EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 20 MARS 2024

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'accident causé par Pierre Palmade, a suscité une grande émotion et les associations de victimes, ont rappelé leurs demandes. Dans le même temps, le comité interministériel de la sécurité routière (CISR) a demandé un changement de la loi, dans le cadre d'une démarche avant tout symbolique.

Pour un certain nombre de familles de victimes, l'idée que l'accident causé par un conducteur ayant délibérément pris le volant sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants soit involontaire était insupportable, d'où l'idée de la création de l'homicide routier. C'est dans ces conditions que l'Assemblée nationale a, de manière transpartisane, créé ce nouveau délit, qui consiste en réalité à remplacer l'ancien homicide involontaire par le terme d'« homicide routier », mais sans rien changer aux pénalités.

Nous devions donc déterminer s'il fallait reprendre la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale. Notre droit pénal connaît l'homicide volontaire et l'homicide involontaire, mais ne contient pas de notion intermédiaire. Or il nous est apparu que la notion de mise en danger délibérée de la vie d'autrui pouvait revêtir ce caractère intermédiaire. Il restait à déterminer si l'infraction demeurait dans le domaine du délit, ou s'il fallait adopter une qualification criminelle.

Les conséquences sont en réalité simples : dans le premier cas, la peine actuellement prévue pour l'homicide involontaire aggravé est de dix ans, c'est-à-dire le maximum applicable en matière de délits. Durcir les peines aurait amené à retenir une qualification criminelle, ce qui posait à mes yeux deux problèmes : d'une part, associer une absence de volonté de tuer à un crime me semblait intellectuellement peu satisfaisant ; d'autre part, une qualification criminelle aurait entraîné, au détriment des familles de victimes, une procédure d'instruction et des délais de jugement encore plus longs, avec le risque d'un encombrement judiciaire.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale fait une différence entre, d'une part, l'homicide involontaire - qui reste considéré comme tel lorsque les circonstances aggravantes ne sont pas retenues - et, d'autre part, l'homicide routier, qui ne concerne que l'ancien homicide involontaire aggravé. Il m'a semblé plus logique d'avoir pour seule qualification l'homicide routier afin d'éviter de débattre du caractère involontaire d'un homicide, suivant ce qu'a fait le conducteur : il faut mieux unifier, selon moi, toutes les atteintes aux personnes commises par un conducteur.

Vient ensuite la question de la répression afin de pas adopter un texte dont la portée serait purement symbolique, quand bien même il répondrait à la légitime colère des familles. Dès lors que la qualification criminelle est exclue, la peine ne saurait donc excéder dix ans. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) évaluant à environ seize mois la moyenne des peines prononcées dans ce type d'affaires, il me semble illusoire de penser que la simple évocation d'un homicide routier conduirait les juges à modifier leurs pratiques.

Le seul levier consiste donc, selon moi, à instaurer une peine plancher en matière d'homicide routier, peine plancher qui ne sera pas synonyme d'une obligation imposée au juge, puisqu'il pourra l'écarter au regard des circonstances. Néanmoins, le juge devra obligatoirement se poser la question de la détention.

Je rappelle que les accidents de la route comptent parmi les causes de mortalité les plus importantes. En décidant de parler d'homicide routier, avec une répression accrue, nous montrerons que la loi prend au sérieux la délinquance routière. Je signale que l'Afrique du Sud a installé des panneaux alertant les chauffeurs roulant sous l'emprise d'alcool qu'ils sont de potentiels assassins : nous devons, de la même manière, faire prendre conscience aux gens que certains comportements sont totalement inadmissibles.

