II. LA RÉFORME STATUTAIRE : DE L'AUTONOMIE INTERNE À L'AUTONOMIE PLEINE ET ENTIÈRE

La notion d'autonomie constitue la clef de voûte de la réforme statutaire. Nombreuses sont les dispositions qui en consacrent l'importance. Concourent en particulier au renforcement de cette autonomie les nouveaux transferts de compétence consentis aux autorités territoriales. Comme à l'occasion des réformes intervenues précédemment, les projets de lois soumis à votre examen proposent de surcroît d'améliorer et de moderniser le fonctionnement des institutions territoriales.

1. La consécration d'une autonomie renforcée

Tout en restant partie intégrante de la République, la Polynésie française est présentée comme un territoire d'outre-mer autonome qui exerce librement et démocratiquement par ses représentants élus les compétences qui lui sont dévolues.

Comme l'indique l'exposé des motifs, l'autonomie élargie et renforcée consacrée par ce nouveau statut doit conférer à la Polynésie française les moyens de parvenir au développement économique, social et culturel.

Un certain nombre de dispositions d'une forte portée symbolique illustrent le caractère central de cette notion. Le projet de loi organique crée ainsi un titre premier intitulé « De l'autonomie ». L'autonomie de la Polynésie française passe également par l'affirmation de son identité avec, d'une part, la possibilité de créer un ordre spécifique reconnaissant les mérites de ses habitants ou des ses hôtes et, d'autre part, une terminologie rénovée. Le terme de « territoire » qui figure dans les dispositions actuellement en vigueur est ainsi remplacé par l'expression « Polynésie française ». De même, l'assemblée territoriale devient « l'assemblée de la Polynésie française », ses membres les « députés territoriaux » et le gouvernement du territoire le « gouvernement de la Polynésie française ». A la demande du territoire, une disposition a par ailleurs été introduite à l'article 112 pour consacrer l'utilisation de la langue tahitienne « aux côtés de la langue française » qui est la langue officielle. Votre commission, soucieuse de garantir le respect des spécificités de la Polynésie française dans leur diversité, vous propose de consacrer l'utilisation de toutes les langues polynésiennes, le tahitien mais aussi le marquisien, le mangarévien ou le tuamotu.

Au-delà, et de façon plus substantielle, le projet de loi réaffirme le principe de la compétence de droit commun du territoire (art. 2), l'État conservant une compétence d'attribution faisant l'objet d'une énumération limitative (art. 3).

Le principe selon lequel les autorités territoriales sont consultées avant toute transposition dans le territoire de dispositions législatives applicables en métropole s'applique désormais aux projets de décret : l'article 29 (6°) prévoit ainsi la consultation obligatoire du conseil des ministres sur les « dispositions réglementaires prises par l'État dans le cadre de sa compétence et touchant à l'organisation particulière de la Polynésie française ».

Avec la même préoccupation d'associer plus largement la Polynésie française à l'activité normative la concernant, les articles 65 et 66 organisent une procédure de consultation de son assemblée « sur les projets de loi portant ratification de conventions internationales traitant de matières ressortissant à la compétence territoriale ». Ce même article 65 prévoit la transmission à l'assemblée des propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative relevant du champ d'application du régime d'association qui lie la Polynésie française à la communauté économique européenne lorsqu'elles traitent de matières ressortissant à la compétence du territoire. Aux termes de l'article 67, elle peut en outre, à l'occasion de cette transmission, formuler des voeux.

Afin de conférer à la Polynésie française une plus grande autonomie sur la scène internationale et de la mettre en mesure de développer des liens avec ses partenaires de la zone de Pacifique Sud, la réforme statutaire accroît les possibilités offertes au président du gouvernement. Il pourra, sous réserve d'avoir reçu une habilitation en ce sens, non seulement négocier mais aussi signer au nom de l'État des accords internationaux dans la zone géographique du Pacifique (art. 37).

Il sera également plus étroitement associé aux négociations internationales concernant le territoire. De surcroît, il pourra être autorisé à négocier et signer des arrangements administratifs avec les administrations des États du Pacifique ou des organismes régionaux de cette zone (art. 38). Comme les collectivités territoriales métropolitaines depuis la loi d'orientation du 6 février 1992 sur 1'administration territoriale de la République, il pourra négocier, au nom de la Polynésie française, des conventions de coopération décentralisées avec les collectivités locales étrangères (art. 38).

