V. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. APPRÉCIATION DU TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Votre commission des finances souscrit sans réserve à la philosophie générale inspirant la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale qui est désormais très proche de celle de la proposition sénatoriale.

Elle se félicite tout d'abord du choix effectué en faveur de la gestion externe dans la mesure où cette technique de gestion constitue certainement un gage de plus grande sécurité.

Par ailleurs, le fait de privilégier la sortie en rente permet de souligner la finalité sociale de l'instrument mis en place : les fonds de pension sont essentiellement destinés à verser des pensions. Il ne s'agit pas d'un produit de plus sur le marché de l'épargne.

Enfin, votre commission souscrit pleinement à l'objectif consistant à orienter le placement des fonds de pension vers les titres de capital. Mais il importe de ne pas confondre l'objet et l'effet : les fonds de pension ont pour objet de payer des retraites ; ils auront pour effet de renforcer les fonds propres de nos entreprises. Ce n'est que dans la mesure où les titres de capital offrent, dans le long terme, la meilleure rentabilité, qu'il convient d'orienter la gestion de ces fonds vers ce type de placement.

Concernant les moyens mis en oeuvre, votre commission se montre plus réservée et souhaite quelques améliorations. Elle vous proposera néanmoins de valider l'essentiel des choix effectués par l'Assemblée nationale.

La personnalité morale des fonds, qui n'avait pas été retenue dans la proposition de loi sénatoriale (les fonds de pension étaient de simples contrats), peut contribuer à une plus grande sécurité du système. Cette formule imposera en effet aux grands acteurs de la place désireux d'être présents sur ce marché de filialiser ces activités, si leurs statuts les y autorisent, dans des entités dédiées.

Les grandes entreprises qui souhaiteront mettre en place, par elles-mêmes, des fonds de pension pourront le faire, mais devront avoir recours au cadre prudentiel de l'assurance, de la même façon qu'elles doivent recourir au cadre normatif de la loi bancaire lorsqu'elles souhaitent disposer de banques de groupe.

En second lieu, votre commission vous propose également d'accepter l'hétérogénéité des formes juridiques des fonds de pension (entreprises d'assurances, sociétés mutuelles d'assurance, organismes mutualistes, institutions de prévoyance), à condition toutefois que cette hétérogénéité n'altère pas les conditions d'une concurrence loyale.

Il n'en reste pas moins que ce texte appelle un certain nombre de remarques ou d'interrogations qu'il est souhaitable de dissiper afin d'assurer le succès de cette réforme structurelle.

1. L'adhésion

a) Le champ d'application

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale exclut de son champ d'application les salariés du secteur privé relevant de régimes spéciaux de retraites. L'extension des fonds de pension à ces régimes aurait risqué de les déstabiliser. La position du gouvernement est donc à cet égard respectueuse de la nécessaire négociation avec les partenaires sociaux.

Par ailleurs, elle impose la double appartenance des salariés au régime de base de l'assurance vieillesse et aux régimes complémentaires. A vrai dire, cette double condition laisse perplexe dans la mesure où les salariés relevant de régimes complémentaires obligatoires relèvent également, par construction, du régime de base. La seule référence aux régimes complémentaires pourrait donc suffire.

b) Régime d'entreprise ou régime universel ?

La proposition ne prévoit pas le cas des salariés d'une entreprise ne souhaitant pas ou ne pouvant pas souscrire de plans de retraite au profit de ses salariés.

Sans doute, la possibilité qu'elle accorde à des groupements d'employeurs et donc, dans une certaine mesure, à des associations professionnelles composées d'employeurs, de souscrire à des fonds de pension sera largement utilisée. Mais il semble audacieux d'en préjuger.

Que faire dans le cas de salariés appartenant à une entreprise ou à un secteur dans lequel il n'y a pas de fonds de pension ?

2. La souscription

a) Un employeur peut-il souscrire un plan de retraite, indépendamment de l'existence de plans de retraite sectoriels ou intersectoriels ?

La question se pose de savoir si un employeur peut créer un plan de retraite au profit de ses salariés dans le cas où existerait déjà un accord collectif sectoriel ou intersectoriel instituant un tel plan ?

La réponse donnée par l'article 6 de la proposition de loi n'est pas très claire, mais semble bien interdire cette possibilité. Ce n'est en effet qu' "en l'absence d'accords collectifs" que l'employeur pourra souscrire, par décision unilatérale, un plan de retraite au profit de ses salariés.

Cette solution semble à vrai dire exagérément restrictive. Il importe en effet, si l'on veut favoriser un plus grand choix au profit des salariés, de permettre aux employeurs de souscrire des plans de retraite à tout moment.

En outre, une telle solution semble techniquement difficile à mettre en oeuvre : que faire des plans de retraite d'entreprise antérieurs à la création d'un plan de retraite sectoriel ?

Néanmoins on peut admettre, afin d'encourager la négociation collective et d'éviter certains abus, que les catégories soient définies de façon homogène dans le premier cas, et identique dans le second. On suppose que dans le cas de catégories homogènes, l'employeur pourrait convenir d'abondements différents entre catégories, alors qu'en cas de catégories identiques, les abondements devraient également être ... identiques.

b) Un souscripteur peut-il proposer la mise en place d'un plan de retraite à certaines catégories seulement de salariés ?

Là encore, la rédaction de l'article 6 de la proposition de loi introduit une incertitude juridique puisqu'elle prévoit que "les plans d'épargne retraite peuvent être souscrits par l'employeur (...) et proposés à l'adhésion de l'ensemble de leurs salariés".

L'utilisation du verbe pouvoir en facteur commun des deux propositions semble conférer à la seconde un caractère facultatif. Par a contrario on pourrait donc imaginer que les employeurs ne proposent la souscription de plans de retraite qu'à une partie seulement de leurs salariés.