J'ajoute qu'un volet dédié à un meilleur accompagnement des victimes pourra être demandé au garde des sceaux, soit par un amendement d'appel, soit dans le cadre de la discussion générale. Ledit volet pourra notamment porter sur des cellules d'accompagnement et sur l'accès à la justice, nombre de victimes privilégiant la voie civile alors que l'aide juridictionnelle est de droit devant la cour d'assises, sans considération liée aux revenus. Nous avons besoin de cohérence dans la lutte contre la délinquance routière.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes face à un objet législatif dont l'utilité juridique interroge, son utilité symbolique apparaissant plus clairement. J'ai noté la grande créativité du rapporteur, dont l'un des amendements s'étale sur sept pages, rendant le propos peu intelligible.

Les Français sont régulièrement - et à juste titre - émus par des accidents qu'ils considèrent comme inacceptables en raison du comportement du conducteur, qu'il s'agisse de Pierre Palmade ou d'autres. Pour autant, je ne suis pas persuadée qu'il faille légiférer sur le sujet.

En résumé, le texte prévoit d'ériger en infraction spéciale une infraction déjà punie par les textes, sans changement du quantum de peine. L'infraction existante est d'ores et déjà punie de manière sévère, avec une peine allant de sept ans et 100 000 euros d'amende à dix ans et 150 000 euros d'amende si deux circonstances aggravantes sont retenues.

Nous pourrions simplement préciser qu'un homicide commis avec deux circonstances aggravantes - d'ores et déjà précisées dans le code pénal - constitue un « homicide routier ».

Par ailleurs, une question se pose. L'infraction conserve-t-elle un caractère non intentionnel car la loi de 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation n'indemnise que cette catégorie d'infractions : nous devrons identifier un moyen de prévenir une éventuelle difficulté.

Vous l'aurez compris, je ne suis pas nécessairement favorable à ce texte, qui répond à un enjeu de communication politique, ce qui n'est pas forcement illégitime. Nous pourrions, plus simplement, retenir ma suggestion de nommer « homicide routier » un homicide involontaire accompagné de deux circonstances aggravantes, formule qui ne semble plus apparaître dans le texte proposé par le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Vous avez sans doute mal lu le texte, dont l'une des sections est intitulée « De l'homicide routier ». Plus globalement, je ne disconviens pas du fait que cette proposition de loi revêt une portée symbolique : pour autant, le symbole peut être utile. Ainsi, en précisant qu'il existe une responsabilité spécifique - quand bien même elle ne va pas jusqu'à l'intention homicide -, nous affirmons des principes qui auront ensuite des conséquences sur les politiques de sécurité routière.

À l'inverse, se cantonner à la notion de circonstance aggravante reviendrait, selon moi, à vider la loi de sa substance : je souhaite que toutes les familles des victimes considèrent que la responsabilité des chauffeurs est engagée et que ces derniers ne pourront plus se prévaloir de leur imprudence. C'est pourquoi j'ai souhaité unifier toutes les infractions dans la catégorie d'homicide routier, contrairement à ce qu'avait prévu l'Assemblée nationale.

La violation délibérée de l'obligation de sécurité est une notion utile, les actes s'échelonnant en fonction de leur gravité : un conducteur qui s'endort au volant et qui cause un accident mortel commet un homicide routier simple ; un chauffeur ivre et en excès de vitesse à l'origine d'un accident met délibérément en danger la vie d'autrui. Ces distinctions sont maintenues, mais au sein d'une catégorie unique, afin d'éviter des débats sans fin sur le caractère involontaire ou non de l'homicide. J'estime que la politique de prévention routière doit être cohérente.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Sans me prononcer sur le principe des peines planchers, je suis gêné par le fait qu'elles ne soient prévues que pour une seule catégorie d'infractions : que devient la liberté d'appréciation du juge dans ce cas, notamment par rapport à d'éventuelles circonstances aggravantes ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je rappelle que la qualification d'homicide involontaire n'exclut pas la responsabilité, le triptyque de la faute, du lien de causalité et du dommage existant dans ce cas de figure. Par ailleurs, la mise en place des peines planchers a été sans effet sur la délinquance, comme l'a démontré une étude récente. Je me demande d'ailleurs si la volonté d'inclure la peine plancher ne tombe pas sous le coup de l'article 45 de la Constitution.

