EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 13 MARS 2024

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous en venons à l'examen du texte de la commission et de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - Cette proposition de loi est salutaire. Elle comble des lacunes de notre droit particulièrement incompréhensibles et n'usurpe pas son intitulé en ce qu'elle remédie à trois injustices : l'impossibilité d'exclure un époux ayant attenté à la personne de son époux du bénéfice des avantages matrimoniaux résultant du fonctionnement du régime matrimonial à la dissolution de celui-ci ; la révocation automatique de ces mêmes avantages matrimoniaux lors d'un divorce, y compris lorsque les époux ont entendu prémunir leurs biens professionnels de la liquidation du régime ; et l'impossibilité pour l'administration de tenir compte de la situation personnelle du demandeur d'une décharge de responsabilité solidaire en matière fiscale.

Au terme de mes travaux, il me paraît que l'ensemble de ces intentions ne sauraient qu'être partagées, voire poursuivies. Sur chacun de ces trois volets, je me suis donc attachée à renforcer la portée des objectifs visés par la proposition de loi, tout en sécurisant une rédaction parfois perfectible.

En premier lieu, l'article 1er me semble apporter une réponse à une lacune particulièrement préjudiciable de notre droit. Ainsi, faute d'un régime spécifique - comme l'indignité successorale ou le régime de l'ingratitude en matière de libéralités -, il n'est pas possible d'exclure du bénéfice des avantages matrimoniaux un époux ayant attenté à la personne de son conjoint, y compris dans le cas où il lui a donné la mort, de sorte qu'en la matière le crime peut malheureusement être profitable. C'est évidemment intolérable.

L'article 1er tend à pallier cette difficulté en prévoyant un régime de déchéance matrimoniale, largement inspiré de celui de l'indignité successorale. Comme ce dernier, le dispositif prévoit ainsi un régime de déchéance de plein droit et un régime de déchéance facultative, prononcée par le juge à la demande des héritiers ou du ministère public. Le premier serait applicable aux époux condamnés à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ou pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner. La déchéance facultative serait prononcée pour les autres cas déjà prévus en matière d'indignité successorale.

Ce dispositif me semble donc tout à fait bienvenu. En particulier, calquer ce dispositif sur l'indignité successorale, en le liant à une condamnation pénale, me paraît un gage de robustesse, alors même que nous légiférons dans une forme célérité sur un sujet dont il ne faut pas sous-estimer la technicité.

Cela étant dit, et conformément à la ligne que je vous ai exposée, je vous proposerai d'adopter quatre amendements visant à prolonger l'intention du dispositif et à le sécuriser.

Le premier vise à apporter des précisions rédactionnelles nécessaires.

Le deuxième a pour objet de parachever le dispositif en prenant en compte les cas d'emprise qui peuvent survenir, en supprimant notamment la possibilité d'un « pardon » de la victime.

Le troisième tend à supprimer la disposition prévoyant que, dès lors qu'un époux est déchu du bénéfice des avantages matrimoniaux, toute clause stipulant un apport à la communauté par l'époux défunt de biens propres est réputée non écrite. Je peux en comprendre l'intention, mais elle me paraît poser de sérieuses difficultés juridiques, en particulier en visant les avantages matrimoniaux prenant effet au cours du mariage et non à sa dissolution, ce qui implique de porter une atteinte sur un droit de propriété acquis et non potentiel, comme le fait la déchéance matrimoniale prévue par le reste de l'article 1er.

Le quatrième supprime l'article 1er bis A, cette obligation d'inventaire paraissant satisfaite puisque le ministère public comme les héritiers ont déjà la faculté de demander un tel inventaire.

En deuxième lieu, l'article 2 me paraît apporter une réponse intéressante à une difficulté à laquelle nous avons été nombreux à être sensibilisés : le cas de conjoints, généralement des femmes, qui se retrouvent solidairement responsables du paiement d'une dette fiscale résultant d'une fraude à laquelle elles n'ont aucunement participé.

À l'heure actuelle, les trois critères pris en compte - la rupture effective de la vie commune, le fait d'être à jour de ses obligations déclaratives et la « disproportion marquée » entre la dette fiscale et la situation patrimoniale et financière du demandeur - ne permettent pas de tenir compte de certaines situations particulièrement douloureuses dans lesquelles demander ce remboursement à une victime paraît injustifié.