Une autre manifestation d'une autonomie renforcée au service du développement économique du territoire réside dans un important transfert de domanialité opéré par l'article 4. Cette disposition dote la Polynésie française d'un domaine public maritime comprenant les rivages de la mer, le sol et le sous-sol des eaux intérieures, dont les rades et lagons, ainsi que le sol et le sous-sol des eaux territoriales. Comme l'a souligné le ministre devant l'Assemblée nationale, ce transfert ne s'accompagne d'aucun abandon de souveraineté qui continue à exercer ses compétences en matière de sécurité et de police maritimes : il « tient compte des intérêts propres du territoire sans aller à l'encontre des intérêts de la République ».

2. Un accroissement des compétences territoriales

La réforme statutaire, dans le prolongement des réformes successives précédentes, opère de nouveaux transferts de compétences au bénéfice des autorités territoriales. Précisant la répartition des compétences entre l'État et le territoire, le projet de loi propose corrélativement, afin d'assurer une meilleure sécurité juridique face à des décisions du tribunal administratif de Papeete controversées car parfois restrictives à l'égard des compétences territoriales, que le Conseil d'État ait à connaître en premier et dernier ressort des recours formés contre les délibérations de l'assemblée territoriale.

L'accroissement des compétences territoriales bénéficie à la fois au gouvernement de la Polynésie française, à son président et à l'assemblée territoriale.

Le gouvernement de la Polynésie française, par le biais du conseil des ministres, exerce un pouvoir réglementaire et un pouvoir de décision propres, dans les matières respectivement énumérées aux articles 24 et 25 du projet de loi organique. Les transferts opérés à son profit concernent des domaines aussi variés que : l'ouverture, l'organisation et les programmes des concours d'accès aux emplois publics du territoire ; la sécurité de la navigation et de la circulation dans les eaux intérieures dont les rades et lagons ; l'approbation des programmes d'exploitation des vols internationaux ayant pour seule escale en France le territoire de la Polynésie française et la délivrance des autorisations d'exploitation ; l'approbation des tarifs, taxes et redevances applicables en matière de postes et télécommunications ; le placement des fonds libres du territoire ; l'autorisation d'ouvrir des casinos.

Aux termes de l'article 29, le conseil des ministres reçoit de nouvelles attributions consultatives en matière de préparation des plans opérationnels de secours destinés à faire face aux risques majeurs ainsi que sur les conditions de la desserte aérienne entre la Polynésie française et tout autre point du territoire national.

En ce qui concerne le président du gouvernement de la Polynésie française, ses pouvoirs ne sont pas seulement accrus en matière de relations internationales. Il détient une compétence de droit commun pour la nomination « à tous les emplois de l'administration du territoire » (art. 34) ; il est habilité à signer tous les contrats ; le pouvoir de publier au journal officiel de la Polynésie française les actes ressortissant à la compétence des institutions territoriales, qui appartenait au haut-commissaire, lui est transféré (art. 36).

L'assemblée de la Polynésie française, qui conserve une compétence de droit commun dans toutes les matières « territoriales » reçoit elle aussi la possibilité d'intervenir dans de nouveaux secteurs. L'article 57 prévoit une faculté de délégation au profit de cette assemblée pour les compétences normalement dévolues au conseil des ministres ou au président du gouvernement. Aux termes de l'article 62, elle détermine les règles applicables aux loteries et aux jeux de hasard. Elle reçoit également des compétences en matière de communications extérieures, de répression des fraudes, de sécurité civile et de réglementation des coopératives et des mutuelles.

L'assemblée, comme d'ailleurs le gouvernement, au-delà des peines d'amende dont ils peuvent assortir les infractions aux décisions relevant de leur compétence, peuvent désormais édicter des sanctions administratives.

Tout en s'efforçant de clarifier la répartition des compétences entre les différentes institutions territoriales mais aussi et surtout entre le territoire et l'État (art. 3), le projet de loi instaure une nouvelle procédure contentieuse applicable aux recours exercés à l'encontre des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française. L'article 110 du projet de loi initial prévoyait la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'État pour connaître de ces recours et dessaisissait ainsi le tribunal administratif de Papeete. L'exposé des motifs justifie cette dérogation à l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel par « l'importance particulière des délibérations » de cette assemblée qui interviennent fréquemment dans des matières « réservées en métropole au législateur ». Il s'agit d'assurer « une meilleure sécurité juridique aux délibérations de l'assemblée élue ». Le recours direct devant le Conseil d'État doit ainsi conférer à ses actes un plus grand prestige.