Or, il semble important que les plans soient proposés à l'ensemble des salariés.

c) Un souscripteur peut-il souscrire plusieurs plans à la fois ?

Très certainement les employeurs souhaiteront proposer à leurs salariés plusieurs formules de retraite, définies en fonction d'objectifs financiers ciblés, se positionnant dans la gamme infinie entre l'objectif de rentabilité et celui de prudence.

Ces différentes formules pourront-elles constituer autant de plans différents ou bien devront-elles être regroupées au sein d'un même plan, séparé le cas échéant en plusieurs compartiments ?

La proposition de loi de l'Assemblée nationale ne répond pas à cette question.

La possibilité de souscrire plusieurs plans, permettrait bien évidemment de donner plus de choix aux salariés. Surtout, elle favoriserait la concurrence entre les gestionnaires de fonds, pour le plus grand profit des bénéficiaires.

Toutefois, cette solution suppose de clarifier la relation établie entre le plan de retraite et le comité de surveillance. En effet, si chaque plan suppose la mise en place d'un comité, cela risque d'avoir un effet dissuasif. Sans doute conviendrait-il, si cette solution était retenue, de prévoir un comité de surveillance unique pour l'entreprise.

Par ailleurs, la question se pose de savoir si un salarié peut adhérer à plusieurs plans à la fois et s'il pourra changer de plan en cours de route.

d) L'abondement de l'employeur peut-il varier en fonction des catégories d'employés ?

La proposition de loi prévoit que les abondements de l'employeur ne puissent excéder chaque année le quadruple des versements du salarié, mais reste muette sur la possibilité de différencier les abondements en fonction des catégories de salariés. Dans le silence de la loi, il y a lieu de considérer qu'une telle différenciation est possible, à condition toutefois qu'il y ait eu un accord collectif.

Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que l'abondement des employeurs ne peut excéder, chaque année, le quadruple des versements du salarié (article 7, deuxième alinéa). Mais que se passe-t-il si le salarié n'effectue, le cas échéant pour des raisons indépendantes de sa volonté, aucun versement ? Faut-il considérer que dans ce cas l'employeur ne peut abonder ?

e) Un souscripteur peut-il conditionner ses abondements au fonds de son choix ?

Si l'on admet que les plans de retraite sont des contrats conclus entre les souscripteurs (employeurs ou groupements d'employeurs) et les fonds de pension, il semble évident que ces contrats donneront lieu à la conclusion de protocoles financiers, par lesquels les souscripteurs pourront convenir d'arrangements particuliers, comme par exemple l'absence d'investissement dans des entreprises concurrentes.

Ces plans présenteront donc des avantages particuliers pour les employeurs, et il ne semblerait pas illégitime qu'ils limitent leurs abondements aux plans offerts par eux à leurs propres salariés, ou à défaut, à des plans désignés par eux.

Mais s'agissant d'une simple possibilité, les employeurs pourraient également décider, comme le font certains employeurs américains, de verser un abondement, sans pour autant créer de plan et de laisser ainsi la liberté à ses salariés d'adhérer au plan de leur choix.

Dans le silence de la loi, toutes ces solutions semblent possibles.

3. La garantie des rentes et la forme juridique des fonds de pension

a) Remarques générales sur la forme juridique des fonds de pension

L'option retenue par l'Assemblée nationale est doublement importante. D'une part, elle traduit bien la réalité d'une certaine "exception française" et la volonté de toujours mettre en place des institutions à nulles autres pareilles. D'autre part, elle va certainement structurer pendant longtemps la physionomie de nos fonds de pension. Il importe d'en être pleinement conscient.

En effet, le choix de la personnalité morale des fonds de pension aurait pu conduire à créer une structure ad hoc inspirée du trust anglo-saxon. De ce point de vue, on peut regretter qu'une fois de plus, l'occasion ait été manquée d'introduire dans notre droit la notion de fiducie, concept juridique proche du trust.

A tout le moins, il eût été envisageable d'imposer le recours à une forme sociale de droit commun et de soumettre cette structure soit à un cadre prudentiel spécifique, à créer, soit au régime juridique existant jugé le plus sûr. C'est cette dernière solution que retenait l'avant projet du Gouvernement en imposant la constitution des fonds de pension sous la forme de sociétés anonymes, soumises aux dispositions pertinentes du code des assurances. Ce projet avait au moins le mérite d'assurer l'égalité la plus parfaite des conditions de concurrence.

Le choix effectué par l'Assemblée nationale consistant à n'autoriser la constitution de tels fonds que sous la forme d'entreprises d'assurance ou d'organismes assimilés répond sans doute à un souci sécuritaire : qui mieux qu'un assureur, société anonyme ou mutualiste, est en mesure de garantir le versement d'une rente ?

Mais, vraisemblablement, ce choix structurera pendant longtemps la physionomie des fonds de pension à la française.

Première conséquence, les fonds de pension résulteront, au moins dans un premier temps, de la création de filiales par les sociétés d'assurance déjà en place. S'agissant des mutuelles, la question est plus délicate, puisque, a priori, elles ne pourront pas créer de filiales ayant une vocation différente de celle fixée dans leurs statuts, sauf à modifier ces derniers. Il semblerait en effet incongru d'autoriser, par exemple, la mutuelle des enseignants de l'éducation nationale à créer une filiale pour gérer les retraites des salariés du secteur du textile du Nord. D'autre part, la création de fonds de pension par mutualisme "spontané" d'un secteur est bien possible. Mais, en l'absence de possibilité d'adhésion directe des salariés, cela suppose que les employeurs ou groupements d'employeurs contractent effectivement avec ces structures. Enfin, on conçoit difficilement que les mutuelles puissent mettre en place des filiales, elles même constituées sous une forme mutuelle.

Les entreprises qui le souhaiteront mettront peut-être en place des filiales dédiées, sous la forme de sociétés anonymes d'assurance. Mais la qualification des personnels requis, conjuguée à l'importance des coûts de montage, réduira cette possibilité aux seules grandes entreprises.