M. Hussein Bourgi. - Je salue l'initiative des auteurs de cette proposition de loi et remercie le rapporteur pour ses propos, auxquels je souscris largement. Ce texte me touche personnellement, l'un de mes amis - un jeune père de famille - ayant trouvé la mort dans un accident causé par un trafiquant de stupéfiants qui roulait à une vitesse excessive. Le procès a ensuite permis de condamner l'auteur de cet homicide involontaire à six ans de prison.

La famille de la victime peut-elle accepter de voir s'étaler dans la presse ce qualificatif d'homicide involontaire ? S'il peut s'entendre sur le plan juridique, il charrie en effet une violence symbolique insupportable.

Pour cette raison, même si le texte revêt une portée juridique mineure, il est attendu par les parents, veufs, veuves, enfants et orphelins. S'il permet de mobiliser davantage le garde des sceaux et les associations conventionnées via France Victimes en faveur de l'accompagnement des familles, un pas aura été accompli en mémoire des personnes qui meurent trop souvent dans ce genre de circonstances. Sans faire d'un cas d'espèce une généralité, le fait d'avoir été personnellement touché par une telle situation permet de se mettre à la place des dizaines de milliers de Françaises et de Français confrontés chaque année à ces tragédies.

Mme Agnès Canayer. - Ce sujet suscite beaucoup d'émotion et repose sur un certain nombre de situations vécues, qui engendrent à la fois de la douleur pour les familles et de larges résonances médiatiques.

J'entends la volonté d'apporter une réponse - certes symbolique - à ces situations et félicite le rapporteur pour le travail accompli sur ce sujet aussi sensible que complexe, l'harmonisation des infractions qu'il suggère donnant du sens. Je m'interroge, néanmoins, quant à l'adéquation entre ladite harmonisation et la mise en place de peines planchers, qui tendrait vers une peine unique et pourrait encadrer trop strictement la place et le rôle du juge. Il me semble que nous aurions besoin, au contraire, d'une modularité des peines.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Si la responsabilité juridique existe sur le plan civil, j'estime qu'il existe une catégorie intermédiaire dans le droit pénal permettant de distinguer le cas dans lequel l'intention de tuer n'est pas présente et la situation dans laquelle l'auteur, même s'il ne voulait pas tuer, s'est mis en position de causer l'accident mortel. D'où une responsabilité distincte visant à renvoyer la personne en cause à une situation plus aggravante, d'ailleurs davantage sur le plan moral que sur le plan juridique dans la mesure où nous écartons la qualification criminelle.

En outre, les peines planchers sont modulées et s'appliquent non pas à l'ensemble des cas d'homicides routiers, mais à un auteur qui se rend coupable d'un homicide après s'être délibérément mis dans une position de causer un accident mortel. Comment ce raisonnement m'est-il venu ? À l'occasion de l'affaire Sarah Halimi - dans laquelle j'étais l'avocat de la famille -, l'auteur des faits avait été déclaré irresponsable, car il était sous emprise d'une bouffée délirante, alors que celle-ci résultait d'une prise volontaire de drogues, d'où la modification de la loi.

Je considère que la participation active d'une personne aux risques du dommage doit être prise en compte de manière spécifique : sans faire du conducteur ayant causé un accident mortel un criminel relevant de la compétence de la cour d'assises, il me semble important de rehausser la gravité de l'infraction, sans quoi nous ne ferions que ripoliner l'ancien texte.

Je précise que la peine plancher ne s'applique qu'à l'homicide routier aggravé, afin d'obliger le juge à se poser la question de la détention, qu'il peut cependant écarter. Il s'agit non pas d'une démarche idéologique, mais d'un changement pragmatique intervenant non pas dans l'échelle des peines, mais dans le régime d'application des peines.

Concernant l'étude évoquée par Marie-Pierre de La Gontrie, je note que son auteur reconnaît que les peines planchers ont eu un effet sur la récidive, ce qui constitue déjà un progrès, surtout en matière de délinquance routière.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Pourquoi ne pas utiliser l'infraction de coups et blessures involontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ?