Je me félicite donc de l'avancée qu'entérine l'article 2, en prévoyant la possibilité d'une décharge gracieuse de l'administration. Elle devrait ainsi permettre à l'administration de prendre en compte certaines situations douloureuses sans nuire à la cohérence juridique du dispositif de la décharge de responsabilité solidaire, qui me paraît devoir être maintenue.

Je vous proposerai néanmoins un amendement visant à aller un peu plus loin, en ouvrant le champ des pénalités dont peuvent être déchargées les victimes d'un époux ayant eu un comportement frauduleux à l'égard de l'administration fiscale. Les exceptions actuellement prévues au principe d'une décharge totale des pénalités d'assiette et intérêts de retard ne me paraissent pas se justifier dès lors qu'elles font peser sur le conjoint ou l'époux vertueux la charge indue de la sanction du comportement frauduleux de son époux ou conjoint.

Nous discuterons également d'un autre amendement, qui remet plus fondamentalement en cause l'équilibre de l'article 1691 bis du code général des impôts en créant un critère alternatif à celui de la « disproportion marquée », celui de l'absence de participation à une fraude et d'enrichissement personnel. J'ai auditionné l'association qui soutient son adoption, et je suis naturellement sensible aux situations qu'elle met en avant.

J'en appellerai néanmoins à la prudence à deux égards. D'une part, sur la méthode, il me paraîtrait aventureux de modifier ainsi une disposition de droit fiscal, sans étude d'impact et sans que nos collègues de la commission des finances - qui avaient émis un avis défavorable à l'adoption de ce dispositif lors de la discussion budgétaire à l'automne - aient leur mot à dire. D'autre part, sur le fond, le dispositif qui nous est soumis demeure sujet à caution et présente de réelles difficultés juridiques quant à sa constitutionnalité, mais également son opérationnalité.

En la matière, nous ne saurions procéder qu'avec la plus grande précaution : si nous donnions de faux espoirs en adoptant un dispositif déclaré inconstitutionnel ou inopérant, nous nuirions sérieusement à la crédibilité de la cause pourtant légitime que nous défendons.

Je vous proposerai donc d'adopter mon amendement, qui constitue une première avancée utile et sécurisée. Nous pourrons retravailler le dispositif prévu par l'autre amendement d'ici à la séance, afin de pouvoir en débattre en présence du ministre - on peut légitimement attendre ses explications sur ce sujet - et de nos collègues de la commission des finances.

Enfin, l'article 1er bis vise un objectif que je partage. Alors que la clause d'exclusion des biens professionnels est précisément prévue par les conjoints pour protéger leur outil de travail en cas de séparation, l'application littérale de la loi implique nécessairement d'y faire échec. Or la protection des entreprises comme de la liberté conventionnelle des époux implique de donner un plein effet aux garanties qu'ils ont prises dans les clauses de leur convention matrimoniale.

Je vous proposerai néanmoins de donner une portée élargie et pérenne à ce dispositif, afin d'éviter la constitution d'un répertoire de clauses perpétuellement complété par le législateur... Mon amendement sur cet article prévoit que l'opposition de l'époux ayant consenti à accorder à son conjoint des clauses constituant des avantages matrimoniaux à la révocation de telles clauses peut être exprimée dès la conclusion de la convention matrimoniale. Ce faisant, il crée moins une faculté qui, dans le silence dans la loi, existait déjà, qu'il donne un effet juridique supplémentaire à son exercice en lui rendant applicable l'irrévocabilité de l'avantage qu'elle emporte.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, je vous proposerai d'adopter cette proposition de loi. Je remercie le député Hubert Ott, auteur de la proposition de loi, d'avoir porté ce sujet à notre connaissance et contribué à le faire avancer au bénéfice, en particulier, des femmes.

Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre indicatif de la proposition de loi inclue les dispositions relatives au sort des avantages matrimoniaux en cas de dissolution du régime matrimonial et les conditions dans lesquelles peut être accordée une décharge de responsabilité solidaire du paiement d'une dette fiscale.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement  COM-7 précise la rédaction de l'article 1er.

L'amendement COM-7 est adopté.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement COM-8 vise à parer aux cas d'emprise, et à aller plus loin que le dispositif actuel. Nous supprimons en particulier la possibilité d'un pardon de la victime.