De cette première conséquence, résultera le fait que le marché des fonds de pension sera vraisemblablement plus orienté par l'offre (celle des assureurs), que par la demande (celle des entreprises). L'équilibre entre les deux sera, au moins dans un premier temps, difficile à établir.

Surtout, le choix retenu risque fort de créer un hiatus entre les intérêts du fonds et ceux des adhérents. En effet, dans les pays anglo-saxons, c'est, le plus souvent, l'entreprise elle même qui va mettre en place la structure sociale - le trust - qui va ensuite chercher les gestionnaires jugés les p lus compétents pour gérer les actifs dont il est dépositaire. En France, pour les raisons exposées plus haut, les fonds de pension seront essentiellement les créations de compagnies d'assurance et les entreprises se contenteront de choisir entre les différents produits offerts. D'où la nécessité de mettre en place un comité de surveillance, structure inexistante dans les pays anglo-saxons pour la simple raison que les représentants des bénéficiaires - les trustees - (littéralement, les hommes de confiance) se trouvent à la tête même du fonds.

Dans le même ordre d'idées, il convient de signaler que les bénéfices réalisés par des fonds de pension, filiales de sociétés d'assurance reviendront à ces sociétés, alors que dans les fonds de pension anglo-saxons, ces bénéfices, une fois pris en compte la rémunération des gestionnaires, seront généralement distribués aux adhérents des fonds.

Autre conséquence, la distinction entre les garants et les gérants ne s'imposera pas naturellement. En effet, les entreprises d'assurance et assimilées n'auront pas naturellement tendance à déléguer la gestion des actifs, mais, au contraire, préféreront exercer directement cette gestion. Elles invoqueront pour cela des arguments liés à l'augmentation des coûts entraînés par le recours à des gestionnaires indépendants. Cette caractéristique pourrait rétroagir sur la composition des plans : dans quelle mesure les assureurs, plus habitués à gérer des actifs obligataires sauront-ils et voudront-ils proposer des placements en titres de capital ?

b) La garantie des rentes

La solvabilité des fonds de pension constitue, bien évidemment, un problème de première importance.

La proposition de loi contient quatre séries de dispositions destinées à apporter une réponse à ce problème :

- L'obligation d'un agrément délivré selon les règles applicables en matière d'assurance, quelle que soit la forme juridique adoptée par le fonds de pension ; cet agrément prend en compte la répartition du capital et la qualité des actionnaires.

- L'exigence du respect de ratios prudentiels applicables en matière d'assurance, auxquels s'ajoutent des ratios spécifiques (articles 22 et 23) ; le contrôle de ces ratios est exercé par une commission de contrôle ad hoc composée de la réunion de la commission de contrôle des assurances, de la commission de contrôle des institutions de prévoyance et des mutuelles.

- Par ailleurs, les textes applicables aux différentes formes juridiques prévoient toute une série de dispositions prudentielles dont les plus importantes sont l'obligation de constituer une marge de solvabilité et de provisionner les engagements. Ainsi, pour les sociétés d'assurance, l'article R. 334-1 prévoit que toute entreprise d'assurance "doit justifier de l'existence d'une marge de solvabilité suffisante, relative à l'ensemble de ses activités". Par ailleurs, l'article R. 331-1 de ce même code donne la liste des engagements réglementés pour lesquels les entreprises d'assurance, doivent, à toute époque, être en mesure de justifier l'évaluation. Parmi ces engagements figurent les "provisions techniques suffisantes pour le règlement intégral de leurs engagements vis à vis des assurés ou des bénéficiaires de contrats".

- Enfin, l'article 20 prévoit de renvoyer à un décret le soin d'établir des règles spécifiques d'évaluation des actifs, de provisionnement afférents à ces derniers et de participation aux excédents.

Ces dispositifs constituent un dispositif prudentiel cohérent ; mais sont-ils suffisants compte tenu de ce que l'on sait des expériences étrangères en matière de fonds de pension ?

Ainsi, depuis 1975 la législation américaine, plus connue sous le nom d'ERISA (Employee Retirement Income Security Act) impose aux entreprises, outre l'obligation de provisionnement intégral des engagements, l'obligation de cotiser à une caisse de réassurance (le Pension benefit guarantee corporate) pour se couvrir en cas de faillite. Cette question mérite d'être posée concernant les fonds de pension français, même si la réponse n'est guère évidente.

4. La gestion des actifs

a) Cantonnement ou mutualisation des actifs ?

Un même fonds de pension étant susceptible de recevoir les contributions de plusieurs plans, que se passera-t-il à l'intérieur du fonds : y aura-t-il cantonnement des actifs ou bien mutualisation ?

La proposition de loi de l'Assemblée nationale étant muette sur ce point, il semble acquis que les deux formules seront possibles.

La seule certitude que l'on puisse avoir est que les plans conclus dans le cadre des articles 441 et suivants du code des assurances (article 9 de la proposition), seront impérativement cantonnés en application de l'article L. 441-1 du code des assurances.

Il est vrai que cette question n'appelle pas de réponse évidente, et qu'il apparaît dans ces conditions plus sage de s'en remettre à la liberté contractuelle.

Chaque formule possède en effet les avantages de ses inconvénients : la mutualisation permet de diminuer les risques, mais aussi la rentabilité. Inversement, le cantonnement permet de conserver tous les bénéfices d'un fonds bien géré, ou ayant une structure démographique favorable, mais il multiplie les risques dans le cas contraire.

b) L'exercice des droits de vote attachés aux titres en capital logés dans le fonds

La proposition de loi n'indiquant pas, de manière spécifique quels seront les détenteurs des droits de vote attachés aux titres de capital logés dans les fonds de pension, on suppose que les règles de droit commun seront applicables. Cela signifie qu'en théorie, les droits de vote seront exercés par les gestionnaires du fond lui même, et qu'en pratique, ils ne seront pas exercés, au moins dans la grande généralité des cas.