Considérant qu'une telle procédure ne respectait pas le principe du double degré de juridiction et contribuait à éloigner la justice du justiciable polynésien, l'Assemblée nationale a préféré une procédure à double détente obligeant le tribunal administratif à solliciter l'avis du Conseil d'État lorsque la requête dirigée contre une délibération de l'assemblée conduit à porter une appréciation sur la répartition des compétences entre l'État, le territoire et les communes. Cette procédure, qui constitue une adaptation du dispositif prévu par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1987, peut sembler complexe à mettre en oeuvre et, bien que moins dérogatoire que la précédente, revient à dessaisir de facto le tribunal administratif qui devra se contenter d'appliquer au cas d'espèce la solution préconisée par le Conseil d'État, d'autant qu'elle aurait été publiée au Journal Officiel du territoire.

3. L'amélioration du fonctionnement des institutions de la Polynésie française

Les dispositions tendant à améliorer le fonctionnement des institutions territoriales sont peu nombreuses alors que près des trois quarts des dispositions de la loi organique concernent les institutions.

S'agissant du gouvernement, il convient de souligner la disparition de la limitation du nombre des ministres (douze au plus actuellement).

La nomination des membres du gouvernement devient désormais effective sans délai.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit pour les membres du gouvernement et ceux de l'assemblée ainsi que pour leurs présidents respectifs l'obligation de déposer une déclaration de situation patrimoniale dans les conditions prévues par la loi du 11 mars 1988.

Le projet de statut modifie par ailleurs les dates d'ouverture des deux sessions ordinaires de l'assemblée, sans pour autant modifier la durée des sessions. Par souci d'efficacité, il accroît les attributions de la commission permanente désormais compétente, en-dehors des sessions, pour formuler un avis sur les textes soumis en principe à la consultation de l'assemblée territoriale.

Une modification de la composition du conseil économique, social et culturel tendant à prévoir une représentation spécifique des archipels résultait des articles 81 et suivants du projet de loi organique. Un « cinquième collège » devait ainsi être composé de maires, maires délégués et adjoints des communes des îles Sous-le-Vent, des Marquises, des Australes et des Tuamotu-Gambier. Tirant les conséquences des vives réactions suscitées par ce projet, les membres du Conseil économique, social et culturel eux-mêmes y étant fermement opposés dans la mesure où ce nouveau collège composé d'élus locaux dénaturait la vocation de cette institution en y introduisant une représentation politique, l'Assemblée nationale a préféré supprimer ces dispositions.

Ces dispositions relatives aux règles d'organisation et de fonctionnement des institutions territoriales sont complétées par le projet de loi ordinaire par des dispositions n'ayant pas une portée organique et concernant cependant l'organisation particulière de la Polynésie française.

Faisant écho aux articles premier et 89 du projet de loi organique, les premiers articles du projet de loi simple précisent le rôle du haut-commissaire et en particulier les règles de procédure relatives au contrôle de légalité des actes territoriaux, transposition de celles applicables en matière de déféré préfectoral.

Le haut-commissaire est par ailleurs chargé de la publication au Journal officiel de la Polynésie française des décisions relevant de la compétence de l'État, alors qu'aux termes de l'article 36 du projet de loi organique cette compétence revient au président du gouvernement de la Polynésie française s'agissant des actes pris par les autorités territoriales.

Conformément à l'article 92 du projet de loi organique, le projet de loi simple complétant le statut rappelle que l'État peut participer au fonctionnement des services territoriaux, par voie de conventions, sous forme de mise à disposition de personnels ou d'aides financières. Une série de dispositions budgétaires et comptables complètent le dispositif prévu en cette matière par le projet de loi ordinaire : elles procèdent par renvois aux articles du code des juridictions financières applicables en Polynésie française.

Enfin, concernant le tribunal administratif de Papeete, sont insérés dans le code des tribunaux administratifs deux nouvelles dispositions : la première permet de compléter les effectifs du tribunal par un magistrat de l'ordre judiciaire du ressort de la cour d'appel de Papeete ; la seconde confirme l'applicabilité en Polynésie française de plusieurs articles du code relatifs à l'organisation et aux modalités de jugement des tribunaux administratifs.

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