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Il s'agit d'un crime, la peine encourue étant de quinze ans. Nous risquerions d'asphyxier le système judiciaire et d'aggraver la situation des familles en retenant la qualification criminelle pour les homicides routiers.

M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les infractions pénales susceptibles de s'appliquer au conducteur d'un véhicule terrestre à moteur.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-4 prévoit une réécriture de l'article 1er du texte, qui crée la dénomination nouvelle d'homicide routier.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-3, qui vise à restreindre les possibilités d'aménagement de la détention provisoire.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

L'article 1er ainsi rédigé.

Après l'article 1er

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à instaurer une peine minimale en cas d'homicide routier par mise en danger.

L'amendement COM-5 est adopté et devient article additionnel.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-1 rectifié bis tend à créer une nouvelle infraction pour la perte d'un foetus causée par un accident de la route, ce débat a déjà été porté plusieurs fois devant notre assemblée. Il me paraît difficilement conciliable avec la récente inscription du droit de recourir à l'IVG dans la Constitution. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 rectifié bis n'est pas adopté.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-2 rectifié prévoit de supprimer l'excuse de minorité pour les conducteurs âgés de 17 ans. Ladite excuse peut toujours être refusée par le juge ; de surcroît, il n'est pas possible de la limiter à une seule infraction. Avis défavorable.

L'amendement COM-2 rectifié n'est pas adopté.

Article 1er bis (nouveau)

L'article 1er bis est adopté sans modification.

Article 1er ter (nouveau)

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-6 prévoit une annulation du permis de conduire au-delà de cinq ans de suspension, alors qu'une suspension de dix ans était prévue dans le texte initial.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Est-il possible de repasser le permis de conduire en cas d'annulation ?

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Il est impossible de le repasser tant que court la période d'annulation ou de suspension.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 1er ter est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er quater (nouveau)

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-7 est justifié par le fait que le dispositif proposé par l'article relève du domaine réglementaire.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 1er quater est supprimé.

Article 1er quinquies (nouveau)

L'article 1er quinquies est adopté sans modification.

Article 1er sexies (nouveau)

L'article 1er sexies est adopté sans modification.

Article 1er septies (nouveau)

L'article 1er septies est adopté sans modification.

Article 1er octies (nouveau)

L'article 1er octies est adopté sans modification.

Article 2

L'amendement de coordination COM-8 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3 (nouveau)

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-9 est également justifié par le fait que l'obligation de visite médicale est prévue au niveau réglementaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous devrons un jour nous pencher sur la délicate question de la mise en place d'une visite médicale pour toutes les personnes en situation de conduire.

M. François-Noël Buffet, président. - Vous avez raison de poser cette question, mais les modalités de la visite médicale peuvent continuer à être fixées par la voie réglementaire.

L'amendement COM-9 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4 (nouveau)

L'article 4 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. SZPINER,

rapporteur

4

Réécriture de l'article 1er

Adopté

M. TABAROT

3

Interdiction d'aménagement de la détention préalable

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après l'article 1er

M. SZPINER,

rapporteur

5

Peine minimale de deux ans de prison pour les homicides routiers par mise en danger

Adopté

Mme LERMYTTE

1 rect. bis

Sanction de la perte de foetus du fait d'un accident de la route

Rejeté

M. WATTEBLED

2 rect

Absence d'excuse de minorité pour le conducteur de 17 ans

Rejeté

Article 1er ter

M. SZPINER,

rapporteur

6

Annulation du permis au-delà de cinq ans de suspension

Adopté

Article 1er quater

M. SZPINER,

rapporteur

7

Suppression de l'article

Adopté

Article 2

M. SZPINER,

rapporteur

8

Coordination

Adopté

Article 3

M. SZPINER,

rapporteur

9

Suppression de l'article

Adopté

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