Mais ce problème qui ne revêtait, jusqu'à présent, que peu d'importance dans le cadre de contrats souscrits au profit d'individus, prend une autre dimension dans le cadre de fonds de pension conçus essentiellement comme des régimes d'employeurs, et qui seront pour une large mesure des filiales de puissants groupes financiers.

En effet, dans la mesure où un même fonds pourra gérer plusieurs plans, et que les actifs pourront ne pas être cloisonnés, les conflits d intérêt risquent de se multiplier : le fonds devra-t-il gérer en fonction de ce qu'il estime être les intérêts du souscripteur, de ceux de ses propres actionnaires ou de ceux des bénéficiaires ? Que faire quand les intérêts de deux souscripteurs entrent en conflit ? Quelles seront en définitive les règles déontologiques applicables ?

c) La pertinence des moyens utilisés pour atteindre l'objectif de placements en titres de capital

La proposition de loi de l'Assemblée nationale prévoit d'imposer un certain nombre de ratios prudentiels. Parmi ceux-ci, l'article 22 prévoit que les fonds de pension ne pourront comporter plus de 65 % de titres de créances ou assimilés.

Du point de vue des impératifs de la gestion financière, comme de celui des intérêts des adhérents, la pertinence de ce ratio laisse sceptique.

En revanche, ce ratio prend toute sa signification au regard de l'objectif, constamment affiché par la commission des finances de l'Assemblée nationale, et qui est aussi celui poursuivi par votre commission : faire en sorte que les futurs fonds de pension puissent s'investir au maximum en titres de capital.

On rappelle en effet que le texte adopté par la commission des finances de l'Assemblée nationale prévoyait initialement que les fonds de pension devraient être investis au minimum à raison de 65 % en titres de capital. Ce n'est que parce que l'obligation d'un minimum a soulevé des difficultés d'ordre juridique, apparemment jugées insurmontables, que l'Assemblée nationale s'est finalement résolue à imposer un maximum de titres de taux.

Pour votre commission, la validité de cet objectif tient à une raison et à une seule : pour autant que l'on puisse extrapoler pour le futur les enseignements du passé, dans le long terme les placements en titres de capital sont les plus rentables.

Néanmoins, imposer un ratio plafond de détention d'obligations pourrait s'avérer contre-productif.

En premier lieu, l'expérience montre que les gestionnaires, les assureurs en particulier, considèrent souvent une possibilité maximale comme une obligation minimale et, prenant le vice pour vertu, attachent un soin scrupuleux à respecter les plafonds.

En second lieu, la fixation d'un tel taux pourrait entrer en conflit avec le fonctionnement de certains fonds de pensions. Les fonds de pension les plus modernes ont en effet mis au point des techniques de gestion utilisant "l'effet de noria" et consistant à regrouper les salariés par tranche d'âge homogène, en fonction de leur probabilité d'arriver à l'âge de la retraite au même moment. Or, la composition des actifs est susceptible de varier du tout au tout d'une catégorie à l'autre. Un fonds en phase de démarrage sera logiquement composé de façon quasi exclusive en titres de capital, alors qu'au contraire, un fonds à maturité devra être beaucoup plus liquide afin de servir les rentes. Pour les premiers le plafond de 65 % constituerait une tentation dangereuse, pour les seconds une entrave sérieuse.

Enfin, et peut-être surtout, il semble difficile de préjuger du comportement des marchés à un horizon de trente ou quarante ans. Il est fort probable, pour ne pas dire certain, que sur la longue période se succéderont des crises boursières, et des périodes d'inflation. La prudence la plus élémentaire imposera aux gestionnaires de fonds de modifier la composition des actifs en fonction de la situation du moment. Ils doivent pour cela bénéficier d'une liberté totale, dans le respect des ratios prudentiels de dispersion des risques.

On ajoutera encore à cela les risques politiques que font courir les obligations de placement imposées à un instrument financier. L'article 23 est cet égard révélateur puisqu'il prévoit la possibilité d'affecter une partie des actifs gérés par les fonds de pension dans les "fonds communs de placement pour l'innovation", alors que ces véhicules ne sont pas encore définitivement créés. Le gouvernement prend ainsi le risque d'ouvrir une porte qui permettra demain à chaque secteur de l'économie de dire : pourquoi pas moi ? Il faudra donc que le législateur soit vigilant et ne succombe pas à la tentation de mettre en place des "tuyauteries financières", comme il existe des "tuyauteries fiscales", imposant l'investissement des actifs des fonds de pension dans tel ou tel secteur jugé prioritaire.

5. Le comité de surveillance

La proposition de loi semble quelque peu ambiguë quant au rôle et à la composition assignée au comité de surveillance.

S'agissant du rôle de ce comité, l'article 14 de la proposition prévoit en effet que le comité est l'instrument par lequel les titulaires de plans d'épargne retraite "participent collectivement à la gestion de leur plan". Mais dans le même temps, l'article 15 dispose que le comité émet un avis sur la gestion du fonds et du plan. On constatera qu'il y a contradiction entre ces deux dispositions, puisqu'on ne saurait à la fois participer à la gestion de quelque chose et, dans le même temps, émettre un avis sur cette gestion.

Deux solutions sont techniquement envisageables : soit donner au comité de surveillance le pouvoir de participer à la gestion du fonds, soit au contraire distinguer les fonctions de surveillance des fonctions de gestion et cantonner le comité de surveillance à des fonctions de ... surveillance. On observera d'emblée que la première solution se heurte à des difficultés importantes. Elle suppose en effet la présence, au sein de l'entreprise, de personnes compétentes, pouvant consacrer à la gestion du fonds tout le temps nécessaire. Il est clair que de facto les petites et moyennes entreprises seraient exclues de ce mécanisme. En outre, elle ne s'accommode pas du tout avec l'architecture retenue par la présente proposition de loi.