L'amendement COM-8 est adopté.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure - L'amendement  COM-9 supprime l'extension des effets de la déchéance aux avantages matrimoniaux prenant effet au cours du mariage.

L'amendement COM-9 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er bis A (nouveau)

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement  COM-10 supprime l'obligation d'inventaire au décès d'un des époux lorsqu'ils sont soumis au régime de la communauté universelle.

L'amendement COM-10 est adopté.

L'article 1er bis A est supprimé.

Article 1er bis (nouveau)

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement  COM-11 va plus loin que l'amendement  COM-6 en évitant la constitution d'un répertoire de clauses irrévocables. Avis défavorable à l'amendement COM-6.

L'amendement COM-11 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-6 devient sans objet.

L'article 1er bis est ainsi rédigé.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Après l'article 2

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement  COM-12 prévoit la décharge par principe de tous les intérêts de retard ou pénalités d'assiette. Il va un peu plus loin que l'article 2, qui permet l'octroi d'une décharge de responsabilité solidaire à titre gracieux. Cet article est déjà salué comme une avancée importante par une association de victimes que nous avons auditionnée. Je souhaite que nous entamions un débat avec le ministre lors de la séance publique, ce qui pourrait permettre éventuellement la rédaction pour sécuriser totalement le dispositif de la demande de décharge à titre gracieux en l'encadrant plus précisément. Avis défavorable aux amendements identiques COM-1, COM-2, COM-3 rectifié ter, COM-4 rectifié ter et COM-5.

M. Hussein Bourgi. - Par expérience, le travail d'échange avec la commission des finances se fera naturellement. Mais si le ministre, au banc, veut botter en touche, il prétendra qu'il n'a pas eu le temps de consulter Bercy. Je vous suggère, si ce n'est pas encore prévu, de prendre attache avec son cabinet pour anticiper.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - J'ai effectivement déjà pris attache avec le cabinet du ministre. Le ministre des comptes publics sera présent, j'ai échangé avec son cabinet encore hier soir sur différents points. Il s'est engagé à répondre en séance publique à certaines inquiétudes et à apporter des pistes d'évolution. Il a reçu hier l'association qui nous avait sollicités.

L'amendement COM-12 est adopté et devient article additionnel.

Les amendements identiques COM-1, COM-2, COM-3 rectifié ter, COM-4 rectifié ter et COM-5 ne sont pas adoptés.

Article 3 (supprimé)

L'article 3 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendement examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme FLORENNES, rapporteure

7

Sécurisation juridique du dispositif de déchéance matrimoniale

Adopté

Mme FLORENNES, rapporteure

8

Suppression de la possibilité pour l'époux victime de faire bénéficier d'avantages matrimoniaux l'époux déchu et extension à tous les cas de déchéance de l'obligation de remise des fruits et revenus

Adopté

Mme FLORENNES, rapporteure

9

Suppression de l'extension des effets de la déchéance aux avantages matrimoniaux prenant effet au cours du mariage 

Adopté

Article 1er bis A (nouveau)

Mme FLORENNES, rapporteure

10

Suppression de l'obligation d'inventaire au décès d'un des époux soumis au régime de la communauté universelle

Adopté

Article 1er bis (nouveau)

Mme FLORENNES, rapporteure

11

Extension et pérennisation de l'irrévocabilité d'avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès en cas de divorce

Adopté

Mme BILLON

6

Extension à d'autres régimes matrimoniaux de l'irrévocabilité des avantages matrimoniaux

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Mme FLORENNES, rapporteure

12

Ouverture du champ des pénalités dont peuvent être déchargées les victimes d'un époux ayant eu un comportement frauduleux à l'égard de l'administration fiscale.

Adopté

Mme NOËL

1

Création d'un critère alternatif de décharge de responsabilité solidaire

Rejeté

M. BOURGI

2

Création d'un critère alternatif de décharge de responsabilité solidaire

Rejeté

Mme SCHALCK

3 rect. ter

Création d'un critère alternatif de décharge de responsabilité solidaire

Rejeté

M. SAVOLDELLI

4 rect. ter

Création d'un critère alternatif de décharge de responsabilité solidaire

Rejeté

Mme BILLON

5

Création d'un critère alternatif de décharge de responsabilité solidaire

Rejeté

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