraient avoir un impact. Il est évident que, s'il y a moins de travailleurs irréguliers, et même si 50 % seulement font appel à l'AME, le nombre de prestataires sera réduit !

Nous ne proposons pas de supprimer l'AME, monsieur Bilhac : nous proposons de la transformer en aide médicale d'urgence. Supprimer 410 millions d'euros, c'est simplement s'aligner sur la moyenne européenne. La France a, une nouvelle fois, été très généreuse. Au reste, les propositions qui ont été adoptées au Sénat sont en phase avec ce qui se fait dans les autres pays européens, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou le Danemark, lesquels ne sont pas des pays inhumains qui repoussent les immigrés !

Cette évolution est raisonnable si l'on veut retrouver la maîtrise de nos finances publiques. C'est dans ce sens qu'il faut aller.

S'agissant de la dynamique des dépenses, cher Victorin Lurel, ce sont les sommes inscrites au début de l'année dernière qui connaissent une baisse de 0,33 %, mais les réalisations de 2023 devraient être inférieures à ce qui avait été inscrit. Ce sont 65,8 millions d'euros qui vont être annulés.

J'ai comparé le budget inscrit pour 2024 avec ce que l'on envisage de réaliser pour 2023 : c'est ainsi que l'on trouve 5,4 % d'augmentation. Ce n'est tout de même pas négligeable ! Et que l'on se mette en accord avec ce que l'on a voté sur le projet de loi « Immigration » en cours de discussion me paraît aussi assez logique.

Je vous rappelle enfin qu'un rapport de l'Igas de 2019 constatait l'existence d'une immigration pour soins. On ne saurait donc nier celle-ci, même si elle ne concerne pas la totalité des 411 000 personnes qui profitent des prestations de l'AME.

Mon cher collègue Christian Klinger, malheureusement, rien n'a changé concernant la dépakine et l'Oniam, ni le temps d'étude des dossiers ni la dotation budgétée sur la mission « Santé ». Je suis désolé de ne pouvoir vous rassurer sur ce sujet.

Article 35

M. Claude Raynal, président. - L'amendement II-7 (FINC.1) a pour objet de diminuer de 410 millions d'euros les autorisations d'engagement et les crédits de paiement de l'action « Aide médicale de l'État » du programme 183.

L'amendement II-7 (FINC.1) est adopté.

M. Claude Raynal, président. - L'amendement II-8 (FINC.2) vise à prévoir 5 millions d'euros dans le cadre d'un nouveau programme « Sécurisation de la carte Vitale ».

L'amendement II-8 (FINC.2) est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Santé » tels que modifiés par ses amendements.

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