Concernant la composition de ce comité (article 14), la rédaction proposée par l'Assemblée nationale laisse perplexe : les membres de comités seront-ils composés pour moitié de membre élus, ou les représentants élus par les titulaires représenteront-ils au moins la moitié du comité ? Cette question mérite d'être précisée.

B. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION

Les propositions de votre commission sont structurées autour de cinq idées : équité, prudence, transparence, concurrence et efficacité.

1. Assurer plus d'équité

a) L'équité entre travailleurs salariés et travailleurs non salariés

De ce point de vue, il serait souhaitable d'aligner la fiscalité des fonds mis en place au profit des travailleurs non salariés, dans le cadre de la loi dite Madelin, sur les dispositions du présent texte concernant les fonds de pension des travailleurs non salariés.

b) L'équité entre salariés du secteur privé

Afin d'assurer cette équité votre commission vous demandera de permettre aux salariés d'une entreprise ne voulant pas ou ne pouvant pas souscrire de plan de retraite et appartenant à un secteur dans lequel aucun groupement d'employeurs n'a décidé de souscrire de tels plans, d'adhérer à des plans existants.

Deux solutions sont envisageables :

La première consisterait à autoriser la création d'associations professionnelles à souscrire des plans de retraite.

La seconde est d'autoriser l'adhésion directe des salariés au profit d'un plan déjà existant.

La première solution conduirait à une plus grande concurrence entre les fonds de pension. Mais elle se traduirait également par plus d'instabilité. Elle impliquerait en effet une possibilité de choix à tout moment et donc une transférabilité intégrale des droits acquis des salariés, ce qui pourrait nuire à l'orientation des placements des fonds de pension vers les placements en titres de capital, pourtant les plus profitables pour les adhérents. En outre, elle pourrait autoriser la création d'associations peu sérieuses, plus soucieuses de prélever des commissions que de servir les intérêts de leurs adhérents.

C'est pourquoi, votre commission préconise de retenir la seconde solution qui permet de concilier l'objectif de stabilité avec celui d'équité. Il importe en effet qu'aucun salarié ne puisse être laissé au bord du chemin.

Cela conduirait à revenir, sous une forme plus modérée, au texte des conclusions de la commission des finances de l'Assemblée. Comme dans ce texte, l'adhésion serait directe. Mais elle serait limitée aux cas où l'entreprise ou les associations d'employeurs du secteur n'auraient pas créé de fonds de pension. Il s'agit de mettre en place une sorte de filet de sécurité.

Pour autant, cette solution ne règle pas tous les problèmes :

- Faut-il laisser le libre choix au salarié, ou établir une liste de plans habilités à recevoir son adhésion ?

- Le plan en question est-il en droit de refuser l'adhésion des salariés en question ? On voit mal comment il pourrait en aller autrement, mais que se passe-t-il alors dans ce cas et dans celui où aucun plan n'accepterait un salarié ?

Votre commission vous propose de laisser le soin aux détenteurs du pouvoir réglementaire de traiter ces points moins importants.

c) L'équité dans le temps

L'utilisation de l'enveloppe fiscale de l'impôt sur le revenu constituera la principale motivation pour les salariés de se constituer un complément de retraite.

Néanmoins leurs versements seront nécessairement affectés par les événements, heureux ou malheureux de la vie : mariages, enterrements, cessation provisoire d'activité...

Pour tenir compte des facultés contributives réelles des salariés, il semblerait donc plus équitable de les autoriser à reporter en avant la partie de l'enveloppe fiscale non consommée, pendant une durée qui peut être raisonnablement fixée à cinq ans.

d) L'équité entre les différents acteurs

Il semble important que tous les acteurs économiques autorisés à constituer des fonds de pension - mutuelles du code de la mutualité, sociétés d'assurance mutuelle, sociétés anonymes d'assurance, institutions de prévoyance - puissent le faire dans des conditions d'égalité de traitement.

Dans cette perspective, il semble souhaitable, d'une part, de lever toute ambiguïté sur l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, qui doit se faire dans les conditions de droit commun et, d'autre part, de procéder à un alignement par le bas concernant la contribution sur les institutions financières à laquelle seulement certaines formes d'entreprises d'assurance sont actuellement assujettis.

2. Respecter le principe de prudence

a) Renforcer les ratios prudentiels

La pérennité du système mis en place repose, en grande partie, sur la pertinence des ratios prudentiels retenus. Il n'y a pas de doute sur la qualité des ratios prudentiels du code des assurances. Mais il importe, d'une part, de les adapter à l'horizon de placement qui est celui des fonds de pension, et d'autre part, de ne les assouplir, si nécessaire, qu'avec beaucoup de prudence.

S'agissant des sociétés cotées, le plafond actuellement fixé par le code des assurances est de 5 % par émetteur. Mais il peut être augmenté jusqu'à 10 % si le total des dérogations ne dépasse pas 40 % du portefeuille. La proposition de loi ne comportant aucune disposition sur ce point, ce ratio s'applique donc, ainsi que la possibilité d'y dérog er. Or, dans le cadre des fonds de pension, il semble nécessaire d'interdire la dérogation permettant de concentrer 10 % des placements sur un même émetteur et d'imposer une appréciation de ce ratio par groupe de sociétés. La règle française serait ainsi d'une prudence équivalente à la règle britannique. C'est en effet le ratio maximum de 5 % qui, outre-Manche, a été préconisé par les autorités de place à la suite de l'affaire Maxwell.

S'agissant des sociétés non cotées, le ratio actuel posé par le code des assurances prévoit que de titres puissent composer jusqu'à 5 % du portefeuille, dans la limite de 0,5 % par émetteur. En d'autres termes, un même fonds pourra détenir au maximum 10 lignes de placement en titres de sociétés non cotées. La proposition de loi prévoit de doubler ces ratios, ce qui aboutirait à permettre à un même fonds de détenir 10 lignes de 1 %. On voit bien que l'augmentation proportionnelle des ratios de concentration et de dispersion aboutit en réalité, toutes choses égales par ailleurs, à doubler le risque. Dans le droit actuel, il faudrait 8 défaillances majeures pour absorber la marge de solvabilité. Dans le texte qui nous est proposé, 4 suffiraient. Même si l'on peut admettre le bien fondé du ratio de concentration, il semble donc nécessaire de ramener le ratio de dispersion de 1 % à 0,5 %, ce qui imposera de répartir les engagements sur 20 émetteurs au moins, au lieu de 10.

b) La distinction entre les garants et les gérants

Dans le texte soumis à votre examen, les fonds de pension pourront choisir de gérer directement les actifs qui leur sont confiés ou bien d'en déléguer la gestion à des gestionnaires pour compte de tiers.

Or, la règle de plus grande prudence impose de bien dissocier la garantie de la gestion.

La garantie, c'est la capacité de l'organisme à verser les prestations qu'il s'est engagé à fournir. Elle s'inscrit dans une logique assurantielle et, de ce point de vue, le choix effectué par la proposition de loi de l'Assemblée nationale de retenir les règles du code des assurances et le contrôle de l'État qui l'accompagne, est le bon.

La gestion, c'est la capacité de l'organisme à assurer le meilleur rendement des actifs qui lui sont confiés. Or, de ce point de vue, ni le corps de règles du code des assurances, ni le contrôle des commissions de contrôle idoines ne semblent apporter les garanties suffisantes, notamment, en termes d'information financière, dans le cas particulier des fonds de pension. C'est, e n effet ici, le corps de règles définies dans la loi financière et le contrôle de la Commission des opérations de bourse, choix initialement effectué par la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui apparaît le plus pertinent.

En effet, pendant toute leur phase d'accumulation, les actifs des fonds de pension, au moins pour ceux d'entre eux à cotisations définies, seront gérés d'une façon similaire, pour ne pas dire identique, à celle des organismes de placement collectif. Il n'y a donc aucune raison qu'un même métier soit soumis à des règles différentes et que le bloc de règles établi, il y a moins de six mois, dans la loi financière puisse être considéré comme pertinent dans un cas et inutile dans l'autre.

Or, pour les raisons indiquées plus haut, les organismes autorisés à constituer des fonds de pension, ne trouveront vraisemblablement que peu d'intérêt à externaliser leur gestion. Celle-ci échappera aussi bien aux règles de la loi financière qu'au contrôle de la Commission des opérations de bourse.

Cette mise à l'écart constitue un double paradoxe :

D'une part, il apparaît surprenant d'affirmer haut et fort le renforcement du magistère de la Commission des opérations de bourse, autorité administrative indépendante, en charge de veiller à la protection de l'épargne publique et au bon fonctionnement des marchés financiers, puis de l'écarter entièrement de la mise en place des fonds de pension.

D'autre part, il est pour le moins contradictoire d'avoir mis en place le cadre normatif jugé le plus propice à l'essor de l'industrie de la gestion financière pour aussi tôt écarter cette filière du marché le plus prometteur en ce domaine : celui des fonds de pension.

Cette double logique, institutionnelle et industrielle, a conduit votre commission des finances à vous demander d'imposer la filialisation obligatoire de la gestion des actifs des fonds de pension.

Afin de s'assurer de l'étanchéité de ce dispositif, il apparaît indispensable d'imposer également la filialisation des activités de gestionnaire pour compte de tiers. Néanmoins, pour des raisons évidentes tenant à la stabilité du cadre juridique, un délai important de mise en place est prévu avant que cette nouvelle disposition entre en vigueur.

Une telle solution freinera-t-elle la mise en place des fonds de pension ? Assurément non. Les modalités de constitution d'une filiale sont relativement simples et il existe d'ores et déjà des véhicules juridiques adaptés à ce genre de situation comme, notamment, la société par actions simplifiée qui permettront à ceux des fonds de pension qui le souhaitent, de conserver, en tout ou partie, la maîtrise de la gestion.

En revanche, elle mettra en évidence le fait que, dans l'intérêt même des adhérents, il peut s'avérer salutaire de recourir à plusieurs gestionnaires à la fois, ou en des termes plus simples, de ne pas " mettre tous ses oeufs dans le même panier".

En outre, l'option retenue par votre commission des finances semble d'une grande cohérence avec la logique retenue dans la loi financière de juillet 1996.

Intérêt des adhérents, logique institutionnelle et industrielle, telles sont les motivations qui ont conduit votre commission des finances à vous demander d'adopter une telle modification.

Est-il trop tôt pour le faire ? Deux arguments militent en sens contraire :

D'une part, le succès des fonds de pension va dépendre en grande partie de l'image que le public en aura, dès le départ. Une fois cette image formée, il sera très difficile d'en changer.

D'autre part, les processus habituels dits de concertation de place ont, semble-t-il, montré leurs limites. En effet, les récentes réflexions menées par les professionnels n'ont pas apporté tous les fruits escomptés. Il incombe désormais au législateur de faire prévaloir ce qu'il estime être l'intérêt général.

3. Mettre en place plus de transparence

a) Préciser la mission, la composition et les pouvoirs des comités de surveillance

S'agissant tout d'abord de la composition des comités de surveillance, il apparaît nécessaire de lever toute ambiguïté sur ce point. A cet égard, il doit être clair que ces comités seront composés, pour moitié au moins, par des représentants élus des adhérents. Par ailleurs, il n'apparaît pas inutile de prévoir que ces comités pourront avoir recours, s'ils le souhaitent à des personnalités qualifiées, extérieures à l'entreprise ou au groupement d'entreprise, et indépendantes du fonds.

Concernant leur mission, il ne serait pas raisonnable d'associer ces comités à la gestion même des fonds. En revanche, il semble légitime qu'ils définissent les grandes orientations de la gestion des actifs confiés au fonds de pension.

Enfin, pour ce qui a trait à leurs pouvoirs, votre commission vous demande de leur donner la possibilité de faire effectuer des investigations selon la procédure existante des "expertises de minorité", appliquée par la loi sur les sociétés par les actionnaires minoritaires.

b) Renforcer les obligations d'information des adhérents

En premier lieu, il convient de s'assurer que les salariés seront parfaitement informés des caractéristiques des différents plans de retraite à leur disposition. Dans ce but, votre commission vous proposera d'imposer une sorte de fiche signalétique, une "notice", présentant les différentes caractéristiques du plan en question, ainsi qu'un rapport périodique établi par le fonds et communiqué tant au souscripteur qu'au comité du conseil de surveillance.

c) Favoriser la transparence des relations entre le fonds et le comité de surveillance

Il convient également d'organiser la transparence entre les gestionnaires du fonds et les membres du comité de surveillance. Il importe, en effet, qu'à tout moment, les comités de surveillance prévus par la proposition de loi puissent porter un jugement sur la gestion des actifs et l'évolution du fonds. A cette fin, votre commission vous demandera d'imposer la présence d'administrateurs indépendants, issus des comités de surveillance ou approuvés par eux au sein des organes sociaux du fonds.

Toutefois, cette obligation n'est pas nécessaire dans le cas de fonds de pension constitués sous la forme de mutuelles, puisqu'on peut considérer que, par construction, il ne saurait y avoir de hiatus entre les intérêts du fonds et ceux des adhérents.

d) Imposer des obligations déontologiques aussi bien aux garants qu'aux gérants des fonds de pension

Il semble évident que, compte tenu de l'architecture retenue, des conflits d'intérêts verront le jour au sein des instances de direction des fonds de pension. Ce sera le cas, notamment, dans les fonds établis au niveau de la branche professionnelle où risquent de naître des conflits d'intérêts entre des souscripteurs qui sont aussi des concurrents. Cela risque d'être aussi le cas, chaque fois que la société constituant le fonds de pension ne résultera pas de la création ex nihilo de la volonté de l'employeur, mais sera la filiale d'une entreprise d'assurance ou d'un groupe financier significatif.

Il importe que les actifs importants déposés dans les fonds de pension ne soient pas utilisés aux profits d'intérêts particuliers dans telle ou telle bataille boursière.

Afin de prévenir ce genre de situations, votre commission vous demande, en premier lieu, de poser dans la loi, à l'instar de ce qui a été fait en loi financière, l'obligation pour les actionnaires d'un fonds de s'abstenir de toute initiative qui aurait pour objet ou pour effet de privilégier leurs intérêts propres au détriment de celui des adhérents et l'obligation pour les dirigeants d'un fonds de faire prévaloir, dans tous les cas, l'intérêt des adhérents.

En second lieu, votre commission vous demande d'imposer, à l'instar de ce qui existe aux États-Unis, une obligation de vote à la charge des gestionnaires, dans les assemblées générales des sociétés dont les titres sont détenus par le fonds. Toutefois, afin de permettre une application pragmatique de ce principe, un décret pourra prévoir des exceptions dans les cas où son application entraînerait des surcoûts disproportionnés. On peut imaginer deux cas au moins où une telle situation est susceptible de se produire : celui des actions d'entreprises ayant leur siège social à l'étranger et celui d'actions ou de parts d'organismes de placement collectifs.

Aux États-Unis, une telle obligation existe depuis 1988. Elle a été imposée par une lettre circulaire du ministère du travail (Avon letter). Ce même ministère est allé encore plus loin en contraignant les gérants de fonds à "utiliser tout le soin, toute l'expertise, toute la prudence et toute la diligence" requis dans l'exercice de leurs droits de votes (fiduciary principles) Depuis 1994 des enquêtes sont effectuées pour vérifier la façon dont les votes sont exercés. Enfin, depuis février 1995, le ministère du travail a étendu l'obligation de voter aux assemblées générales des sociétés étrangères dans lesquelles les fonds de pension américains détiennent des participations 3 ( * ) .

Pour ce qui est de la proposition de loi, votre commission vous propose de faire sanctionner ces obligations, sur le plan disciplinaire, par la COB. En outre, leur non-respect pourra donner lieu, si le préjudice est établi, à des actions civiles, bien plus efficaces en ce domaine que les actions pénales.

4. Favoriser la concurrence

La mise en concurrence constitue sans doute la meilleure garantie que le législateur puisse apporter aux adhérents des plans de retraite que la gestion de leurs économies bénéficiera de toute la vigilance nécessaire.

Cette mise en concurrence doit s'effectuer non seulement entre les plans d'épargne retraite - c'est le choix de l'adhérent - mais aussi entre les fonds eux-mêmes - c'est le choix du souscripteur.

a) Le choix de l'adhérent (la concurrence entre plans de retraite)

(1) Au moment de l'adhésion

Dans le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, les salariés n'auront aucun choix si l'entreprise ou le groupement d'entreprise auquel ils appartiennent ne créent pas de plan de retraite, ou, dans le meilleur des cas, un choix limité, réduit au choix entre le fonds de l'entreprise ou celui de l'association professionnelle d'employeurs.

La possibilité pour les salariés d'adhérer à un fonds existant, préconisée plus haut pour des motifs d'équité, devrait également concourir à favoriser la concurrence.

(2) Pendant la durée du contrat

La proposition de loi ne prévoit la transférabilité des droits acquis qu'en cas de rupture du contrat de travail. Dans ce cas le salarié peut demander son transfert sur un autre plan. Mais lequel ? A défaut de précision, le salarié serait en droit de demander son rattachement à n'importe quel autre fonds de pension. Seuls les chômeurs seraient donc en mesure de choisir leurs fonds de pension.

Là encore, la proposition de loi de l'Assemblée nationale mérite d'être améliorée en prévoyant le transfert des droits acquis, à l'initiative du salarié, à condition bien évidemment qu'un autre plan accepte son adhésion.

Toutefois, afin de limiter les risques d'instabilité du système, il est prévu de limiter la périodicité de cette possibilité à une échéance quinquennale.

b) Le choix du souscripteur (la concurrence entre fonds de pension)

La concurrence entre fonds de pension est aussi importante que celle entre plans de retraite.

Elle est le meilleur moyen, voire le seul, d'éviter que ne se constituent des clientèles captives et d'apporter aux bénéficiaires des plans de retraite la garantie que la gestion des actifs qui constitueront leurs pensions feront l'objet d'une vigilance constructive.

Elle suppose d'organiser la révocabilité, à échéances fixes, du contrat de fonds de pension. Là encore, la durée qui vous est proposée par votre commission est de cinq ans.

5. Viser à plus d'efficacité et de rationalité économique

Il est souhaitable, aussi bien dans l'intérêt des adhérents que dans celui de notre économie, que les actifs gérés par les fonds de pension s'investissent de façon prioritaire dans les titres de capital.

Dans cette optique, l'Assemblée nationale a jugé bon d'imposer des règles de placement, qui du point de vue des règles d'une gestion saine et prudente, ont amené votre commission à émettre certaines réserves.

On observera à ce stade qu'il existe un moyen plus efficace d'inciter au placement en actions : c'est l'interdiction des contrats à prestations définies.

On rappelle en effet, qu'il existe plusieurs techniques de capitalisation suivies d'une sortie en rente.

En premier lieu, il faut distinguer les formules à placements garantis des formules à placements non garantis.

Dans les premières, l'assureur garantit le nominal des placements, souvent en le majorant d'un taux d'intérêt maximum (le taux maximum actuel étant de 3,5 % par an). Nous sommes alors en présence d'un contrat à prestations définies (les cotisations sont toujours définies). En France, ces fonds sont composés très largement de titres de taux qui permettent de garantir le taux minimum. C'est le principe selon lequel fonctionne l'assurance-vie. Ces contrats n'offrent qu'une faible rentabilité. A long terme, ils ne sont pas exempts de risques.

Dans les placements non garantis, c'est l'assuré qui assume le risque de l'évolution des placements ; c'est le capital variable, défini en unités de comptes. Nous sommes dans ce cas en présence d'un contrat à cotisations définies et à prestations non définies. Ces contrats sont composés presque exclusivement de titres de capital ou de titres immobiliers. A court terme, ces contrats sont les plus risqués. Mais dans le long terme, le risque est lissé et l'expérience passée montre que, à l'exclusion des titres immobiliers, ce sont de très loin les placements les plus rentables.

En second lieu, il faut déterminer la "table de survie" utilisée et le moment où elle s'applique. La table de survie doit être au moins aussi prudente que la table prospective générale agréée par l'État pour la population française (table TPRV). Son application peut être effectuée soit au moment de la souscription du contrat, soit au moment du passage à la retraite. Les risques courus par le fonds sont donc les plus élevés lorsque l'assureur garantit le taux le plus élevé (3,5 %) et utilise la table de survie minimale (TPRV).

La proposition de loi semble autoriser ces deux possibilités. En outre, elle permet de recourir aux contrats dits de l'article L. 441 du code des assurances qui constituent une sorte de voie intermédiaire entre les contrats à prestations définies et ceux à cotisations définies.

Le régime de retraite par capitalisation des fonctionnaires - Préfon -ainsi que celui des élus locaux - Fonpel - sont constitués dans le cadre de l'article L. 441, ci-dessus évoqué.

A un horizon de long terme, qui est celui du législateur en ce moment, il est possible de dire que les contrats à prestations définies n'offrent de la sécurité qu'une image illusoire et serviront probablement davantage les intérêts de ceux qui les proposeront que ceux des bénéficiaires.

En outre, leur impact sur l'économie n'est pas celui recherché par la proposition de loi puisque ces fonds ne feraient qu'alimenter davantage le marché obligataire.

L'expérience américaine est, de ce point de vue très instructive. A l'origine, les fonds de pension américains étaient à prestations définies. L'obligation de provisionnement des sommes à payer, inscrite dans la loi dite ERISA {Employée retirement income security act) de 1974 a eu pour effet d'entraîner un mouvement de transfert des fonds à prestations définies vers les fonds à cotisations définies. Actuellement, il y a plus de plans à cotisations définies qu'à prestations définies aux États-Unis et l'on estime que, dans dix ans, les deux tiers des plans seront à cotisations définies.

Deux arguments supplémentaires militent en faveur de l'interdiction des plans à prestations définies.

D'une part, notre système de retraite comporte déjà un étage obligatoire garantissant des prestations définies. Or, il a été clairement établi d'entrée qu'il ne s'agissait pas de dupliquer le système actuel, mais de le compléter.

D'autre part, les entreprises qui le souhaitent pourront continuer, sur la base du droit existant, de souscrire des contrats d'assurance de groupe à prestations définies (contrats dits de l'article 39). Mais ces contrats ne doivent pas bénéficier des mêmes avantages fiscaux que ceux prévus pour les plans de retraite.

Votre commission vous proposera donc d'interdire le recours à des contrats à prestations définies dans le cadre des fonds de pension.

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Sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous propose, votre commission des finances vous demande d'adopter la présente proposition de loi.

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* 3 Voir sur ce point le rapport remis au Premier ministre sur la modernisation du droit des sociétés, par M. Philippe Marini en juillet 1996 ; proposition n°91, pages 94 et 95

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